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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 15:34

            Les sources écrites sur la stratégie ou les stratégies de l'Empire romain sont plutôt éparses, lorsqu'on considère la longueur de l'existence de la Rome antique.

Nous pouvons en faire une présentation de manière chronologique, de POLYBE à FLAVIUS VÉGÈCE :

 

- POLYBE (vers 202-120 av J-C.), Grec mis au service de Rome, participa à l'expédition de SCIPION en Espagne, dans le cadre des guerres entre Rome et Carthage. Grand voyageur, documenté, précis, POLYBE est considéré comme le grand historien de l'impérialisme romain. Il relate et analyse par exemple l'histoire du triomphe de Rome sur Carthage et l'expansion romaine dans l'Orient grec et hellénisé. La bataille de Cannes (216 av J-C.), relatée aussi par APPIEN et TITE-LIVE, est la plus belle victoire d'Hannibal. Elle est un classique, souvent médité, d'enveloppement par les ailes, et ceci malgré l'infériorité numérique des Carthaginois. 

Il a écrit un Éloge de Philopoemen (3 livres), un Traité de tactique, un Traité sur les régions équatoriales et une Guerre de numance, ouvrages perdus. D'Histoires (écrit pour la période entre 220 et 146, écrit en Grèce après 146), de quarante volumes, seuls cinq volumes nous sont parvenus en totalité.

(Le site www.mediterranee.org/histoire_romaine, met en ligne progressivement des extraits de cette  Histoire, rarement accessible, présentés là dans la traduction de JAC Buchon de 1836. Ce site met en ligne de nombreux textes de différents auteurs cités dans ce post ; On peut aussi consulter ces textes dans une traduction de Dom THUILLIER, Polybe, Histoires, Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1836)

 

- JULES CÉSAR (vers 101-44 av J-C.) joua un rôle ambigu dans la conjuration de CATILINA. Triumvir avec POMPÉE et CRASSUS, Consul en 59, il mena campagne entre 57 et 50, en Belgique, en Gaule, en Angleterre et passa le Rhin et triompha en Gaule. Après la mort de CRASSUS, la guerre civile éclate entre les tenants de CÉSAR et POMPÉE (49 à 45). Avant de combattre POMPÉE, qui dispose de la maitrise de la mer, CÉSAR s'attaque aux légions pompéiennes d'Espagne (siège de Marseille). Il remporte en 48 la victoire décisive de Pharsale. En 47-46, il mène contre les Pompéiens la guerre en Afrique puis en Espagne. Il est le seul maître lorsqu'il est assassiné en 44. Homme politique à la tête stratégique, CÉSAR est célèbre en partie à cause de ses Commentaires. Mais La Guerre civile, dont il est soit l'auteur soit l'inspirateur direct, est également un ouvrage de valeur d'un point de vue militaire.

De ses divers écrits, seuls ses Commentaires nous sont parvenus. Les Commentaires sur la Guerre des Gaules relate la campagne de César en Gaule. Les Commentaires sur la Guerre civile relate la guerre entre lui et Pompée. Ces oeuvres constituent le modèle du genre des mémoires historiques, même si leur objectivité est très discutée par les historiens. Ils ont servi à la propagande politique de César. On lui attribue (mais ils ont été probablement été rédigés par Aulus HIRTIUS) : Sur la guerre d'Alexandrie, relatant sa campagne à Alexandrie ; Sur la guerre d'Afrique, celle en Afrique du Nord ; Sur la guerre d'Hispanie, sa campagne dans la péninsule.

(De nombreux textes de Jules César sont disponibles aux Éditions Les Belles Lettres, notamment La guerre civile, 1987 et La guerre des Gaules, 1984.)

 

- SALLUSTRE (vers 86-35 av J-C.) est, avec TACITE et CÉSAR, un des grands historiens romains dont la Conjuration de Catilina a quelque peu laissé dans l'ombre son remarquable récit de La guerre de Jugurtha (vers 40), modèle des écrits sur la guerre de guérilla, des tactiques du faible au fort et sur l'usage de la guerre d'usure et de harcèlement. Cette guerre dura de 110 à 104 av J-C. SALLUSTRE se trouvait dans le camp de CÉSAR lorsque éclata la guerre civile au début de 49. Il accompagna celui-ci en Afrique et devint, en 46, le premier gouverneur de la nouvelle province d'Afrique créée par CÉSAR. Après la mort de son protecteur, il s'éloigna de la politique et se consacra à ses écrits. La plus grande partie de ses Histoires est perdue, au moins avons-nous connaissance de leur existence. Premier en date des historiens latins - du moins en regard des écrits qui nous restent - SALLUSTRE se situe d'emblée, avec La guerre de Jugurtha, comme l'un des plus importants.

La Conjuration de Catilina (-41) est le récit du complot de Catilina visant la prise du pouvoir, dénoncé par Cicéron. La guerre de Jugurtha rapporte cette guerre d'Afrique du Nord, entre 112 et 105 av J-C. Les Histoires, qui nous sont parvenues incomplètes, traitent de l'histoire de Rome entre Sylla (-78) et de la victoire de Pompée contre les pirates (-67). Elles ont toutefois fait l'objet d'un très important travail de reconstitution de la part de Charles de Brosses, premier président du Parlement de Bourgogne, publié en 1777 chez Frantin à Dijon.

(De nombreux textes sont disponibles à Les Belles Lettres ; 2003, pour La conjuration de Catilina, La Guerre de Jugurtha et fragments des histoires. Il existe une édition auparavant de La guerre de Jugurtha, traduction de F RICHARD, éditions Garnier-Flammarion, de 1968)

 

- TITE-LIVE (vers 59 av J-C.-17) se refusa à suivre une carrière politique et se consacra à une monumentale Histoire romaine qu'il commença sous l'empereur AUGUSTE. Il s'efforce d'y dresser un inventaire et un bilan de sept siècles. Oeuvre très inégale - avec des passages superbes (les guerres puniques se lisent comme un roman d'aventures, sans doute un peu trop...) -, elle s'arrête en l'an 9 av J-C. Divisée en quatre décades, l'oeuvre est incomplète, la seconde décade et une moitié de la quatrième ayant été perdues.

Son Histoire de Rome depuis sa fondation couvre 142 livres. Organisé en décades ou groupes de 10 livres, seuls 35 livres nous sont parvenus. 

(Nous pouvons trouver de nombreux textes au site http://remacle.org pour cet auteur et beaucoup d'autres. Histoire est disponible aussi par une traduction de A. BOURGERY, aux Éditions Hatier, de 1966.)

 

- FLAVIUS JOSÈPHE (vers 37-100) participa à la guerre des Juifs contre Rome (66-70) avant de se rendre à l'ennemi, enfreignant le serment collectif tenu par ses compagnons, ce qui explique sans doute en partie le dénigrement de ses opinions par la communauté juive pendant une très longue durée. Il est un témoin unique des dernières années de l'État juif, assistant dans le camp romain à la chute de Jérusalem et à la destruction du temple. La Guerre des Juifs couvre la période qui s'étend de 175 av J-C. à 73.

FALVIUS JOSÈPHE fut nommé gouverneur de Galilée. Outre La Guerre des Juifs (en 7 livres), nous avons encore de lui une Autobiographie, complément de La guerre des Juifs où il justifie son choix d'avoir suivi les Romains et Antiquités judaïques (en 20 livres), inspiré des Antiquités romaines de DENYS d'HALICARNASSE, adaptant l'histoire du peuple juif à la mentalité romaine. Si la première partie n'est qu'une adaptation de la Bible, les dix derniers livres constituent un document historique de tout premier plan. Ces Antiquités Juives sont suivies de Contre Apion (écrit en 95 sans doute), qui est une défense des traditions juives et une réponse aux judéophobes grecs.

(Les traductions des Oeuvres de Flavius Josèphe se trouvent aux Éditions de minuit pour la Guerre des Juifs, 1977 (traduction de Pierre SAVINEL), aux Éditions du Cerf pour les Antiquités Juives, 1992-2005, en 4 volumes et aux Belles Lettres pour Contre Apion, selon une traduction de L. BLUM)

 

- ONOSAUDER (Ier siècle), d'origine grecque, vécut sous les Antonin. Son traité Strategikos, est axé sur la science du chef d'armée. L'influence d'ONOSAUDER est sensible chez les stratèges byzantins, notamment dans la Tactica de LEON VI. Il fournit des informations pas couramment disponibles dans d'autres oeuvres anciennes sur les tactiques militaires grecs, notamment concernant l'usage de l'infanterie légère dans la bataille. ONOSANDER parait avoir quelques dettes à l'égard de XÉNOPHON.

(Strategikos, selon une traduction de GUICHARDI est disponible chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840)

 

- SEXTUS JULIUS FRONTIN (40-vers 106) fut prêteur urbain en 70, plusieurs fois Consul, et gouverneur de Bretagne de 75 à 78, années durant lesquelles il mena une campagne victorieuse contre les Silures. Il est l'auteur de Stratagematon, recueil de faits militaires, de notions sur la stratégie, la tactique et l'art des sièges qu'il écrivit en 88. C'est un ouvrage d'un caractère populaire et destiné à compléter un grand ouvrage théorique sur l'art militaire, ouvrage perdu. 

(Les stratagèmes est disponible également chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840, selon une traduction de Perrot d'ALANCOURT)

 

- PLUTARQUE (vers 46-120), d'origine grecque, vécut sous l'empereur TRAJAN et fut un contemporain de TACITE. Philosophe, historien et moraliste, son oeuvre est inégale mais Des hommes illustres (ou Vies parallèles des hommes illustres) (écrit entre 100 et 110) contient, des épisodes remarquables, comme celui de l'expédition de CRASSUS contre les Parthes (vers 54 av J-C.) mettant aux prises sur un terrain défavorable une cavalerie d'archers pratiquant le harcèlement et une infanterie lourde recherchant le choc. Jusqu'aux Mongols et au-delà, ce type de rencontre s'est maintes fois produite, même si, du côté des sédentaires, on est passé de l'usage de l'infanterie à celui de la cavalerie lourde. CRASSUS (vers 115-53 av J-C.), l'un des triumvirs avec POMPÉE et CÉSAR, gouverneur de Syrie, fit campagne contre MITHRIDATE, roi du Pont et TIGRANE, roi d'Arménie avant de s'avancer en Mésopotamie septentrionale contre les Parthes.

Les Vies parallèles rassemblent cinquante biographies, dont 46 sont présentées par paire, comparant un Grec et un Romain célèbres (Thésée et Romulus, Alexandre Le Grand et César, Démosthène et Cicéron)

(Vies, est disponible aux Belles Lettres, 1972, selon une traduction de Robert FLACELIÈRE et Émile CHAMBRY)

 

- TACITE (vers 55-vers 120), originaire des Gaules, fut Consul sous l'empereur NERVA, en 97, puis gouverneur en Asie de 110 à 113. La Vie d'Agricola, écrite en hommage à la mémoire de son beau-père, général de l'empereur DOMITIEN, date de 98. Dans sa Germanie, TACITE fait oeuvre d'ethnologue et décrit avec rigueur les caractéristiques militaires des Germains. Il publie les Annales - oeuvre de très loin supérieure aux Histoires - autour de 117. Malgré un côté volontiers moralisateur, son oeuvre ne manque pas d'aperçus de grande valeur sous l'angle qui nous intéresse.

La Germanie (ou Sur l'origine et le pays des Germains) se présente comme un petit ouvrage d'actualité au moment où TRAJAN fortifiait la frontière du Rhin. Cette description des différentes tribus vivant au nord du Rhin et du Danube, s'inspire nettement d'auteurs antérieurs comme TITE-LIVE ou PLINE l'Ancien. Les Annales (écrite en 110), au titre apocryphe, devait comporter 18 livres sont le contenu s'étend du début du règne de TIBÈRE (14) à la fin du règne de NÉRON (68). Seuls les livres 1 à 4 ont été entièrement conservés. 

(Histoires est disponible, d'après une traduction de P. WUILLEUMIER et de H. LE BONNIEC, PUF, 1987-1992, Les annales aux Éditions Flammarion, 1999.)

 

- FLAVIUS ARRIEN (vers 92-175), grec de l'Empire romain né en Asie Mineure, fut l'élève d'EPITECTE à Nicopolis (Épire). Il se mit au service de Rome et sa carrière se déroula essentiellement sous l'empereur HADRIEN (117-132). Proconsul en Espagne, puis représentant de l'empereur en Cappadoce (131-137), il fut aux marches de l'empire où il repoussa une invasion des Alains. L'Anabase (écrite plus de quatre siècles après les événements) relate l'épopée d'ALEXANDRE. celui-ci, entre 334 et 323 av. J-C., conquit l'Asie jusqu'en Inde du Nord. ARRIEN et XÉNOPHON sont deux écrivains militaires exceptionnels. ARRIEN fut également l'auteur d'un Traité de tactique.

(Histoire d'Alexandre, l'Anabase d'Alexandre Le Grand, selon une traduction de Pierre SAVINEL est disponible aux Éditions de Minuit, 1984)

 

- POLYEN (IIe siècle), historien grec né en Macédoine, vécut à Rome sous le règne de MARC AURÈLE. En 163, il écrit ses Stratagèmes dans lesquels il expose les ruses de guerre les plus célèbres des Grecs, des Romains et des "barbares". Cette compilation très inégale a le mérite de la recension... et d'être parvenue jusqu'à nous. Stratagèmes, adressé à Lucius VERUS lorsqu'il part en campagne contre les Parthes, se présente sous la forme de huit livres qui rassemblent environ 900 récits d'historien, perdus, particulièrement Éphore de Cumes et Nicolas de Damas.

(La traduction de son Strategematon est disponible dans le livre Ruses diplomatiques et stratagèmes politiques, publié aux Éditions Mille et une nuit, 2011 ; Autrement, toujours chez Liskenne et Sauvan, Bibliothèque historique et militaire, 1840, selon une traduction de Dom Gui-Alexis LOBINEAU)

 

- FLAVIUS VÉGÈCE (fin IVe siècle), vécut sans doute à Constantinople. Son Traité sur l'art militaire, dédié probablement à l'empereur THÉODOSE LE GRAND, récapitule l'ensemble du savoir romain et fournit une somme où l'on trouve l'héritage de CATON le censeur, Cornelius CÉLSUS, FRONTIN, Paternus et de bien d'autres. Ces instructions militaires firent autorité en Occident jusqu'au XIVe siècle, bien que parfois, elles manquent d'originalité et soit utilisées sans doute par d'autres auteurs comme... arguments d'autorité. Ainsi, MACHIAVEL, qui puise beaucoup dans le répertoire romain pour soutenir ses idées...

Il tenta d'entreprendre une synthèse en matière de stratégie, de tactique et de logistique romaines. Théoricien au style direct sur le champ de bataille, VÉGÈCE préconise pourtant le style indirect pour les manoeuvres préparatoires. A côté de son ouvrage sur la tactique militaire romaine, Epitoma rie militaris (ou De re militari), nous connaissons son ouvrage de médecine vétérinaire, Digesta artis mulomedicina (ou Mulomedicina).

De re militari (daté avec beaucoup d'incertitude vers 385-390) se présente comme un manuel pratique d'environ 120 pages réparties en 5 livres traitant respectivement de l'enrôlement et de l'entrainement des recrues, de l'ordonnance générale de la légion et de la discipline des troupes, des manoeuvres tactiques et des batailles, de l'attaque et de la défense des places fortes et de la guerre navale. Parfois la partie navale est considérée comme une simple annexe. Il ne s'agit pas d'une description de l'armée romaine, mais d'une proposition précise et circonstanciée, adressée à l'empereur, sur les mesures à prendre pour sauver l'empire du naufrage. A cette proposition de revenir aux usages de la grande époque, le pouvoir n'a pas donné suite. Il renseigne donc sur une période bien antérieure.

La célèbre maxime "Si vis pacem, para bellum" (si tu veux la paix, prépare la guerre) n'est pas réellement de VÉGÈCE, du moins dans ces termes précis. Celui-ci écrit, dans le prologue du livre III, sur la nécessité d'entrainer les troupes aux manoeuvres collectives en préalable de toute guerre et conclut : "... qui désire la paix se prépare donc à la guerre, qui aspire à la victoire s'applique à former ses soldats, qui recherche le succès du combat selon les règles et non au hasard." La première proposition fut paraphrasée par un commentateur bien intentionné en une maxime percutante qu'il laissa au crédit de VÉGÈCE. 

(Instructions militaires, présenté par NACHIN, est disponible aux Éditions Berger-Levrault, 1948 ; Institutions militaires - Rei Militaris Instituta, est disponible chez MacMay, 2010)

 

     Longtemps, la stratégie et l'histoire romaine nous sont connues uniquement par ces sources très éparses. L'ampleur des destructions à la fin de l'Empire romain explique sans doute que seuls des petits morceaux nous sont connus. Depuis le XIXe siècle et de façon accélérée depuis, nous bénéficions de connaissances tirées des fouilles de l'archéologie. Des épigraphies nombreuses peuvent être comparés aux écrits anciens. Et surtout, les découvertes de vestiges de villes romaines permettent de se faire une idée des avancées de la romanisation. Les indices de vie économique florissante indique des zones pacifiées à un siècle ou l'autre, donc l'ampleur véritable des réussites des différentes stratégies mises en oeuvre. 

    De plus, il faut tenir compte de véritables habitudes stratégiques qui se transmettent de génération en génération, dans les classes nobles de la société romaine. Les indications rapportées dans les écrits qui nous sont parvenus nous donnent une idée de l'ampleur de la littérature gréco-latine consacrée aux choses militaires. Ce que nous appelons pragmatisme de la stratégie ou des stratégies romaines provient peut-être aussi de notre méconnaissance des différents textes importants qui ont disparu.

 

    Joel LE GALL nous indique que "L'armée a toujours joué un rôle primordial dans l'histoire antique de Rome qui commence vers le milieu du VIIIe siècle avant J-C. et s'achève conventionnellement en 476 après J-C., terme ultime de l'empire d'Occident", tandis que l'empire d'Orient se prolonge beaucoup plus. "cette armée ne nous est vraiment connue qu'à partir du IIIe siècle avant J-C. ; c'est à cette époque que se sont fixées les traditions qui allaient faire d'elle, pendant de longs siècles, un instrument de guerre supérieur à tous les autres. Le corps de bataille était constitué par les légions, grandes unités d'infanterie recrutées uniquement parmi les citoyens romains, mais soutenues par des unités de non-citoyens fournissant des effectifs égaux ou supérieurs ; la cavalerie n'a joué qu'un rôle secondaire, jusqu'à la seconde moitié du IIIe siècle après J-C."

Aux IIIe et IIe siècles av J-C., les citoyens romains devaient le service militaire de 17 à 46 ans ; l'armée n'était pas permanente, mais pendant ces trente années, ils pouvaient être mobilisés pour un nombre de campagnes qui est souvent sujet à discussion (16, 6?). Normalement on mettait sur pied deux armées consulaires de deux légions chacune, auxquelles s'ajoutaient des contingents fournis par les (alliés), mais il était possible d'en lever pour la durée de la campagne qui n'était pas fixe : elle était décidée par le Sénat pour chaque campagne et l'armée parait avoir varié entre 4 200 et 5 000 fantassins auxquels s'ajoutaient 300 cavaliers : ces fantassins étaient répartis entre 30 manipules de deux centuries chacun." 

     Mais le système de recrutement (et de commandement) originel "a cessé de fonctionner normalement au cours du IIe siècle av J-C., parce que les campagnes devenaient trop longues et que le sort de Rome n'était plus mis en cause, mais seulement sa domination sur des pays lointains. A la fin du siècle, le consul Marius se résigna à accepter les engagements volontaires des prolétaires, c'est-à-dire des pauvres qui normalement n'étaient pas appelé jusqu'à cette époque, parce qu'ils ne pouvaient pas s'acheter leur équipement. Dès lors, les armées changèrent de caractère : elles devinrent des armées de semi-professionnels qui se souciaient surtout de se faire du butin et d'obtenir, à leur démobilisation, la concession d'un domaine foncier qui leur permettait de mener une vie aisée. Pour obtenir ces avantages, les soldats firent confiance à leurs généraux et les armées n'hésitèrent pas à s'opposer les unes aux autres dans des guerres civiles. (...) Après sa victoire décisive, Auguste réorganisa l'armée sur des bases nouvelles. ce fut désormais une armée permanente de professionnels : les légionnaire, tous citoyens romains, s'engageraient pour vingt ans ; les pérégrins (non-citoyens) pourraient s'engager dans des corps auxiliaires pour 25 ans. La garde de l'empereur serait assurée par 9 cohortes prétoriennes et la sécurité de la ville de Rome par trois cohortes urbaines formées de citoyens dans lesquelles la service serait de 13 ans. La solde serait plus forte pour les prétoriens que pour les légionnaires, pour les légionnaires que pour les auxiliaires. A leur libération, les soldats bénéficieraient d'avantage divers, en particulier les auxiliaires deviendraient citoyens romains. 

La légion du Haut-Empire comptait 6 000 fantassins et plus de 700 cavaliers ; elle était dotée d'une artillerie, servie par les légionnaires. Elle comptait toujours 30 manipules à 2 centuries, mais l'armement avait été unifié : tous les légionnaires combattaient normalement avec le pilum et le glaive, bien qu'ils eussent été capables d'utiliser aussi d'autres armes, les frondes en particulier ; ils portèrent d'abord des cotes de mailles, plus tard la cuirasse de bandes d'acier et le bouclier rectangulaire de forme de tuile (...). Les manipules étaient groupés par trois en cohortes, à raison d'un manipule de chaque ligne (...)."

"Dans la seconde moitié du IIIe siècle, les menaces accrues que les cavaliers barbares faisaient peser sur les frontières européennes de l'empire, particulièrement dans les régions danubiennes, conduisirent l'empereur Gallien (253-268) à donner plus d'importance à la cavalerie ; les détails de cette réforme sont encore peu clairs. En même temps les officiers généraux et supérieurs cessèrent d'être des sénateurs ou des chevaliers, ce furent de plus en plus des soldats de métiers, eux aussi. Bientôt il fallut fortifier les villes de l'intérieur dont la défense fut assurée tant bien que mal par des milices locales. Dioclétien (284-305) augmenta considérablement les effectifs, mais Constantin (306-337) réalisa une réforme plus profonde en distinguant une armée de couverture, statique et une armée de campagne, mobile commandée par des généraux en chef qui portèrent le titre de magistri ; les prétoriens durent supprimés et la garde personnelle de l'empereur fut assurée par de nouvelles unités, les protectores et les scholas.

Les unités du Bas-Empire furent à faible effectif : les légions n'avaient plus que la valeur d'une ancienne cohorte, l'armement fut allégé. L'armée fut de plus en plus recrutée chez les barbares, y compris les officiers et les généraux : on vit même des peuples barbares engagés collectivement sous les ordres de leurs chefs nationaux : ces peuples s'installèrent dans l'empire et devienrent finalement les maitres de l'empire d'Occident qui se trouva divisé entre des royaumes barbares tandis que l'empire d'Orient résistait mieux à cette pénétration et devenait l'Empire byzantin."

 

     Edward LUTTWAK étudie pour sa Grande stratégie de l'Empire romain, surtout la période du premier siècle de notre ère jusqu'au troisième.

"On peut distinguer trois systèmes différents concernant la sécurité de l'empire pour (cette) période. Nous pouvons parler de système au sens propre, car chacun intègre la diplomatie, les forces militaires, le réseau de routes et les fortifications pour un unique objectif." (Précisons nous-mêmes que ces routes ne reliaient pas les villes existantes entre elles, mais des positions stratégiques, en fonction du relief notamment, en dehors de préoccupations commerciales). De plus, le dispositif de chaque élément traduit la logique de l'ensemble. Le but de chaque système était de satisfaire un ensemble distinct de priorités, elles-mêmes le reflet de conceptions conjoncturelles de l'empire : expansion hégémonique pour le premier système, sécurité territoriale pour le deuxième, et finalement, dans des circonstances graves, la simple survie de la puissance impériale elle-même. Chaque système était fondé sur une combinaison différente de diplomatie, de force armée et d'infrastructures fixes, et chacun déterminait l'adoption de différentes méthodes opérationnelles, mais, plus fondamentalement, chaque système reflétait une vue du monde différentes et l'image que Rome se faisait d'elle-même."

      Le stratégiste distingue ainsi trois système :

- Les Romains de la République ont beaucoup conquis pour servir les intérêt d'un petit nombre, ceux qui vivaient à Rome - en fait, d'un nombre encore plus faible, ceux qui étaient le mieux placés pour diriger la politique. Pendant le premier siècle de notre ère, les idées romaines évoluèrent vers une conception de l'empire plus vaste et, à tout prendre, plus bienveillante ;

- Les hommes nés dans des contrées éloignées de Rome pouvaient s'appeler Romains et voir ce droit pleinement reconnu : les frontières étaient défendues efficacement pour sauvegarder la prospérité grandissante de tous, et pas uniquement celle des privilégiés ; d'où cet empire de millions d'hommes et non de quelques milliers ;

- Après la grande crise du IIIe siècle, la question de la sécurité devint une contrainte extrêmement lourde pour la société, une charge inégalement répartie, qui pouvait enrichir les nantis et ruiner les pauvres. les rouages de l'empire furent alors de plus en plus au service de l'État, avec les collecteurs d'impôts, les administrateurs et les soldats, plus utiles les uns aux autres qu'à la société en général. Même à ce moment-là, l'empire reçut des marques de fidélité de nombreux citoyens, car sans lui c'était le chaos. Quand ce ne fut plus ainsi et de que États barbares organisés, donc capables de prendre des mesures pour assurer leur sécurité, firent leur apparition sur des terres naguère romaines, alors le dernier système de sécurité impérial perdit son ultime soutien, la peur des hommes pour l'inconnu."

      Cette perspective, tracée volontairement en gros par l'auteur, résultent de la succession des trois systèmes décrits plus précisément :

- le système julio-claudien : États-clients et armées mobiles d'Auguste à Néron ;

- le système des Flaviens aux Sévères : Frontières "scientifiques" et défense dissuasive de Vespasien à Marc Aurèle ;

- le système de la défense en profondeur avec la grande crise du IIIe siècle et les nouvelles stratégies.

 

Gérard CHALIAND, Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, Bouquins, 1991. Joel LE GALL, Rome, dans Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988. Edward LUTTWAK, La grande stratégie de l'empire romain, Economica/Institut de Stratégie Comparée, 2009.

 

STRATÉGUS

 

Relu le 30 décembre 2020

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