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15 juin 2011 3 15 /06 /juin /2011 15:08

       Dans la bataille perpétuelles des idées, la perception du siècle des Lumières, de la philosophie des Lumières - comme s'il n'y en avait qu'une...-, constitue encore de nos jours un enjeu majeur.

Disons tout de suite, à la suite de Jean de VIGUERIE, même si nous sommes très loin d'adhérer à ses idées (au sens idéologique, l'auteur du Dictionnaire du temps des lumières ne cachant pas ses sympathies quasi-monarchiques ou catholiques), que l'histoire du siècle des Lumières, le XVIIIe siècle occidental, français, est très mal connue et est souvent confondue à tort avec l'histoire de la Révolution Française qui n'en traduit que quelques aspects. Signalons par exemple que si les idées démocratiques entrent dans une difficile et chaotique application durant cette Révolution, elles sont loin d'être le contenu des pensées de tous les philosophes dit des Lumières. Et ne parlons pas de leurs idées sur l'éducation du peuple...  Aussi est-il nécessaire d'effectuer quelques rappels historiques (de l'histoire de la philosophie) pour discerner ce qui est de l'ordre de l'histoire (au sens scientifique), et ce qui est de l'ordre de l'interprétation, et même de la surinterprétation.

Précisément, un certain nombre de thèmes reviennent périodiquement comme un leitmotiv, sans que pour autant les cartes soient bien clarifiées :

- Esprit mystique et esprit scientifique. Si le siècle des Lumières doit recevoir un qualificatif qui le résume, c'est bien l'irréligion de la plupart des classes, surtout des classes dirigeantes d'une certaine façon : au moins une transformation des idées du christianisme en une sorte de déisme qui laisse la place à une critique en règle de toutes les institutions religieuses. Si des idées scientifiques purement matérialistes bouillonnent, il n'en est pas moins vrai, que dans l'esprit du temps bouillonnent également des idées mystiques que les pratiques de spiritisme et de magnétisme illustrent très bien. 

- Collectif/individu. Le siècle des Lumières est également celui de l'émergence de la conscience individuelle en ce sens que l'individu doit s'élever à la majorité intellectuelle, doit pouvoir penser par lui-même, en dehors des dogmes - notamment religieux encore une fois. Mais l'esprit collectif est toujours là, chez n'importe quel philosophe. L'individualisme, qui pourrait s'exprimer par la recherche personnelle du gain - notamment dans la classe bourgeoise - ne vire pas à la négation de cet esprit collectif. Rendre les Lumières responsable d'un individualisme radical n'a pas beaucoup de sens - historiquement parlant, même si nous sommes loin d'une époque où l'individu n'est rien en dehors de la famille, de la caste ou de la classe. Après avoir accusé la vague libératrice des années 1960 - et singulièrement "Mai 68", d'être responsable de l'individualisme actuel, d'aucuns placent les Lumières en position d'accusé. Alors même que les accusateurs, précisément, adhèrent de moins en moins aux idées de tolérance et de responsabilité que les Lumières ont promues...

- Progrès humain/Salut divin. Effectivement dans la bataille des idées, qui n'est pas du tout gagnée par un camp ou un autre dans toutes les contrées, l'idée de progrès continu, sous-tendu par une vision matérialiste de la vie et de l'univers s'oppose radicalement à l'idée du Salut attendu du divin. Les progrès de l'incroyance, facilitée d'ailleurs par une certaine corruption matérielle de ceux qui ceux chargés de répandre la croyance ou de la maintenir, vont de pair avec la recherche de plus en plus profonde de la réalité des choses. Même dans la plupart des milieux religieux aujourd'hui, on distingue ce qui est de l'ordre du spirituel et ce qui est de l'ordre matériel, même si des hiérarchies et des relations existent au fond. Derrière cela, il y a le désir d'accès à l'immortalité, devant les promesses vaseuses des religions, par l'intermédiaire de la connaissance dégagée de tout présupposé spirituel.

Et d'aucun accusent les Lumières aujourd'hui pour avoir placé au moins la Raison devant la Foi, ou pour avoir détruite cette dernière, d'être responsable des malheurs du XXe siècle, d'avoir permis les guerres massives et les camps de concentration... Or, admettre cela c'est faire encore une fois faire preuve d'amnésie historique. Combien de génocides furent-ils commis au nom de la Foi? Combien de civilisations furent-elles détruites en son nom? Combien de bibliothèques précieuses furent-elles brûlées au nom d'un Vrai Dieu ou de la Vraie Voix? Le nombre de morts des deux guerres mondiales ne doivent pas faire oublier toutes les disparitions pures et simples antérieures. Sans parler des guerres de religions anciennes et modernes... C'est réellement, lorsque l'on connait la réalité historique, faire preuve de tartufferie que d'accuser le progrès matériel en soi d'être à l'origine des holocaustes. Il faut tout d'abord rapporter le nombre de victimes à la population pour s'en rendre compte.

- Bien/Mal. C'est sans doute une erreur fondamentale, commune à presque tous les philosophes des Lumières que d'avoir transposé la lutte franche du Bien et du Mal selon les religions au domaine du combat de la Raison. La Révolution Française, en ce sens, dans la mise en pratique de telles manières de penser, mais aussi, ce que l'on fait valoir ci-dessous, les révolutions royales antérieures, dissimulées parfois sous le nom de "despotisme éclairé", indiquent un chemin funeste.

    

     Nous ne pouvons clore cette modeste introduction sans évoquer quelques faits qui se trouvent en résonance avec la situation actuelle.

Le problème principal de l'Ancien Régime réside dans son endettement massif (à cause des guerres principalement, notamment la guerre d'Amérique) et dans son incapacité à trouver des ressources autrement que par un emprunt démesuré, doublé d'une opposition ferme des Parlements provinciaux contre de nouveaux impôts, quelque que soit la classe concernée (Noblesse, Clergé et Tiers-État). L'enrichissement de nouvelles classes, lié au développement d'un capitalisme commercial et financier, l'enchérissement des denrées, en même temps que des années catastrophiques sur le plan de l'agriculture, mais sans disette réelle (80% des français sont encore des paysans) est en étroite relation (par l'intermédiaire des diverses spéculations, sur le blé notamment) avec l'accroissement du fossé entre riches et pauvres, et cela à l'intérieur même de chaque classe. Enfin, une contestation générale s'étend sur le système économique et social en vigueur, notamment sur les anciennes solidarités. En fait, nous sommes, au XVIIIe siècle dans une période de bouleversement des systèmes de solidarité, de recherche de nouvelles, autour de l'idée de Nation. De nos jours, c'est bien la recherche encore de nouvelles solidarités, face à la défection des États, surendettés, contestés dans leurs attributions non seulement de régulation sociale, mais également de fonctions régaliennes (justice, police, armée) qui agite de nombreux acteurs de tout ordre.

 

          Il faut remonter en fait au XVIIe siècle, comme le fait Jean de VIGUERIE, pour cerner l'émergence des "idées modernes". Ces idées modernes influent à la fois sur les croyances, sur les connaissances, sur les mentalités et sur les moeurs, et cela dans toutes les catégories sociales, de la noblesse à la paysannerie, avec un mouvement de diffusion des classes intellectuelles aristocratiques au classes bourgeoises, et des villes vers les campagnes. 

Que faut-il entendre par "idées modernes"? Nous entendons par là, toujours avec Jean de VIGUERIE, même si le cheminement date de beaucoup plus loin, certains diraient même depuis l'émergence du christianisme, les idées philosophiques, politiques et religieuses engendrées en Occident depuis le début du XVIIe siècle, tout à fait différentes de la pensée traditionnelle ayant prévalu jusqu'alors, issue de la Grèce et du Moyen Age latin.

"Ces idées modernes s'épanouissent au XVIIIe siècle. Elles y prennent une consistance, un brillant, un éclat, qui les feront qualifier de "Lumières". Mais leur enfantement date du siècle précédent. Les idées des Lumières sortent du Grand Siècle. Car le XVIIe siècle a vu la plus grande révolution philosophique de tous les temps. Des systèmes y sont nés, qui ont proposé des conceptions tout à fait nouvelles de l'homme et de la société (...). Ces systèmes sont ceux de DESCARTES, MALEBRANCHE, SPINOZA, LOCKE, GROTIUS, PUFENDORF et FÉNELON (pour ne citer que les principaux)". D'abord confinés, parfois réprimés, dans des cercles intellectuels isolés, l'ensemble des congrégations d'enseignement, jusqu'alors attaché à la philosophie scolastique, entre 1700 et 1715 se convainc de la validité de ces idées. Les lumières ont commencé par DESCARTES, dont le système est ensuite "dérangé" par LOCKE, mais entre les écrits du premier et ceux du second, s'étagent un certain nombre de réflexions et de découvertes scientifiques. Le doute introduit par le Français ne suffit plus pour la mise en application de celles-ci. Il faut aller plus loin, rechercher la vérité du témoignage des sens, et non se fier à des idées innées (mais là nous simplifions, avec toujours notre auteur...).

Ce qui est sans doute plus décisif, c'est la théorie politique de FÉNELON, développée dans une oeuvre de politique-fiction (Télémaque, 1699), où le Roi ne travaille pas pour procurer de la gloire à la nation ou à Dieu, mais pour la justice, le bonheur et la liberté de ses sujets. A sa suite, BOULAINVILLIERS, notamment dans l'Histoire de l'ancien gouvernement de la France et dans l'État de la France (1727) critique ouvertement le règne de Louis XIV. Ces écrits ne seraient pas dangereux pour le pouvoir, s'ils n'étaient pas diffusés massivement, grâce aux progrès de l'imprimerie et aux protections dont leurs auteurs bénéficient, jusque dans les entourages royaux. Et c'est une caractéristique que nous rencontrons tout le long du "siècle des Lumières" : non seulement ces écrits sont corrosifs et très lus, mais de nombreux nobles partagent les idées qui y sont émises. Soit par ouverture intellectuelle, soit dans le cadre de manoeuvres que nous appellerions aujourd'hui politiciennes, ils favorisent la diffusion d'idées qui deviennent dominante dans la société. Et un des vecteurs de cette diffusion réside dans le prolongement direct, et cela n'est sans doute pas assez souligné par Jean de VIGUERIE, des luttes entre protestants et catholiques, entre jansénisme et orthodoxie, qui génèrent, et les désordres et destructions qu'ils occasionnent y contribuent fortement, un climat antireligieux (d'abord contre les institutions religieuses) transformé en système anti-chrétien par plusieurs auteurs-philosophes (mais très loin de là pas par tous), dont les plus lus comme VOLTAIRE, MONTESQUIEU et le marquis d'ARGENS. Avant eux, des pamphlets innombrables circulent, certains prenant appui sur des philosophes reconnus comme SPINOZA. Citons La vie et l'esprit de Benoit de Spinoza (1719), L'Analyse de la religion chrétienne de DUMARSAIS (1743), ou Le Militaire philosophe (1711) ou encore le Testament du curé de MESLIER (mort en 1729), ce dernier étant une réfutation en règle des Écritures et des dogmes chrétiens.

Suivons toujours Jean de VIGUERIE : "Dans ces différents systèmes philosophiques ou politiques, certaines idées, particulières à l'un ou l'autre de ces systèmes ou communes à plusieurs, émergent et bénéficient d'une plus grande force d'attraction. Le public (l'auteur estime que c'est à cette époque que l'opinion publique nait réellement) les reçoit mieux que les autres. Elles plaisent et, pour plaire au public, les littérateurs les cultivent. C'est donc par elles que se fait la percée de la pensée moderne. Nous en retiendrons trois, l'idée de l'âge d'or, l'idée de l'égalité, l'idée de tolérance."

   L'idée de l'âge d'or est commune à beaucoup d'auteurs, mais FÉNELON et RAMSAY l'ont lancée. Respectivement surtout par le Télémaque et par Voyages de Cyrus (1727). Ces ouvrages plaident en faveur de la recherche d'un paradis terrestre, avec une dose de messianisme, reprenant pour l'existence matérielle ce que le christianisme promet pour l'existence spirituelle. 

    L'idée d'égalité, de l'égalité de nature entre les hommes, n'est pas soutenue par des utopistes ou des poètes, mais par des jurisconsultes, Jean DOMAT (mort en 1696) et Henri François d'AGUESSEAU (chancelier de France et garde des sceaux), son disciple. Dans l'Essai sur l'état des personnes de ce dernier, nous pouvons lire : "Tous les hommes sont sortis égaux d'un même père et membre d'un même corps." VOLTAIRE donne à cette idée un retentissement profond et pratiquement toutes ses oeuvres majeures en sont imprégnées. Le premier des discours en vers sur l'homme s'intitule "De l'égalité des conditions". Jean de VIGUERIE estime que "l'explication la plus plausible" du changement radical que cette idée implique, "est la transformation de l'anthropologie sous l'influence de la philosophie cartésienne", où l'âme est réduite à la raison (peut-être un peu court comme résumé...). Cette révolution philosophique qui remet en cause des siècles de hiérarchisations sociales, n'aurait pu avoir une telle ampleur sans le relais des partisans du jansénisme, qui au XVIIe siècle ont été les premiers à parler de l'égalité de nature (surtout PASCAL et NICOLE). Un autre élément d'explication réside dans l'économisme ambiant dans lequel la société se trouve, cette mentalité nouvelle et très répandue selon laquelle la multiplication des échanges commerciaux doit faire le bonheur des hommes. Car la relation commerciale - contrairement au contrat de type féodal, établi sur le don mutuel - est par essence égalitaire, entre au moins deux agents égaux en droits. Bien entendu, cette idée d'égalité n'est pas aussi claire chez tous les philosophes, Chez BOULAINVILLIERS par exemple, elle se mêle à un racisme nobiliaire, où la manie de classification (de pair avec l'esprit scientifique...) conduit à distinguer les hommes suivant leur intelligence, elle-même dépendante de la qualité du sang. On retrouve là la vieille idée de la transmission des capacités sociales par la constitution biologique, le sang bleu ne pouvant que générer des nobles, dans lesquels se retrouve un grand nombre de philosophes....

La persistance de cette vieille idée fait que nombre de philosophes, tels Jean-Jacques ROUSSEAU, estiment que l'éducation est naturellement réservée à une catégorie d'hommes (surtout pas le peuple...) capables de la recevoir...

     L'idée de tolérance trouve son origine, au moins dans son expression intellectuelle, dans la philosophie de LOCKE, notamment dans ses Lettres sur la tolérance (1689), et dans celle de PUFENDORF, dans son traité Du droit de nature et des gens (1672). Le principal principe de cette nouvelle doctrine de tolérance est de séparer le spirituel du temporel. Cette idée de libération de la sphère temporelle des institutions religieuses qui vient des multiples conflits et guerres qui égrènent l'existence de l'humanité depuis des siècles, des croisades à l'Inquisition, aux guerres de religion, n'existe que dans des cercles restreints jusqu'à ce que les différents littérateurs la diffusent largement. C'est VOLTAIRE qui donne vers 1730 le coup d'envoi d'une telle diffusion avec sa Henriade (1728) et son Mahomet le prophète. Les religions ne sont pas mises sur le même plan, mais la pire est le catholicisme.

  Deux publications phares marquent ce siècle des Lumières, L'Encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT et L'histoire naturelle de BUFFON. Leur diffusion dans le public ancre dans la culture intellectuelle de ce temps ces trois idées que la Révolution prend à son compte ensuite, en leur faisant subir toutefois de très grandes transformations, dont certains estiment comme autant de déformations. Toujours est-il que nous vivons encore, en Occident, et par capillarité, dans le monde entier, sur cet héritage.

 

     Même si le XVIIIe siècle est véritablement français sur le plan intellectuel en Europe, à l'exception par certains côté de l'Angleterre, les Lumières ne se limitent pas, loin s'en faut, à la France. Le siècle des Lumières est véritablement européen, ce que nous rappelle avec beaucoup de force la Revue Dix-huitième siècle, notamment dans un numéro spécial intitulé Qu'est-ce que les Lumières? Yvon BELAVAL y  présente un échantillonnage des idées diffusées aux Provinces unies (en partant d'ERASME...), en Italie, en Pologne, au Portugal, en Prusse, en Flandres, au Canada, en Russie...

 

       Un des éléments constitutifs du mouvement des Lumières est la recherche du philosophe-roi, du moins parmi les lettrés. Le modèle du despotisme éclairé, envié et tenté jusque dans la Cour de Louis XVI, fait partie de l'éclairage... Dans un univers mental (qui n'a pas fait le saut de la République et encore moins de la démocratie) dominé tout de même par l'image d'une monarchie modèle, et même parfois tentée par un retour à l'esprit d'anciens Rois sous lesquels les libertés municipales et provinciales existaient encore, cette recherche reste particulièrement active jusque dans les premiers jours de la Révolution française.

 

        Michel DELON, en prise directe sur une historiographie des années 1980 - historiographie sur laquelle il y a sans doute beaucoup de choses à dire - écrit que "la pensée des Lumières peut se définir par la laïcisation des valeurs et par la promotion de l'individu. Qu'on insiste sur son rationalisme ou sur son pragmatisme, elle met en avant les pouvoirs de l'être humain, rendu autonome par la force de sa raison ou par la richesse de son expérience. Le fondement de la vie morale était longtemps demeuré religieux : toute existence ici-bas était tendue vers un salut dans l'au-delà, toute réalité terrestre était dévaluée au profit de la vérité éternelle. De même, la finalité de la vie collective résidait dans l'intérêt supérieur et dans la gloire du prince : le sujet ne prenait sens que par rapport à son roi. La laïcisation fait redescendre les valeurs du ciel vers la terre ; l'individualisme décompose l'intérêt du prince en une multitude d'intérêts particuliers. Au singulier et à la verticalité de la Lumière (vérité divine ou autorité du Roi-Soleil) se substituent le pluriel et l'horizontalité des Lumières (réseau de relations entre les êtres, accumulation encyclopédique de connaissances). L'idée de bonheur entérine cette mutation décisive ; elle oppose au salut religieux une plénitude d'existence ici-bas et à la gloire du prince la recherche d'un épanouissement de chacun. Ainsi s'amplifie, au cours du XVIIIe siècle, le principe d'un droit au bonheur. C'est en ce sens que, durant la Révolution, Saint-Just pourra parler du bonheur comme d'une idée neuve en Europe : idée qui, en effet, se confond souvent avec la pensée des Lumières, puis avec la revendication révolutionnaire. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793 commence par cet article : "Le but de la société est le bonheur commun."

  Mais le consensus philosophique sur cette idée du bonheur n'existe pas réellement. Il peut s'identifier à beaucoup d'éléments abordés de manière différente par chacun des philosophes. Entre VOLTAIRE et les encyclopédistes et ROUSSEAU, il existe par exemple de profondes divergences. 

    Jean-Marie GOULEMOT insiste très justement sur la recherche du philosophe-roi, même si l'expression "despotisme éclairé" ne date que du XIXe siècle (le mot despotisme est plutôt lié à la terreur des cours orientales...). "Le "philosophe", comme il se définit au XVIIIe siècle, lui est indispensable. Sans philosophe, pas de despote éclairé. Tout en retenant que le philosophe appelle le despote comme une nécessité, car pas de philosophe des Lumières sans croyance à un progrès possible des sociétés humaines et sans mutation totale ou partielle des philosophies cycliques du devenir historique. L'homme des Lumières est censé posséder la vérité que seul le bras séculier pourra imposer aux peuples aveugles." Un fil relie l'affirmation de la nécessité des rois philosophe de PLATON à la recherche du souverain rationnel.

     Désireux de promouvoir le projet éducatif des Lumières tout en sauvegardant un certain style de vie qu'ils connaissent bien, les philosophes comme DIDEROT ou CONDORCET cherchent une évolution pacifique vers une société libre, tolérante et productrice de connaissances.

"Même si le philosophe, rappelle cet auteur, à la façon des libertins du XVIIe siècle, ne cesse de se défier des appétits brutaux de la populace", il place son espoir dans l'éducation puisqu'il croit ce peuple mystifié, fanatique et violent, abruti par son aliénation et sa misère. Disons en passant que le mot peuple s'applique, suivant les philosophes de manière très différenciée aux divers éléments de la population. Beaucoup ne pensent même pas que les gens de la campagne, ceux qui vivent directement de la terre, puissent en faire partie. La plupart des  philosophes s'en sont remis aveuglement aux princes pour assurer cette évolution pacifique (VOLTAIRE à Frédéric II de Prusse, DIDEROT à Catherine de Russie, d'autres à Joseph II d'Autriche) et recherchent l'appui des réformateurs installés au pouvoir (par exemple MALESHERBES, Madame de POMPADOUR, TURGOT, NECKER...). Ils rêvent d'une voie française vers le despotisme éclairé dont Louis XV, puis Louis XVI, mais avec moins d'enthousiasme, eût été le guide. Ces philosophes se sont mis en quelque sorte en porte à faux, ne serait-ce que parce qu'une véritable philosophie politique à la hauteur des idées de liberté, de tolérance et d'un âge d'or, n'existe tout simplement pas. 

   Le jugement porté par la postérité (voir entre autres le numéro spécial des Annales historiques de la Révolution française, n°238, octobre-novembre 1979) sur ce comportement est très divers, entre l'explication-justification et la sévérité.

"Dans l'historiographie contemporaine, écrit toujours Jean-Marie GOULEMOT, les interprétations du despotisme éclairé divergent très largement. Qu'il s'agisse de sa nature, de son bilan, de ses rapports à la Révolution, ou de son incarnation réussie dans l'Empire napoléonien. Pour les marxistes (Albert Soboul, Pierre Vilar et les historiens des pays de l'Est - l'auteur écrit en 1987), la cause est entendue : le despotisme éclairé, loin de servir les intérêts de la bourgeoisie, vole au secours d'une aristocratie féodale menacée par une bourgeoisie qui commence à détenir l'essentiel de la puissance économique. Pour les autres, la thèse n'est pas unanime : pour Robert Mandrou (L'Europe absolutiste, raison et raisons d'Etat (1649-1775), 1975), le despotisme éclairé n'est que l'absolutisme étendu à l'Europe et adoptant un discours idéologique nouveau et trompeur emprunté aux philosophes bernés ; pour Louis Trénard, après Leo Gerschoy, on ne peut nier la vocation réformatrice des despotes éclairés, leurs efforts pour moderniser leurs États, promouvoir l'éducation, la liberté de conscience et se débarrasser des survivances du féodalisme. De ces oppositions se déduit le jugement porté sur l'oeuvre réformatrice des despotes éclairés : on ira de nulle à réelle, sans pour autant mesurer à l'aune de la philosophie des Lumières. Enfin, pour Gerschoy (L'Europe des princes éclairés (1763-1789), 1966) le bilan est positif : les princes éclairés ont mis en place des réformes progressistes porteurs d'avenir. Auraient-ils pu par leurs réformes éviter la Révolution (c'est, disons-nous la thèse de ceux qui mettent en avant diverses révolutions royales portant sur l'organisation du Royaume, les libertés religieuses...)? La question n'a pas de sens pour qui croit à la nécessité historique comme les marxistes. Elle entraine souvent leurs adversaires dans les voies incertaines de l'histoire hypothétique." Certains historiens comme Marcel Prélot avancent qu'un despotisme éclairé de la Révolution prend en fait le relais des monarchies défaillantes, et que Napoléon mène à terme un programme de despotisme éclairé, lequel préfigure "évidemment" (c'est étonnant que les raccourcis historiques ont la vie dure...) les totalitarisme du XXe siècle.

 

Jean-Marie GOULEMOT (Despotisme éclairé?) et Michel DELON ("Bonheur") dans Nouvelle histoire des idées politiques, sous la direction de Pascal OURY, Hachette, 1988. Yvon BELAVAL, Introduction au numéro 10, Dix-huitième siècle, Éditions Garnier Frères, 1978 ; Jean de VIGUERIE, Histoire et Dictionnaire du Temps des Lumières, Robert Laffont, collection Bouquins, 2007.

 

Relu le 29 juin 2020

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