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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 23:00

      Sous titré de façon plus explicite Comment l'&tat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises, le livre de Hacène BELMESSOUS, déjà auteur de Mixité sociale : une imposture et de Le monde selon Disney, constitue une étude de journaliste d'investigation sur les processus en cours dans la politique urbaine.

Polémique, dénonçant la préparation discrète d'une guerre totale aux cités, "chaudrons sociaux dont le "traitement" ne relèverait plus que de l'éradication ou de la force armée, cette enquête qui couvre une période très récente, s'attache surtout aux modifications de la politique de la ville décidée sous l'ère Sarkozy (en tant que ministre de l'Intérieur, puis Président de la République). Partie incidemment de l'activité d'une commission d'une ville du sud de la France en charge de la rénovation d'un quartier HLM, cette enquête explore à la fois les nouvelles missions confiées aux forces de l'ordre (Police et Gendarmerie), certains dessous de la rénovation urbaine et les développements de la vidéo-surveillance.

     "Qu'ai-je découvert dans la masse des faits et des témoignages recueillis?" s'interroge l'auteur en Introduction à son livre. "Que, depuis 2002, une guerre de conquête de ces cités se prépare en aval de ces trompe l'oeil que sont ces nouvelles formes urbaines. Au ministère de l'Intérieur, au ministère de la Défense, à Saint-Astier (siège du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie, CNEFG) et à Sissonne (champ de manoeuvres du Centre d'entraînement aux actions en zone urbaine de l'armée de terre), j'ai pu observer les stratégies et les dispositifs opérationnels de cette guerre en marche. Pour mieux les comprendre, j'ai questionné ces gens du "terrain" mis sur pied de guerre par les plus hauts responsables politiques. Leur pronostic? Rien n'interdit, dans le climat de tension permanente entretenu depuis plusieurs années (militarisation de la police, instauration d'un état d'exception dans certains quartiers, désignation d'un ennemi intérieur, etc), de penser que, demain, Nicolas Sarkozy envoie l'armée dans les banlieues. Pronostic baroque? Ceux qui l'ont émis ne sont ni des plaisantins ni des "gauchistes". Ces hommes et ces femmes prennent au contraire très au sérieux les défis du maintien de l'ordre, mais ils s'inquiètent de l'orientation désormais donnée à leurs missions par le plus haut sommet de l'État. Chaque jour, ils reçoivent les secousses du dogme sécuritaire sarkozyste et ils considèrent que les choses sont allées trop loin, qu'on est entré dans un cycle infernal qui pourrait mener au pire. Aucun d'eux ne s'est confié à moi incognito, malgré le prix qu'ils pourraient payer en critiquant la stratégie du pouvoir. car ils ne sont pas naïfs : ils savent qu'en "Sarkozye" tout point de vue contraire à la vision du chef peut vitrifier son auteur, tant ledit chef n'hésite pas à exercer son droit de vie et de mort sur les carrières des agents de l'État. Un autre fait conforte cette hypothèse inquiétante : la modification en profondeur du Livre blanc sur la défense, devenu en 2008 le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. En fusionnant ces deux notions jusqu'alors distinctes au nom de la lutte contre la menace terroriste - qu'il associe dans une relation constante aux banlieues populaires -, ce document programmatique s'est ouvert un vaste champ de possibilités stratégiques. "Depuis l'adoption du nouveau Livre blanc, on a écrit noir sur blanc l'instauration d'un "contrat 10 000 hommes"", m'a confié en juin 2010 le lieutenant-colonel Didier Wioland, officier de gendarmerie et conseiller pour la sécurité intérieure et les questions de terrorisme à la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, qui fut chargé du projet Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale". "C'est-à-dire que les armées doivent pouvoir, à la demande de l'autorité politique, lorsque des situations graves frappent le territoire national, mettre à disposition cet effectif, essentiellement des forces terrestres. Maintenant, il faut réfléchir à l'emploi le plus juste de ces 10 000 hommes pour passer d'une logique de prestataires à celle de véritables partenaires participant à la prise de décision le plus en amont possible. Ce contingent de 10 000 hommes est actuellement à même d'être formé sur le territoire national, prêt à intervenir en cas de crise de grande ampleur. Ils sont dans des configurations opérationnelles de réversibilité, prêts à agir selon des délais gradués. Ce lange "crypté" mérite attention : en 2010, 10 000 soldats sont prêts à intervenir face à une "situation grave" survenant sur le territoire national. présenté de façon aussi vague, ce lieu est infigurable sur une carte d'état-major, mais il semble facilement localisable si l'on se souvient que, depuis l'automne 2005, un seul territoire absorbe l'attention de Nicolas Sarkozy : les "quartiers sensibles". Puisque cette évolution sécuritaro-militaire s'amorce inexorablement, j'évoquerai d'abord ce que serait ce "scénario de l'inacceptable" : une "opération banlieues" définie par un président soucieux de nettoyer de fond en comble cet "empire du mal" français. Et je restituerai dans les chapitres suivants les résultats de mon enquête : la façon dont, au sein de l'armée, de la gendarmerie et de la police, ont été vécus avec des réticences croissantes les emballements sécuritaires de l'État dans les années 2000 ; puis les discrètes et "perverses" évolutions des "politiques de la ville", conduites tant au niveau local que national, qui ont accompagné cette inquiétante dérive vers la préparation d'une guerre totale contre les "territoires perdus de la République", hypothèse du pire soigneusement préparée au cas où échoueraient les tentatives d'éradication pure et simple de ces quartiers qu'entreprennent certains élus locaux, de droite comme de gauche."

 

    Les faits que rapporte Hacène BLEMESSOUS, qui ont amené à plusieurs reprises des syndicats de police et de la magistrature à s'inquiéter ouvertement de certaines dérives, sont bien vérifiables malheureusement. Ce qu'il manque bien entendu, au-delà des faits saillants qu'il rapporte, c'est une enquête d'ensemble sur les réactions des autorités locales face aux demandes par le pouvoir central d'établissement de plans banlieues de toute sorte (allant jusqu'à légaliser des "comités de voisinages" d'immeubles). Les effets d'annonce sont si nombreux du côté de la Présidence de la République, les coupes sombres dans les budgets de l'armée, de la police et de la gendarmerie sont en même temps si fortes, qu'il convient de s'interroger, au-delà des discours, sur l'effectivité de la préparation qu'il dénonce. Outre le fait que même 10 000 hommes armés, ce qui semble impressionnant, vu notamment la technologie dont ils seraient dotés, ne suffiront probablement pas à couvrir plusieurs émeutes urbaines simultanées, il faudrait connaître l'état de connaissance réelle que possède les décideurs sur la situation dans les quartiers, depuis la fin d'une police de proximité, qui était aussi une police du renseignement. 

    Toujours est-il que ce livre est à prendre très au sérieux, dans une époque où ces préoccupations sécuritaires sont partagées par de nombreux autorités étatiques. Le phénomène décrit n'est pas propre à la France. Il faut se souvenir par ailleurs des émeutes des années 1960 aux États-Unis pour savoir que les situations sociales qui dégénèrent ne se règlent pas par des mesures politico-militaires. A la fin de son livre, le journaliste évoque toutes les résistances, hors système, qui se développent dans de nombreux quartiers et qui sont autant d'indices que sans doute le "scénario de l'inacceptable" n'aura heureusement pas lieu. Ces résistances se multiplient au fur et à mesure de l'accumulation de lois sécuritaires, dont de plus en plus de gens voient le caractère fallacieux (fausses du point de vue de leur objectif affiché et tendancieuses car toujours orientées vers les mêmes populations) et inefficace (car ne pouvant s'attaquant aux causes d'insécurité).

 

   L'éditeur présente ce livre de la manière suivante : "Entre 1977 et 2003, la politique de la ville visait à "réinjecter du droit commun" dans les quartiers d'habitat social. Mais depuis, derrière les grands discours, une autre politique se déploie discrètement : la préparation d'une guerre totale aux cités, transformées en véritables ghettos ethniques, chaudrons sociaux dont le "traitement" ne relèverait plus que de l'éradication ou de la force armées. Voilà ce que démontre cette enquête implacable d'Hacène Belmessous, nourrie de documents confidentiels, de témoignages d'acteurs de la "sécurité urbaine" - politiques, urbanistes, policiers, gendarmes et militaire - et de visites des lieux où militaires et gendarmes se préparent à la contre-guérilla urbaine. Il explique ainsi qu'un objectif caché des opérations de rénovation urbaine est de faciliter les interventions policières, voire militaires, à venir dans ces territoires. Et il montre comment, à la suite des émeutes de 2005, deux nouveaux intervenants ont été enrôlés par le pouvoir sarkozyste : la gendarmerie mobile et l'armée de terre. Car avec l'adoption en 2008 du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, l'idée d'un engagement des forces terrestres en banlieue n'est plus un tabou. Mais s'ils se disent loyaux envers le chef de l'État, nombre d'officiers interrogés récusent ce "scénario de l'inacceptable". Quant aux gendarmes, ils contestent ouvertement leur rapprochement avec la police, tandis que nombre de policiers, aujourd'hui en première ligne, récusent la militarisation croissante de leur action. Autant de révélations inquiétantes, pointant les graves dérives d'une politique d'État ayant fait sien un nouvel adage : "Si tu veux la guerre, prépare la guerre!".

  Hacène BELMESSOUS (né en 1964), journaliste et chercheur indépendant, collaborateur de la revue Urbaniste depuis 1995, membre du think tank "Espaces publics", est également l'auteur d'autres ouvrages : L'avenir commence en banlieue (L'Harmattan, 2001) ; Voyage en sous France (L'Atelier, 2004) ; Mixité sociale : une imposture. Retour sur un mythe français (L'Atalante, collection "Comme un accordéon", 2006) ; Maires de banlieue. La politique à l'épreuve du réel (Sextant, 2007) ; Clandestine, L'État français tombe des sans-papiers (L'Atalante, même collection, 2011)...

 

Hacène BELMESSOUS, Opération banlieues, Comment l'État prépare la guerre urbaine dans les cités françaises, La Découverte, Collection Cahiers libres, 2010, 205 pages.

 

Complété le 16 octobre 2012. Relu le 15 juin 2020 (au moment des manifestations contre les violences policières)

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