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30 décembre 2012 7 30 /12 /décembre /2012 10:40

      Très connu pour sa lutte non-violente en Afrique du Sud et en Inde (jusqu'à sa libération de l'Empire britannique) mais sans doute moins pour le contenu de ses oeuvres, le leader nationaliste et chef spirituel Mohandas Karamchand GANDHI est aussi un réformateur social (et économique) et un hygiéniste végétarien.

      Son prestige en Occident tient à une synthèse inaccoutumée bien que réalisée dans l'histoire ancienne, où le sage était guide spirituel en même temps que visionnaire politique. Il se comprend aisément dans le climat oriental de la pensée où métaphysique et éthique forment un circuit direct dépourvu des articulations rationnelles qu'y a apportées la pensée occidentale. Il se dit lui-même "idéaliste pratique" (Hind Svaräj, 11 août 1920) et le montre tout au long de son action politique, souvent en butte à l'incompréhension de ses alliés et parfois de ses proches. Sa tentative, car il n'a pu empêcher à de nombreuses reprises la violence de dégénérer de façon parfois massive, est celle d'une "expérience de la vérité" (titre de son autobiographie). Proche de la pensée islamique pour qui Dieu, justice et vérité s'identifient, mais selon une orchestration proprement hindoue. Il développe dans ses écrits comme dans sa vie politique cette intuition ("Dieu est vérité") l'introduisant à une autre intuition plus fondamentale ("La vérité est Dieu") (Young India, 31 décembre 1931). La première exile la vérité à l'infini, la seconde ramène Dieu sur les chemins de tous les jours comme l'eau sacrée et quotidienne du Gange se prend religieusement au creux des mains. Celui qui pratique le vrai et le juste, dit-il souvent, se divinise et réciproquement celui qui veut se diviniser, fidèle à la philosophie hindoue pour qui "Dieu seul est, rien d'autres n'existe" (Young India, 31 décembre 1931), doit suivre dans son action les veines de la justice ou de la vérité. Une fois pour toutes, en ce point central de l'expérience gandhienne se joignent inséparablement l'orant religieux et le libérateur national, le mystique et le politique, l'ascète et le meneur de foules.

    De ce noeud fondamental procède une psychologie. GANDHI est courtois et cependant catégorique (parfois à la limite de l'autoritarisme, qu'il sait radoucir par sa douceur), pur dans ses intentions et cependant assez avisé pour prendre l'adversaire en son point faible, impatient mais sachant attendre son heure et même accepter provisoirement des concessions (allant jusqu'à faire l'appel aux armes pour la Grande Bretagne pendant la première guerre mondiale...) suivant une perspective très longue de l'action politique. Injurié dans ses vêtements de gentleman britannique et se faisant accueillir avec enthousiasme en simple pagne au Parlement de Londres, écrivant les Lettres à l'Ashram, véritable traité de spitrtualité, et dictant les statuts d'une nouvelle constitution pour "Mother India". (René HABACHI)

 

     L'oeuvre de GANDHI est influencée par la lecture de textes très divers. Aux ouvrages sur le bouddhisme, le jaïnisme, l'hindouisme d'hier et d'aujourd'hui, s'entremêlent le Coran, les Proverbes de Zarathousta, des opuscules ésotériques, syncrétistes, diétético-religieux. Ses références vont de la Gita à la Bible (surtout le nouveau Testament et surtout le Sermon sur la Montagne), revenant aux Upanishad, mais il s'enthousiasme toujours pour les oeuvres de TOLSTOÏ. A part Hind Swardj et son Autobiographie, les ouvrages parus sous son nom ne sont que des extraits d'articles, de journaux, de lettres, de pièces officielles, de notes intimes, de discours ou entretiens arbitrairement groupés par la suite par les éditeurs par centre d'intérêt. Journaliste, GANDHI n'effectue que rarement un exposé systématique de la non-violence. Conçue comme arme de combat, la non-violence se construit dans son esprit jour après jour dans le feu de l'action, au gré des conflits tant en Afrique du Sud qu'en Inde. Il se situe au confluent de l'Orient et de l'Occident, porté au syncrétisme, et prend dans chaque oeuvre qui l'inspire la matière pour son combat, très tôt perçu, pour l'indépendance de l'Inde, alors qu'il n'est qu'un des avocats de la communauté indienne d'Afrique du Sud. Ardent chercheur d'une pureté du corps comme d'une pureté de l'esprit, il puise cette matière surtout dans 3 ouvrages :

- La Bible, en fait le Sermon sur la Montagne, nourri sa spiritualité, anime sa vie d'un souffle évangélique. Mais il ne se converti pas au christianisme, car l'affirmation de la transcendance absolue de cette religion heurte la fierté nationale. Il adhère plutôt à un hindouisme passablement hétérodoxe, passé au crible de sa critique, débarrassé de maintes excroissances, où les croyances constitutives de l'indianité (transmigration, karman, panthéisme plus ou moins teinté de monisme) et les conceptions et exigences chrétiennes (particulièrement l'amour souffrant et rédempteur) coexistent vaille que vaille, plus ou moins détachées de leur fondements, transposées les unes et les autres et les unes par les autres sans conciliation ni cohérence interne, unies seulement par la façon exemplaire dont il y conforme sa vie ;

- La Bhagavad Gitâ est l'instrument d'un retour aux sources et le guide permanent de sa pensée. Il tire de ce long texte guerrier (où le devoir est constamment rappelé, dans de multiples péripéties, au guerrier Ajurna, de participer à la bataille entre les Kaurava et les Pandava), aux orientations aux antipodes de la non-violence, la perception d'un combat entre le Bien et le Mal : ce texte n'introduit la guerre physique que pour rendre plus attirante la description du duel intérieur. Il impose à la Gitâ une interprétation nouvelle qu'il estime naturelle et logique, mais dont il est en réalité redevable à TOLSTOÏ.

- L'oeuvre de l'écrivain russe, Guerre et Paix ou Anna Karénine est alors connue dans le monde entier, et il lit et relit le Résumé des Évangiles, Que devons-nous faire?, Quelle est l'issue?, l'Esclavage de notre temps, Qu'est-ce que l'art? et les Confessions et Ivan l'imbécile et Lettre à un hindou. Il s'en imprègne si fortement qu'il en sort presque directement Hind Swarâdj en 1909.

 

    On peut distinguer avec Joël KERMAREC deux grandes périodes dans la vie politique et littéraire de GANDHI : une période "probatoire" en Afrique du Sud jusqu'en 1914, suivie de l'entreprise de libération de l'Inde de 1915 à 1948, mais dans l'esprit de ce dernier, il existe une forte continuité dans l'action et dans la pensée. Il construit pour la défense des droits de la minorité indienne en Afrique du Sud, tout un ensemble de techniques et de principes de lutte non-violente, qu'il entreprend d'appliquer à grande échelle, avec énormément de difficultés dans le sous-continent indien pour le libérer de l'Empire britannique.

Outre Hind Swarädj en 1919 et son Autobiographie commencée en 1923 et Satyagraha in South Africa publié en 1928, GANDHI rédige en tant que dirigeant ou rédacteur principal de nombreux articles dans Indian Opinion (hebdomadaire en anglais, gujrati, hindi et tamoul) à partir de 1904, dans Young India (bihebdomadaire en angalsi), de mai à octobre 1919, Young India (hebdomadaire) Ahmebadad, de Navajivan Press, de 1919 à 1932, dans Harijan (hebdomadaire), Poona, depuis 1942. C'est d'ailleurs dans ces journaux qu'ont paru Hind Swardj (1909), A guide to Health (1912), Ethical religion (1912), An Autobiography (1927), Satyâgraha in South Africa (1928).

Très vite, ces ouvrages sont traduits, et pas seulement dans la sphère linguistique anglo-saxonne. Ainsi paraissent en 1924, la première traduction en France d'un texte de Gandhi, traduction partielle de textes parus dans Young India, La Jeune Inde (1919-1922), celle de A Guide to Health, en 1931, sous le titre de Le Guide de la santé. Suivis en 1931 de Vie de M. K. Gandhi, écrite par lui-même, en 1934 de M. K. Gandhi à l'oeuvre, Suite de sa vie écrite par lui-même, première traduction française de l'Autobiographie. L'intégralité de ce dernier livre est traduite en 1950 (Autobiographie ou mes Expérience de Vérité), puis enfin en 1957, celle de Hind Swaraj or Indian Home Rule, sous le nom Leur civilisation et notre délivrance. Ensuite, ce sont des recueils ou des extraits qui sont publiés : Gandhi, Mohandas K. et Rolland R. Correspondance, Extraits du journal de R. Rolland et textes divers (Albin Michel, 1969), Tous les hommes sont frères. Vie et pensées du Mahatma Gandhi d'après ses oeuvres (UNESCO, 1969, réédition par Gallimard en 1993), Ma non-violence (Stock, 1973), Résistance non-violente (Buchet-Chastel, 1986, réédition 2007). Ce dernier ouvrage constitue l'un des meilleurs livres sur la lutte non-violente de 1921 à 1940.

Le nombre de livres, mais non le nombre d'exemplaires, publiés de Gandhi et sur Gandhi reste limité pendant 50 ans à quelques ouvrages, puis s'accroit soudainement depuis la fin du XXe siècle. Les premiers livres sont publiés dans les années 1920 sous la direction de Romain Rolland. Quelques livres paraissent ensuite dans les années 1930, au moment où la popularité de Gandhi est à son apogée, suite à son voyage en Europe en 1931. Ces parutions sont suivies d'un grand vide jusque dans les années 1955-1960 lorsque Lanza Del VASTO dirige la collection Pensée gandhienne chez Denoël. Puis de nouveau, il y a une longue période sans beaucoup de nouvelles parutions jusque dans les années 1990.

 

L'opuscule Hind Swardji

     L'opuscule Hind Swardji est de tous ses écrits le plus important, le plus lourd de significations. C'est le manifeste de sa pensée et l'annonce de toute son action future. Idées directrices, vues religieuses, morales, sociales, politiques, mouvement et outrance des jugements, tout jusqu'au style est repris ou dérive de TOLSTOÏ alors même qu'écho des discussions qui opposèrent à Londres GANDHI et les terroristes indiens, tout est fonction de la libération de l'Inde. Ce que doit être cette libération, comment il envisage de l'accomplir, Hind Swarâdj est un livre prophétique où vingt, trente ans à l'avance, Gandhi, avec une sûreté, une précision réellement confondantes (lorsqu'on lit le livre aujourd'hui), établit son plan de combat, soutenu et porté par le message de TOLSTOÏ. Dieu est vérité, Amour, et l'Amour la loi de la vie ; la fraternité universelle est la seule religion authentique ; la conscience, la silencieuse petite voie intérieure, le juge absolu, irrécusable de nos obligations. La civilisation moderne doit être rejetée : le progrès est fauteur de guerres et de violences ; la vraie civilisation ne se trouve que dans la sainte simplicité de la vie du paysan, de l'artisan qui travaillent de leurs mains, subviennent à leurs besoins. Au mal, à la violence, on opposera non la force physique mais la résistance passive, force invincible de l'âme, de l'amour : vie personnelle et vie politique ne doivent pas être régies par deux morales différentes. La violence est inhérente à l'État et à ses systèmes de contrainte, les réformes institutionnelles ne servent à rien : ce sont les hommes qu'il faut réformer, pour assurer, vierge de toute violence, la cohésion de la société, l'entente mutuelle, par le lien moral et intérieur de l'amour. Tout le système tolstoïen est la trame d'Hind Swaraj et, dorénavant, le fondement de la pensée et de l'action de GANDHI. 

Lorsqu'en 1910, il soumet cet ouvrage au maître tant admiré, celui-ci reconnaît ses théories habillées à l'indienne et de tout le poids de sa gloire confirme son disciple dans sa mission. Il salue son activité au Transvaal comme "le travail le plus important qui soit actuellement fait dans le monde... auquel toutes les nations de la terre participeront inévitablement".  Le livre exprime bien la conviction de GANDHI qu'il est destiné à "conduire un mouvement destiné à porter un message aux peuples opprimés de la terre". Il maintient tout au long de sa vie, tant dans les ashram qu'il fonde, aux seins des institutions où il prend la parole, comme au milieu des foules qu'il conduit dans des actions souvent longues et difficiles, sa vision du monde telle qu'elle lui est apparue dans la mouvance de TOLSTOÏ. Mais entre l'Indien et le Russe se creuse ensuite d'année en année le fossé qui sépare l'homme d'action du velléitaire. GANDHI parvient à une sainteté qui ne fut pour TOLSTOÏ qu'un rêve, mais la doctrine s'amplifie. Elle se gonfle de valeurs typiquement indiennes : la non-résistance au mal par le mal devient satyâgraha, non violence ; une technique de masse est élaborée, éprouvée dans des luttes réelles, des nuances sont introduites et des concessions acceptées car parfois le poison sert de poison. Gandhi assoupli ses jugements à chaque fois que celui lui parait nécessaire. Ses des lentes maturations, des limites imposées par la condition humaine. Les difficultés auxquelles il se heurte le contraigne au réalisme (Suzanne LASSIER)

 

L'Autobiographie

     L'Autobiographie constitue le livre essentiel pour comprendre l'action et la pensée de GANDHI. Cet écrit n'informe toutefois ni sur l'ensemble de la vie politique ou personnelle de GANDHI, puisque commencé d'être rédigé en 1922 en prison et interrompu en 1924, lorsqu'il en sort de façon imprévue, il rassemble ensuite des textes définitivement arrêtés, en 1940, en ce qui concerne l'édition anglaise. étant entendu que de nombreux textes sont diffusés bien avant leur assemblage dans un seul livre.

Cette autobiographie, qui apparaît comme une immense mosaïque de courts essais, n'est pas non plus un traité systématique d'une doctrine. Elle renseigne surtout sur les "expériences de vérité" de l'action publique, la vie personnelle y était étroitement liée, l'un soutenant l'autre, son ascétisme personnel soutenant directement sa résistance aux vexations dans les prisons comme ses jeûnes et grèves de la faim souvent entreprises pour protester contre les violences de ses propres partisans ou alliés. Elle renseigne sur le fond et la forme de ce qu'il appelle le "satyâgraha" (attachement à la vérité), mot forgé en 1907 après un concours (dans son journal Indian Opinion) dans la recherche de la meilleure traduction de l'expression "résistance passives", laquelle donne le mot "Sadâgraha" (attachement à ce qui est). A partir surtout de son expérience en Afrique du Sud, de 1893 à 1914, années essentielles pour la formation de campagnes massives non-violentes, il raconte comment il conçoit et organise ces campagnes. Après 1924, sa biographie appartient largement à l'histoire même de l'émancipation indienne (de 1924 à 1947).

     Les forces créatrices de GANDHI sont orientées vers l'action. Pierre MEILE écrit que "sa faculté maîtresse me parait être l'invention politique. Ses adversaires l'ont bien éprouvé : "diabolique" était son ingéniosité, et les fonctionnaires britanniques tremblaient en se demandant à tout instant ce qui allait sortir du sac à malices. respectueux de la règle du jeu, comme un joueur d'échec impeccable, il échafaudait  de savantes manoeuvres, des combinaisons inattendues, qui trouvaient le partenaire surpris et démuni. Ce fut d'abord le Satyâgraha collectif, résistance non violente des masses, puis l'annonce sur les lois Rowalatt, ensuite le Califat, le tissage à la main, et ce chef d'oeuvre : la bataille du sel. Son adversaire était généralement en retard d'une idée, ou même davantage. Son esprit, perpétuellement en mouvement, tire de chaque fait un enseignement, une prévision, une idée de manoeuvre. Une "opinion" de Gandhi reste rarement une simple opinion ; elle se transforme vite en projet, et, du projet, on passe à l'exécution, parfois contre toute vraisemblance. Car il a aussi cette qualité, tel un chef de guerre, de concevoir les détail d'exécution ; de sorte que ce qui apparaît à ses propres amis comme "en l'air", ne l'est déjà plus pour lui. Et c'est parce qu'il voit plus loin que l'autre, qu'il évite le combat là où l'autre sera en force, et qu'il choisit soigneusement son terrain, où la situation lui sera la plus favorable." "Il travaillait, (Gandhi), dans une aire de capitalisme di libéral : ce régime, au dire d'experts, ne passe pas pour très tendre envers les opposants, socialistes ou coloniaux, mais il a, en contrepartie, pour eux, des avantages, tel un certain respect de la liberté de la presse, une sentimentalité bourgeoise, un souci du profit qui l'engage à limiter ses risques. De tout cela, Gandhi a tiré parti au maximum, et, pour ne mentionner que la question du profit, il savait bien ce qu'il faisait en rendant la police plus coûteuse, en compliquant les relèves de l'armée britannique, en organisant la mévente des cotonnades de Manchester.". Le présentateur de cette édition française de 1950 met aussi l'accent sur le fait qu'une majeure partie de la pensée de Gandhi est proprement occidentale, au-delà du vocabulaire. Sur la résistance passive, sur le jeûne, sur la grève de faim, sur les manifestations, il s'inspire de l'expérience à la fois du monde ouvrier et du monde féministe; S'il construit un indianité, notamment pour son attitude envers le machinisme ou la vie urbaine (son lieu de prédilection, de méditation, de préparation des actions est bien l'ashram, l'ermitage, à la façon de bien des penseurs hindous).

"Il apparaît, dans les instructions pratiques de Gandhi à ses disciples, quelques principes permanents, donc voici les plus nécessaires :

- discipline intérieure, effort vers le détachement et vers la purification de soi. Cette pureté est la règle primordiale du Satyâgraha ;

- "attachement à l'authentique" : ainsi pouvons-nous traduire le mot satyagraha, selon l'heureuse suggestion de M. Masson-Oursel. car il s'agit moins de vérité en soi que de la vérité en nous, bref de ce qui, après notre examen intérieur, subsiste comme authentique, et à quoi nous nous fixerons sans en démordre ;

- par la recherche du juste, établissement de rapports sincères et harmonieux entre les hommes ; donc abstention de violence et aussi condamnation du secret. Car le secret est ce qui affecte le plus dangereusement les rapports des hommes entre eux : il faut que tout se passe ouvertement et au grand jour ;

- enfin, respect de l'homme.

En outre, Gandhi croit en un Dieu suprême et unique qui ne serait le monopole d'aucune religion particulière, mais dont l'hindouisme vichnoue lui offre une satisfaisante définition."

     Enfin, Pierre MERLE rappelle deux éléments parfois incompris, mais qui s'éclairent bien à la lecture de l'Autobiographie :

- GANDHI n'est pas un pacifiste absolu, en matière de défense nationale. Il n'est nullement partisan de l'objection de conscience en tant que refus individuel du devoir militaire national. Il ne condamne pas l'entrainement militaire, conçoit qu'en certain cas le combat (armé) devienne inévitable. Des éléments de cette position résident dans l'examen de la situation internationale de l'Inde pendant la Seconde guerre mondiale, où une invasion japonaise du sous-continent indien n'était pas exclu dans ses premières années. Il souhaite seulement que la "force de vérité" pratiquée de part et d'autre, rende la guerre impossible ; il pense aussi que toute l'ingéniosité et le travail dépensé en armements devraient être consacré à l'édification sérieuse de la paix, et que, finalement, cette praxis dépend d'une solution correcte du problème du machinisme ;

- La position de GANDHI à l'égard de la machine découle de quelques principes fondamentaux : le machinisme est totalement condamnable s'il est un moyen d'exploitation de l'homme par l'homme (Le Mahatma eut aussi des lectures marxistes...), et s'il ne respecte pas la dignité humaine. Mais il est condamnable également s'il n'est pas rigoureusement assujetti à des besoins réels. Il se défi de l'industrie moderne et ne se fie qu'à l'industrie artisanale. Il est amené à préconisé, en même temps que le système coopératif, une décentralisation industrielle, avec de petites cellules productrices dispersées dans les campagnes, au grand air. Il rejoint par là les visions les plus hardies des économistes et des techniciens occidentaux.

 

Lettres à l'Ashram

   Lettres à l'Ashrâm est constitué de 16 courtes lettres écrites (en gujarate) en 1930, alors que GANDHI est incarcéré à Yeravda, sauf la dernière, écrite en 1931, après la sortie de prison. Traduites plus tard en anglais et en français (de manière non littérales), elles sont publiées début 1937. Ces Lettres constituent un effort de présentation sur les notions majeures du Mahatma. Elles abordent systématiquement tour à tour :

- Vérité (Satya) ;

- Amour (Ahimsa) ;

- Chasteté (Brahmacharya) ;

- Maitrise des organes du goût ;

- Abstention de vol ;

- Non-possession ou pauvreté ;

- Intrépidité ;

- Élimination de l'intouchabilité ;

- Gagner son pain ;

- Tolérance, ou égalité des religions ;

- Tolération, ou égalité des religion (suite et fin) ;

- Humilité ;

- Importance des voeux ;

- Sacrifice (Yajna) ;

- Encore Yajna ;

- Svadeshi.

 

Un corpus d'idées non délimité

   GANDHI présente une doctrine d'action de la non-violence, sur soi et dans le monde, sans jamais donner un corpus délimité, même s'il est toujours intransigeant sur les conditions de la réussite d'une campagne non-violente. Sans qu'il existe d'exposé systématique, même dans ces deux livres cités auparavant, ses écrits en nombre dessine les contours d'une pratique non-violente. Qu'elle s'appelle résistance passive, satyâgraha, force de l'âme, de la vérité, loi d'amour, la non-violence est partout présente, elle informe la pensée, dicte les actes. Tout coule en elle. Mais tout est épars. Théories, directives, mises au point se succèdent et se nuancent suivant les nécessités du jour, les tempéraments des interlocuteurs. Dans son autobiographie, nous pouvons lire : "Nous ne sommes que de pauvres mortels sans défense pris dans l'immense heurt des forces de violence... L'homme ne peut vivre un seul instant sans accomplit vers l'extérieur des actes de violence, consciemment ou non. Le fait même qu'il vit, qu'il mange, boit, se meut alentour, implique nécessairement une part de violence, de destruction de vie, s infime soit-elle". Force est d'admettre que "la non-violence parfaite, tant que nous existons en un corps, n'est qu'une théorie comme le point d'Euclide ou la ligne droite." En même temps, cette impossible volonté de respecter ne serait-ce que l'intégrité physique de tout être n'est que le degré le plus élémentaire, le plus grossier de la non-violence. Aussi, ce n'est pas de cet angle que GANDHI est parti pour réfléchir à la non-violence. C'est des situations concrètes d'injustice, de souffrances infligées, de violences sociales et raciales, qu'est née cette nécessité d'en sortir, de sortir de situations de violences. Sans doute un ahimsaïste accompli peut atteindre un état de non-violence parfaite, par l'ascèse complète, mais là n'est pas l'urgence. Une fois qu'il est convaincu que seule la non-violence permet de sortir des situations de violence, GANDHI ne dévie jamais.

Autant, lorsqu'il médite sur l'ahimsa, notamment dans ses moments des jeûnes qu'il entreprend pour appuyer ses appels à la fin d'émeutes violentes, GANDHI se laisse emporter par l'élan religieux qui l'anime dans la conviction que sans intelligence réelle de l'idéal, on ne peut espérer l'atteindre, autant il se veut réaliste et concret dans les applications. La non-violence, telle qu'il la mène, se présente en deux volets complémentaires : la non-violence constructive, éducation, formation de l'individu et des masses et non-violence agressive, combat économique et politique. La première, la non-violence constructive, et à la deuxième, la non-violence politique, ce que la préparation militaire est à la guerre. Le soldat s'entraine à combattre en endurcissant son corps et par le maniement des armes, le non-violent se prépare au satyâgraha politique par l'exercice quotidien de la force d'âme, des vertus qu'elle exige. Le développement et la mise en application des techniques de non-coopération, des marches aux boycotts et aux campagnes de désobéissance civile massive, exige une discipline dont il ne cesse de rappeler la nécessité absolue. 

 

GANDHI, Vie de Gandhi par lui-même, traduction de G CAMILLE, 1931 ; Autobiographie ou Mes expériences de Vérité, traduit de l'anglais par Georges BELMONT. Présentation et notes de Pierre MEILE, PUF, collection Quadrille, 2007 ; Lettres à l'Ashram, Traduction et préface de Jean HERBERT, Éditions Albin Michel, collection Spiritualités vivantes, 1960. Cette édition comporte des extraits d'autres oeuvres du Mahatma.

Suzanne LASSIER, GANDHI et la non-violence, Éditions du Seuil, collection Maitres spirituels, 1970. René HABACHI et Joel KERMAREC, Gandhi, dans Encyclopedia Universalis, 2004.

 

Complété le 11 Janvier 2013. Complété le 17 février 2013. Relu le 14 février 2021.

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