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10 mai 2012 4 10 /05 /mai /2012 15:20

       L'oeuvre du juriste suisse Emerich de VATTEL (1714-1767), publiée en 1758, influence grandement le droit international classique et continue d'inspirer les réflexions sur l'évolution de la science politique. En pleine guerre de Sept ans (1756-1763) qui ravage alors l'Allemagne, il écrit ce livre dont le succès s'explique par la pragmatisme, le réalisme et la nouveauté des idées développées, dans un style accessible (on aimerait beaucoup que les traités généraux actuels de droit le soit de cette manière) à ses contemporains.

Animé par la volonté de permettre la diffusion la plus facile de ses idées, livrées ici en français, alors langue diplomatique, le conseiller privé d'Auguste III, Électeur de Saxe, veut faire avant tout oeuvre pratique. Dans ce relatif petit livre, il expose sa théorie de l'État, de la Nation et des relations entre États. Il renouvelle la pensée sur les différends et conflits entre États.

         S'appuyant philosophiquement sur LEIBNIZ et WOLF, il est l'un des trois juristes suisses (avec Jean BARBAYRAC (1674-1744) et Jean-Jacques BURLAMAQUI (1694-1748)) qui approfondissent le concept de "droit naturel". Il étend cette notion de droit naturel au droit des peuples. Partant de l'idée que le "bon sens" est en synergie avec la morale chrétienne, ces trois juristes affirment l'identité des lois de la conscience et des lois divines, Emerich de VATTEL étant celui qui s'y réfère le moins souvent. La conscience individuelle prend par là une importance capitale, ce qui permet de stigmatiser toute contrainte exercée sur l'individu, condamnation entre autres de l'absolutisme politique. Ses idées ont d'autant plus d'impact que beaucoup, dans les milieux encyclopédistes, considèrent que la Suisse est un berceau de la démocratie et incarne bien des vertus républicaines. (Jean-Marie ROULIN)

 

           Le livre est divisé en deux tomes, dans lesquels sont répartis quatre Livres. Dans le premier Tome - après des Préliminaires, Idée et Principes généraux du Droit des Gens - le Livre I est consacré à De la nation considérée en elle-même ; le Livre II à De la Nation considérée dans ses relations avec les autres. Dans le deuxième tome, le Livre III traite De la Guerre et de ses différentes espèces, et du Droit de faire la guerre ; le Livre IV Du rétablissement de la Paix, et des Ambassades.

 

        Les Préliminaires, assez longs, quasiment le contenu de tout un chapitre, présentent l'idée que se fait l'auteur des Principes généraux du droit des Gens. Il y définit une Nation, une personne morale, présente une définition du Droit des Gens et pourquoi les Nations ne peuvent rien y changer. Il présente également des lois générales sur la liberté et l'indépendance des Nations pour terminer sur une maxime générale sur l'usage du Droit nécessaire et du Droit volontaire.

 

         Le livre I comporte 23 chapitres.

     Le Chapitre I du Livre I porte sur Des Nations, ou États Souverains, en faisant le tour des diverses espèces de Gouvernement, définissant les différences entre États Tributaires et État Feudataires. Il précise la nature de deux États soumis au même Prince, des États formant une République fédérative, d'un État qui a passé sous la Domination d'une autre. Le chapitre se termine sur les Objets de ce Traité entre deux ou plusieurs États.

         Le chapitre II décrit les Principes généraux des Devoirs d'une Nation envers elle-même. Le chapitre III, aborde la Constitution de l'État, des devoirs et des droits de la Nation à cet égard, le chapitre IV, la question Du Souverain, de ses obligations et de ses devoirs, le chapitre V, celle des États électifs, Successifs et Héréditaires et de ceux qu'on appelle Patrimoniaux. Ensuite l'auteur aborde dans le chapitre VI  les principaux objets d'un bon Gouvernement ; soit Pourvoir aux besoins de la Nation, De la Culture des Terres (Chapitre VII), Du commerce (Chapitre VIII), du Soin des Chemins publics, et des Droits de Péage (Chapitre IX), De la monnaie et du Change (Chapitre X). Le Second objet d'un bon Gouvernement, procurer la vraie félicité de la Nation (Chapitre XI), De la piété et de la Religion (Chapitre XII), De la justice et de la police (Chapitre XIII). Le Troisième objet d'un bon Gouvernement, se fortifier contre les attaques du dehors (Chapitre XIV), De la Gloire d'une Nation (Chapitre XV), De la Protection recherché par une Nation, et de sa Soumission volontaire à une Puissance étrangère (Chapitre XVI). Le chapitre XVII est consacré à Comment un Peuple peut se séparer de l'État dont il est membre, ou renoncer à l'obéissance de son Souverain, quand il n'en est pas protéger. Le Chapitre XVIII porte sur De l'établissement d'une Nation dans un pays (qu'il occupe). Le Chapitre XIX détaille De la Patrie, et de diverses manières qui y ont rapport. Ensuite le juriste traite Des Biens publics, communs et particuliers (Chapitre XX), De l'aliénation des Biens publics, ou du Domaine, et celle d'une partie de l'État (Chapitre XXI), Des Fleuves, des Rivières et des Lacs (qui séparent deux territoires ou qui font l'objet de deux droits en contradiction) (Chapitre XXII), De la mer (Chapitre XXIII). 

C'est réellement, dans ce Livre, vouloir couvrir un champ assez vaste. Emerich de VATTEL fait oeuvre finalement de philosophe politique, sous l'angle du droit.

 

       Le Livre II comporte 28 chapitres.

     Le premier chapitre définit Des devoir communs d'une Nation envers les autres, ou des Offices de l'humanité entre les Nations. Il fixe les Fondements des Devoirs communs et mutuels des Nations dans la perspective de la conservation des autres, allant jusqu'à examiner l'assistance à un peuple désolé par la famine et par d'autres calamités. En revanche, il stigmatise certaines mauvaises coutumes des Anciens et détermine une Limitation particulière à l'égard du Prince. L'auteur aborde ensuite dans le chapitre II Du Commerce mutuel des Nations, puis De la Dignité et de l'égalité des Nations, des Titres et autres marques d'honneur (Chapitre III), Des Droit de sûreté, et des effets de la Souveraineté et de l'Indépendance des Nations (Chapitre IV), De l'observation de la Justice entre les Nations (Chapitre V), De la part que la Nation peut avoir aux actions de ses Citoyens (Chapitre VI), Des effets du Domaine entre les Nations (Chapitre VII), des Règles à l'égard des étrangers. Avec le Chapitre XII vient l'examen des Traités d'Alliance et autres Traités Publics, De la dissolution et du renouvellement des Traités (Chapitre XIII) et Des autres Conventions Publiques, de celles qui sont faites par les Puissances inférieures, en particulier de l'Accord appelé en Latin Sponsio, et des Conventions du Souverain avec les Particuliers (Chapitre XIV). Il insiste sur De la Foi des Traités (Chapitre XV) et Des sûretés données pour l'observation des Traités (Chapitre XVI).

Dans De l'interprétation des Traités (Chapitre XVII), l'auteur expose plusieurs maximes et règles (10 règles...) pour la bonne observation de ceux-ci. Aujourd'hui encore, ces règles et ces maximes sont l'objet de bien des discussions.

Le Chapitre XVIII aborde De la manière de terminer les différends entre les Nations, définissant notamment les bonnes et mauvaises représailles.

 

    Le Livre III, situé dans le Tome II, comporte 18 chapitres. Le Chapitre I introduit le sujet, De la Guerre et de ses différentes espèces, et du Droit de faire la guerre. Aux chapitres suivants, l'auteur aborde De ce qui sert à faire la Guerre, de la levée des Troupes et de leurs Commandants, ou des Puissances subalternes dans la Guerre (Chapitre II), Des justes Causes de la Guerre (Chapitre III), De la Déclaration de Guerre, et de la Guerre en forme (entendre les formes de cette déclaration et de ses obligations ou non-nécessités) (Chapitre IV), De l'ennemi, et des choses appartenant à l'ennemi (Chapitre V), Des Associés de l'Ennemi ; des Sociétés de Guerre, des Auxiliaires, des subsides (Chapitre VI), De la Neutralité, et du passage des Troupes en pays neutre (Chapitre VII). Plus généralement plus loin Du Droit des Nations dans la Guerre, et De ce qu'on est en droit de faire et de ce qui est permis, dans une Guerre juste, contre la personne de l'ennemi (Chapitre VIII), Du Droit de la Guerre à l'égard des choses qui appartiennent à l'Ennemi (Chapitre IX). Il aborde également De la foi entre ennemis ; des stratagèmes, des ruses de Guerre, des Espions et de quelques autres pratiques (Chapitre X), pour préciser les circonstances de rupture des Traités et les possibilités d'offres d'un nouveau Traité. Il examine au Chapitre XI le cas Du Souverain qui fait une Guerre injuste, le Droit des Gens Volontaires, par rapport aux effets de la Guerre en forme, indépendamment de la justice de la Cause, pour préciser leur responsabilité (Chapitre XII). Le Chapitre XIII traite De l'acquisition par Guerre, et principalement de la Conquête, le chapitre XIV Du Droit de Postliminie, le chapitre XV du Droit des Particuliers dans la Guerre. De diverses Conventions, qui se font dans le cours de la Guerre est l'objet du chapitre XVI tandis que Des Saufconduits et Passeports, et Questions sur la Rançon des prisonniers l'objet du chapitre XVII, l'auteur discutant non seulement du droit de la guerre, mais aussi du droit dans la guerre, sans aborder les questions ou les logiques stratégiques qui pourraient justifier tel ou tel acte. Le dernier chapitre (Chapitre XVIII) traite De la  Guerre civile, où les belligérants ne sont pas exonérés de l'observance de ce droit dans la guerre, pas plus les "irréguliers" que les Souverains ou les Nations étrangères amenés à y participer.

 

    Le Livre IV, le plus court, comporte un seul chapitre. Intitulé De la Paix, et de l'obligation de la cultiver. Il prend comme référence HOBBES, mais aussi CICÉRON, pour définir la Paix, l'obligation de la cultiver par les Nations et par le Souverain, l'étendue de ce devoir. L'alinéa Des perturbateurs de la Paix indique surtout les conséquences de cette perturbation, tandis que les suivants examinent tour à tour Jusqu'où on peut continuer la guerre, la signification de la Paix, comme fin de la Guerre et les Effets généraux de la Paix.

 

    Dans ses Préliminaires, Emer de VATTEL fait référence aux écrits de HOBBES, de PUFENDORF, de NARBEYRAC, de BUDDEUS. Et surtout du baron de WOLFF dans laquelle il puise ce "qu'il y a trouvé de meilleur", surtout les Définitions et les Principes généraux. Il entend s'écarter de celui qu'il appelle son Guide, dès le début de son ouvrage "dans la manière d'établir les fondements de cette espèce de Droit des Gens, que nous appelons Volontaire". l'auteur s'inscrit dans la conception libérale de l'État, comme ROUSSEAU. Pour lui, le but de l'État est la satisfaction des besoins de tous.

Cette position le distingue de des précurseurs et contemporains, pour qui l'État est la propriété du monarque. L'État, pour lui, appartient à la Nation, qui peut elle-même donc arrêter sa constitution, la modifier, citant la Constitution d'Angleterre. Acteur des Lumières, le juriste est précurseur de la révolution d'indépendance des États-Unis et de la Révolution Française. (D'ailleurs la déclaration d'indépendance s'inspire de sa définition de l'État, par l'intermédiaire de George WASHINGTON).

Ses conceptions de la Nation, de la Paix et de la Guerre en fait un des initiateurs du Droit international classique. Nombre de ses réflexions sur l'ennemi inspire encore certains écrits de nos jours, notamment dans les commentaires sur les "guerres contre le terrorisme". 

 

    Carlo SANTULLI, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), s'interroge sur les raisons pour lesquelles les formules d'Emerich de VATTEL "se glissent le plus volontiers dans les bas de pages doctrinaux, comme entre les parenthèses juridictionnelles contemporaines". Il formule à ce propos trois thèses :

- La première est que l'auteur présente une conception moderne de l'État et du droit : "La première est la seule qui puisse aspirer aux attributs prestigieux de l'"objectivité scientifique" : VATTEL a forge les clefs de l'intelligence du droit international positif en mettant au coeur de son analyse une conception moderne de l'État. Le grand Suisse (allemand? français?) en effet poussa l'originalité jusqu'à percevoir, premier des internationalistes et avec seulement deux mille ans de retard (il faut rendre cela à César), que l'État en tant que personne survit, distinct de ses monarques, rois, empereurs et autres grands-ducs ; poussant la frénésie juridique jusqu'à deviner que le mot donné par Caius Iulius devait être tenu par tout Caius Iulus Octavianus appelé à lui succéder. Il fit plus au demeurant, et plus fondamental, du moins selon l'historiographie spécialisée (Le professeur SANTULLI fait référence là aux études de P GUGGENHEIM, Emer de Vattel et l'étude des relations internationales en Suisse, Genève, Georg et Cie, 1956 et de E JOUANNET, Emer de Vattel et l'émergence doctrinale du droit international classique, Paris, Pedone, 1998) : là où Vitoria levait les yeux au ciel pour chercher en la raison divine les règles d'organisation de la société internationale, et après que Grotius eut proposé de chercher en soi (tout en lorgnant occasionnellement vers le haut) le diktat de l'immortelle raison, Vattel crut bon de baisser les yeux et, sans renoncer aux tributs divins de prudence (...) se mit à interroger la pratique prosaïque des "nations civilisées", et des Unions multinationales propres sur soi. Le saut épistémologique permettant d'inaugurer l'étude du droit international était ainsi amorcé."

- La seconde thèse "vivote dans un espace marginal, aux frontières de la science politique, où la contre-culture des juristes de bonne volonté dénonce le "satan Vattel" (Van VOLLENHOVEN, Les trois phases du droit des gens, La Haye, Nijhoff, 1919) (...). Le pauvre Vattel se voit alors reprocher d'avoir théorisé (et, du coup, par confusion enfantine entre la pensée et l'acte, d'avoir produit) le droit international classique, fondé sur les rapports anarchiques entre souverains. Parce que cette organisation est réputée archaïque et belligène, source inépuisable des maux qui affectent notre vilaine planète, l'évocation de Vattel fait apparaitre, dans un nuage de fumée, la vision de l'Organisation internationale (ou de la Communauté humaine) éternellement tentée, et contrariée, par l'ewig Weiblich de la compétition meurtrière entre intérêts étatiques discordants."

- La troisième thèse, maintien de la tradition juridique antérieure, "apparait parfois, dont on s'empresse de préciser qu'elle fut défendue avec vigueur par Paul Guggenheim lui-même, mais elle est colportée aujourd'hui de bec en bec par de sombres merles moqueurs, (...). Selon ces tristes corbeaux, le "fourbe des Alpes" aurait repris les mêmes formules que Wolff, son maître, répétait inlassablement, tout comme Vitoria, Suarez, Grotius et Puffendorf, empruntées au soit-disant jus commun, en les imputant "aussi" à la pratique. Parés de cette nouvelle majesté, des règles d'or comme pacta sunt servanda ou pacta tertiis nec nocent nec prosunt, d'abord préceptes de droit romain, devenus ensuite merveilleux produit de la raison divine, puis de la simple et arrogante rationalité, ce qui valut à Vattel l'entrée dans l'immortalité, et autres "Who was who?".

Il conclut par... une non-conclusion : "Peut-on raisonnablement trancher ici entre ces trois thèses sans évoquer la possibilité que chacun d'entre elles reflète un aspect d'une vérité possible?"...

 

 

Emerich de VATTEL, Le droit des gens et Princes de la loi naturelle, Appliqués à la conduite et aux affaires des Nations et du Souverain, Londres, 1758 ; www.larecherchedubonheur.com.

Carlo SANTULLI, Article VATTEL Emmerich de, dans Dictionnaire des grandes oeuvres juridiques, sous la direction de Olivier CAYLA et de Jean-Louis HALPERIN, Dalloz, 2008. Jean-Marie ROULIN, Article Suisse, dans dictionnaire européen des Lumières, PUF, 2010.

 

Relu le 30 novembre 2020

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