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3 décembre 2012 1 03 /12 /décembre /2012 09:29

    Axel HONNETH (né en 1949), rattaché à l'Ecole de Francfort et peut-être une figure d'une possible troisième génération de philosophes et de sociologues de cette école, entend renouer avec les aspects conflictuels d'une théorie critique toujours en construction. Sous-titré Vers une nouvelle Théorie critique, ce recueil de textes qui s'échelonnent des années 1980 aux années 2000, sont présentés par l'auteur lui-même comme tissant la perspective de celle-ci. Ils répondent en quelque sorte à son programme de renouvellement présenté dans La lutte pour la reconnaissance (1992). Il appartient à cette catégorie/génération de penseurs pour laquelle la question de la normalisation, de la rééducation, après la tragédie de la seconde guerre mondiale et du nazisme, ne constitue plus le défi central. Classé à gauche dans la mouvance habermassienne, inspiré par les oeuvres de Michel FOUCAULT et de Pierre BOURDIEU, il entend dépassé les limites du cadre de référence de la pensée d'HABERMAS. 

 

   La société du mépris se compose de onze textes : 

- Les pathologies du social. Tradition et actualité de la philosophie sociale (1994)

- Une pathologie sociale de la raison. Sur l'héritage intellectuel de la Théorie critique (2004)

- La critique comme "mise au jour". La dialectique de la raison et les controverses actuelles sur la critique sociale (2000)

- La Théorie critique de l'Ecole de Francfort et la théorie de la reconnaissance (2001)

- La dynamique sociale du mépris. D'où parle une théorie critique de la société? (1994)

- Conscience morale et domination de classe. De quelques difficultés dans l'analyse des potentiels normatifs d'action (1981)

- Invisibilité : sur l'épistémologie de la "reconnaissance" (2003)

- La reconnaissance comme idéologie (2004)

- Les paradoxes du capitalisme : un programme de recherche (2004)

- Capitalisme et réalisation de soi : les paradoxes de l'individuation (2002)

- Théorie de la relation d'objet et identité post-moderne. A propos d'un prétendu vieillissement de la psychanalyse (2003).

 

   Dans la Préface de Olivier VOIROL, qui situe l'ouvrage dans la démarche d'ensemble de l'auteur, nous pouvons lire qu'Axel HONNETH accorde, dans son examen de l'héritage intellectuel des générations précédentes de l'Ecole de Francfort, une place prépondérante à Theodor W ADORNO. "Il voit à l'oeuvre chez ce dernier une "philosophie négative de l'histoire", incapable à ses yeux non seulement de faire une place à ce domaine propre du "social", mais aussi de renouer avec un idée de théorie critique en lieu avec une pratique d'émancipation "intramondaine". Adorno, souligne-t-il, a substitué à la conception positive de l'histoire à l'oeuvre dans l'hégélianisme de gauche, qui postule la formation progressive d'une conscience éclairée dans l'histoire, une conception négative soulignant l'universalité du processus de réification. En considérant l'accomplissement de la domination de la raison instrumentale, Adorno opère une double restriction dont les conséquences sur l'avenir de la Théorie Critique sont de premier ordre." Il reproche à ADORNO d'écarter le domaine du "social", d'où pourraient émerger de nouvelles formes de résistance et de conflits, de rompre le lien de la théorie critique avec une pratique effective guidée par des motifs d'émancipation (par le rejet de l'idée d'un développement historique du capitalisme déployant une raison émancipatrice) et de voir uniquement dans ce développement le seul achèvement d'une conscience instrumentale gouvernée par un principe de domination. Son projet est de partir de la relance la plus sérieuse selon lui de la tradition de l'Ecole de Francfort, la théorie de la communication de Jürgen HABERMAS. Qui fait revenir sur le terrain du social par l'intersubjectivité : elle accorde une place éminente au projet d'identification des "pathologies sociales" de la modernité capitaliste et une attention forte au relations entre les processus potentiels d'émancipation et les processus destructeurs liés à ces potentiels dans cette société capitaliste. Ce double mouvement de modernisation fait remonter toute la pensée de l'Ecole de Francfort à HEGEL et à MARX. Il renoue avec la centralité du concept marxien du travail, abandonné pendant les périodes du libéralisme triomphant des années 1980-2000.

 

      Car si Alex HONNETH rejoint amplement le paradigme de la communication développé par HABERMAS, les points de désaccord sont importants. Ses principales objections apparaissent déjà dans Conscience morale et domination de classe. Il y montre que la théorie de son prédécesseur, en se focalisant sur les règles formelles de la communication réussie, reste aveugle aux expériences morales de l'injustice. Pour HABERMAS, explique toujours Olivier VOIROL, "c'est la violation des procédures de l'entente au moyen du langage qui incite les sujets dotés de compétences communicationnelles à réaffirmer les conditions normatives de la discussion publique. En s'appuyant sur la sociologie des classes dominées Honneth montre au contraire que les dynamiques de protestation trouvent moins leur origine dans la violation des règles de l'entente langagière que dans une expérience de l'offense liée à la violation des principes intuitifs de la justice." Il insiste, au contraire d'HABERMAS, pour qui l'intégration des classes sociales dans le système consensuel de légitimation du capitalisme avancé est un processus abouti, sur la permanence des attitudes conflictuelles au sein des groupes sociaux. Pour lui, la théorie de la communication de HABERMAS se montre incapable de restituer philosophiquement les expériences morales des sujets lésés dans leurs attentes morales. 

 

    Précisément, ces sujets lésés dans leurs attentes morales luttent pour la reconnaissance. C'est par le modèle de la lutte pour la reconnaissance développée par le jeune HEGEL (Avant la phénoménologie de l'esprit de 1807) qu'Axel HONNETH esquisse une alternative au modèle de la "lutte pour l'existence" qui prédomine dans la philosophie sociale depuis HOBBES et MACHIAVEL. En s'appuyant sur les acquis des sciences sociales, et notamment de la psychanalyses, il souligne combien la possibilité même de la formation de l'identité de la personne est tributaire de relations de reconnaissance dont la constitution est forcément de nature intersubjective. C'est lorsque cette reconnaissance (amoureuse, juridique, culturelle...) se réalise de manière dialectique dans la relation avec les autres, que la personne  est en mesure de réaliser la construction de la confiance en soi, du respect de soi, de l'estime de soi...

Plusieurs des textes de ce livre portent sur cette reconnaissance dont le concept est développé largement par Axel HONNET dans La lutte pour la reconnaissance (texte traduit par P RUSCH, Cerf, 2000), son ouvrage fondateur. Il argumente sur le fait que loin de constituer une menace pour l'ordre social comme dans la tradition hobbesienne, le conflit est au contraire le médium même de l'intégration sociale. C'est par les multiples luttes pour la reconnaissance sans cesse rejouées qu'une collectivité peut accroître les chances de réunir les conditions nécessaires à l'autoréalisation de ses membres. Ils permettent de voir plus loin que ce texte de 2000, car il y approfondit ce concept de la reconnaissance par une attention accrues aux '"pathologies du social". Ces "pathologies" sont liées à de véritables "déformations" de cette reconnaissance et plus loin encore à un invisibilité sociale, qui correspond à une modalité du mépris que la société capitaliste diffuse dans son ensemble.

Mépris pour les sujets que l'on dote de faux sentiments de reconnaissance, à partir du moment où ils suivent le mouvement général de la société. Mépris que l'idéologie managériale entretient en valorisant par leu discours leurs compétences et leur "autonomie", sans pour autant assurer les conditions matérielles d'une réalisation effectives de ces énoncés valorisants sous forme de véritable reconnaissance de leurs savoir-faire et de leurs aptitudes. La fausse reconnaissance opère comme une idéologie lorsque les conditions réelles et institutionnelles ne comblent pas les promesses faites par les énoncés valorisants à l'adresse des destinataires. 

 

    Alex HONNETH reprend un schéma de pensée propre à la tradition de l'Ecole de Francfort, dans l'étude des "paradoxes" du capitalisme contemporain, en en proposant une réactualisation. Ce schéma comprend les processus de développement des sociétés capitalistes modernes dans leurs ambivalences et leurs contradictions. Les changements intervenus au cours de ces dernières décennies sont vus,

- d'une part comme des progrès normatifs élargissant les possibilité d'autoréalisation pour les sujets humaines ;

- d'autre part comme des processus induisant de nouvelles contraintes qui contrecarrent l'extension des formes d'autoréalisation.

Ces transformations paradoxales s'observent notamment dans le processus d'individuation. 

Dans un texte rédigé avec Martin HARTMANN, l'auteur analyse le capitalisme néo-libéral comme un générateur de dynamiques paradoxales (2002). Les dernières décennies du XXe siècle sont ainsi marquées par une avancée des revendications de reconnaissance permettant une intégration normative dans quatre sphères d'activités institutionnalisées : un accroissement des possibilités d'autoréalisation au niveau du processus d'individuation, une extension vers une idée égalitaire de justice au niveau de la régulation juridique, un accès au statut social selon les capacités et les performances des sujets et moins selon leur origine sociale et une idée romantique de l'amour permettant de surpasser émotionnellement les contraintes instrumentales de la vie ordinaire. Or, au moment où se déploient ces possibilités, la "révolution néo-libérale" inverse ces idéaux pour en faire de nouvelles exigences.

La complexification du processus d'individuation fait penser que la psychanalyse devient obsolète dans l'analyse des relations psycho-sociales. Alex HONNETH estime au contraire que la psychanalyse peut encore dire quelque chose de très important, à condition qu'elle relève le "défi" de développer une conception de la vie psychique différente de celle du moi fort voué à contrôler rationnellement les pulsions. Il puise pour cela dans les courants non freudiens de la psychanalyse qui envisagent la vie intérieure comme un "dispositif communicationnel intériorisé". Notamment dans l'oeuvre du psychanalyste américaine Hans LOEWALD.

 

Axel HONNETH, La société du mépris, Vers une nouvelle Théorie critique, La Découverte, collection armillaire, 2006, 350 pages. Edition établie par Olivier VOIROL. Textes traduits par Olivier VOIROL, Pierre RUSCH et Alexandre DUPEYRIX.

 

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