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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 13:40

    Le livre du professeur des universités au centre universitaire d'enseignement du journalisme (CUJ) à l'Université de Strasbourg, (déjà auteur entre autres de Le culte de l'Internet, Une menace pour le lien social (2000) et de L'utopie de la communication, Le mythe du "village planétaire" (2004),  sur La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique),  explore "le décalage entre un idéal et sa réalisation. L'idéal est celui de la démocratie. Il se résume en deux promesses solidaires ;: d'une part, nous pouvons, ensemble, sur la base d'une égalité de parole, discuter et décider de notre destin ; d'autre part, nous pouvons pacifier la conflictualité tout en gardant la dynamique de nos différences. Cet idéal suscite beaucoup d'adhésions et d'espoirs. Sa réalisation pose de nombreux problèmes, qui font douter de sa réalité. Cette dissonance engendre un malaise permanent".

Il évoquera pour certains l'écho de grands débats sur la démocratie (démocratie réelle, démocratie représentative ou délégative, démocratie directe...) et relance le débat sur la nature et la réalité de la démocratie dans des sociétés qui s'auto-proclament, parfois un peu vite, démocratiques.

       L'auteur questionne cette réalité et pose même la question : "Nos sociétés modernes seraient-elles à peine "en voie de démocratisation"? Le dissensus entre l'intensité des valeurs et la faiblesse de leurs concrétisations ne risque-t-il pas d'emporter l'édifice tout entier? Nos civilisations démocratiques ne sont-elles pas, à l'aune de leurs promesses non tenues, au bord d'une rupture qui en signifierait la fin?" Partant du point de vue, loin des grandes théories sur les systèmes politiques, que "l'outil pratique de cet idéal pratique est bien la parole", il élabore sa thèse centrale organisée "autour d'un double constat : d'une part il y a bien un déficit majeur des compétences à la parole démocratique ; d'autre part, le statut de cette question est celui d'un véritable impensé. Dès qu'il s'agit d'évoquer les pratiques démocratiques, le silence se fait. S'agirait-il d'un sujet inopportun?"

La question est d'autant plus importante que, longtemps, des idéologues de tout bord, de droite comme de gauche, ont longtemps opposé le "totalitarisme" de pays soit-disant communistes à la "démocratie" du "monde libre"...  Aujourd'hui qu'est écartée, en quelque sorte par forfait, cette comparaison à bien des égards très opportuniste, la faiblesse de la démocratie apparait plus évidente.

     Philippe BRETON établit d'abord son diagnostic sur l'état de la démocratie en trois temps :

- "les problèmes auxquels sont confrontées la plupart des démocraties aujourd'hui ne tiennent ni à une trop faible adhésion aux valeurs de la démocratie, ni à l'absence d'institutions et de lieux de parole potentiels. le désir de démocratie existe et il est solidement enraciné".

- "l'évaluation de l'état réel des compétences démocratiques" qui constitue le coeur de ce livre. Il le construit autour d'une "expérience de parole" qui implique plusieurs centaines de personnes. Le déficit généralisé dans le domaine de la prise de parole, de la nécessaire empathie cognitive, de la formation des opinions, apparait clairement à cette occasion."

- "tenter d'isoler à la fois les causes et les conséquences de ce déficit et de la dissonance qui en résulte. La question de l'école est alors centrale, comme celle du rapport à la violence qu'entretiennent nos sociétés."

Après ce diagnostic, l'auteur propose la notion de "subsidiarité démocratie" qui "pourrait constituer un point d'appui pour le renouvellement des pratiques démocratiques, qui nous permettrait peut-être d'éviter la crise grave qui risquerait de survenir si nous perdions confiance dans ses valeurs et dans sa capacité effective à changer nos vies."

 

        Philippe BRETON estime que les causes du malaise de la démocratie ne sont pas là où on les cherche habituellement (refus des valeurs démocratiques, inadaptation des institutions concrètes, individualisme foncier, grandes inégalités économiques). Prenant le contre-pied de ceux qui profèrent contre l'individualisme ambiant, il pense que nous vivons, paradoxalement, dans une société bien plus collectiviste que nous ne l'imaginons, notamment en regard des époques passées. La civilisation des moeurs s'exprime dans un univers policé, retenant l'expression des émotions, médiatisant les conflits par un système juridique et pénal serré. En fait, "la question des compétences en "parlé démocratique", en prise de parole (l'oser, en avoir envie et être efficace...) est essentielle. L'une des craintes majeures que suscite généralement, de la part des élites cultivées, le fait qu'un régime politique "se démocratise trop", est de donner le pouvoir au peuple, comme masse de personnes incompétentes, dont l'opinion se construirait sur les abandons de la séduction ou sur les sables mouvants de l'irrationalité. Cette réserve, que l'on peut comprendre, désigne bien en creux, tapi au coeur des démocraties modernes, un réel déficit de compétences du plus grand nombre. sauf à croire, comme le font les idéologies gauchistes, que le "peuple" a raison par nature." Si l'un des objectifs oubliés de la démocratie est d'être un régime où le plus de personnes possibles sont des démocrates, il faudrait que ces personnes soient actrices et créatrices d'institutions adaptées aux problèmes qu'elles rencontrent. Or, le processus démocratique, qui consiste dans le gouvernement pour le peuple, par le peuple, est très loin d'être un processus achevé... Pour que l'alchimie démocratique puisse prendre, il fait trois composants nécessaires :

- des institutions démocratiques, lieux de pratique de la démocratie, où de nombreux cadres, de dispositifs de parole, de prise de décisions ;

- l'adhésion des participants aux valeurs d'égalité et de liberté ;

- la mise en pratique de compétences spécifiques : capacité de se faire une opinion, capacité d'argumentation, capacité d'écoute.

  On sent bien que pour l'auteur ces trois composantes doivent traverser la société toute entière, dans toutes ses activités. On sent bien également que les lieux qui se targuent d'être des écoles de démocratie, les associations par exemple, remplissent très peu les critères exigés... L'auteur développe l'idée que les institutions où doivent se forger les citoyens de ce système politique, l'école, l'université, sont très loin de remplir leur rôle. Dans maints passages du livre, Philippe BRETON lie fortement capacité démocratique et capacité de gérer les conflits. L'absence de pratique démocratique mène droit à des phénomènes de mauvaise gestion (ou plus de gestion dut tout) de certains conflits qui peuvent dégénérer en violences, détruisant tout l'acquis de cette civilisation des moeurs tant vantée. Il série d'ailleurs cinq phénomènes qui témoignent de l'inversion de la pacification des moeurs dans la vie quotidienne : la reprise de la violence, sous des formes nouvelles, notamment celles de l'émeute et de la violence délinquante, le retour de la vengeance privée, l'attrait nouveau et durable qu'exerce l'extrême droite, la contamination du langage par la violence, le retour de la figure du Mal comme paradigme explicatif de la violence...

 

   Pour développer le principe de "subsidiarité démocratique" qu'il appelle de ses voeux, il propose de développer les lieux d'apprentissage de la prise de parole, notamment dans la famille, à l'école, dans le cadre de la formation permanente. Il fait référence aux analyses de Françoise DOLTO dans la formation, dès le plus jeune âge, d'une "personnalité démocratique". Il formule l'espoir de voir la moitié du temps scolaire à l'apprentissage de la discussion, l'apprentissage des connaissances ne devant pas tout accaparer A cet égard faire de l'école un lieu démocratique est un vaste chantier, mais in fine, pas de "personnalité démocratique" si l'écolier passe son temps à la compétition face aux autres, dans les activités scolaires et péri-scolaires. Décidément, nous l'avons écrit ailleurs, les pratiques autoritaires à l'école ne préparent pas du tout à la participation et à la prise des décisions collectives... Vers la fin de l'ouvrage, il cite des règles pour éviter les prises de décision non démocratiques : 

- aucune décision concernant plusieurs personnes ne peut être prise par une seule ;

- aucune délibération ne peut se faire sans une discussion préalable où chacun de ceux qui sont concernés par la décision peut intervenir à parts égales ;

- aucune assemblée ne peut se voir confier une fonction uniquement consultative.

Comme il l'écrit, "il y a encore beaucoup de travail à faire"...

 

    On remarque au passage que Philippe BRETON n'accorde pas beaucoup de place aux médias dans une stratégie de renouvellement de la démocratie, sans doute parce qu'il estime que ceux-ci se sont détournés de leur fonction de participation réelle aux débats publics pour être seulement l'instrument de différentes stratégies de conquête électorale ou commerciale, voire de tous les divertissements pouvant atténuer ou détourner des effets des multiples injustices.

   Ce livre a une certaine importance, au vu du déclin de la participation aux élections. Le record d'abstention aux départementales-régionales de 2021 en France, s'inscrit dans un déclin des instances politiques, de manière générale, au profit d'intérêts économiques et financiers. Mais ce déclin n'est pas une spécificité française ; il se manifeste également partout dans le monde, à commencer par l'arrivée au pouvoir de forces politiques très influencées par ces intérêts économiques et financiers. L'incompétence n'est pas seulement démocratiques, elle est souvent d'ordre technique et scientifique à plusieurs égards.

 

Philippe BRETON, l'incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique, La Découverte, Cahiers libres, 2006.

 

Relu le 27 juin 2021

 

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