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26 janvier 2013 6 26 /01 /janvier /2013 14:02

     En matière de film de propagande, deux niveaux de lecture au moins sont toujours en présence, et le documentaire fleuve produit par la télévision chinoise CCTV à l'intention du public chinois, ne fait pas exception : le premier niveau tient au contenu même de cette série de 12 épisodes de 50 minutes chacun, dans son approche de la réalité et de son explication, et le deuxième niveau, celui de l'intention de l'oeuvre, diffusée en novembre 2006, dans le contexte de l'émergence de la puissance chinoise. 

 

     Le documentaire-fleuve de 10 heures au total, tente d'exposer chronologiquement les principaux facteurs qui ont favorisé l'ascension des neuf puissances depuis le XVe siècle : le Portugal, l'Espagne, la Hollande, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, le Japon, la Russie (URSS) et les Etats-Unis. En conclusion, le douzième épisode précise que seuls les Etats qui optaient pour une stratégie de puissance adaptée à leurs particularités et à l'évolution de ces différentes époques pouvaint saisir les chances que leur offrait l'Histoire. Néanmoins, explique YE MING, docteur en géopolitique de l'Université Paris-VIII, ce n'est qu'après avoir regardé l'ensemble des douze épisodes que l'on comprend quelle est la clé de l'essor des grandes puissances à l'échelle mondiale : on perçoit un schéma évolutif : au début le Portugal, l'Espagne et la Hollande, entités politiques dirigées par un leader ambitieux, accompagné d'un exécuteur courageux, saisissant une opportunité, ont le monopole d'un savoir, d'une ressource, d'une technique ou d'une invention. Ensuite, dès la révolution industrielle au XVIIIe siècle, les États-nations saisissent à leur tour les opportunités de l'Histoire - c'est le cas de la Grande Bretagne, de la France, de l'Allemagne, du Japon, de la Russie et des États-Unis. Au cours de cette période, l'essor des grandes puissances se joue sur leur capacité à acquérir un système étatique rationalisé et compétitif (légitimité politique, compétitivité économique, puissance militaire, harmonie sociale et capacité à porter l'espérance, idéalisme, etc.). 

    Après avoir désigné la richesse et l'étatisme comme les deux éléments fondamentaux des réussites passées, le documentaire prévoit que le prochain essor des grandes puissances sera déterminé par l'influence des pays qui seront capables de développer sur un échelle mondiale une "puissance globale" (soft power et hard power) étroitement liée à la créativité technologique et à l'innovation politique, et qui occuperont une position majeure dans la conquête de l'espace. 

     Reprenant le style rhétorique typique de la littérature chinoise classique pour raconter l'histoire de l'essor des neuf puissances occidentales (sauf la Russie peut-être), c'est en définitive la Chine d'aujourd'hui que le documentaire pointe. La gravité de ton des commentaires, l'intervention de chercheurs, d'experts et de personnalités politiques "prestigieuses", renforcent le sérieux et la crédibilité de ce documentaire qui transmet certains messages politiques de la Chine actuelle (notamment ceux de la présidence de HU JINTAO depuis 2002).

 

        Inspiré directement d'une thème de réflexion du Comité politique Central du Parti Communiste chinois, le documentaire coïncide parfaitement avec le contexte politique de la Chine de HU JINTAO, d'autant qu'il s'insinue dans le rythme du changement politique, en reprenant les nouveaux propos sur l'"harmonie" : l'harmonie du monde et l'harmonie de la société chinoise. Même s'il est destiné au public interne chinois, les producteur et réalisateur, comme les soutiens politiques à cette vaste entreprise qui a nécessité trois ans de tournage et la mobilisation de sept équipes et de pas moins d'une centaine d'intervenants occidentaux et chinois, savent qu'il est observé de l'étranger, non seulement par le canal de l'Internet (véritables réseaux et sources de démocratie en Chine, comme nulle part ailleurs), mais aussi par les multiples canaux d'information officiels et officieux des "puissances partenaires". Et non seulement, ils le savent, mais ce documentaire fait partie aussi d'une vaste opération médiatique visant à apaiser les nombreuses craintes suscitées par le développement économique, politique et stratégique de la Chine. Il fait partie, sans que peut-être on puisse parler d'une stratégie délibérée en ce qui concerne ce documentaire, d'un ensemble d'événements qui mettent aux prises des conceptions opposées : développement pacifique ou développement nationaliste, et dans lequel ensemble c'est la tendance du développement pacifique de la Chine qui se fait le plus entendre (à l'intérieur comme à l'extérieur). 

    Dans un contexte, explique encore YE MING, où Pékin substitue le culturalisme chinois à prétention universaliste au nationalisme à la recherche d'une particularité, cela permet d'encadrer les courants comme le libéralisme et le nationalisme en Chine et sa quête d'un compromis d'intérêts. La diffusion de L'essor des grandes puissances ne serait donc plus seulement une affirmation de la politique d'ouverture, mais bien un message fort de la nouvelle perception du monde multipolaire des autorités chinoises : une harmonie du monde porteuse d'un nouveau regard avec autant de passion sur l'Occident. Ce documentaire fait figure de message mais s'inscrit aussi dans un débat intérieur.

Des critiques se sont exprimées, venant des intellectuels, très partagées, alors que l'opinion publique l'a reçu de manière très favorable. Au point que la chaîne de télévision sud-coréenne EBS a acheté les droits d'auteurs du documentaire en version papier (celui-ci a fait l'objet  d'une version papier en 8 volumes...).

Si des experts en relations internationales ou des historiens l'ont approuvé, des voix venues des milieux démocrates et des communistes dogmatiques, se sont faites virulentes. LIU XIAOBO s'interroge sur la distinction faite entre l'ascension d'une Chine dictatoriale et l'ascension d'une Chine libre. HU PING est plus favorable à la liberté des Chinois, en l'occurrence à la montée en puissance de la Chine.

Du côté opposé, le chercheur marxiste ZHANG SHUNHONG critique le documentaire sur 5 points :

- l'admiration de l'hégémonie ;

- l'enjolivement de l'histoire de la colonisation ;

- la valorisation du régime politique capitaliste ;

- l'admiration de l'économie de marché capitaliste ;

- les louanges des valeurs de la bourgeoisie.

   Ces critiques permettent de remarquer que, pour la première fois, L'essor des grandes puissances échappe à la dialectique marxiste habituellement appliquée à l'Occident. Il s'agit donc d'un essai portant un nouveau regard, plus ou moins de manière chinoise, mais sans préjugés idéologiques, sur l'histoire de l'expansion de l'Occident, essai dont il faut voir ensuite s'il est suivi d'une évolution en profondeur dans le même sens. 

 

   Ce documentaire a été doublé en anglais et figure dans le "catalogue" d'History Channel, chaîne de télévision américaine spécialisée dans l'histoire, créée en 1995 (A&E TV Networks).

 

L'essor des grandes puissances (Da Guo Jue Qi), réalisé par Ren Xue'an, en mandarin, produit par Guo Zhenxi, Chaîne CCTV-2, 13-24 novembre 2006.

YE MING, L'essor des grandes puissances : un documentaire-fleuve à la télévision chinoise, dans Hérodote, n°125, 2ème trimestre 2007.

 

FILMUS

 

Relu le 24 février 2021

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