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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 19:18

       L'Histoire des Trois royaumes, roman historique chinois sur la fin de la dynastie Han et la période des Trois Royaumes (220-265), écrite au XIVe siècle d'après l'oeuvre de CHAN SHOU, elle même écrite au IIIe siècle, constitue une oeuvre dense qui raconte l'épopée la plus populaire de la littérature chinoise. Inscrite dans le corpus de la pensée militaire chinoise, cette épopée se déroule sur un arrière-fond historique de luttes politiques et militaires pour le pouvoir et fourmille de stratagèmes, de ruses et de finesse tactique. Ce livre a eu une grande influence culturelle en Asie du Sud-Est et au Japon. 

   C'est également le premier roman divisé en chapitres distincts à apparaître en Chine. Aucune oeuvre de ce genre, toute époque confondue n'a eu un impact aussi profond et étendu sur la société chinoise. Cette influence peut-être comparée à celle qu'exerce les récits héroïques de la Conquête de l'Ouest aux États-Unis, récits qui font partie des mythes fondateurs de la nation américaine. La vertu est son thème principal, comme l'indique son titre en mandarin (Sango Yanyi). Les épisodes variés du roman ont été transmis à toutes les couches de la société chinoise, que ce soit directement ou indirectement, par le théâtre, la chanson ou par d'autres voies de la culture populaire, ce qui en fait une histoire connue dans tous les foyers du pays.

     Son auteur Luo GUANZHONG, ou Louo KOUAN-TCHONG (vers 1330-1400), écrivain de la dynastie Ming, reste peu connu, même si on lui attribue également la rédaction, avec SHI NAI'AN, d'Au bord de l'eau.

 

Une oeuvre épique populaire foisonnante contenant des éléments précis de morale et de stratégie....

   Sous couvert d'un simple roman historique, les Trois Royaumes est une oeuvre d'une qualité littéraire très forte. Chaque héros, de par son nom, sa description physique et ses actes, parvient à une dimension mythique de portée universelle. LIU BEi (Vertu Cachée) est le modèle de la générosité, de la vertu et de la droiture. GUAN YU (Long Nuage) devient le Dieu de la guerre. ZHUDGE LIANG (Dragon Caché ou Lumière de la Raison) apparaît comme le parangon du Grand Stratège omniscient. CAO CAO, personnage d'une psychologie très fouillée, peut atteindre des sommets de cruauté ou de générosité calculées. Esprit dévoyé et fourbe, CAO CAO a le destin qu'il mérite : une tumeur maligne au cerveau finit par le faire périr. De même que dans la mythologie grecque, les animaux eux-mêmes sont remarquables et surnaturels. 

    Si le Roman a gagné la culture populaire, il est aussi le reflet/description/illustration de tactiques très étudiés par les milieux militaires sous la dynastie de Song, puis des Ming. Car ce n'est pas seulement le jeu des héros qui submerge le récit qui en fait l'intérêt. Pour ceux qui s'intéressent à l'art de la guerre comme à l'art du gouvernement, il fourmille de détails techniques sur les armes et les tactiques, les multiples rapports des forces en présence.

  Histoire des Trois Royaumes se compose de quatre grandes parties, avec, dans chacun d'elles, plusieurs dizaines de parties, elles-mêmes groupées en chapitres. Ces quatre parties, qui suivent la chronologie des faits s'intitulent :

- Le début des troubles ;

- L'ascension de CAO CAO ;

- Un pays divisé ;

- La fin des Trois Royaumes. 

    Une des parties les plus populaires concerne la bataille de la Falaise Rouge (racontée dans le film de John WOO, de 2008, au titre éponyme).

 

    L'histoire politique du IIIe siècle n'est connue que grâce à trois sources faisant partie des histoires officielles que chacune des dynasties dominant la Chine fait rédiger. A la suite des Mémoires historique de SIMA QIAN, ces textes comportent la description d'événements ayant eu lieu dans un ordre chronologique sous la forme d'une chronique, ainsi que les biographies des grands personnages ayant vécu à la période concernée. Leurs rédacteurs émettent des jugements moraux sur les faits et les personnages qu'ils décrivent, effectuant un tri parmi des informations, mais s'appuient sur des documents officiels et des chroniques de l'époque, ce qui rend leur description relativement fiable en dépit de son caractère biaisé.

L'histoire des la dynastie Han postérieure est couverte par le Livre des Han postérieurs (Hou Han shu) rédigé par FAN YE (398-446) sous les Liu-Song. Elle est enrichie de commentaires des débuts de la dynastie Tang (première moitié du VIIe siècle), ainsi que de traités concernant notamment l'administration, qui se trouvaient à l'origine dans la Continuation du Livre des Han de SIMA BIAO (vers 300).

La principale source sur la période des Trois Royaumes est celle qui la concerne directement, la Monographie des Trois Royaumes (Sanguo zhi), rédigée par un seul auteur, CHEN SHOU, qui vécut de 233 à 297 et fut donc contemporain de la plupart des faits qu'il décrit. Cette histoire officielle est largement favorable à la dynastie des Cao-Wei, considérée comme étant la seule dans les Trois Royaumes à avoir la légitimité pour dominer la Chine, et à leurs successeurs, les Sima-Jin, sous lesquels le récit fut rédigé.

La Monographie des Trois Royaumes est divisée en trois parties, concernant chacun des trois royaumes, et a acquis en Chine une belle réputation en raison de ses qualités littéraires. Divers faits volontairement cachés par CHEN SHOU, notamment pour ne pas froisser la dynastie Jin, sont rapportés par un commentaire officiel de la Monographie, effectué par PEI SONGZI (372-451), actif sous les Song antérieurs. Cet historiens a ajouté également des biographies de personnages remarquables (notamment le penseur WANG BI), à partir de sources historiographiques disparus depuis. 

La troisième chronique historiographique documentant la période est l'histoire officielle de la dynastie Jin, le livre des Jin (Jin shu), rédigé durant la première moitié du VIIe siècle sous les auspices de l'empereur TAIZONG des Tang (626-649), qui en a surveillé la rédaction. Oeuvre collective de plusieurs historiens, favorable au clan Sima, fondateur de la dynastie, cette chronique présente les fondateurs de cette dynastie (SIMA YI, SIMA SHI et SIMA ZHAO) comme des empereurs légitimes.

 

   Le Roman et les Chroniques décrivent un épisode de l'histoire de la Chine qui va de la décomposition de la dynastie Han à la fin du IIe siècle, officiellement daté de 220, jusqu'à la reformation de l'unité nationale sous l'égide des Jin vers 265, en passant par un nouveau découpage des territoires en trois royaumes.

 

   André LÉVY présente le San Guo zhi yangi ou Amplification de la chronique des Trois royaume, comme l'élaboration d'une "matière traversée dès l'origine par un souffle épique. Il mérite la première place, celle que revendique l'oeuvre du XIVe siècle parachevée au XVIIe siècle, sans pour autant prétendre être la meilleure de la littérature d'imagination. En effet, il n'est pas de thème qui ait exercé depuis aussi longtemps un aussi puissant attrait sur les esprits que ces luttes de personnalités d'exception de 184 à 280, au moment où la Chine déchirée s'offrait aux ambitions guerrières. Le pouvoir, naguère disputé par les eunuques et les lettrés, se trouve désormais au bout de la lance-hallebarde. Mais la conjonction de l'audace et de la prudence ne peut rien sans la volonté du Ciel. Les voies obscures de sa justice laissent triompher la force du nombre : dans la rivalité qui oppose les Trois Royaumes affichant tour à tour des prétentions impériales de 220 à 229, celui de la "légitimité", Shu Han, sera le premier à succomber (262). Peut-être est ce là qu'il faut chercher la fortune du thème, dans cette atmosphère tragique, proscrite dans les oeuvres de la littérature "officielle", mais moins rare qu'on l'a fit dans les oeuvres anciennes proches de la veine populaire. L'expression d'aspirations que la réalité rend impossible à satisfaire avait de quoi toucher un large éventail de catégories sociales. Depuis plus de mille ans, que ce soit sous une forme dramatique, narrative ou picturale, les héros légendaires des Trois Royaumes n'ont cessé de marquer l'enfance des Chinois, y compris celle de Mao Zedong, qui dissimulait ces lectures interdites sous les livres d'école primaire. Rebelles ou conquérants ont puisé dans le roman des leçons de stratégie militaire. (...). Bien que ce roman-fleuve soit venu à bout de la patience de la plupart de ses traducteurs, le lecteur étranger ne saurait rester insensible à ses sortilèges. D'où vient une popularité telle qu'en 1925, H. Maspero écrivait encore que "tout Chinois a lu, lit et lira" cette oeuvre "autant que durera la Chine"."

 

    L'oeuvre de Luo GUANZHONG constitue un tournant dans le développement de la littérature romanesque : "(...) il est peu douteux que le San Guo shi pinghua ait directement servi de cadre à l'amplification de Luo Guanzhong, identifiable à un dramaturge du XIVe siècle originaire du Shaxi.

L'oeuvre primitive effectue un "grand bond" puisque, presque décuplée, elle passe au XIVe siècle à quelque 750 000 caractères. Les sources orales et les versions dramatiques ont été mises à contribution. Mais Luo a surtout voulu revenir aux données de la chronique officielle, n'assumant que le simple titre d'éditeur pour laisser à Chen Shou celui d'auteur, comme le montre la plus ancienne édition connue du grand roman, celle de 1522. Le romancier n'en renonce pas pour autant à ses droits. L'enflure épique du texte populaire est ramenée à des proportions raisonnables, elle n'est pas supprimée : ainsi, là où Zhang Fei, "à la voix de grosse cloche" brisait d'un cri le pont où l'attendaient ses ennemis, Luo se contente de la terreur s'emparant des chevaux et des hommes qui tombent morts, la rate éclatée. Certes le savoureux prologue du pinghua disparaît sans contrepartie : un lettré prend à partie le juge des enfers, le remplace et rétablit la justice par la loi de rétribution qui explique les événements des Trois Royaumes. Mais l'apocryphe serment de fraternité du jardin aux pêchers est conservé, réunissant dès les premières pages les trois héros : le vannier Liu Bei, le cabaretier-boucher Zhang Fei et Guan Yu en fuite pour avoir perpétré le meurtre d'un tyranneau de village. Les sociétés secrètes s'appuieront sur ce précédent fameux pour opposer la solidarité horizontale de leurs membres aux hiérarchies de l'ordre établi. Unis pour combattre une rébellion celles des Turbans Jaunes, les trois compagnons s'en montrent de curieux défenseurs : le bouillant Zhang Fei met en morceaux les mandarins qui traitent avec morgue ces sans-grades. La version populaire leur fait même prendre le maquis, d'où la cour ne les fera sortir qu'en leur présentant la tête d'eunuques détestés. Ces invraisemblances, Luo ne les élimine que pour tisser un récit plus complexe que celui auquel la forme orale pouvait prétendre. Il en résulte un glissement de perspective. Zhag Fei, celui du roman-fleuve serait le quatrième compagnon du trio, le prudent Zhuge Liang, encore qu'il n'apparaisse qu'au 37e chapitre, pour ne mourir, il est vrai qu'au 104e, longtemps après ses compagnons. Zhang Fei ayant disparu dès le 81e. Le récit des intrigues et combats ne s'en poursuit pas moins jusqu'à la réunification de la Chine au 120e et dernier chapitre."

 

Du texte littéraire au film...

  Des sources au roman et du roman au film, les variations se poursuivent et s'amplifient, d'autant que ce dernier ne relate qu'un épisode de l'Histoire des Trois Royaumes (La falaise rouge). Il s'agit en réalité de la bataille de Chi Bi, et le film s'éloigne du roman de manière importante, comme par exemple sur les relations entre les personnages principaux. John WOO et les scénaristes du film présentent des relations très cordiales, d'amitié, entre Zhou Yu et Zhuge Liang, alors que dans le roman Zhou Yu est jaloux à en mourir du talent de Zhuge Liang, au point de vouloir l'humilier durant la bataille.... A noter que dans le film Les Trois Royaumes : la résurrection du Dragon (Daniel LEE, 2011), l'ironie de l'histoire est bien rendue. Le film, focalisé sur Guan Yu, en particulier sa fuite pour rejoindre Liu Bei après avoir servi Cao Cao, montre bien qu'aucun des trois ne l'a emporté, la dynastie Jin succédant à ce conflit entre les trois prétendants. 

 

 

Les Trois Royaumes, en 7 tomes, Flammarion, 1987-1991, traduction moderne de Nighiêm Toan et Louis Ricaud, avec Robert Ruhlmann, En 3 volumes, Flammarion, 2009. L'épopée de Trois Royaumes, en 4 volumes, Editions You Feng, 2006-2011, traduction et annotations par Chao-Ying Durand-Sun.

La traduction de Théodore PAVIE en 1845-1851 est disponible sur Internet sur WIkisource.

La bataille de la falaise rouge, Les Trois Royaumes (XIVe siècle), dans Anthologie Mondiale de la stratégie, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991. Traduction des chapitres 46 à 50, par Catherine Ter SARKASSIAN, à partir de "The battle of the Red Cliff", traduction de Hsien YI et Galdys YANG, Panda Books, 1976.

André LEVY, San Guo Zhi Yanyi, Encyclopedia Universalis, 2004.

 

Relu le 9 mars 2021

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