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24 novembre 2009 2 24 /11 /novembre /2009 15:57
             Dans une formule paradoxale, nous pouvons dire que les changements climatiques constituent une constante géopolitique dans l'histoire de l'humanité. Loin de banaliser les actuels bouleversements, cette formule veut mettre l'accent sur la vulnérabilité des civilisations, sans doute nombreuses avant la nôtre à avoir disparu à cause de ces changements.

            Aymeric CHAUPRADE situe bien ces révolutions géographiques que sont les changements de climat, d'importance égale en terme de répercussions sur les hommes, sur leurs structures sociales comme sur leurs conditions de vie, que les cataclysmes naturels (tremblements de terre, éruptions volcaniques) ou les transformations résultantes des activités humaines (percements de canaux, mise en relation de mers...).
    Il existe un lien rétroactif fort entre transformations écologiques et processus géopolitiques. Deux grands faits géopolitiques principaux,  "le recul des forêts - déforestation - et la centralité énergétique du pétrole" amènent aujourd'hui un changement climatique global dont la mesure d'ailleurs, au rythme de la multiplication des études géologiques et des expéditions polaires, suscite des inquiétudes de plus en plus vives.
    "Dans l'histoire de l'humanité, la variation du niveau des mers a eu, au moins à un moment, une conséquence géopolitique considérable : il y a quelques dix mille ans, la dernière glaciation entraîna un abaissement du niveau des mers de 120 mètres qui permit aux populations d'Asie de passer en Amérique par le détroit de Béring. Au dernier optimum climatique de notre ère inter-glaciaire, en revanche, les deltas étaient inondés par la remontée marine consécutive à la fonte des glaces. En Chine, le delta du Yang-Tsé était envahi par les eaux, comme l'était le territoire de l'actuel Bengladesh, les iles Maldives et les atolls du Pacifique."
      Une première estimation des effets géopolitiques du changement climatique a d'ores et déjà été faites, sans préjuger de leur vitesse ou de leur ampleur :
- Une reconfiguration des souverainetés pourrait toucher les zones économiques exclusives nées du récent droit de la mer (notamment par changement des zones de pêches, variations importantes dans la vie saisonnière des poissons et crustacés...) ;
- De nouvelles controverses concernant respectivement l'Antarctique et l'Arctique pourraient naitre, du fait de nouvelles possibilités de circulation et d'exploitation de ressources ;
- Des bouleversements dans le cycle de la mousson en Asie pourraient mettre en danger la vie de milliards d'hommes. Déjà des retards dans les étapes des cycles se révèlent sensiblement.
- Enfin, les effets proprement  psychologiques de bouleversements climatiques attendus existent déjà, sous forme de confrontations entre États dans des négociations internationales économiques.
           
             En géopolitique, l'instrumentalisation d'une menace produit autant d'effet (peut-être parfois plus) que la menace elle-même. Certains auteurs n'hésitent pas à pointer certaines forces politiques profitant d'une peur d'un nouveau genre, en minorant d'ailleurs au passage les réels bouleversements en cours.
          Outre l'aspect objectif d'une nécessaire solidarité entre les peuples induitent par les multiples aspects de la mondialisation par ailleurs, les menaces écologiques globales rendent encore plus pressantes l'inscription à l'ordre du jour des agendas politiques, la formation de nouveaux mécanismes économiques et politiques.

       Différentes organismes nationaux en charge de la sécurité et de la défense, dans leurs évaluations des menaces, prennent très au sérieux les changements climatiques et leurs effets géopolitiques.
  Ainsi le Pentagone a-t-il entrepris toute une série d'études confidentielles ou secrètes sur les conséquences d'un changement global du climat.
L'une d'entre elle, entreprise par Peter SCHWARTZ et Doug RANDALL en 2003, élabore un scénario de changement climatique sur 2010-2030. Elle prévoit de nombreux conflits de par le monde dans différentes zones géopolitiques. Dans leur avant-propos, les auteurs signalent que "les scientifiques sont en accord avec nos conceptions, mais formulent la réserve suivante : le scénario décrit est un cas extrême sur deux points fondamentaux. Tout d'abord, ils avancent que les événements esquissés ici ne se produiraient pas sur toute la surface du globe, mais plus vraisemblablement dans quelques régions seulement. Ensuite, ils pensent que l'amplitude de ces événements ne sera peut-être pas aussi dramatique que nous l'avons imaginé.".
Ils ont mis sur pied un scénario à partir des évolutions en cours, dans le domaine alimentaire notamment, en se basant sur les phénomènes de réchauffement et de glaciation vieux de plusieurs milliers d'années comme de ceux du petit Age de Glace de 1 300 à 1 800. Rappelons qu'il s'agit surtout de périodes longues de réchauffement progressif suivis de glaciation brusque, fruits des déplacements de courants d'air et d'eau planétaires plus ou moins bien connus aujourd'hui, et de leur interactions en terme de température et de pression. Leur rapport met l'accent sur la sécheresse et le froid qui poussent les populations vers le Sud ou vers l'intérieur des terres, provoquant ou amplifiant des conflits entre États situés dans les zones de turbulence comme les États européens, les États-Unis et le Canada, l'Inde et le Pakistan, de même qu'en Chine et en Afrique.
Citons simplement ici leur conclusion : "Il est assez plausible qu'en l'espace de dix ans les preuves qu'un changement climatique brutal est proche deviennent indubitables. Il est aussi possible que nos modèles nous permettent d'en mieux prévoir les conséquences. Dans ce cas, les États-Unis seront dans la nécessité de prendre des mesures d'urgence pour prévenir et atténuer certains de ses effets les plus significatifs. Des actions diplomatiques devront être entreprises pour minimiser les risques de conflits, particulièrement dans les Caraïbes et en Asie. De toute façon, de vastes déplacements de population sont inévitables dans ce scénario. Apprendre à gérer ces populations, les tensions aux frontières et les réfugiés qui en découlent, deviendra vital. De nouvelles formes d'accords sur la sécurité, mentionnant spécifiquement l'énergie, la nourriture, l'eau seront aussi une nécessité. En bref, même si les États-Unis resteront eux-mêmes relativement bien lotis, et dotés d'une plus grande capacité d'adaptation, ils se trouveront dans un monde où des vagues de réfugiés viendront se briser sur leurs côtes ; où l'Europe sera confrontée à des luttes internes ; où l'Asie sera plongée dans une crise grave à cause de l'eau et de la nourriture. Les troubles et les conflits seront alors des traits permanents de la vie sur terre."

              Dans un livre qui fera certainement date, Harald WELZER (né en 1958), directeur de recherches en psychologie sociale et directeur du Centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire à Essen, en Allemagne, réfléchit sur les guerres causées ou induites, ou encore aggravées par les changements climatiques.
A partir d'une réflexion sur les génocides et sur les facteurs qui poussent les hommes à tuer en masse, sur les différentes catastrophes climatiques de l'ouragan de Katrina (destruction de la Nouvelle-Orléans, aux États-Unis) ou de différents ouragans depuis la fin du XXe siècle, comme sur les guerres du Rwanda (massacre de masse des Hutus) ou du Soudan, l'auteur repère les conditions des guerres climatiques de demain. Il fait état, parmi les conséquences des changements climatiques à la fois :
- de conflits armés dans des parties déjà très pauvres de la planète, accroissant encore les inégalités socio-économiques en Afrique et en Asie notamment. Dans des régions où les États héritiers des décolonisations sont déjà faibles, on assiste déjà à une véritable désintégration des pouvoirs publics ;
- de conflits armés entre États bien organisés suscités par des changements géographiques.
          
   "C'est seulement depuis peu, à propos des conflits entre nomades et sédentaires au Nigeria, en Éthiopie ou au Kenya, et des génocides du Rwanda et du Darfour, que sont perçues les corrélations écosociales. Il faut toutefois souligner que les explications simples sont trop courtes : les conflits violents sont toujours le produit d'évolutions parallèles et asynchrones. Mais les causes structurelles de conflits - comme la désétatisation, l'émergence de marchés de la violence, l'exclusion ou l'extermination de groupes de population - se trouvent renforcées et accélérées par des problèmes écologiques et par la perte de ressources comme le sol et l'eau." L'effondrement des systèmes de sécurité face aux déchaînements réguliers des éléments marins ou des cycles de crues des fleuves devenus chaotiques et aux intensités beaucoup plus grandes que par le passé, la fréquence accrue de phénomènes météorologiques, tels que les ouragans, le développement de maladies infectieuses et les problèmes alimentaires provoqués notamment par la disparition ou le déplacement des populations animales (des quadrupèdes aux insectes), tout cela met directement en péril près de deux milliards de personnes qui vivent dans les zones les plus exposées du globe. Sans compter les répercussions sanitaires directes dans les pays riches qui pensent être pour l'instant à l'abri. Une grande partie du problème israélo-palestinien, que l'auteur n'étudie pas, provient probablement de l'accès de plus en plus difficile à l'eau.
Les conséquences sociales du réchauffement suscitent des scénarios dont l'auteur cite quelques-uns des plus probables :
- le nombre des conflits violents, locaux et régionaux pour l'exploitation des sols et l'accès à l'eau potable augmentera ;
- les migrations transnationales se multiplieront, tout comme le nombre de réfugiés intérieurs, entrainant des violences au plan local comme au plan régional ;
- la réduction des lacs, le tarissement des cours d'eau, la disparition des forêts et des réserves naturelles causeront des conflits transfrontaliers pour l'appropriation des ressources ;
- les mesures d'adaptation aux changements climatiques (construction de barrages, prélèvements dans les fleuves et les nappes phréatiques) dans un pays créeront des problèmes dans un autre, suscitant à nouveau des conflits entre États.
          
  "La guerre classique entre États n'est pas très fréquente en ce moment, mais trois tendances se dégagent qui pourraient raviver des conflits de ce genre :
- Les marchés internationaux de matières premières et les infrastructures d'approvisionnement - surtout les gazoducs - constituent un terrain extrêmement sensible "d'insécurité globalisée". Les attentats visant oléoducs, raffineries, ponts, etc, font partie des tactiques aussi bien du terrorisme international que des groupes rebelles locaux ; le Nigeria et l'Irak en sont les exemples les plus frappants. Des scénarios d'attaques analogues ne sont pas invraisemblables en Europe de l'Est, où des gazoducs traversent une série d'États."  Les frictions en Ukraine et en Géorgie, impliquant la Russie, la Turquie et l'Union Européenne risquent de se multiplier.
- Les conflits violents pour des matières premières de base comme l'eau se multiplieront considérablement à l'avenir."  Deux à Sept milliards d'êtres humains, selon les estimations, souffriront vers 2050 de graves problèmes d'approvisionnement.
- La fonte des glaces arctiques et antarctiques fournit le scénario de violences à venir. Les gigantesques gisements de matières premières dont on soupçonne l'existence sous les glaces seront bientôt accessibles et le droit de les exploiter fait depuis longtemps l'objet de contestations." Sans compter les divers conflits nés de l'ouverture de nouvelles voies de navigation.
  
    Hararld WELZER se montre relativement pessimiste face à toutes ces possibilités de conflits, moins parce qu'il ne fait pas confiance à de nouvelles technologies pour résoudre certains problèmes cruciaux que parce que socialement, les peuples, les hommes politiques comme les citoyens ont tendance, par conservatisme psychologique et intellectuel, à projeter sur ces nouveaux problèmes des solutions fantasmatiques souvent très violentes, en suivant d'anciens cadres de pensée, qui, pourtant, ont déjà fait la preuve de leur inefficacité et de leur nocivité.


Aymeric CHAPRADE, Géopolitique, Constantes et changements dans l'histoire, Ellipses, 2003. Peter SCHWARTZ et Doug RANDALL, Rapport secret du Pentagone sur le changement climatique, Editions Allia, 2006. Selon les éditions Allia, ce rapport confidentiel, commandé à des membres consultants de la CIA (Doug RANDALL a fondé Global Business Network, en Californie), fut rendu public en février 2004 dans un article du magazine Fortune par le commanditaire, Anbdrew MARSHALL, conseiller stratégique au Pentagone et directeur de Office of Net Assesment (think tank qui a inspiré à Donald RUMSFLED, alors secrétaire d'État à la défense, l'essentiel de  la modernisation des armées). Harald WELZER, Les guerres du climat, Pourquoi on tue au XXIe siècle, Gallimard, collection nrf essais, 2009

                                  STRATEGUS
 
Relu le 23 juillet 2019
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