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25 juillet 2013 4 25 /07 /juillet /2013 09:06

    Les discours sur un monde sans frontières, fait remarquer Lucile MÉDINA, Agrégée et docteur en géographie, maitre de conférences à l'université Paul Valéry à Montpellier 3, "qui ont marqué la fin du XXe siècle pourraient laisser penser que l'analyse de conflits appartenant désormais à un autre âge est peu opératoire pour la compréhension du monde contemporain". Il n'en est rien, selon elle, en témoignent les chiffres avancés par Michel Foucher (l'obsession des frontières, Perrin, 2007), faisant état de 26 000 km de frontières terrestres apparues depuis 1991 sur les 248 000 km dans le monde, alors que les processus d'effacement sont fort rares. D'où l'image d'un monde toujours aussi fragmenté, qui s'impose d'autant plus qu'un grand nombre de conflits, latents ou déclarés, subsistent sur des frontières "chaudes" et enveniment les relations diplomatiques partout dans le monde. Les frontières sont donc appréhendées par les géographes comme des interfaces, mais également comme lieux privilégiés d'enjeux et de frictions, au prisme de la dialectique classique entre ouverture et fermeture, conflit et coopération."

      Pour Jacques ANCEL (Géographie des frontières, 1938), mentionne-t-elle également, les frontières ne sont pas génératrices de conflit en soi. "Elles ne sont objets de conflits qu'au regard de problématiques politiques portées par les gouvernements des États limitrophes concernés. Le spécialiste en géopolitique écrit que "il n'est pas de problème de frontières, il n'est que des problèmes de nations"", renvoyant ainsi à la figure de l'État et au contenu, les frontières n'étant que le contenant.

Le renforcement des acteurs non étatiques ou transnationaux, avec l'activité entre autres des organisations internationales inter-étatiques (dont l'ONU) et l'activité d'organisations criminelles liées à des mouvements stratégiques des entreprises désireuses d'échapper à l'impôt, ne fait pas substituer pour le moment une logique géopolitique transcendant les frontières à une logique qui s'y rattache. Après la fin de l'Empire soviétique, on peut écrire qu'un mouvement de fragmentation accompagne un mouvement de "mondialisation", l'affaiblissement de grandes entités politiques favorisant l'apparition de plus petites revendiquant à leur tour une posture d'État. pendant que leurs capacités d'action stricto-sensu, dans les domaines économiques en particulier, se réduisent. 

 

Les frontières comme "isobares politiques"

      Les frontières peuvent s'apparenter à des "isobares politiques", continue t-elle, "fruits d'un rapport de force à un instant t entre deux États limitrophes. L'Europe, en particulier, a connu une horogenèse (c'est-à-dire une création de frontières) active pendant la période contemporaine : production de nouvelles frontières en vertu du traité de Versailles de 1919 et de la consécration de l'idée d'État-nation, apparition d'une frontière entre la RDA et la RFA au sortir de la Seconde Guerre mondiale (effacement en 1989), partition de l'île de Chypre (...), frontières nées de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie en 1991.

L'exemple du conflit chypriote, mobilisant la Grèce et la Turquie, montre la nécessité d'envisager les problématiques géopolitiques à différentes échelles. La dernière frontière internationale créée en 2011 est celle qui va désormais séparer le Soudan du Soudan du Sud devenu indépendant. Le cas de la Belgique reste incertain, face à l'implosion que certains jugent inéluctable le long de la frontière administrative séparant les aires linguistiquement flamande et wallonne. 

Les murs de séparation érigés en "frontières" dans les villes en guerre sont un bon exemple de prise en compte d'une échelle différente, intra-urbaine dans ce cas." Elle cite les cas de Belfast, mais on pourrait citer le cas de Berlin ou même le long de la frontière entre Israël et l'État palestinien qui traversent plusieurs villages...

 

Enjeux territoriaux, enjeux économiques

    La cause la plus fréquente de conflits aux frontières est la contestation du tracé de celles-ci, sur la base de revendications territoriales contradictoires. En arrière-plan de ces contestations, habillées de considérations pseudo-historiques, l'accès aux ressources fossiles ou à des minerais est souvent en jeu.

   Le cas des frontières maritimes est particulier. "Comme l'espace aérien, le domaine maritime n'a fait l'objet d'une réglementation et d'un découpage que récemment, parallèlement à l'exploitation croissante des richesses halieutiques et du sous-sol. Une série de conférences des Nations Unies a abouti en 1982 à la signature d'une convention sur le Droit de la Mer (tous les pays n'en sont pas signataires) qui fixe l'extension vers le large et le régime juridique des eaux sous souverainetés nationales (...). Les opérations de délimitation qui s'en sont suivies ont provoqué un déplacement des conflits du domaine terrestre vers le domaine maritime. Les détroits et les espaces insulaires sont potentiellement sujets à contentieux, des îlots inhabités devenant stratégiques au regard des prétentions territoriales maritimes auxquels ils ouvrent droit (notamment en mer des Caraïbes et en mer de Chine).

    Un autre type de conflit frontalier renvoie à la fonction de séparation politique et juridique de la frontière et aux enjeux de partage (de ressources) et d'échange (populations, biens, capitaux) qui ne manquent pas de se poser. Deux cas sont symptomatiques, celui des ressources hydriques partagées (cours d'eau, lacs ou nappes phréatiques) et celui des flux migratoires.

 

Frontières et conflits internes

     Les frontières peuvent être impactées, écrit enfin Lucile MÉDINA, "par des conflits internes, du fait que les régions frontalières se trouvent utilisées comme base arrière par les mouvements révolutionnaires en lutte contre le pouvoir central. Parce que celui-ci ne contrôle pas les régions périphériques, les frontières deviennent alors des théâtres privilégiés de combats. Le conflit reste rarement circonscrit, et tend à déborder sur le territoire de l'État voisin, engendrant alors un conflit interétatique. En effet, l'État voisin peut se plaindre d'incursions de groupes armés étrangers ou bien être accusé de complaisance envers ces derniers (...).

Les territoires se retrouvent donc au coeur d'enjeux politiques stratégiques pour les États, accusant dès lors généralement des retards de développement dans les domaines sociaux et économiques. Le caractère conflictuel d'une frontière se traduit par la fermeture de celle-ci (surveillance accrue, fermeture de postes frontière), qui entrave les échanges de biens ou la circulation des personnes. Les frontières sont loin d'être définitivement figées, et certaines résolutions pacifiques de conflits apportent une sorte d'optimisme : pour preuve, le traité réglant le tracé de la frontière sino-russe en 2008, après quarante ans de négociations, qui fut corroboré par la construction d'un pont frontalier, commencée en 2010."

 

De l'érosion des États...

     La problématique actuelle des frontières met encore surtout aux prises des États, malgré l'érosion relative de leur importance. Ce qui se passe en Europe avec l'Union Européenne, ce qui est acquis pour les États-Unis d'Amérique, ne peut pas être généralisé à l'ensemble du monde. Les nationalismes restent virulents dans de nombreuses régions du globe, et parfois même se renforcent. Les questions de séparation et de partage des ressources et de contrôle des populations restent en effet l'apanage des États, malgré les progrès notables des organisations internationales. Le pas est loin d'être franchi dans l'abolition de frontières par un processus de substitution à une logique souvent réductible au domaine militaire entre entités souveraines d'une logique de police internationale menée par une organisation supra-nationale. Les contours des pouvoirs d'un tel organisme ne font même pas partie des programmes politiques à l'heure actuelle. Le lent chemin d'une universalisation des échanges commerciaux n'est sans doute pas suffisant pour parvenir à défocaliser les entités politiques de problématiques étatiques, car des acteurs économiques, parmi les plus importants, désirent faire l'impasse sur leurs participations aux nécessaires solidarités sociales.

 

Les frontières comme problèmes de communication ?

   C'est aussi ce que Anne-Laure AMILHAT-SZARY, agrégée de Géographie et Maitre de conférence à Grenoble 1-PACTE, constate dans sa revue des relations entre conflits et frontières. Dans son approche se trouve à la base une définition "discursive du conflit qui détermine son apparition comme le résultat de la non-acceptation, par l'un, de la position de l'autre, accompagnée de l'impossibilité de trouver un moyen de communication pour régler ce désaccord, qui peut déboucher sur l'affrontement.

Cette définition permet de comprendre les conflits dans une perspective diachronique (moins on communique, plus on s'oppose et plus le conflit se creuse)." Nous ne pensons pas que cette conception prenne en compte tous les types de conflits, et à une époque où les moyens de traduction et les études transculturelles n'ont jamais été aussi importantes, sans doute une grande part des conflits sont-ils "objectifs", c'est-à-dire résultant de désirs ou de stratégies opposées concernant le même objet, et ne procèdent pas en majorité d'un manque de communication.

 

La frontière, marque de la différence d'avec l'autre

    Toutefois, il est vrai que "la frontière marque le point de différenciation d'avec l'autre" et "matérialise l'altérité" : toute frontière introduit "de la distance dans la proximité" (C. ARBARET-SCHULTZ, Les villes européennes, attracteurs étranges de formes frontalières nouvelles, dans l'ouvrage Villes et frontières, sous la direction de Bernard REITEL, Patricia ZANDER, Jean-Luc PIERMAY et Jean-Pierre RENARD, Antrohopos-Economica, collection Villes, 2002)

L'auteur poursuit : "et elle est de ce fait susceptible de cristalliser le conflit." "Notre définition large, poursuit-elle, de la frontière permet de comprendre en quoi ces lignes conventionnelles et stries socio-spatiales peuvent articuler de très nombreux conflits. Leur existence même est le plus souvent liée au conflit, mais sur ce point déjà, les interprétations fluctuent : certains auteurs argumentent le fait que le tracé des frontières permet de régler des conflits, d'autres qu'il les attise. Des exemples de ces deux dynamiques existent, et (il est important) de comprendre quels sont les contextes qui aboutissent à des situations aussi différenciées. Cette analyse des interactions entre frontière et conflit doit en outre être comprise au regard de l'évolution des frontières elles-mêmes." Elle fait référence à l'augmentation depuis 1991 des kilomètres de frontières et elle cherche à comprendre "de quelle façon cette surenchère accompagne-t-elle la réduction paradoxale des conflits internationaux."

Par ailleurs, "les États ne sont pas les seuls détenteurs de la violence aux frontières, bien au contraire. Dans un contexte mondial où la violence interétatique est globalement en régression (...), les guerres civiles ont pris le pas sur les conflits internationaux dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ce qui ne veut pas dire que les espaces frontaliers deviennent des zones totalement pacifiées.

Au contraire, les conflits frontaliers constituent une représentation dominante des conflits territoriaux. Sans doute cette induration est-elle due à leur visibilité, sur les cartes notamment : les parties en présence peuvent tracer les périmètres revendiqués. Notre approche multiscalaire nous amènera cependant à analyser l'espace autour des lignes frontières, car il concentre souvent toutes sortes de violences. La violence interétatique n'est pas la seule en cause : on s'intéressera aux formes de violences sociales, ou violences matérielles et symboliques faites aux personnes, toutes ayant comme point commun d'être porteuses de conflit. Liées aux activités illicites qui s'y développent, on trouve, en effet, dans les zones frontalières plus d'armes qu'ailleurs. On y croise également plus d'opportunités de confrontation à la norme, confrontations qui peuvent dégénérer de façon violente (par exemple lors de contrôles d'identités)."

 

Anne-Laure AMILHAT SVARY, Frontières et Conflits, dans Géographie des conflits, Sous la direction de Frank TÉTART, CNED/Editions Sedes, 2011. Lucile MÉDINA, Frontière, dans Dictionnaire des conflits, Atlande, 2012

 

STRATEGUS

 

Vérifié le 17 octobre 2018. Relu le 23 mai 2021

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