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4 mai 2012 5 04 /05 /mai /2012 08:44

            Le droit international, public comme privé, constitue un élément important du niveau de conflictualité entre individus, groupements par-delà les frontières, États... Élément dynamique car à la fois résultat et facteur des tendances politiques, diplomatiques, économiques... à l'échelle de la planète.

A ce titre, l'unification ou la fragmentation du droit international, le fait que les États et groupements non étatiques se dotent ou non de règles communes de relations, notamment dans la résolution de leurs contentieux, attirent l'attention de nombreux analystes de la scène internationales, à commencer par les juristes, surtout lorsqu'ils sont rattachés à des organisation internationales. Et cela depuis les débuts mêmes de la constitution de ce droit. Nombre de débats au sein de la Société des Nations puis de l'Organisation des Nations Unies (notamment dans la Commission du Droit International), tournent autour de la constatation et surtout de l'interprétation d'une telle évolution.

 

Phénomènes de fragmentation

              On peut noter, comme le fait Anne-Charlotte MARTINEAU, que "ce sont principalement les conséquences à attribuer aux phénomènes de fragmentation qui font l'objet de désaccords tandis que leur existence n'est guère contestée. Le débat porte essentiellement sur la question de savoir si la fragmentation est positive ou négative, et non pas si elle renvoie à une réalité empirique", sur laquelle à peu près tous les acteurs juridiques s'accordent.

Cette idée de  fragmentation renvoie d'ailleurs à deux sens différents, étant à la fois processus et résultat, activité et produit. "Soit la fragmentation est un processus d'éclatement (le droit se fragmente et se divise), soit elle en est le résultat (le droit est fragmentaire et parcellaire). Nous pouvons comprendre ce genre de débat quand nous savons que ce droit s'est constitué très progressivement, de manière non linéaire et non uniforme dans les différentes régions et dans les différents domaines d'activité, de manière concomitante avec la formation de grands ensembles politiques, en prenant simplement la période d'après 1870, notamment en Europe. On, l'ensemble du monde juridique, considère que le droit international "explose" en raison de la multiplication des règles spécialisées dont la mise en oeuvre est assurée par des mécanismes institutionnels spécifiques. Un certaine sur-développement du droit est à l'origine d'une certaine fragmentation, le droit international n'étant pas formé d'ensemble reliés les uns aux autres de manière cohérente.

Plus profondément, la présentation systémique du droit est l'objet de controverses épistémologiques et elle suppose une définition stipulative de la notion de système. Si l'on parle de fragmentation, c'est que l'on considère que le droit international est un système et même le seul viable, reliant tous les droits entre eux, les institutions chargées de mettre en musique ces droits étant dûment reliées et hiérarchisées. Or, il n'est pas certain que tous les juristes acceptent cette notion d'ordre juridique. Au sens que lui donne J. L HALPÉRIN : "affirmer le caractère juridique des relations entre États, et, au-delà du simple fondement contractuel, la primauté des normes internationales." Fonder le droit international sur une conception qui donne au juridique la primauté sur le politique, au sens de jeu des forces partisanes, n'est pas, contrairement à une idée très répandue, l'opinion de tous.

Les internationalistes, depuis le milieu du XIXe siècle, appuient et déplorent tour à tour la diversification normative et institutionnelle du droit, ces vagues d'acclamation et d'anxiété coïncident avec la perception plus générale quant au fonctionnement du système global, et cela singulièrement lorsqu'ils s'agit des relations conflictuelles entre États.

D. KENNEDY (When Renewal Repeats : Thinking Against the Box", NYU Journal of International Law and Politics, vol 32, n°2, 2000 ; A New Order : Yesterday, Today and Tomorrow, Transnational Law and Contemporary Problems, vol 4, 1994) propose une périodisation de ces vagues-là. Ainsi la période de confiance dans laquelle évoluent les juristes entre 1870-1914 laisse-t-elle la place à une période de doutes entre 1914-1925, elle-même suivie d'une nouvelle période prospère de 1925-1939. Le cycle se répète : une période de confusion de 1939-1969 précède une période de confiance de 1969-1989, laquelle conduite à la dernière période d'anxiété qui a débuté en 1989 et qui perdure aujourd'hui.

        Le morcellement dénoncé actuellement concerne non seulement le droit par région mais aussi par domaine d'activité. Pierre-Marie DUPUY craint par exemple (...) "la parcellisation ou fragmentation du droit international en des domaines divers dont beaucoup semblent vouloir affirmer leur autonomie". Divers présidents de la Cours Internationale de Justice avertissent maintenant périodiquement sur les risques d'incohérence découlant de la concurrence juridictionnelle. Même si cette vision pessimiste de l'évolution du droit international ne reçoit pas un soutien massif, l'affaiblissement de différentes autorités garante de ce droit peut inquiéter. Parmi ces autorités figurent bien entendus les États représentés dans les différentes instances internationales, notamment dans le système onusien dont nous connaissons la préoccupation constante d'unification des différents droits et de codification universelle. Les États étant soumis à des affaiblissements multiples de leur autorité et même de leur capacité financière d'action, les ensembles politiques majeurs émergeant, aux traditions de droit interne bien spécifiques (Inde, mais surtout Chine) prenant de plus en plus d'importance, les acteurs privés intervenant de plus en plus directement dans l'écriture du droit en général, cette fragmentation intervient dans une période de profonds bouleversements économiques.

 

Conséquence de la fragmentation internationale sur les droits internes

   Le droit international construit après la seconde guerre mondiale connaît une dégradation généralisée, et fait marquant qui n'existait pas dans les phases descendantes précédentes, cette dégradation a des répercussions directes sur le droit interne des États, spécialement sur ce qui touche à l'exercice des compétences des pouvoirs publics (Hugo Ruiz BALBUENA et Mireille MENDÈS-FRANCE). Si dans la période 1970-1980, le rôle de l'État en tant que régulateur des rapports sociaux était revendiqué ouvertement, de nos jours son rôle social se réduit à gérer juridiquement les privatisations et la vente des biens publics aux multinationales, ce qui est le fortement ressenti à l'intérieur de l'Union Européenne. Par-delà sa fonction de régulation sociale, sa fonction régalienne de gardienne de l'ordre étatique à l'intérieur des frontières est elle-même mise en cause, non en droit encore, mais dans les faits, par l'amputation de ses capacités judiciaires, policières et militaires. Les droits nationaux font parallèlement de plus en plus place à l'activité de sociétés para-militaires et de sécurité qui grignote peu à peu les attributs régaliens de l'État

Les institutions financières !OMC, FMI, Banque mondiale), quoique pilotées par les États se mettent au service, via les hauts fonctionnaires acquis aux idées libérales, de ces multinationales dont le poids financier dépasse maintenant celui des États eux-mêmes, sous la forme notamment des multiples endettements publics et privés. Le pouvoir réel dans la société internationale, y compris dans l'élaboration des différents droits, se déplace des États à des organismes privés multinationaux. Mais ce déplacement, même s'il touche la sphère du droit, alors qu'auparavant les connivences n'allaient pas jusque là, n'est pas irréversible, et semble plutôt faire partie du cycle auparavant décrit (D. KENNEDY). Le retour du balancier vers les pouvoirs étatiques s'effectue notamment, même s'il ne s'agit pas tout à fait des mêmes pouvoirs étatiques ou multi-étatiques, par le développement des idées sur la bonne gouvernance, qui de posture substitutive à l'autorité étatique se mue peu à peu à une posture de meilleure répartition des rôles entre public et privé dans la gestion financière, économique et sociale... Se manifestent déjà (alors que les analyses se tournaient peu vers les pratiques juridiques des États-Unis et de la Chine, toutes ou presque obnubilées par le discours libéral) un mouvement inverse à la mondialisation croissante que nous connaissions jusque-là, non seulement dans les opinions publiques mais aussi au niveau de certains États (nationalisations en Amérique Latine).

 

Paix et droit en évolution contrastée

     Cette évolution - dépossession des États - intervient dans les années 1990, au moment d'un changement dans le droit international du maintien de la paix. Sous l'effet des désordres suite à l'effondrement de l'Union Soviétique (en ex-Youglosavie, par exemple), mais pas seulement, suivant en cela l'évolution propre de l'ONU dans ses interventions pour "le maintien de la paix et de la sécurité internationale", se réalise une expansion et une diversification des Opérations de Maintien de Paix. Depuis 1988, date de la multiplication des OMP, l'ONU entreprend assez régulièrement des opérations d'interposition entre deux parties en conflit, mais leurs mandats ne se limitent plus à des tâches d'interposition. Elle crée de véritables zones de sécurité au sein d'un État, développe les opérations de protection de l'aide humanitaire, et entreprend des tâches d'une diversité sans précédent, qui vont jusqu'à la restauration de l'État. Les missions de construction de la paix (peace building) prolongent de plus en plus des missions de prévention de conflits (peace protecting) et sont elles-mêmes suivies de missions de consolidation de la paix (peace consolidation).

Cette évolution aurait pu continuer et s'amplifier encore, et ces pratiques devenir prépondérantes si les États-Unis n'avaient voulu construire, surtout pour eux-même, un "nouvel ordre international" notamment dans les années 2000. Les attentats de septembre 2001 ont accentués les tendances unilatérales aux États-Unis, au point de contourner souvent le droit international tel qu'il se pense au sein de l'ONU, par l'utilisation (légale du point du droit de l'ONU) des organisations régionales ou carrément par des initiatives militaires unilatérales, illégales en droit international. Ces initiatives compliquent au minimum l'activité de l'ONU, voire en détournent le sens vers l'expression d'un néo-colonialisme (en tout cas ressenti comme tel par les populations arabes du Moyen Orient par exemple).

C'est une véritable remise en cause de l'interdiction du recours à la force et des Nations Unies que l'on observe (Irak, Kosovo). Cette remise en cause intervient dans le processus de mondialisation qui s'approfondit à ce moment-là. Cet affaiblissement général des États met en cause le fonctionnement des institutions chargée du "maintien de la paix internationale", en même temps que le développement de plusieurs droits internationaux privés (liberté de commerce réglementée par les professions elles-mêmes) accroissent les possibilités de conflits armés, soit par l'exacerbation d'injustices, soit plus directement par la circulation d'armements de plus en plus divers.

Ce n'est que vers la fin des années 2000 que de nombreux juristes (dont certains participent aux différentes tendances de l'altermondialisme), qui s'appuient alors à la fois sur les échecs des diverses interventions militaires (à établir une sécurité intérieure en Irak et en Afghanistan et à maîtriser véritablement le "terrorisme") et sur les échecs de la mondialisation (qui développe une financiarisation de l'économie, hors de tout contrôle, même des sociétés multinationales privées) demandent que l'on repense la nature et l'utilisation des différents outils de droit international, tant dans le domaine économique que dans le domaine de la sauvegarde ou du retour à la paix.

C'est dans une ambiance extrêmement mouvante (les jeux des États émergents pesant de plus en plus sur les rapports internationaux) qu'avancent des projets de nouvelles pratiques du droit international, qui s'inspire notamment de la "logique de Nuremberg" (activité de la CIJ) qui tend à vouloir rendre effectivement illégales les agissements de dirigeants coupables des crimes les plus graves, tant dans le cadre d'une guerre que dans le cadre d'une répression de populations. (Yves PETIT)

 

Yves PETIT, Droit international du maintien de la paix, LGDJ, 2000. Anne-Charlotte MARTINEAU, La fragmentation du droit international : un renouvellement répété de la pensée?, 2005, www.esil-sedi.eu. Hugo Ruiz BALBUENA et Mireille MENDÈS-FRANCE, Réflexions sur les mutations du droit international, Initiatives Pour un Autre Monde, 2005, www.reseau-ipam.org.

 

JURIDICUS

 

Relu le 2 décembre 2020

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