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28 février 2012 2 28 /02 /février /2012 16:50

         Le coeur des relations les plus fortes, là où se croisent les conflits entre les deux différents sexes (pour l'instant, l'espèce humaine n'en compte que deux) et les différentes générations (des plus jeunes aux plus âgés) réside dans une organisation familiale plus ou moins large, à la fois matrice de la reproduction humaine et noyau d'occupation centrale des individus dans de nombreuses sociétés.

Qu'elle soit matrilinéaire ou patrilinéaire, matriarcale ou patriarcale, l'organisation sociale trouve globalement de nombreux modèles de relations dans la structure familiale. Comme la société n'est pas seulement le maillage des familles sur des territoires, d'autres lieux de production et d'échange interfèrent avec cette structure familiale, qui peut voir son importance décroître par la constitution d'autres relations plus étroites entre ses membres, qu'elle que soit leur sexe ou leur âge. Dans le temps et dans l'espace, la structure familiale demeure encore la structure où cohabitent, dans des habitats plus ou moins élaborés, le plus fortement ces hommes et ces femmes. Les conflits relationnels entre ceux-ci y sont donc plus forts et importants qu'ailleurs, même si leurs enjeux n'y sont pas complètement déterminés. Entre la société rurale à famille élargie au clan à population clairsemée et peu importante et la société urbaine industrielle à densité élevée et à grande population, les conflits relationnels n'y ont ni la même intensité ni la même forme. A l'intérieur de la famille peuvent aussi s'installer d'autres formes de conflits que les conflits proprement relationnels, des conflits d'intérêts aux conflits... du travail.

 

Un classement des conflits relationnels

      Dominique Picard et Edmond MARC classent ces conflits relationnels, qui peuvent intervenir aussi dans d'autres contextes (travail, école, quartier...) en quelques grandes catégories :

- Les conflits d'intérêts. Entre différentes personnes, souvent considérées comme des acteurs de la vie sociale, les intérêts peuvent être convergents ou divergents, dans une compétition/coopération pour la possession et la jouissance des biens, de ressources, de situations matérielles ou symboliques. Ces conflits d'intérêts peuvent être importants, notamment lorsque les alliances familiales ne sont pas le fait des acteurs directement concernés, mais entrent dans le cadre de conflits sociaux plus large. Les systèmes de dots plus ou moins étroitement définis et contrôlés déterminent la forme de ces conflits d'intérêts.

-  Les conflits de pouvoir, qui découlent en partie des conflits d'intérêts. Chacun peut influencer les autres dans le sens de ses intérêts et échapper à leur pression et en accroître leurs conséquences. La hiérarchie et l'inégalité des statuts sont sources de luttes pour occuper "la position haute" ou se défendre en "basse position", l'un voulant obtenir la soumission de l'autre ;

- Les conflits identitaires qui dépassent les simples conflits d'intérêts ou de pouvoirs. Rivalité mimétique, rituels d'interaction... entrent en jeu pour la valorisation ou la dévalorisation de l'identité ;

- Les conflits territoriaux jouent dans la formation de "l'espace personnel" au sein de l'habitation ou du territoire de la famille. La répartition entre espace "collectif et "espace personnel" peut avoir une grande importance dans les familles élargies et joue un rôle important autant entre les hommes et les femmes qu'entre les parents et les enfants. 

- Les conflits de relation proprement dit, ceux qui ont pour motivation la définition ou la gestion de la relation, de jour comme de nuit, à l'intérieur du lieu familial ou à l'extérieur. L'accroissement de la mobilité sociale peut provoquer la confrontation d'individus n'ayant pas forcément les mêmes échelles de valeurs, ce qui ne se révèle parfois que dans le temps passé ensemble...

- Les conflits cognitifs qui portent sur les représentations différentes du monde que les uns et les autres peuvent avoir. Chacun croit voir le monde tel qu'il est parce qu'il le voit tel qu'il l'imagine et si l'autre ne le perçoit pas de la même façon, cela peut être une cause de mésintelligence. Cela peut arriver lorsque les convictions religieuses ou morales peuvent s'avérer antagoniques, notamment entre des personnes de générations différentes où les générations ne bénéficient pas des mêmes apports d'information sur la réalité, non seulement sur la réalité de la famille mais surtout parfois sur la réalité de la société.

- Les conflits affectifs, de nature psychologiques. La peur d'autrui, l'amour ou la haine, la jalousie, l'envie, la vanité peuvent former des cocktails plus ou moins conflictuels. Les rivalités fraternelles, les dissensions dans le couple, les fâcheries entre amis des différents acteurs de la famille peuvent être fréquents et avoir des effets cumulatifs dans le temps. L'union et la désunion du couple dépend beaucoup de ces conflits affectifs.

- Les conflits culturels proviennent de visions du monde, des valeurs, des formes de pensée, de modes de vie différents. L'éclatement de cultures traditionnelles en une multitude de sous-cultures (les beurs, les bobos, les cathos, les seniors...) et la multiplication des situations de cohabitation culturelles (émigrés et autochtones dans un même lieu, jeunes adultes vivant chez leurs parents) multiplient les incidences de conflits plus larges.

    Ces huit formes de conflits, identifiables séparément, s'entremêlent dans la réalité, avec une présence plus ou moins intense de l'une ou de l'autre. 

 

Des conflits différents dans la société patriarcale ou la société matriarcale

     La forme de la société globale, patriarcale ou non, matriarcale ou non, sous des aspects plus ou moins prononcés, influe sur la présence ou l'intensité de ces différents conflits à l'intérieur de la famille.

En retour, la forme familiale possède une influence sur la tonalité globale de la société. Il existe une relation entre système de parenté, types de conflits dominants à l'intérieur de la famille et système social pris dans sa globalité. Les conflits entre hommes et femmes, entre parents et enfants, entre enfants, dans une famille constituent une sorte de précipité des conflits sociaux, tout en n'étant ni la copie conforme, ni un simple dérivé de l'organisation globale. Ils n'influent pas non plus de façon univoque sur la tonalité de l'ensemble des rapports sociaux. De même que l'étude des guerres, la sociologie des guerres, provient directement d'une critique de la guerre, l'étude des conflits familiaux, notamment entre hommes et femmes, la sociologie familiale provient d'une critique féministe de l'organisation de la société. Singulièrement la question du patriarcat provient d'une critique de ses fondements et de ses effets sur l'ensemble de la société comme sur chaque individu, que ce soit un homme ou une femme, un adulte ou un enfant. 

 

     Françoise COLLIN indique que "la question du patriarcat est posée dans deux contextes théoriques et historiques successifs de la pensée occidentale. Le premier est celui de la démocratie grecque d'abord, moderne ensuite, que sépare la parenthèse des siècles. Le second est celui du féminisme qui prend son essor dans le dernier tiers du XXe siècle et qui traque dans la démocratie ce qu'elle avait conservé du patriarcat dans le fratriarcat, à savoir l'assujettissement des femmes." 

  Étymologiquement le pouvoir du père, le patriarcat, "caractérise (...) l'organisation familiale et (ou) politique, en tant qu'elle est soumise au pouvoir du père ou de son substitut, chef ou roi. Elle concerne par extension l'ensemble des formes de la domination d'un sexe par l'autre. (...) Le patriarcat imprègne de manière directe ou indirecte les représentations mythologiques ou religieuses."

A partir de l'analyse de Claude LEVI STRAUSS des systèmes de parentés dans des sociétés dites traditionnelles et des hypothèses d'un matriarcat primitif de Jacob BACHOFEN (Le droit maternel. Recherche sur la gynécocratie de l'Antiquité dans sa nature religieuse et juridique, L'Âge d'homme, 1996) qui selon Françoise HÉRITIER (Masculin/Féminin. La pensée de la différence, Odile Jacob, 1996) ne résistent pas à l'examen, de multiples approches abordent la question du patriarcat :

- L'étude de la théorie du contrat dans par exemple la philosophe américaine de Carole PATEMAN. Cette dernière écrit (The Sexual Contract, Stanford university Press, 1988, texte relevé dans Sous la direction de F. COLLIN et P. DEUTSCHER : Repenser le politique. L'apport du féminisme, Campagne Première, 2004) : "Le patriarcalisme a en réalité deux dimensions, l'une paternelle (père-fils), l'autre masculine (mari-femme). Les théoriciens politiques peuvent présenter l'émergence de la bataille théorique comme une victoire pour la théorie du contrat parce qu'ils font silence sur l'aspect sexuel ou conjugal du patriarcat, qui apparaît comme non politique ou naturel et ainsi dépourvu de conséquences théoriques. Mais une lecture féministe des textes montre que le patriarcat est loin d'avoir été défait : les théoriciens du contrat ont rejeté le droit paternel, mais ils ont absorbé et simultanément transformé le droit conjugal, de type masculin et patriarcal".

Pour Françoise COLLIN, "La subtilité du glissement qui escamote les femmes dans la théorie du contrat est particulièrement sensible dans l'oeuvre de John LOCKE. Celui-ci affirme en effet fermement le caractère contractuel de la société conjugale "formée par un accord volontaire entre l'homme et la femme" et leurs droits et devoirs communs à l'égard de leurs enfants. Mais il faut bien qu'en cas de dissentiment "le droit de gouverner et de décider soit placé quelque part, affirme t-il, ajoutant que ce droit est naturellement le partage du mari, la nature le lui donne comme au plus capable et au plus fort, raisonnement qui réintroduit l'argument de la force dans le droit et, balayant les velléités égalitaires du contrat conjugal, fonde l'exclusion des femmes du contrat démocratique. (...). La démocratie est en réalité une révolution des frères contre le père, et une substitution du pouvoir des premiers au pouvoir du second. Le "meurtre du père" concrétisé politiquement en France par la guillotine publique du roi remplace le patriarcat par un fratriarcat. Et ce fratriarcat reste sous condition : condition de classe d'une part - par le suffrage censitaire - condition de sexe d'autre part - par l'exclusion des femmes du droit de vote et plus généralement des rouages du pouvoir politique jusqu'au XXe siècle. Le socialisme, dans sa version démocratique puis communiste, visera essentiellement à lever la première de ces conditions restrictives, le féminisme la seconde. (...)".

- La philosophie (moderne)  et la psychanalyse remanient la question du patriarcat dans des sens ambigus. La philosophe et écrivain, sans doute avec peu de nuances, estime que la psychanalyse "assure la relève de ce pouvoir paternel destiné à contrebalancer la puissance maternelle à travers le concept du "non du père" qui fait contrepoids et annexe même la puissance charnelle de la mère. Ainsi le pouvoir symbolique ne vient-il pas ratifier la réalité empirique de la génération mais la recouvrir ou s'y substituer.". A placer la réflexion sur les ressorts sexuels des pouvoirs dans la société, la psychanalyse ouvre la voie, même si beaucoup de ses tendances ne vont pas dans ce sens, à un critique des plus profondes de la légitimité du pouvoir masculin. 

- La critique marxiste s'exerce sur l'organisation familiale qualifiée de patriarcale. Karl MARX et Friedrich ENGELS, à la suite de Johann Jakob BACHOFEN, dénonce celle-ci en la mettant en relation directe avec l'organisation du capitalisme. Cette critique marxiste de la famille comme cellule de rapports de pouvoir est ravivée ensuite et reformulée dans le contexte du mouvement hippie aux États-Unis comme en mai 1968 en France. Le féminisme des années 1970 prolonge et radicalise cette critique : le "privé" et le "politique" obéissent à des règles indissociablement.

- La critique féministe, avec notamment Kate MILLET (La politique du mâle), qui recourt à un concept-clé, éclairant les rapports tant publics que privés entre les sexes. Elle montre comment la théorie psychanalytique élaboré par Sigmund FREUD et ses héritiers se greffe sur la structure patriarcale "et la ratifie sans l'interroger". "L'"ennemi principal" est la famille qui cautionne et plus radicalement même institue la division des sexes que ratifie l'organisation de l'État. Le patriarcat n'est pas une modalité des rapports entre les sexes ou de la domination d'un sexe par l'autre mais, plus fondamentalement encore, l'instance qui les institue et les oppose. Le patriarcat est sans doute un des concepts les plus importants sinon le plus important du féminisme, et la mise en question du patriarcat entraîne la distinction même de femme et homme. La dissymétrie des rôles sexués dans la génération a en effet servi de prétexte à leur distinction et à leur articulation en termes de pouvoir, appropriant une puissance féminine irrecevable." Plusieurs courants du féminisme mettent l'accent sur un aspect ou un autre de ce patriarcat et s'échelonnent entre la seule remise en cause des rôles politiques sexués et la radicale critique de la différenciation des sexes, allant jusqu'à la négation d'un lieu obligatoire entre appartenance sexuelle et rôle social. La revendication homosexuelle d'une autre parentalité est l'aboutissement de ce long processus critique, probablement facilité récemment par la possibilité de dissociation du plaisir sexuel et de la procréation, cette dernière étant rendue scientifiquement et techniquement possible sans copulation. 

- Toujours selon Françoise COLLIN, "si le patriarcat est un concept clé qui structure ou du moins ponctue la critique de l'organisation sociale développés par la pensée féministe dans le dernier quart du XXe siècle (Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet, Christine Delphy), ce terme est peu à peu relayé par celui de phallocratie, puis de "domination masculine" (Pierre Bourdieu)."  

Cette "domination masculine" se manifeste "comme une structure à articulations multiples - familiales, sociales, sexuelles, symboliques, économiques - nécessitant des initiatives ponctuelles spécifiques plutôt qu'elle ne dépend d'une cause unique identifiable à la forme de la famille. Elle excède sa modalité patriarcale. La transformation et la diversification de la structure familiale ne suffisent en effet pas à renverser la structure socio-politique des rapports de domination entre les sexes."

 

Françoise COLLIN, article Patriarcat, dans Dictionnaire de la violence, PUF, 2011. Dominique PICARD et Edmond MARC, Les conflits relationnels, PUF, collection Que sais-je?, 2008.

 

SOCIUS

 

Relu le 8 octobre 2020

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