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28 février 2013 4 28 /02 /février /2013 09:38

      Si ces termes font référence surtout à la seconde guerre mondiale, période historique propice à l'établissement d'une typologie des collaborations et des résistances, leur existence remontent à bien plus loin. On pourrait dire que de tout temps et en tout lieu, tout occupant a dû s'aménager des collaborations et vaincre des résistances, après sa victoire, afin de réaliser pleinement ses buts de guerre. On pourrait écrire de la même manière, que de la part des peuples vaincus, s'expriment envers leurs vainqueurs, des collaborations et des résistances, deux attitudes diamétralement opposée (mais en fait les positions sont toujours beaucoup plus nuancées dans l'ensemble) : soit participer à la vie de la nouvelle entité géographique, aux nouvelles règles édictées par l'ennemi dans le but d'en tirer le moins de désagréments ou le plus d'avantages possibles, soit combattre toutes ou certaines manifestations du nouvel état des choses. 

   L'analyse des différentes collaborations et résistances pendant la deuxième guerre mondiale permet d'établir une typologie, autant parce que les buts de guerre nazis ont variés suivant les territoires et les peuples, que parce que les attitudes des peuples dans les territoires conquis ont elles aussi variées suivant leurs propres traditions socio-politiques. Par traditions socio-politiques, formule très rapide, nous entendons l'ensemble des coopérations et des conflits dans une société donnée, celle qui est envahie. Une autre perspective, qui indique que cela ne peut pas se résumer à une problématique géopolitique ou étatique (État contre État), est que l'ensemble des actes de guerre engendre chez le vainqueur, à l'intérieur de ses propres frontières, également des collaborations et des résistances, et ceci d'autant plus, pour des raisons économiques et/ou politiques, que ces actes perturbent ses propres traditions socio-politiques.

 

Vivre avec l'ennemi pendant la seconde guerre mondiale...

   L'étude de Werner RINGS sur le comportement des gouvernements et des peuples sous l'occupation nazie, de 1939 à 1945, se donne pour objectif précisément d'établir le tableau de ces différentes collaborations et résistances, suivant leur nature et leur intensité. Elle met en perspective les profits qu'a tiré ou n'a pas tiré le régime nazi à cette occupation. Dans son livre Vivre avec l'ennemi, il fait le point sur les différentes formes d'occupation allemande : il en dénombre 7 formes. "Et ces sept formes étaient elles-mêmes englobées dans un chaos administratif sans pareil. Dans les faits, l'État totalitaire devait échouer précisément là où on lui aurait donné certaines chances (un vrai totalitarisme, une voie, un chef...). Il est hors de question de parler d'une ligne droite, d'une rigide discipline étatique et administrative, ou d'une politique d'occupation homogène et clairement définie."

Il décrit ainsi :

- Dans le Nord de la France, en Belgique, en Serbie et en Grèce, de même que dans les territoires russes situés à l'Est des commissariats Généraux d'Ostland et d'Ukraine régnait la Wehrmacht. Dans ces régions d'importance stratégique, elle exerçait le pouvoir d'occupation civile et militaire. 

- Les territoires annexés en 1939-1940, soit Dantzig, Posen (Poznan), Eupen, Malmédy et Moresnet, devinrent des districts ou des Landër, directement englobés dans l'Allemagne, dépendant de son administration, et placés sous la "surveillance administrative" du ministère de l'Intérieur.

- L'Alsace, la Lorraine, le Luxembourg, la Styrie méridionale et la Carinthie yougoslave, territoires dont "l'annexion au Reich" était prévue, furent mis sous "administration civile spéciale", régime transitoire précédant l'intégration définitive.

- Le Danemark était le seul pays occupé relevant du ministère des Affaires étrangères et à partir de 1944, la Hongrie fut soumise au même régime de contrôle administratif.

- Les Pays-Bas et la Norvège étaient placés sous le contrôle de Commissaires du Reich relevant directement de Hitler. Ils contrôlaient l'ensemble de l'administration de l'État.

- Le Gouvernement Général de la Pologne occupée était entre les mains d'un gouverneur général dépendant lui aussi directement de Hitler. Soumise à un contrôle rigoureux de la puissance occupante, l'administration ne conservait que des attributions mineures (administration gouvernementale).

- Les territoires occupés de l'Est - les Gouvernements Généraux d'Ostland et d'Ukraine - étaient soumis à une gestion de forme coloniale, dirigée par des commissaires généraux relevant directement de Hitler (administration coloniale).

- De plus, le gouvernement français de la zone libre conservait, par exemple, l'autorité administrative aux échelons inférieurs sur l'ensemble de la France occupée, y compris les départements du Nord et du Pas-de-Calais qui relevaient directement de l'administration militaire allemande.

  "En outre, précise Werner RINGS, les Allemands ne s'en tenaient pas une fois pour toutes à une politique d'occupation donnée. Des changements brusques survenaient, en général consécutifs à de soudaines et imprévisibles décisions de Hitler.(...) Dans ce mélange anarchique de sept formes d'occupation mal définies et souvent interverties, venaient de plus s'immiscer les divers ministères berlinois rivaux, essayant de se faire une place au sein même de l'administration existante, en y introduisant leurs agents, voire en établissant des services parallèles. Dans cette lutte pour le pouvoir remplie de contradictions, de jalousies et de conflits, chacun défendait ses intérêts sans trop hésiter sur le choix des moyens. En définitive, la politique d'occupation allemande était une constante improvisation. Selon les besoins, l'on prenait l'un de ces modèles d'administration et l'appliquait à la situation particulière du moment. Et comment aurait-il pu en être autrement? Ni Hitler ni les autres hauts responsables du Reich ne s'étaient jamais attaqués aux difficiles problèmes de l'administration et de l'organisation d'un territoire occupé. Au mieux, quelques services isolés s'occupaient de ces problèmes : des groupes de jeunes fonctionnaires ou bien un homme comme le spécialiste SS de la gestion Werner Best, qui devait devenir plénipotentiaire du Reich au Danemark. (...). L'improvisation et le chaos administratif, les conflits de compétences, demeurèrent dans l'ensemble cachés à l'opinion. De toute façon, c'eût été trop contraire à l'image que l'on se faisait généralement de la puissance d'occupation. Une propagande intensive avait depuis longtemps veillé à ce que la majorité des Européens considèrent le Reich comme un colosse fortement centralisé, qui exécutait exclusivement et toujours des ordres venus du sommet de la hiérarchie. Les contradictions et les absurdités apparentes paraissaient par conséquent intentionnelles, prévues, résultant d'ordres supérieurs. Les conséquences devaient être particulièrement vénéneuses, car l'impossibilité de concilier l'expérience quotidienne avec l'image d'un Reich monolithique prêtait à la force d'occupation des traits démoniaques. Derrière la confusion des intérêts personnels et administratifs, derrière les ordres contradictoires et les mesures incompréhensibles, les victimes croyaient voir une intention maligne qui semblait faire partie d'un plan d'ensemble où tout était prévu - alors que la politique d'occupation allemande était tout simplement dénuée de plan. Non seulement, ce qu'était la politique d'occupation, mais aussi ce qu'elle n'était pas, devint une provocation permanente."

   Ces lignes qui décrivent l'état de l'organisation d'un système totalitaire, en temps de guerre toutefois, vont à l'opposé d'une conception de philosophie politique qui fait de la dictature, personnelle ou non, un système ordonné. Ce que nous savons d'un système totalitaire, en temps de paix, comme celui qu'à connu la Russie pendant plus d'un demi-siècle, corrobore l'impression de véritable supercherie idéologique, qui, malheureusement pour ses victimes, fonctionne très bien. Un appareil hiérarchisé sur plusieurs milliers de kilomètres carrés est-il vraiment réalisable en tant que tel?   En tout cas, pour ce qui concerne la dictature en temps de guerre, nous sommes assez édifiés...

 

   Face à ces types d'occupation, Werner RINGS, dresse une typologie fine des résistances et des collaborations. Mais dans sa conclusion, contrairement aux glorifications multiples des résistances après la guerre ou encore les mises en scènes de l'activité de Justes (citoyens ayant aidé des Juifs à échapper à la déportation et à la mort), et dans le prolongement d'une historiographie plutôt critique du comportement des classes dirigeantes dans tous les pays européens, inaugurée en France par les travaux de PAXTON sur le régime de Vichy, il entend indiquer l'ampleur de la collaboration globale.

"La résistance, qui était en premier lieu une réaction, devint elle-même (dans le processus d'occupations d'une occupation de plus en plus violente et inhumaine) un défi. L'occupant réagit par des représailles, qui poussèrent la Résistance à frapper encore plus fort. La spirale du terrorisme et du contre-terrorisme devenait une véritable comptabilité de la violence, pour reprendre la terrible expression utilisée par Gottlob BERGER, chef de l'office central des SS, c'était une guerre de l'"assassinat de clearing". La structure dialectique de la provocation  et de la surenchère sous-tend toute l'histoire de la Résistance - ainsi que de celle de la collaboration, conditionnelle ou inconditionnelle.

La collaboration avec l'occupant caractérisa pendant longtemps l'attitude fondamentale des 180 millions d'Européens adultes qui étaient condamnés à vivre avec l'ennemi. L'attitude largement répandue d'une collaboration "neutre", évitant dans la mesure du possible tout engagement politique et considérée par ceux qui la pratiquaient comme une simple adaptation à des circonstances adverses, a rendu d'inestimables services au Troisième Reich. Des millions de travailleurs européens allèrent travailler volontairement pour l'industrie de guerre nazie, de nombreux chefs d'entreprises, industriels, financiers, mirent leur potentiel au service du Troisième Reich bien avant d'y être contraints pas la violence : non pas parce qu'ils étaient nationaux-socialistes, mais simplement parce qu'ils voulaient survivre, et si possible, vivre mieux. La "collaboration avec réserve" d'un Maréchal Pétain et de son gouvernement fut particulièrement profitable à l'industrie de guerre de Hitler ; ils espéraient tirer de cet engagement politique un bénéfice sous la forme d'un avenir calme et protégé contre les remous sociaux, voire sous celle d'une association profitable avec le puissant Reich hitlérien." 

On ne peut pas comprendre cet état des faits si l'on a pas en mémoire des événements survenus auparavant où une grande partie des élites européennes se trouvaient pris dans une dialectique de choix entre une idéologie socialiste dont le gouvernement de l'URSS se disait le plus grand représentant et une idéologie fasciste-conservatrice, nimbée d'une nostalgie envers d'anciens régimes d'autorité où régnaient l'alliance de l'Église et de l'État...

 

Werner RINGS, Vivre avec l'ennemi, Robert Laffont, 1981.

 

STRATEGUS

 

Relu le 12 mars 2021

 

 

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