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31 août 2011 3 31 /08 /août /2011 14:43

          Le livre de l'animateur du CERAS (Centre de recherche et d'action sociales, pôle de réflexion du christianisme social), écrit en pleine crise des euromissiles (dans les années 1980, projet d'implantations d'armes nucléaires stratégiques américaines et soviétiques en Europe) se propose de contribuer à "construire la paix", ce qui dans cette période n'apparaissait pas, plus qu'aujourd'hui, comme "une tâche facultative".

     Il s'efforce d'abord de présenter les faits objectifs d'une course aux armements, tant qualitative que quantitative, qui menace tout simplement toute vie sur Terre, dans ses aspects scientifiques (poids de la recherche militaire) et stratégiques. Ce qui nous intéresse ici sont surtout les aspects théologiques chrétiens tels qu'ils sont diffusés et compris. C'est précisément pour dissiper un certain nombre de confusions que Christian MELLON présente les vrais et faux problèmes de la défense et les voies du désarmement empruntées dans les différentes institutions internationales, avant d'aborder les deux mille ans de réflexion chrétienne sur la guerre et la paix.

 

            Un bon tiers de son ouvrage est consacré à ces réflexions durant celle longue période, avant dans le dernier tiers, de présenter divers textes officiels des Églises.

Il commence par d'abord poser la question simple :  Quelle paix? : "La paix n'est pas seulement l'absence de guerre : cette formule revient comme un leitmotiv dans tous les textes émanant de groupes et de responsables chrétiens. On ne saurait trop insister sur ce point. La richesse du mot Shalom dans l'Ancien Testament recouvre bien plus que ce que nous entendons par paix, comme en témoigne d'ailleurs le simple fait que nos Bibles doivent recourir à plusieurs autres mots pour le traduire, selon les contextes : prospérité, bonheur, salut, santé. Don de Dieu à son peuple dans l'ancienne alliance, signe de la présence du Royaume dans la nouvelle, la paix évoque moins un état de tranquillité qu'une relation réussie. C'est pourquoi le Shalom est régulièrement associé à la justice ; non pas la justice abstraite, selon laquelle "chacun a son dû" et se tient satisfait, mais la justice qui fait que les relations entre les hommes et Dieu et entre les hommes sont ce qu'elles doivent être. Traduit en grec, puis en latin, le Shalom biblique a perdu une grande partie de sa richesse dans le mot français "paix". Affirmer que la paix n'est pas seulement l'absence de guerre, c'est une manière de rappeler la richesse de sens d'un mot trop banalisé. Si les diplomates qui font taire les fusils en signant des traités de paix dont effectivement un métier fort utile, on ne saurait cependant réduire à leur seule activité ce que Jésus avait en vue en déclarant heureux les "artisans de paix".  

"Une certaine éducation chrétienne a eu tendance à présenter le conflit comme contraire à l'exigence d'amour du prochain : "Aimez-vous les uns les autres" serait une invitation à éviter tout affrontement. Les affrontements de Jésus lui-même avec les Juifs, les scribes, les marchands du temple et parfois ses disciples sont alors soigneusement passés sous silence. Quel serait donc le sens du commandement "Aimez vos ennemis", si le disciple de Jésus avait pour devoir d'agir en sorte qu'il n'ait jamais d'ennemi? De même, au plan international, on peut être certain qu'un pays qui prendrait des positions courageuses sur les droits de l'homme, les rapports Nord-Sud, le désarmement, la lutte contre les systèmes d'oppression, se ferait un certain nombre d'"ennemis". Irait-on le lui reprocher au nom de l'Évangile?

L'irénisme, la peur du conflit, la recherche immédiate du compromis qui reste gros de conflits futurs ne sont pas des attitudes recommandées par l'Évangile. "Je ne suis pas venu apporter la paix sur terre, mais le glaive", dit Jésus. Ce "glaive" (chez Matthieu) est interprété par Luc comme "division" ; effectivement, c'est bien de cela qu'il s'agit : non le glaive qui tue, mais le glaive qui divise. La parole de Dieu oblige chacun à se situer.(...)". Le jésuite continue en dénonçant la forme du refus du conflit qui consiste à le présenter comme un simple malentendu. Or, c'est là "une manière de voir qui fait bon marché de l'objectivité des enjeux des conflits". S'ils sont aggravés par des malentendus, ils demeurent des réalités sur lesquelles les chrétiens doivent penser et agir. L'auteur présente tour à tour les diverses positions sur l'usage des armes, la position pacifiste, la guerre sainte, la guerre juste, les efforts de limitation de la guerre, les efforts d'élaboration d'un droit international non belliciste, la constitution d'un droit à la guerre plus ou moins restrictif, avant d'aborder l'action des artisans de paix d'aujourd'hui. Affirmant avec force que la paix est une tâche politique, qui exclue à la fois le moralisme et la raison d'État, il critique fortement la position des pacifismes pour proposer des formes de lutte et de résistance non-violente qui vont bien au-delà des positions théoriques du refus de la violence. Il s'agit de réviser de fond en comble la notion de guerre juste pour aboutir à la réalisation concrète de l'éthique chrétienne.

 

     Cette éthique chrétienne, bon an mal an, est défendue dans un certain nombre de documents et de débats contemporains. Christian MELLON effectue un survol des positions de l'Église catholique, de Pie XII à Jean XXIII, expose les avancées de Vatican II et explique les positions de Paul VI et de Jean-Paul II. Il montre la division des chrétiens sur les stratégies nucléaires, notamment sur la doctrine de dissuasion nucléaire, à travers par exemple la lettre pastorale de l'épiscopat des États-Unis (1983), les débats des évêques de RFA (République Fédérale d'Allemagne d'alors) et d'autres épiscopats. La déclaration des évêques de France, "Gagner la paix" (1983) est également analysée. Bien que se penchant surtout sur les prises de position des Églises catholiques, il n'oublie pas les autres Églises chrétiennes.

       Dans une annexe, le lecteur peut prendre connaissance du texte de Vatican II, Gaudium et spes (1965), du texte de 1976 sur la position du Saint-Siège sur le désarmement général, du Message à la deuxième session extraordinaire de l'ONU sur le désarmement adressé en 1982 par Jean-Paul II, de la Lettre pastorale des évêques d'Allemagne Fédérale de 1983 (La Justice construit la Paix), d'extraits (car le texte intégral est fort long) de la Lettre pastorale des évêques des États-Unis de 1983, du texte de la Déclaration du Conseil oecuménique des Églises à l'assemblée de Vancouver de 1983 (La Paix et la Justice), du texte "Gagner la paix" de l'épiscopat français de 1983, et enfin de celui de la Déclaration de la 17ème assemblée générale de la Fédération protestante de France de 1983 (La lutte pour la Paix). 

 

    L'éditeur présente ce livre de la manière suivante : "La planète Terre est devenue une poudrière. Quelque 50 à 60 000 têtes nucléaires sont stockées de par le monde, dont la puissance cumulée représente environ 120 000 fois celle de la bombe qui détruisit Hiroshima en 1945. La bataille des euromissiles a suscité une controverse considérable en Europe. Comment accepter que la course aux armements coûte à l'humanité 11 millions de francs par minute?

"Bienheureux les artisans de paix", proclame l'Évangile. Mais bonne volonté et idées généreuses suffisent-elles pour construire la paix dans un monde où l'homme reste un loup pour l'homme? Il faut s'informer, tenter de comprendre, évaluer les dangers, situer les enjeux. Au chrétien désireux d'agir au service de la paix, ce livre propose l'essentiel de ce qu'il faut savoir en matière de politiques de défense, de dissuasion nucléaire et de stratégies de paix. Il interroge deux mille ans de réflexion chrétienne sur la question de la violence. Il présente les récentes prises de position des épiscopats américaine, allemand et français. 

Christian Mellon, jésuite travaillant au Centre de Recherche et d'Action Sociales (CERAS), est reconnu comme l'un des meilleurs connaisseurs du dossier. Il fournit ici un outil exceptionnel d'information et de formation. Nul ne pourra désormais ignorer les termes du débat et les repères d'une attitude qui se veut chrétienne."

   Christian MELLON, responsable du pôle formation du CERAS, rédacteur en chef de la revue Projet de 1989 à 1996, fondateur et rédacteur en chef de la revue Alternatives non violentes de 1973 à 1989, est également l'auteur de plusieurs ouvrages sur les mêmes thèmes : La dissuasion civile, avec Jean-Marie MULLER et Jacques SÉMELIN (Fondation pour les Études de Défense Nationale, 1984), La non-violence, avec Jacques SÉMELIN (PUF, collection Que sais-je?, 1994), Éthique et violence des armes (Assas-Editions, 1995), Que dit l'Église de la politique? (Bulletin de littérature ecclésiastique, juillet-septembre 2008)...

 

Christian MELLON, Chrétiens devant la guerre et la paix, Le Centurion, collection "Église et Société"/CERAS, 1984, 215 pages.

 

Complété le 2 janvier 2013. Relu le 23 juillet 2020

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