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8 septembre 2008 1 08 /09 /septembre /2008 13:11

    Contemporain de René DESCARTES et de GROTIUS, le philosophe anglais Thomas HOBBES est considéré comme le fondateur de la philosophie politique moderne par des écrivains aussi différents que BAYLE, ROUSSEAU ou STRAUSS. Son oeuvre est à proprement parler si importante qu'il est, avec MACHIAVEL, l'un des auteurs les plus commentés. Pour ce qui concerne directement le conflit, car il n'est pas seulement philosophe, on retient ici surtout le célèbre "Leviathan" (1651), avec "De Cive" (1642), "De homine" (1658) et le livre polémique "Le Behemoth" (1660-1668).

   Thomas HOBBES conçoit le monde dans des termes d'un mécanisme strict qui ne laisse pas de place, en définitive, même s'il écrit des choses sur Dieu et le respect qui lui est dû, à l'intervention divine. De plus, le comportement humain est mû plus par des processus - qui l'apparente à un animal politique - qui tiennent plus à ses besoins physiologiques, sensations relayées par ses imaginations, dans un monde où la liberté n'est que la nécessité non empêchée par des interférences extérieures.
  
    Le centre de la pensée de HOBBES se trouve dans sa conception de l'état de nature, qui l'amène à formuler la nécessité de l'omnipotence du souverain. Raymond POLIN résume fort bien cette conception.
"Entre les individus qui coexistent s'établit à partir de cet état primordial d'égalité (le plus faible a toujours assez de force pour tuer le plus faible), qui est l'état même de la nature, un système d'équilibre, résultat de la composition mécanique des désirs, des craintes et des forces en présence. Né du désir et de la crainte, de la défiance rationnelle de chacun à l'égard de chacun, cet état, où chacun à un droit légal sur toutes choses, et même sur le corps de l'autre, est un état de guerre strictement conforme, pour chacun, à un calcul correct de sa raison. Chacun, tout en s'efforçant d'accumuler le plus de puissance possible, demeure pratiquement égal à chacun des autres. Une égale menace réciproque pèse sur tous. Etat d'équilibre, l'état de nature est un état d'instabilité, d'insécurité et de misère. Il ne comporte ni société, ni agriculture, ni industrie, ni justice, ni injustice, ni lettres, ni arts, ni sciences d'aucune sorte. Chacun, en proie à une crainte continuelle et au risque de la mort violente, vit une vie solitaire, misérable, bestiale et brève."
Le seul moyen de la paix, selon Thomas HOBBES, est donc d'ériger un pouvoir souverain tout puissant qui impose à tous sa loi. Pour cela, il faut un contrat, "chacun s'accorde avec chacun pour renoncer au droit de se gouverner lui-même et pour remettre tout son pouvoir aux mains d'un seul homme, en lui reconnaissant un pouvoir souverain constitué de la somme des pouvoirs de tous, afin qu'il en use comme il le juge expédient, pour leur paix et leur commune défense. Ce souverain dispose d'un pouvoir absolu, indivisible, irrésistible" (Raymond POLIN).
    Il existe donc un lien indissoluble entre ce pouvoir absolu que nul ne peut contester et encore moins combattre, et le devoir de ce pouvoir d'assurer cette paix acquise contre la loi de la nature. C'est la seule manière de contrecarrer les effets d'une nature de l'homme - nous sommes aux antipodes de la conception de ROUSSEAU - intrinsèquement mauvaise.

      Thomas HOBBES consacre un chapitre dans son "Leviathan" pour décrire les républiques par acquisition (conquête ou droit patrimonial) qu'il distingue des républiques par institution, établies sur un mode rationnel, clair, par une sorte d'autorisation d'exercice du pouvoir absolu. La personne du souverain, loin d'être personnalisée en fin de compte, est un pur artifice : "elle n'a d'autre réalité que la réalité des particuliers qui se réunissent en elle ; on pourrait dire qu'elle n'est qu'une fiction rationnelle, si, à la faveur de l'autorisation ne s'accomplissait la transmutation de la multitude des particuliers en un corps politique doté d'une volonté et d'une puissance une, parlant et agissant d'une manière une, bref si ne s'opérait la génération de ce dieu mortel qu'est le Léviathan.".
La difficulté du concret est bien montrée par Michel MALHERBE : les devoirs du souverain renvoie aux devoirs des sujets, et toujours selon le principe à l'oeuvre dans le contrat, la plus grande obéissance envers le souverain trouve son exacte correspondance dans le devoir qu'à celui-ci de maintenir la paix et la sécurité de ses sujets.
Même analyse des textes chez Eric MARQUER et Dominique WEBER : "Le souverain désigne l'autorité sous laquelle se trouvent rassemblées en une volonté unique toutes les forces et toute la puissance des hommes qui composent le corps politique. Le souverain est une personne qui représente les paroles et les actions de ses sujets. (...) La souveraineté procède d'un acte de soumission et d'autorisation. L'originalité de la théorie hobbesienne de la personne est de faire de la personne du représentant non seulement un acteur (...) mais ce qui donne au corps politique son unité."
Thomas HOBBES peut passer pour un tenant de l'absolutisme car dans ses écrits, "quelle que soit la forme de gouvernement, l'acte qui institue la personne du souverain a un caractère irréversible. Il ne s'agit pas d'un contrat entre les individus et le souverain, mais de l'acte par lequel les individus reconnaissent leur obéissance absolue au souverain". L'autorité du souverain est inconditionnelle et c'est précisément ce pouvoir illimité qui permet d'éviter tout retour à l'état de nature.

    Léo STRAUSS (1899-1973), Crawford MACPHERSON (1911-1987) et Michael OAKESHOTT (1901-1990), chacun de leur côté, ont étudié l'oeuvre de Thomas HOBBES dans son ensemble et lui ont consacré une majeure partie de leurs réflexions. Pierre MANENT, comme eux, lui confère une place de premier choix dans le panthéon toujours agissant des philosophes politiques.
   Pour Pierre MANENT (Dictionnaire des oeuvres politiques), "La pensée de HOBBES est la matrice commune de la démocratie moderne et du libéralisme. Elle fonde l'idée démocratique  parce qu'elle élabore la notion de souveraineté établie sur le consentement de chacun ; elle fonde l'idée libérale parce qu'elle élabore la notion de la loi comme artifice extérieur aux individus. il n'est pas sûr que l'idée démocratique de la souveraineté et l'idée libérale de la loi soient aisément compatibles. De fait, par un paradoxe trop peu remarqué, c'est l"absolutisme" de la doctrine du Léviathan qui permet à ces deux notions de s'articuler sans se contredire. C'est parce que la souveraineté illimitée est extérieure aux individus qu'elle leur laisse un espace libre, celui des silences de la loi. Que l'on abolisse l'"absolutisme", c'est-à-dire l'extériorité de la souveraineté, alors la loi devient "le registre de nos volontés" ; elle n'est plus la condition extérieure de mon action libre, elle devient le principe de cette action : la notion libérale a vécu. C'est ce que l'on observera chez ROUSSEAU. Si l'on veut abolir l'"absolutisme" tout en maintenant l'interprétation libérale de la loi, il faut renoncer à l'idée même de souveraineté illimitée, au principe même de la démocratie moderne. C'est ce que fera MONTESQUIEU."
   Pour Léo STRAUSS (La philosophie politique de HOBBES), HOBBES "est le premier penseur à saisir toute l'importance de l'idée de souveraineté... On doit lui attribuer le mérite d'être le premier à avoir vu que l'idée de souveraineté est au principe de toute la théorie de l'Etat ; et d'être le premier à avoir saisi la nécessité d'établir précisément ce sur quoi elle repose, comme la nature de ses fonctions et de ses limites". La priorité accordée au droit sur la loi et la reconnaissance de l'importance décisive de l'idée de souveraineté entretiennent un rapport très étroit.
L'ordre politique ne doit pas être conçu en fonction des fins inscrites dans l'homme par la nature et découvertes par la raison, mais il doit être fondé sur la passion la plus puissante et la plus universelle : la peur de la mort. HOBBES rend opératoire le projet machiavélien, consistant à fonder la politique sur la vérité effective des choses et non plus sur l'idée du meilleur régime politique, ainsi que le faisaient les Anciens. Il existe un continnum logique et politique entre MACHIAVEL et HOBBES, continnum qui se prolonge ensuite d'une autre manière chez Carl Von CLAUSEWITZ.
   Pour Crawford MACPHERSON (The political theory of possession individualism - HOBBES to LOCKE, 1962), HOBBES est le premier à exposer l'idée de la société de marché dominée par l'individualisme possessif. Pour comprendre la description hobbesienne de la nature humaine, il faut toujours avoir présent à l'esprit que l'homme dont il s'agit, c'est l'homme de la société de marché ; et pour comprendre la société de marché, il faut lire HOBBES. Sans doute cette introduction à ce qu'écrit MACPHERSON est-elle un peu abrupte et excessive, et sans doute un peu teintée d'anachronisme. Il faut le lire toutefois pour comprendre une certaine logique anglo-saxonne d'aujourd'hui qui domine dans les millieux favorables à la société libérale. La reconstruction de l'ensemble de la théorie politique du Léviathan, effectuée dans la première des quatre démonstrations de son livre s'effectue sur la base d'une conception de la société comme ensemble de rapports concurrentiels entre individus distincts qui trouvent en eux la loi de leur mouvement et ne sont soumis à aucune subordination naturelle.
   Pour Michael OAKESHOTT (HOBBES on civil association), HOBBES est l'auteur qui a formulé de la façon la plus complète l'idiome moral qui fait le meilleur de la culture européenne en sous-entendant ce que OAKESHOTT appelle l'association civile. Ce type de société fait vivre ensemble les individus, non par la force des coutumes, ni par l'adhésion à un but social commun, mais par leur libre accommodation les uns aux autres en fonction de règles qu'il dépend d'eux de reconnaitre et d'accepter. Encore une fois, là aussi, la présentation est peut-être courte et met trop l'accent sur une certaine liberté de reconnaissance et d'acceptation de la personne du souverain. Mais il faut savoir que l'ensemble de son discours témoigne de son hostilité non seulement aux formes planificatrices du socialisme que combattent également les libéraux, mais aussi plus largement à l'ensemble du style de pensée rationaliste issue de la philosophie des Lumières. La présence d'une citation de Michael OAKESHOTT qui entend repenser le conservatisme dans un article sur HOBBES, dans un Dictionnaire des oeuvres politiques est symptomatique de l'avancée d'une certaine lecture "réactionnaire" du philosophe anglais.

   Qu'est-ce que la puissance? Cette question qui recouvre partiellement celle de la souveraineté (tournée autant vers les sujets que vers l'extérieur de son territoire) est le sujet des controverses et interprétations qui éclatent en partie dans le "Béhémoth" et qui déjà à l'époque contemporaine de HOBBES, comme le montre Pierre NAVILLE, prépare de grands bouleversements. Il faut relire les controverses entre HOBBES, DESCARTES, LEIBNIZ et SPINOZA pour se rendre compte qu'elles renouvellent la pensée politique de l'époque et qu'elles gardent une résonnance actuelle.
 
 
 Raymond POLIN, de son côté met l'accent sur la notion du Commonwealth de Thomas HOBBES.
"Thomes Hobbes appartient pratiquement à la génération de Descartes (il nait au moment où la Grande Armada menace l'Angleterre), mais sa longévité (il meurt à 91 ans), la lenteur avec laquelle il élabore son oeuvre laissent croire qu'il est venu après lui. En fait, leurs pensées se forment à la même époque et leur rivalité hargneuse tient à leurs ressemblances. Etendant à la pensée, au discours et au désir le mécanisme rigoureux qu'il discerne dans le monde physique et le mouvement animal, Hobbes s'intéresse de manière privilégiée à la morale et à la politique auxquelles il veut donner un véritable statut scientifique. Appliqué à l'analyse des forces en présence dans l'état de nature où "l'homme est un loup pour l'homme", le modèle mécanique conduit ainsi à poser la nécessité de la toute-puissance du souverain et celle d'un Etat connu comme une machine parfaitement organisée. Cette conclusion suppose qu'au mécanisme naturel se trouve substitué, par le contrat, sous la forme du commonwealth, de l'Etat, un mécanisme tout artificiel dont le souverain est l'ingénieur et le maître. La souveraineté en est l'âme artificielle qui donne la vie et le mouvement au corps tout entier. Chaque citoyen, mû par ce mécanisme, acccomplit son devoir. La justice et les lois sont une raison et une volonté artificielles. Le commonwealth est fabriqué à l'image de la machine humaine naturelle. Mais il est l'oeuvre des hommes gouvernés par le souverain, "ce dieu mortel". Son véritable sens est de fabriquer l'homme. "Let us make man" : faisons l'homme. C'est le dernier mot de Hobbes. (...) 
Pour comprendre Hobbes, il faut se placer dans la perspective qui est la sienne, accepter jusqu'au bout le modèle mécanique qu'il propose. Ce sont les limites et les insatisfactions de l'homme qui alimentent ses passions et sa méchanceté. La tout-puissance du souverain le délivre de ses passions, de leurs excès, de leurs abus, "purifie le sang du souverain et corrige la méchanceté de la nature humaine". D'autres avaient déjà dit de Dieu que sa toute-puissance était au principe de sa perfection. Dans le souverain, la raison ne trouve plus d'obstacles. Le souverain n'a plus d'intérêts particuliers : son intérêt se confond avec l'intérêt général. "Le roi est ce que je nomme le peuple". Le souverain ne peut vouloir et accomplir que le bien de l'Etat. Il est la raison en acte. Ce n'est pas, comme chez Platon, le philosophe qui est fait roi. C'est le roi qui, en vertu du caractère absolu de son pouvoir, devient philosophe. Les princes du XVIIIe siècle crurent comprendre qu'ils devaient devenir des despotes éclairés.
A plus strictement parler, la théorie de Hobbes ne se justifie complètement que dans la pespective d'un rationalisme absolu selon lequel le commonwealth peut devenir une machine parfaitement rationnelle, ordonnée, gouvernée par la personne désormais parfaitement rationnelle du souverain absolu. C'est un thème qui, sous d'autres formes, refleurira chez Hegel et dans le scientisme marxiste.
Dans ce cadre, il n'y a pas d'autre justice que la justice du souverain. C'est lui qui, dans sa toute-puissance, par le moyen des lois civiles, définit le juste et l'injuste, le bien et le mal. Non seulement il dit le bien et le mal, mais il en détermine, il en impose la pratique. Vieux rêve rationaliste enfin accompli, sa toute puissance permet l'établissement de déterminations efficaces, du savoir au vouloir du bien."

Thomas HOBBES, Leviathan, 1651 (1971, Sirey) ; De Cive, 1641 (1982, Flammarion) ; Human Nature, 1650 (1982, Vrin) ; Behemoth, 1668 (1990, Vrin).
Pierre NAVILLE, Thomas HOBBES, Plon, 1988 ; Léo STRAUSS, La philosophie politique de HOBBES, Belin, 1991 ; Raymond POLIN, Politique et philosophie chez Thomas HOBBES, Vrin, 1977 ; Crawford MACPHERSON, La théorie politique de l'individualisme possessif, de HOBBES à LOCKE, Gallimard, folio essais, 2004.
Articles HOBBES de Michel MALHERBE dans Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 2005 ; de Eric MARQUER et Dominique WEBER dans Le Vocabulaire des philosophes, Ellipses, 2002 ; de Pierre MANENT dans Dictionnaire des oeuvres politique, PUF, 1986 ; de Raymond POLIN dans Encyplopedia Universalis, 2004.
Raymond POLIN, Article Hobbes dans Encyclopedia Universalis, 2014. (Il est l'auteur d'un ouvrage, Hobbes, Dieu et les hommes paru aux PUF en 1982)

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                                                                   PHILIUS
 
Complété le 1 Février 2014.

Relu le 14 juillet 2018
  
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