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15 juillet 2008 2 15 /07 /juillet /2008 12:29

 

     Deuxième grand ouvrage de René GIRARD publié en 1972, après "Mensonge romantique et vérité romanesque" (1961), il ouvre la voie à toute une série d'études sur le rôle des religions dans la régulation de la violence dans les sociétés humaines et même au-delà. L'auteur remonte jusqu'aux origines de tout l'édifice culturel et social.

   Dans "La violence et le sacré" , René GIRARD examine d'abord le sacrifice et la crise sacrificielle, revisite l'Oedipe, tente de déterminer la genèse des mythes et des rituels ainsi que leurs fonctions, s'attarde sur la figure du héros grec Dionysos, traite du désir mimétique et du double monstrueux, revient sur FREUD et le complexe d'Oedipe, ainsi que sur "Totem et Tabou" et les interdits de l'inceste, conteste LEVI-STRAUSS, le structuralisme et ses conceptions des règles du mariage, et termine sur les dieux, les morts, le sacré, la substitution sacrificielle ainsi que sur l'unité de tous les rites. Cela fait autant de têtes de chapitre à l'érudition serrée qui conduisent le lecteur, depuis la remise en cause des acquis de l'anthropologie structurale et de la psychanalyse à une redécouverte des textes fondateurs de nombreuses cultures, surtout occidentales.
  Cette redécouverte met à jour le rôle du sacrifice dans la cohésion des sociétés humaines en général.

    Les deux premiers chapitres sur le sacrifice posent les fondations de toute la réflexion de René GIRARD sur la violence. Reprenant les textes de l'anthropologie aujourd'hui classique, des écrits du Moyen Age, des passages de la Bible, l'auteur veut éclaircir la fonction du sacrifice et le fait même de sa disparition, sous sa forme sanglante, à l'époque moderne.
  Briser le cercle infini des vengeances. "Le religieux vise toujours à apaiser la violence, à l'empêcher de se déchaîner. Les conduites religieuses et morales visent la non-violence de façon immédiate dans la vie quotidienne et de façon médiate, fréquemment, dans la vie rituelle, par l'intermédiaire paradoxal de la violence. Le sacrifice rejoint l'ensemble de la vie morale et religieuse mais au terme d'un détour assez extraordinaire. Il ne faut pas oublier, d'autre part, que pour rester efficace, le sacrifice doit s'accomplir dans l'esprit de pietas qui caractérise tous les aspects de la vie religieuse. Nous commençons à entrevoir pourquoi il fait figure à la fois d'action coupable et d'action très sainte, de violence illégitime aussi bien que de violence légitime. Mais nous sommes très loin d'une compréhension satisfaisante.".
Il faut tout le livre pour commencer à comprendre comment les rites, les interdits et les tabous forment un ensemble qui stoppe l'invasion de la violence mimétique dans un groupe humain.
  Etudiant la tragédie grecque, Oedipe et Dionysos, René GIRARD définit la crise sacrificielle. "La notion de crise sacrificielle parait susceptible d'éclairer certains aspects de la tragédie. C'est le religieux, pour une bonne part, qui fournit son langage à la tragédie ; le criminel se considère moins comme un justicier que comme un sacrificateur. On envisage toujours la crise tragique du point de vue de l'ordre qui est en train de naitre, jamais du point de vue de l'ordre qui est en train de s'écrouler.". Le thème des jumeaux, des frères ennemis, traverse les mythes grecs comme d'autres mythes de création du monde. La question de l'indifférenciation, de la réciprocité violente, des métamorphoses constamment présentes dans ces mythes, oblige à entrer dans le détail des textes, à faire de l'analyse textuelle et inter-textuelle, comme il l'avait si bien fait dans son premier livre sur la littérature.

   L'analyse du texte de la pièce de théâtre grec "Oedipe roi", une des références de FREUD dans la construction de la psychanalyse, aboutit à de toutes autres considérations que les siennes. Pour René GIRARD, la colère est partout présente dans le mythe, ou plutôt une alternance de sérénité et de colère. Le mythe résout le problème de la différence de façon brutale et formelle par le parricide et l'inceste. Dans le cours du récit grec, " à mesure que la crise s'exaspère, les membres de la communauté deviennent tous des jumeaux de la violence". "Ils sont les doubles les uns des autres".
 
   "La permanence plusieurs fois millénaire du mythe oedipien, le caractère imprescriptible de ses thèmes, le respect quasi religieux dont la culture moderne continue à l'entourer, tout cela suggère, déjà, que les effets de la violence collective sont terriblement sous-estimés.
Le mécanisme de la violence réciproque peut se décrire comme un cercle vicieux ; une fois que la communauté y a pénétré, elle est incapable d'en sortir. On peut définir ce cercle en termes de vengeances et de représailles ; on peut en donner diverses descriptions psychologiques. Tant qu'il y a, au sein de la communauté, un capital de haine et de méfiance accumulées, les hommes continuent à y puiser et à le faire fructifier. Chacun se prépare contre l'agression probable du voisin et interprète ses préparatifs comme la confirmation de ses tendances agressives. De façon générale, il faut reconnaître à la violence un caractère mimétique d'une intensité telle qu'elle ne saurait mourir d'elle-même une fois qu'elle s'est installée dans la communauté.
  Pour échapper au cercle vicieux, il faudrait liquider le redoutable arrière plan de violence qui hypothèque l'avenir, il faudrait priver les hommes de tous les modèles de violence qui ne cessent de se multiplier et d'engendrer de nouvelles imitations.
 Si les hommes réussissent tous à se convaincre qu'un seul d'entre eux est responsable de toute la mimesis violente, s'ils réussissent à voir en lui la "souillure" qui les contamine tous, s'ils sont vraiment unanimes dans leur croyance, cette croyance sera vérifiée car il n'y aura plus nulle part, dans la communauté, aucun modèle de violence à suivre ou à rejeter, c'est-à-dire, inévitablement, à imiter et à multiplier. En détruisant la victime émissaire, les hommes croiront se débarrasser de leur mal et ils s'en débarrasseront effectivement car il n'y aura plus, entre eux, de violence fascinante.
 Il nous parait absurde d'attribuer au principe de la victime émissaire la moindre efficacité. Il suffit de remplacer par violence au sens défini dans le présent essai, le mal ou les péchés que cette victime est censée assumer pour comprendre qu'on pourrait bien avoir affaire toujours, certes, à une illusion et à une mystification, mais à l'illusion et à la mystification la plus formidable et la plus riche en conséquences de toute l'aventure humaine."
 
   Cette efficacité de transfert collectif des fautes sur un seul, coupable de tous les maux, coupable de parricide et d'inceste, René GIRARD entend à la fois la démontrer et en montrer le fonctionnement. Comptez avec le fait que pour fonctionner avec efficacité, un tel mécanisme doit rester mystificateur et on aura là toute l'ampleur de la tâche que l'auteur se donne.
  René GIRARD est si convaincu de l'importance d'Oedipe qu'il y revient plus loin (chapitre VII, Freud et le complexe d'Oedipe). Il pense que Sigmund FREUD fait fausse route. Alors que toute la théorie psychanalytique est basée sur le désir rattaché à un objet, un désir objectivé, lequel se transfère tout au long de la vie du sujet vers un autre objet, "la conception mimétique détache le désir de tout objet ; le complexe d'Oedipe enracine le désir dans l'objet maternel; la conception mimétique élimine toute conscience et même tout désir réel du parricide et de l'inceste ; la problématique freudienne est au contraire toute entière fondée sur cette conscience." . Car pour René GIRARD, toute la culture humaine est basée sur l'imitation des pensées et des actions, et le désir s'accroche à tous les objets auxquels s'accroche le désir des autres, et notamment des plus proches, et notamment des frères, et notamment des jumeaux.

   Le mécanisme de la victime émissaire est à l'origine des mythes et des rituels. "L'explication complète du mythe d'Oedipe, c'est-à-dire le repérage du mécanisme de la victime émissaire permet de comprendre le but que visent les sacrificateurs. Ils veulent reproduire aussi exactement que possible le modèle d'une crise antérieure qui s'est dénouée grâce au mécanisme de la victime émissaire."
Dans cette perspective, "Dionysos est le dieu du lynchage réussi". L'analyse de "Les bacchantes" permet à l'auteur de bien montrer que ce n'est pas l'objet du conflit qui est important : "le sujet désire l'objet parce que le rival lui-même le désire". Le rôle de la mimesis dans les relations humaines est tel que le désir mimétique constitue un des liens les plus solides de la société, et ce même désir peut la détruire.
    Dans son chapitre sur le double monstrueux, René GIRARD avance ce qu'il répète n'être qu'une hypothèse : "Comme la fête et tous les rites, la tragédie grecque n'est d'abord qu'une représentation de la crise sacrificielle et de la violence fondatrice. Le port du masque dans le théâtre grec n'exige donc aucune explication particulière ; il ne se distingue absolument pas des autres usages. Le masque disparaît quand les monstres redeviennent des hommes, quand la tragédie oublie complètement ses origine rituelles,"

   Comme FREUD et la psychanalyse, LEVI-STRAUSS et le structuralisme se trompe en cours d'investigation scientifique. La critique de "Totem et Tabou" faite par tous les anthropologues et mêmes les psychanalystes postérieurs à Sigmund FREUD, est passée à côté du meurtre fondateur. La prohibition de l'inceste et les règles de la parenté dans les sociétés dites primitives constituent pourtant les éléments qui permettent de voir le dynamisme de la réciprocité à l'oeuvre. "L'échange positif n'est que l'envers de la prohibition, le résultat d'une série de manoeuvres, d'avoidance taboos, destinés à éviter, entre les mâles, les occasions de rivalité. Terrifiés par la mauvaise réciprocité endogamique, les hommes s'enfoncent dans la bonne réciprocité exogamique". L'interdit est premier, mais cet interdit se pense en termes de "phobies".
Dans sa critique de la psychanalyse et du structuralisme, c'est frappant dans le chapitre sur LEVIS-STRAUSS et les règles du mariage, René GIRARD utilise finalement, selon un phénomène discret et profond décrit par Claude LEFORT à propos de l'oeuvre de MACHIAVEL, le travail séculaire de l'oeuvre, à la fois la psychanalyse et le structuralisme pour découvrir les mécanismes fondateurs du sacrifice, pour expliquer la véritable nature de l'interdit social. Si le jeu de la violence est dissimulé aux yeux de FREUD et de LEVI-STRAUSS, c'est parce qu'ils s'arrêtent en chemin dans leur analyse, et non parce que leur analyse est fausse. L'un en se centrant sur le conflit psychique, l'autre en se situant dans la sphère du langage et du symbolique, perdent la possibilité de comprendre l'essence à la fois des dieux, des morts (de leur culte), du sacré et de la substitution sacrificielle qui fait l'objet de son dernier grand chapitre.

    Il s'agit ni plus ni moins du rôle du religieux dans les société. "Le religieux dit vraiment aux hommes ce qu'il faut faire et ne pas faire pour éviter le retour de la violence destructrice. Quand les hommes négligent les rites et transgressent les interdits, ils provoquent, littéralement, la violence transcendante à redescendre parmi eux, à redevenir la tentation démoniaque, l'enjeu formidable et nul autour duquel ils vont s'entre-détruire, physiquement et spirituellement, jusqu'à l'anéantissement total, à moins que le mécanisme de la victime émissaire, une fois de plus, ne viennent à les sauver, à moins que la violence souveraine, en d'autres termes, jugeant les "coupables" suffisamment punis, ne condescende à regagner sa transcendance, à s'éloigner juste autant qu'il le faut pour surveiller les hommes du dehors et leur inspirer la vénération craintive qui leur apporte le salut."
    René GIRARD entend là fonder une nouvelle anthropo-sociologie. "Il y a une unité non seulement de toutes les mythologies et de tous les rituels, mais de la culture humaine dans sa totalité, religieuse et anti-religieuse, et cette unité des unités est toute entière suspendue à un unique mécanisme toujours opératoire parce que toujours méconnu, celui qui assure spontanément l'unumanité de la communauté contre la victime émissaire et autour d'elle."

 
    Toute son oeuvre ultérieure veut d'abord convaincre de ce fait et explorer toutes les facettes de l'activité humaine, du mythologique à l'économique. En 1978, René GIRARD utilise la forme de l'interview investigatrice pour continuer à le faire, tellement sa théorie est énorme. C'est par "Des choses cachées depuis la fondation du monde" qu'il touche le grand public et fait connaître au grand nombre sa théorie sur le mouvement multi-millénaire de maîtrise et de contrôle de la violence.

   René GIRARD, La violence et le sacré, Editions Grasset, 1979 (1972), 454 pages

                                                                                                             RELIGIUS

 

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