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5 juillet 2021 1 05 /07 /juillet /2021 12:06

     Parmi une production historiographique très centrée sur le cadre franco-français, le livre de Jacques SEMELIN (né en 1951), historien et politologue, directeur de recherche émérite affecté au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), après avoir été un militant actif de la non-violence (un des fondateurs du Mouvement pour une Alternative Non violente), reste une des rares tentatives de comparaison entre divers mouvements de résistance à travers l'Europe. Son étude se rapproche de l'ouvrage de Werner RINGS, Vivre avec l'ennemi, mentionné déjà sur ce blog, et puise, entre autres dans de nombreuses monographies ( certaines publiées dans les Cahiers de la réconciliation). Jacques SEMELIN y propose la notion de "résistance civile" pour qualifier la résistance spontanée de certains acteurs de la société civile et/ou de l'État par des moyens politiques, juridiques, économiques ou culturels. Rompant avec les représentations "héroïsantes", encore très répandues à l'époque de la première parution de ce livre en 1989, de la lutte contre l'occupant nazi, cette notion permet de décrire une résistance au quotidien, "des humbles, des anonymes, qu'elle soit celle d'étudiants, d'ouvrieers ou de fonctionnaires.

L'ouvrage s'appuie sur une quarantaine de cas de résistance civile de masse à travers l'Europe nazie (manifestations, grèves, protestations d'Églises ou de cours de justice, activités de propagande ou sauvetage de Juifs...) dont il raconte des pages peu connues, ainsi ces femmes "aryennes" protestant dans les rues de Berlin en 1943 conte l'arrestation de leurs maris juifs.

   L'auteur travaille sur de longues années cette notion de résistance civile, dans une perspective proche de celle de François BÉDARIDA. Il tente de circonscrire l'unicité et la diversité du phénomène résistant. La révolte, au sens d'Albert CAMUS, la désobéissance (par exemple au Service du Travail Obligatoire - STO), la résistance (opération de communication par l'action), et notamment la résistance civile parfois massive sont des modalités aussi concrètes que l'action armée ou la résistance armée. C'est par l'opposition à la politique d'extermination des Juifs que ces modalités d'opposition au régime nazi s'expriment de la manière la plus diverse, de la plus discrète à la plus spectaculaire; Jean-Pierre AZÉMA, qui introduit l'édition de poche de 1998,  écrit que Jacques SEMELIN sait "qu'il lui faut convaincre des lecteurs souvent prévenus, pour qui ces actions ne sont que bavardage, au mieux exutoire pour rêveries utopistes, au pire paravent derrière lequel sont menées de façon unilatérale des campagnes pacifistes déstabilisatrices. Pour sa part, il est totalement persuadé que ce qu'il convient de dénommer "la résistance civile de masse" est le moyen le plus efficace non seulement pour rendre inopérante toute occupation étrangère mais pour lutter contre l'emprise de tout régime totalitaire. Car à ses yeux c'est la mobilisation qui correspond à l'idéal de la démocratie. Il regrette donc que la classe politique, dans bon nombre de démocraties libérales, tienne encore la résistance civile pour quantité négligeable, alors qu'elle a des effets non seulement préventifs mais dissuasifs. Aux lecteurs de juger. Ajoutons encore (que) Jacques SEMELIN retrouve parfois certaines des analyses faites en son temps par Jean JAURÈS, dans L'Armée nouvelle, un des livres majeurs qui aient été écrits sur ces problèmes."

  C'est un nouveau regard que propose là Jacques SEMELIN, pour qui la résistance s'inscrit dans la durée (ici de l'occupation nazie), et que ne la réduit pas à des actions insurrectionnelles s'appuyant directement sur des perspectives de libération militaire d'un territoire. La question de la légitimité d'une résistance civile, notamment aux yeux de l'opinion publique, est centrale pour son efficacité.

 

Jacques SEMELIN est aussi l'auteur de Pour sortir de la violence (Édition de l'Atelier, 1983), Quand les dictatures se fissurent... Résistances civiles à l'Est et au Sud (sous sa direction) (Éditions Desclée de Brouwer, 1995), La liberté au bout des ondes. Du coup de Prague à la chute du mur de Berlin (Éditions Belfond, 1997), Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides (Seuil, 2005), La survie des juifs en France (1940-1944) (CNRS Editions, 2018).

 

Jacques SEMELIN, Sans armes face à Hitler, La résistance civile en Europe, 1939-1945, Petite Bibliothèque Payot, 1998, 280 pages.

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