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11 juin 2021 5 11 /06 /juin /2021 09:55

       Le théologien, philosophe et historien allemand Bruno BAUER est le le promoteur de la critique radicale de la Bible. Auteur notamment de la thèse mythiste de Jésus, il construit une vision du christianisme adoptée par tout un courant des hégéliens de droite et à ce titre s'oppose aux hégéliens de gauche et à leurs continuateurs, dont Karl MARX. Avec lequel il polémique et discute sur la "Question Juive". Il regroupe autour de lui le club des docteurs, appelés les freien, et partiellement dans ce cadre, développe des idées fortes en théologie, en histoire moderne et en politique. Ses idées ont beaucoup plus d'importance dans le monde scientifique chrétien (critique de la Bible) que sur le plan politique, par ses relations avec (contre) les marxistes.

     Traditionnellement rangé dans la droite hégélienne, par référence à MARX qui l'accable de railleries dans La Sainte Famille, il se contente de perpétuer la croyance en un devenir de l'Esprit, que MARX, lui matérialise dans la réalité historique du prolétariat dans l'évolution de l'économie qui le produit.

     Élève de HEGEL lui-même jusqu'à la mort de ce dernier en 1831, récompensé par lui par un prix de l'Université pour un essai philosophique où il critique KANT, il commence à enseigner à Berlin en 1834 comme licencié en théologie, avant son transfert à l'université de Bonn. Dans son esprit, toute sa carrière intellectuelle tourne autour de l'oeuvre de HEGEL, auquel il est lié philosophiquement. Ce n'est qu'après 1840 que son cheminement se centre sur les origines du christianisme, à la fois sur les plan des faits que sur les plan des idées.

Dans Zeitschrift für spekulative Theologie (1836-1838), il tente de concilier philosophie et théologie. Mêlé aux polémiques du milieu hégélien, il se livre à une vive critique de La Vie de Jésus de David Friedrich STRAUSS, avant de se lancer dans une approche historique de la Révélation. Il y défend l'idée que l'Ancien et le Nouveau Testament correspondent à deux moments différents de la révélation divine et annonce la thèse des futurs exégètes, pour qui les textes sacrés appartiennent à la constitution du dogme plus qu'à l'histoire.

   Nommé en 1839 maître de conférences à la faculté de théologie de Bonn, il entreprend une critique des Évangiles qui lui vaut rapidement la révocation et l'interdiction d'enseigner (1840). Néanmoins, il récidive avec une Critique de l'histoire évangélique de Saint Jean (1840) et une Critique de l'histoire évangélique des synoptiques (1842). Cela signe l'arrêt définitif de sa carrière universitaire.

Par ailleurs, il fait paraitre anonymement un pamphlet, La Trompette du Jugement dernier, sur HEGEL, les athées et antéchrists, où il s'attache à démontrer comment HEGEL, réduisant Dieu à l'idée absolue, identifie la religion chrétienne à un panthéisme et trace la voie à l'athéisme. Karl MARX faillit participer à sa rédaction, mais l'écart entre ses convictions et celles de BAUER mit fin à toute collaboration par la suite.

Bruno BAUER ne s'est jamais dégagé de l'ambiguïté où le situait un conservatisme spontané, auquel il attribuait, par raison dialectique, une force de négativité qui était l'essence même du progressisme. On comprend que MARX l'ait pris pour cible dans La Sainte Famille, où il ironise sur "saint Bruno" et sa passion d'une liberté exclusivement spirituelle. BAUER ne reconnait, en effet, d'autre réalité que le processus selon lequel toute affirmation philosophique, religieuse, politique ou morale est amenée à se nier et à se dissoudre dans le devenir de la pensée. La conscience de soi s'inscrit comme un élément inéluctable dans le mouvement de l'Esprit décrit par HEGEL. BAUER pose en quelque sorte au prophète, appelé à réaliser le destin intellectuel de l'homme.

La nouvelle critique ou "critique critique" a pour mission de décrire et de parfaire le devenir de l'Esprit s'incarnant dans l'individu. La religion a été ainsi le produit de la conscience de soi jusqu'à un stade où, asservissant l'homme à Dieu, elle perd son rôle positif et devient un obstacle au progrès de la conscience universelle. Rien ne peut désormais incarner une telle conscience : ni religion ni parti. Il appartient seulement à l'Esprit de réaliser l'émancipation de l'homme grâce au combat de la critique. Il n'est pas interdit de pressentir dans une telle attitude l'option de tous les intellectuels qui, par les voies les plus diverses, ont prétendu instaurer le règne de la liberté. Max STIRNER ne s'y trompe pas, qui constate : "Bruno Bauer voit parfaitement que l'attitude religieuse existe non seulement envers Dieu, mais envers le droit, l'État, la loi. Mais ces idées, il veut les dissoudre par la pensée ; et alors, je dis : une seule chose me sauve de la pensée, c'est l'absence de pensée." (Raoul VANEIGEM)

 

    La postérité de l'oeuvre de Bruno BAUER est très importante sur toute une lignée de penseurs et d'exégètes de la Bible, sur tout le XXe siècle, influençant maints débats sur la réalité de l'existence de JÉSUS. 

     La critique de BAUER du Nouveau Testament est d'abord déconstructive. David STRAUSS, dans sa Vie de Jésus, avait expliqué que les récits des Évangiles étaient des produits à moitié inconscients de l'instinct (sic) mythique dans les communautés chrétiennes primitives. BAUER tourne en dérision cette conception et affirme, reprenant une théorie de C. G. WILKE (Der Urevangelist, 1838), que le récit original était l'évangile de Marc. Cet évangile, affirmait-il, avait été achevé sous le règne d'Hadrien (tandis que son prototype, le Ur-Marcus, qu'un analyse critique permettait de retrouver dans l'évangile selon Marc, avait été commencé vers le temps de Flavius Josèphe et des guerres entre Romains et Juifs). BAUER, comme d'autres partisans de cette hypothèse marcienne, est persuadé que tous les autres récits évangéliques avaient puisé dans l'Évangile de Marc, considéré comme un modèle dans les communautés où on les avait écrits.

Albert SCHWEITZER, un de ceux qui ont étudié l'oeuvre de Bruno BAUER, dit de lui qu'il avait commencé par vouloir défendre l'honneur de JÉSUS en défendant sa réputation contre la parodie de biographie inepte selon lui qu'avaient forgée les apologistes chrétiens. Cependant, une étude approfondie du Nouveau Testament l'a fait arriver à cette conclusion qu'il s'agissait d'une fiction complète et il considérait l'évangéliste Marc non seulement comme le premier narrateur, mais même comme celui qui avait inventé toute l'histoire qui n'était plus qu'une fiction, tandis que le christianisme reposait sur les inventions d'une seule personne. (voir Otto PFLEIDERER).

BAUER publia de nombreux articles dans divers journaux, défendant sa critique : critique politique, puis critique critique ou critique pure. En tant qu'hégélien de droite, BAUER a notamment influencé STIRNER.

Bien que BAUER eût examiné le "proto-Marcus", ce sont ses remarques sur la version reçue de l'Évangile de Marc qui attirèrent le public. Surtout, quelques thèmes clés dans l'Évangile de Marc lui paraissaient purement littéraires. Le thème bien connu du secret messianique, selon lequel JÉSUS ne cessait d'opérer des miracles pour dire ensuite à ceux qui en avaient été témoins de ne les raconter à personne, semblait à BAUER un exemple de fait imaginaire. Il partageait de cette manière l'opinion de nombreux autres théologiens, notamment ceux de l'École de Tübingen (tel Ferdinand BAUER). Son dernier livre, Christ et les Césars (1877) offre une analyse pénétrante qui montre que certains thèmes-clés de la pensée de Marc sont communs aux auteurs du Ier siècle, comme le stoïcien SÉNÈQUE. Bruno BAUER est peut-être le premier à avoir voulu - thèse contestée - démontrer que certains auteurs du Nouveau Testament avaient fait librement des emprunts à SÉNÈQUE.

 

Bruno BAUER, La Trompette du Jugement dernier contre Hegel l'athée, Aubier Montaigne, collection Philosophie, 1992 ; La Question juive, Union Générale d'Éditions, 1968 ; Critique de l'histoire évangélique des synoptiques, Ladrange, 1850 ; La Russie et l'Angleterre, E. Bauer, 1854.

Raoul VANEIGEN, Bruno Bauer, dans Encyclopédia Universalis

 

    

 

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