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13 mars 2021 6 13 /03 /mars /2021 12:46

     Le philosophe américain John RAWLS est l'un des plus étudiés des philosophes politiques du XXe siècle. Professeur dans les universités de Princeton, Oxford, Cornell et Harvard jusqu'en 1995, il s'est rendu célèbre par son oeuvre majeure, à laquelle il travaillait depuis les années 1960, Théorie de la justice, paru en 1971. Sa pensée aborde notamment à peu près toutes les questions politiques, n'hésitant pas à faire des incursions dans le domaine du droit, domaine de plus en plus abordé au fur et à mesure des années. Les questions de légitimité et de légalité, de désobéissance civile occupent naturellement une partie de son oeuvre.

Il élabore sa théorie de la justice durant une période marquée par la guerre du Vietnam et la lutte pour les droits civiques, où les États-Unis sont traversés par de profonds mouvements culturels et sociaux. Axée sur les notions d'éthique et de justice, son oeuvre renoue avec une tradition contractualiste délaissée, et prolonge la réflexion libérale en cherchant à articuler rationnellement liberté individuelle et solidarité social. Sa pensée est largement commentée et critiquée dans le monde anglo-saxon, beaucoup moins en Europe.

    John RAWLS dut interrompre ses études de philosophie à l'université de Princeton en 1939 à cause de la guerre. Celle-ci, et en particulier son expérience directe des conséquences du bombardement sur Hiroshima a une profonde influence sur lui. En 1946, il retourne à Princeton pour travailler à son doctorat qu'il obtient en 1950 et qui est consacré à la question de la justification morale. Mais à partir de 1950, lors de son séjour à Oxford, puis à l'université Cornell et enfin à Harvard où il fait toute sa carrière à partir de 1962, en compagnie de philosophes de premier plan comme Thomas NAGEL, Robert NOZICK, Machael WALZER ou Tim SCANION, il modifie son orientation. Il se consacre dorénavant à la question de la justice dans tous ses aspects moraux, psychologiques même, politiques, économiques, juridiques et sociaux. (Catherine AUDARD)

 

Philosophie politique : un contractualisme et un libéralisme

    John RAWLS n'est pas influencé principalement par la tradition analytique anglo-saxonne ; il se situe plutôt dans le contractualisme des libéraux classiques, de LOCKE à KANT.

Selon lui, chaque individu tend consciemment à opter pour des décisions collectives qui maximisent l'intérêt général. L'homo oeconomicus singulier et égoïste ne se retrouve pas complètement chez RAWLS. En effet, il considère l'homme comme un être se réalisant personnellement tout en pensant à l'intérêt collectif. En ce sens, l'argumentation théorique ralwsienne s'écarte du concept de la "main invisible" souvent attribué (à plus ou moins bien escient) à SMITH, selon lequel cette visée naturelle serait naturelle?

Cependant, pour RAWLS, dans la morale utilitariste, une action peut être considérée comme "bonne" si, et seulement si, elle permet d'accroître "le plus grand bonheur pour le plus grand nombre", et ce, même au prix du sacrifice du bien être de certains. Avant de devenir le célèbre théoricien d'une conception déontologique de la justice, RAWLS est très marqué par l'utilitarisme qui est, dans le monde anglo-saxon, la doctrine morale à laquelle l'on se réfère le plus fréquemment. Dans son article Two concepts of rule, il défend une version originale d'un "utilitarisme de la règle". Cette conception ne fait pas pour autant consensus dans ce monde anglo-saxon et par exemple, Francesco VERGARA lui reproche de donner une version biaisée de l'utilitarisme consistant à confondre "bonheur" avec "satisfaction des désirs". Il remarque, en s'appuyant sur ce que disaient les fondateurs de l'utilitarisme eux-mêmes, que la satisfaction de certains désirs n'apporte pas le bonheur (par exemple la drogue) et qu'il existe dans la vie une multitude de situations qui procurent du bonheur sans satisfaire un quelconque désir. Cette question joue directement sur le rôle de l'intervention de la puissance publique.

 La justice étant pour RAWLS la première vertu des institutions sociales comme la vérité est celle des système de pensée, il compare explicitement le principe essentielle de la pensée spéculative à celui du politique. Il bâtit une théorie politique fondée sur la recherche de règles de justice, tout en n'analysant pas la structure du système politico-social. Sa théorie de la justice est construite à partir d'une expérience de pensée selon laquelle l'ignorance de notre situation réelle, à la fois biologique et sociale, serait la condition sine qua non d'une neutralité nécessaire à l'adoption de règles équitables, pour l'organisation des structures fondamentales de la société. Sous ce voile d'ignorance, on serait à même de dégager un consensus capable de fonder une idée raisonnable de la justice? Celui-ci porterait sur deux principes rationnellement appliqués selon un ordre de priorité. En 1993, dans Libéralisme politique, RAWLS énonce ainsi ses deux premiers principes de justice :

- Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de liberté pour tous ;

- Les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire à deux conditions :

1. Elles doivent d'abord être attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, dans des conditions de juste égalité des chances.

2. Elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société.

   Après sa Théorie de la justice, RAWLS se consacre surtout à la question de la stabilité possible (ou non) de sociétés partagées entre les deux principes de la justice. Il développe ainsi l'idée d'un "consensus général", soit un accord implicite entre citoyens sur une justice "équitable" entre différents citoyens qui possèdent des vues philosophiques (ou religieuses) différentes. Il introduit ainsi le concept de "raison publique", soit une raison se prêtant à la critique dans le cadre d'un espace public de discussion.

La conception politique de la justice que développe RAWLS dans Libéralisme politique montre que des individus avec des opinions conflictuelles, mais raisonnables et conciliables par compromis, se mettent d'accord pour réguler les structures de base de la société. Ainsi, la conception politique de la justice ne serait rien d'autre qu'un consensus "par recoupement", qu'il abrège en "consensus R".

RAWLS modifie aussi les principes de la justice de la façon suivantes, le premier ayant priorité sur le second :

1. Caque personne peut invoquer la possession d'un ensemble de droits et libertés fondamentales, qui sont les mêmes pour tous. Et dans cet ensemble, seules les libertés politiques sont garanties de façon générales.

2. Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions pour être acceptables : d'abord, elles ne doivent pas empêcher l'égale opportunité de mobilité sociale. Ensuite, elles doivent se faire au plus grand bénéfice de l'ensemble de la société.

 

Théorie de la justice

     Le défi normatif que relève RAWLS avec son monumental ouvrage Théorie de la justice (1971) est de découvrir les principes de justice que devrait adopter tout société "juste" ou "bien ordonnée", la question institutionnelle venant ensuite. Dans cette quête, l'influence décisive va être celle de l'économie du bien-être ou économie normative (welfare economics), selon laquelle seule une redistribution "rationnelle", c'est-à-dire qui a pour conséquence d'augmenter le bien-être de tous, est moralement défendable ou juste.

Il construit donc une théorie de la justice en réaction à cette idée, en évitant certains aspects inacceptables de l'utilitarisme, en particulier l'idée qu'il puisse être légitime de sacrifier ou de réduire les droits fondamentaux si, par là, on augmente le bien-être général. La priorité de la justice sur l'utilité sociale est la thèse fondamentale de sa doctrine qui se rapproche ainsi de la grande tradition du contrat social : LOCKE, ROUSSEAU, KANT. Mais ce qui le différencie aussi bien du libéralisme de LOCKE que de la philosophie de KANT est son souci de faire une place à l'intérêt et à la rationalité économique dans la notion de justice. Et comme l'utilitarisme, il cherche à justifier des principes premiers en dehors de toute référence métaphysique ou religieuse à un droit naturel ou à un ordre transcendant.

La réponse originale de RAWLS à ces difficultés consiste à transformer la question de la justice en une question de choix rationnel dans des conditions d'incertitude et de risque. Ces conditions sont modélisées dans la célèbre "position originelle", équivalent du contrat social originaire, où nous nous trouverions chargés de choisir des principes de justice pour gouverner notre vie en commun, dans l'ignorance de notre situation particulière, et donc confrontés au risque d'occuper non pas n'importe quelle position dans la société, mais la position du plus défavorisé. Les meilleurs principes sont alors logiquement, selon lui, ceux qui protègent les droits fondamentaux de tous de manière égale (premier principe de justice) et qui n'autorisent des inégalités économiques et sociales que si elles bénéficient aux plus désavantagés (second principe, dit principe de différence). C'est au double nom de l'équité et de la rationalité que la situation des plus désavantagés doit être la pierre de touche de la justice dans une société démocratique. (Catherine AUDARD)

 

Libéralisme politique

  Si Théorie de la justice est le résultat de près de 20 ans de gestation, le second livre publié par RAWLS en 1993, Libéralisme politique, est lui aussi le résultat d'une longue série d'articles. A partir de 1978, il réfléchit en profondeur à la notion du "plus désavantagé" pour en intégrer le contenu culturel, soit la dimension d'exclusion, sexuelle, raciale, ethnique, qu'il avait laissée de côté. Il cherche ici, contrairement à des commentaires qui y voient un deuxième RAWLS, à renforcer le caractère universel de sa conception de la justice.

L'idée de la justice comme équité doit pouvoir être comprise ou interprétée à partir d'une multitude de langages et de contextes culturels différents qu'elle ne transcende pas. Elle peut seulement être, comme dit RAWLS, l'objet d'un "consensus par recoupement" dont les principes sont formulés en termes purement politiques, sans faire intervenir une philosophie, une religion ou une vision du monde, particulières et historiquement situées. Il tente ainsi de mieux ancrer sa théorie de la justice dans les difficultés propres au monde contemporain. (Catherine AUDARD)

 

Influences

  Ses influences sont multiples, tant dans le monde anglo-saxon qu'ailleurs, en Europe notamment. Des auteurs comme Catherine AUDARD, Ronald DWORKIN, Jurgen HABERMAS, Will KYMLICKA, Alasdair MacINTYRE, Thomas NAGUET; Robert NOZICK, Martha NUSSBAUM, Alain RENAULT, Michael SANDEL, Amartya SEN (particulièrement critique), Charles TAYLOR, Michael WALZER, Matthew KRAMER et Carol GILLIGAM nouent avec John RAWLS un dialogue fourni sur la justice et la démocratie. Après la publication de Théorie de la justice, RAWLS devient un auteur de référence dans l'enseignement de la philosophie morale, sociale et politique, surtout aux États-Unis et en Grande Bretagne. 

 

John RAWLS, Théorie de la justice, Seuil, 1987 ; Le Droit des gens, Esprit, 1996 ; Libéralisme politique, PUF, 1995 ; Leçons sur l'histoire de la philosophie morale, La Découverte, 2002 ; La justice comme équité : une reformulation de "Théorie de la justice", La Découverte, 2003 ; Débat sur la justice politique, avec Jürgen Habermas, Cerf, 1997 ; Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison politique, La Découverte, 2006 ; Le péché et la foi. 2crits sur la religion, Éditions Hermann, Collection L'Avocat du diable, 2010.

Catherine AUDARD, Rawls, dans Encyclopedia Universalis, 2014. B. GUILLARME, Rawls et l'galité démocratique, PUF, 1999. V. MUNOZ-DARDÉ, La justice sociale : le libéralisme égalitaire de John Rawls, Nathan, 2000. S. WUHL, L'Égalité, nouveaux débats : Rawls et Walzer, les principes face aux pratiques, PUF, 2002 ; Une conception kantienne de l'égalité, dans La pensée américaine contemporaine, PUF, 1991.

  

 

 

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