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14 avril 2020 2 14 /04 /avril /2020 09:35

     Si on écrit "états-uniennes", c'est bien qu'il existe une histoire du marxisme dans certains pays d'Amérique Latine, mais aussi au Canada, bien différente de celle des États-Unis ; ce n'est pas pour céder à une certaine mode intellectuelle, qui, soit dit en passant, constitue là - l'exception n'est pas la règle - un progrès dans la compréhension des choses.

    Les idées d'inspiration marxienne ont eu quelques difficultés à s'implanter en milieu universitaire aux États-Unis, les premiers centres de recherche sociologiques universitaires étant installés dans des universités financées et contrôlées et même créées par des industriels et autres capitalistes soucieux de comprendre les multiples difficultés dans le monde du travail et dans la ville. Par ailleurs, on ne peut pas dissocier la bataille des idées d'une lutte sociale tout court, la répression des multiples mouvements ouvriers ou/et sociaux frappant également plusieurs intellectuels cherchant à cerner les réalités des luttes de classes. Aux États-Unis, la répression des mouvements de grèves et de désobéissance civile (contre l'impôt, les loyens...) a été particulièrement brutale et souvent sanglante.

Parce que les universités concentrent à la fois des moyens de contrôle des idées émises et... un certain conformisme social, les penseurs radicaux ne peuvent s'y établir véritablement. Des iconoclastes donnant dans l'analyse critique sociale, comme les économistes Thorstein VEBLEN (1857-1929) ou Scott NEARING (1883-1982)... ont rapidement été marginalisés ou éliminés du monde scientifique.

Si les universités s'avéraient un terrain quasi interdit pour les marxiste, le champ politique se montrait tout aussi difficile pour les idées d'inspiration marxiste ou marxienne. Les conditions de vie, les attitudes de la population, comme celles des gouvernants ont participé au phénomène de résistance aux notions de clivages dans la société capitaliste, malgré l'immigration de très nombreux militants socialistes européens (tous ne sont pas marxistes, d'ailleurs), dont certains ont pu contribué tout de même à la vie d'un courant socialiste américain réel, en lien notamment avec les forces syndicales. Mais, même là, l'évolution d'idées s'inspirant de MARX est difficile, car le mouvement syndical dans son ensemble est dominé par des organisations réformistes et fermement attaché aux institutions et aux pratiques du système capitaliste. A cette résistance culturelle, il faut toujours avoir à l'esprit les périodes durement répressives qui ont jalonné l'histoire des États-Unis. L'écrasement des partis et des groupes jugés "subversifs", souvent sous des prétextes moraux, s'est répété depuis le XIXe siècle, et à chaque fois, brutalement, en particulier pendant et après la Grande Guerre et après la Seconde Guerre Mondiale, jusque dans les années 1950.

 

L'oeuvre de C. Wright MILLS (1916-1962)

    Aussi retracer l'histoire d'une sociologie marxiste aux États-Unis ne peut se faire qu'en examiner un certains nombre de courants immergés dans une gauche qui agit souvent en dehors ou à la marge des deux Partis démocrate et républicain dominants. Dans ce courant radical, des idées circulent, véhiculées par les écrits de VEBLEN, de Robert (1892-1970) et Helen LYND, dans les années 1940 et 1950, notamment celles de C. Wright MILLS. Si ce dernier ne se réclame pas du marxisme, il introduit cependant la connaissance non idéologique du marxisme au sein de l'université et de la société. Son oeuvre est imprégnée de la vision marxienne d'une société structurée selon les besoins d'un système de production contrôlé par ce que MILLS appelle l'"élite au pouvoir".

Selon MILLS, le pouvoir aux États-Unis se caractérise par un mélange complexe d'intérêts corporatifs qui selon, dans le temps et dans l'espace de ce vaste territoire, selon les besoins du système production. Le pouvoir politique se constitue et se défend comme une bureaucratie administrative composée d'initiés. "Les changements de structure de pouvoir son générés par les modifications des prises de position découlant de décisions politiques, économiques et militaires" (1966). L'élite du pouvoir fait partie de la classe dirigeante, décrite en termes de ses composantes diverses et de ses divisions internes. On peut ajouter sans trahir sa pensée que ces composantes organisent, entre eux, la démocratie tant vantée et également cette fameuse séparation des pouvoirs (locaux/centraux, judiciaires (une part énorme)/législatifs/exécutifs) qui ne profite par forcément à toutes les classes sociales. Sans faire référence aux penseurs sociaux fondateurs, MILLS décrit les élites sociales  comme représentant un monde social différent, à la fois autonome, et pourtant nourri par un recrutement dans les classes sociales exclues du pouvoir. Il conçoit cette classe dirigeante ou régnante comme des "cercles supérieurs", cercles qui, en se chevauchant (nombreux conflits de compétences), ont des rapports complexes. Pour évoquer la complexité de ces rapports sociaux au sein de l'élite au pouvoir, MILLS cite l'ex-communiste Whittaker CHAMBERS disant d'Alger HISS, brillant homme d'État ayant bénéficié des privilèges d'un milieu social fortuné et accusé d'espionnage pendant la chasse aux sorcières, que sa carrière lui avait permis d'établir "des racines faisant corps avec le sol forestier de la classe supérieure américaine" (1966). Pour MILLS, la cohésion de classe est indissociable, aux États-Unis, des contacts familiaux et sociaux, formant un tissu d'interconnexions et une conscience sociale spécifique.

       Deux aspects sont très liés dans la sociologie de MILLS : la fonctionnalité des corps et des "ordres" qu'il appelle parfois "cercles", et la conscience, structurée par leurs positions relatives. Le "statut social" résulte de l'analyse de ces deux aspects des sociétés modernes comme deux éléments d'un même phénomène. Concept élaboré à la fin du XIXe siècle par Thorstein VEBLEN, et préconisé par MARX dans son analyse du "fétichisme de la marchandise" dans le premier volume du Capital : le statut social est la valeur honorifique accordée à un certain rang de l'échelle sociale. Autrement dit, il s'agit du prestige ou de la "distinction" attribués aux individus issus de différentes catégories sociales.

    Pendant les années 1950, période de recherche pour MILLS, la sociologie nord-américaine se tourne tout particulièrement vers l'étude du statut social au détriment du concept de classe sociale, parfois totalement occulté. La contribution de MILLS au débat reconstitue en quelque sorte la notion selon laquelle l'intérêt socio-économique prévaut sur les formations idéologiques et dont les conceptions du statut social sont des éléments. Déjà, à la fin des années 1940, il consacre son premier ouvrage aux "cols blancs", travailleurs non manuels, employés dans les bureaux et dans les services. Les besoins économiques réclament alors de nouvelles professions dont découleront d'autres comportements et d'autres perspectives.

Dans un contexte politique très difficile pour les analyses critiques marxistes, MILLS débat de concepts clés qui remettent en cause les fondements de la sociologie. Ainsi L'imagination sociologique (1971) est un plaidoyer pour des méthodes historiques et philosophiques plus ouvertes à l'étude des phénomènes sociaux. En se montrant critique des orthodoxies de cette discipline scientifique - le fonctionnalisme, le behaviorisme, la dérive empiriste et positiviste, etc.  - il prône un retour à une méthode qui prendrait en compte les conjonctures historiques et les spécificités qualitatives de chaque situation. La sociologie se doit d'incorporer plus de subtilité dans ses orientations, non seulement afin d'enrichir ses analyses, mais aussi pour communiquer plus largement une compréhension des événements. La sociologie doit permettre en effet au public d'accéder à une forme de prise de conscience historique. Dans sa démarche, l'idéalisme politique est indéniable : ce qui distingue la sociologie de MILLS de la sociologie dominante de son époque et le rapproche de l'orientation d'une sociologie marxiste engagée. (THIRY, FARRO et PORTIS)

 

L'influence d'Herbert MARCUSE (1898-1979)

   L'absence aux États-Unis d'une sociologie proclamée marxiste avant les années 1970 expliquent les subterfuges entourant les présentations de la sociologie critique. Les analyses sociologiques critiques subissent l'influence d'une conjoncture socio-politique peu encline aux thèses marxistes : répression politique, expansion du capitalisme industriel d'après-guerre; hausse des niveaux de vie avec pour conséquence directe l'occultation des conflits sociaux.

Pour toutes ces raisons, les écrits d'Herbert MARCUSE représentent l'avant garde, dans la sociologie nord-américaine, d'un courant plus proche du marxisme. Philosophe, réfugié allemand, ancien membre de l'École de Francfort et professeur universitaire à Bandeis, San Diego, Columbia et Harvard, il contribue au développement d'une sociologie critique et engagée par ses analyses couvrant au moins quatre champs d'enquêtes :

- Le réexamen des bases philosophiques du marxisme, exposant la philosophie historique d'HEGEL en rapport avec les origines des sciences sociales. MARCUSE démontre que la sociologie naissante est imprégnée de positivisime, ce qui la fige dans un cadre d'analyse anhistorique. D§s son origine, la sociologie se révèle être partie prenante de l'armature idéologique de la société bourgeoise, manquant de la profondeur et de la flexibilité épistémologiques propres à la pensée hegelienne. La dernière partie de son ouvrage Reason and Revolution (1941) se consacre à une critique décapante de la sociologie en tant que discipline universitaire et formatrice de l'idéologie capitaliste.

- Un regard sur la psychanalyse freudienne qui montre comment la vie émotionnelle affective occidentale est transformée par les mutations sociales découlant de l'évolution du système de production capitaliste. L'aspect de libération sociale, et plus particulièrement de libération sexuelle, s'apparente dans les sociétés capitalistes avancées à de nouvelles formes de répression, dissimulées par la liberté de consommer. C'est là toute la démonstration d'Éros et Civilisation (1963). L'avènement d'une société de consommation exige, en effet, une nouvelle moralité qui valorise l'acquis des biens matériels et facilite des échanges émotionnels sans profondeur, échanges qui confondent plaisir sensuel et amour. Il résulte de cette "libération répressive" la mystification des rapports sociaux. cette confusion mystificatrice est entretenue par la réinterprétation des analyses de FREUD : c'est dans les écrits des néo-behavioristes que l'analyse freudienne perd sa capacité dialectique en devenant un positivisme primaire et un renforcement supplémentaire de l'idéologie capitaliste.

- Sur le plan idéologique, MARCUSE, par L'homme unidimensionnel, Essai sur l'idéologie de la société insdustrielle avancée (1968), décrit l'étouffement de la pensée critique par le processus de "désublimation répressive". La société capitaliste développe une capacité d'absorption des oppositions en favorisant le marketing et la publicité. Ces pratiques ne sont plus ds dépenses improductives, mais le principal apanage du mode de production capitaliste. Il prend néanmoins ses distances plus tard vis-à-vis du marxisme classique en soulignant la transformation de la classe ouvrière dans ces pratiques, d'où sa perte de puissance revendicative pour s'opposer à l'organisation capitaliste.

- Sur les marges de manoeuvre restantes pour l'expression de la révolte et de la subversion de l'ordre établi, MARCUSE s'exprime dans Négation, Essais de théorie critique (1969) et Vers la libération (1969). Il tente d'en indiquer l'existence dans une société de plus en plus "intégrée". Mystifiés par des salaires relativement élevés, les travailleurs ne représentent plus une force de changement jusqu'à un nouvelle crise socio-économique. Dans l'attente d'une telle conjoncture, l'opposition dynamique se trouve dans les ghettos ethniques, en milieu étudiant et chez certains privilégiés des classes moyennes.

    L'influence de MARCUSE tient à la démonstration qu'il fait de l'apport du marxisme à l'explication des phénomènes les plus complexes. Il ajoute une dimension philosophique au discours sociologique américain qui relance les études d'une nouvelle génération de sociologues. Le marxisme pénétre alos durablement dans les facultés nord-américaines, fait sans précédent historique. Dans toutes les disciplines des sciences humaines, de nombreux chercheurs inspirés par le marxisme occupent des fonctions universitaires. Au moment où le marxisme ne représente plus le même pôle d'attraction chez les universitaires français, paradoxalement, il prend son essor aux États-Unis. Évolution qui, depuis les années 1980, contribue certainement au controverses autour du "politiquement correct". La présence d'enseignants-chercheurs marxistes intensifie les débats politiques sur les campus. Le bruit médiatique autour de ces débuts est amplement favorisé par la droite réactionnaire, nécessairement opposée à ce processus de politisation. (THIRY, FARRO, PORTIS)

 

Sociologie radicale et sociologie marxiste

     Même s'il n'y a pas identité entre les deux sociologies, elles ont en commun à la fois une critique de la société, nommée capitaliste ou non, et une volonté de changements souvent révolutionnaires.

    G. William DOMHOFF est sans doute aux États-Unis l'un des plus importants sociologues "radicaux". Comme C. Wright MILLS, il part de l'analyse du pouvoir : sur quelles bases t selon quelles distinctions se fondent l'autorité et les privilèges au sein de la population nord-américaine? poursuivant son analyse sur la lancée de MILLS, il se focalise sur les perceptions du statut social. Selon lui, les caractéristiques des classes sociales dites "supérieures" (langage, consommation...) montrent comment le pouvoir et les privilèges restent l'apanage des élites minoritaires. Bien que DOMHOFF se garde de toute association explicite ave le marxisme, ses travaux s'insèrent dans une optique marxienne. Dans son premier ouvrage, Who Rules America? (1967), il décrit en détail les individus, les groupes et les organisations qui constituent une classe à la fois "gouvernante" et "régnante" aux États-Unis. Sa conclusion fait référence aux analyses de Paul SWEEZY, fondateur de la revue marxiste Monthly Review et à celles de C. Wright MILLS. Il établit ainsi le lien entre sociologie universitaire de tendance critique et marxisme. Dans toutes ses oeuvres, notamment dans The Higher Circles : The Governing Class in America (1970) et The Powers That Be : Process of Ruling Class Domination in America (1978), DOMHOFF dépeint la structure du pouvoir et la domination de classe existant aux États-Unis.

DOMHOFF inspire les membres de la revue Insurgent Sociologist, dont la fonction critique est déjà annoncée dans le titre. D'autres exemples importants existent, dans les travaux anthropologiques de Marvin HARRIS et de Martin SAHLINS, ou ceux du critique littéraire Fredric JAMESON (Marxisme and Form, 1971), ou encore dans les revues, Radical Economics et Radical History Review. Cependant, le courant reste minoritaire, et rares sont les penseurs qui recourent au marxisme dans les sciences humaines en milieu universitaire. La plupart brillent plutôt par leur manque d'engagement politique. (THIRY, FARRO, PORTIS)

 

Un marxisme en plusieurs temps

   Paul BUHLE, auteur américain prolifique sur le radicalisme et le marxisme, indique bien différentes strates des réflexions marxistes aux États-Unis. Avant même la révolution de 1917 en Russie, des immigrants, souvent exilés de leur pays, introduisent des éléments de critique marxiste de la société, plus ou moins greffés sur l'ambiance idéologique maintenant bien ancrée, assemblage d'utopisme, de messianisme et de volontés révolutionnaires. Le succès du léninisme en Russie provoque une onde de choc chez les intellectuels qui vont se diviser un temps et induire des changements dans les réseaux d'influences marxistes. Une fois une certaine vague de désenchantement passée, nombre d'intellectuels, même parmi ceux qui avaient été séduits par la possibilité de vague révolutionnaire mondiale, très tôt en fait, vers la fin des années 1920 et encore plus dans les années 1930, voit s'opérer ce pourrait s'apparenter à un repli intellectuel sur les réalités de la société américaine, mais qui constitue en fait le point de départ de réflexions qui mènent jusqu'à l'orée des années 1950, là où le marxisme se voit confronter à des répressions fortes, le monde entrant dans la guerre froide. Il faut attendre alors les années 1970 et 1980 pour que dans les universités (le lien entre capitalisme intérieur et impérialisme extérieur est souvent établi avec finesse, à la fureur d'intellectuels de droite et d'extrême droite), une quantité inimaginable de recherches et de discussions précises dans une multitude de champs disciplinaires... avant qu'à nouveau cet élan intellectuel se voit contraint d'entrer dans une certaine obscurité avec le développement d'un capitalisme ultra-libéral joint à un moralisme individualiste peu propice aux actions collectives.

Terre d'immigration par excellence, notamment à travers le véritable carrefour qu'est New York, les États-Unis recueille l'influence de plusieurs vagues successives d'intellectuels marxistes, lesquels bénéficient des mêmes conditions que d'autres, différemment orientés idéologiquement. A chaque fois, ce sont des formes originales de réflexions qui tentent en quelque sorte leur chance, favorisées ou réprimées par les autorités d'accueil...

En dehors de l'université, l'un des phénomènes les plus importants a été l'essor de la théologie de la libération, qui combine tradition religieuse anti-capitaliste et idées marxistes. Partant notamment des travaux pionniers de Harry BRAVERMAN et Immanuel WALLERSTEIN, une série de chercheurs radicaux, influencés par le marxisme, vont développer des études dans le domaine de l'économie politique, de la sociologie, de l'histoire. Particulièrement importantes ont été alors les recherches sur l'histoire des Noirs (GENOVESE, HARDING, MARABLE) et des femmes (Joan KELLY).

   Ce qui frappe dans les études de la période qui s'ouvre dans les années 1970, et qui, malgré tout, n'est pas encore close, tellement de crises ont pu faire rebondir les recherches sur tel ou tel aspect, c'est la fidélité de nombreux auteurs par rapport aux intuitions, réflexions fondamentales de MARX (et de tous ses principes sociologiques), plutôt que par rapport à tel ou tel écrit, évitant de tomber ainsi sans le piège très vif en Europe de l'exégèse et du combat littéraire, sans cesse ressassé au fur et à mesure des redécouvertes éditoriales de tel ou tel auteur prestigieux.

 

Où va le marxisme anglo-saxon, versant états-unis?

    Malgré l'influence restreinte du marxisme sur la scène intellectuelle, le virage à gauche des années 1930 donna lieu à d'importantes contributions. Aux USA, les premiers ouvrages de Sidney HOOK, notamment Towards an Understanding of Karl Marx (1933), confrontaient de manière inattendue le marxisme hégélien de LUKACS et de KORSCH et le pragamatisme libéral de gauche de John DEWEY. A plus long terme, comme en Angleterre, le Front Populaire et la lutte contre le fascisme formèrent à la politique une génération de jeunes intellectuels, dont certains, refusant d'abandonner le marxisme dans le contexte moins favorable de la guerre froide, s'exprime dans un certain nombre de revues, à faible diffusion la plupart du temps. La revue marxiste Monthly Review incarne la tendance de personnalités comme Paul SWEEZY, Paul BARAN et Harry MAGDOFF. Cette revue pratique un marxisme qui sympathise dans une large mesure avec les régimes communistes (surtout ceux du Tiers-Monde comme la Chine et Cuba), mais conserve son indépendance intellectuelle, par exemple en élaborant une conception du capitalisme contemporain qui prend ses distances avec la théorie de la valeur-travail. A la fin des années 1940, les deux groupes pro-soviétique et pro-"hérétique" s'opposent lors d'un débat célèbre sur la transition du féodalisme au capitalisme que déclenche l'attaque de SWEEZY contre le Studies de DOBB. 

Après les développements déjà évoqués plus haut du marxisme aux États-Unis dans les années 1960-1970, jusqu'à la moitié des années 1980, avec l'avènement de REAGAN:THATCHER, le marxisme anglo-saxon subit une sorte de décrue. cette décrue s'exprime dans la grandeur et la décadence du marxisme analytique, forme spécifiquement anglo-saxonne de marxisme, dont l'oeuvre fondatrice est Karl Marx's Theory of History, de COHEN.

Étant donné l'hétérogénéité du marxisme analytique, il n'y a guère lieu de s'étonner qu'il n'ait pu continuer bien longtemps à prétendre proposer une interprétation spécifiquement marxiste du monde. Il n'y a pas que la théorie de la valeur-travail et la baisse tendancielle du taux de profit qui ne sont pas compatibles avec les principes de la théorie du choix rationnel. le vide intellectuel qui s'ensuit encourage certaines figures de premier plan - à commencer par COHEN lui-même (avec ROENNER également) - à infléchir leur réflexion pour l'orienter vers la philosophie politique normative et à contribuer aux débats initiés par les théoriciens libéraux de l'égalité John RAWLS, Ronald DWORKIN et Amartya SEN, qui s'efforcent  d'élaborer une théorie de la justice.

L'impact des révolutions de 1989 et 1991 en Europe de l'Est et de l'effondrement de l'Union Soviétique est considérable sur nombre d'intellectuels, même pour les marxistes critiques du stalinisme et plus généralement de la forme du prétendu "socialisme réel". Nombre d'intellectuels, comme Ronald ARONSON, estiment alors sur le projet marxiste est mort, même si aucune théorisation n'est entreprise de celle-ci. C'est que leurs énergies se tournent bien plus vers autre chose, quitte à approfondir des éléments d'analyses marxistes sans les déclarer telles. A part quelques uns comme Ernest GELLNER (1989), Anthony GIDDENS (1981), Michael MANN (1986, 1993) et W.G. RUNCIMAN (1989), qui, dans des analyses sociologies historiques, veulent montrer que l'exploitation de classes n'est qu'un cas particulier, nombre d'entre eux, véritable partie émergée d'un iceberg assez immense, compte tenu de la diversité des centres de recherche et des départements d'université, et dont des oeuvres apparaissent vers le grand public de temps en temps (Peter LINEBAUGH, Robert BRENNER, John HALDON), ignorant les reniements spectaculaires de quelques auteurs-phares de la période précédente, attrapant au passage des réflexions en provenant d'outre-atlantique, d'Angleterre, continuent de travailler dans les divers domaines de la philosophie, de l'économie politique, de la sociologie et de l'histoire. Ils fournissent d'ailleurs des éléments théoriques solides à la réflexion des divers leaders politiques locaux ou nationaux qui percent de temps à autres dans l'histoire électorale des États. Bien entendu, certains travaux manifestent un certain syncrétisme - alliant parfois comme Fredric JAMESON (1991), ALTHUSSER et LUKACS - , en passant par-dessus toutes les frontières conceptuelles, visant dans leur critique sur le postmodernisme, en fin de compte, le même objectif que tous les marxistes affirmés des générations précédentes : la réforme ou la révolution vers un système qui remplace le capitalisme... (Alex CALLINICOS)

 

Alex CALLINICOS, Où va le marxisme anglo-saxon? dans Dictionnaire Marx Contamporain, ActuelMarxConfrontationPUF, 2001. Bruno THIRY, Antimo FARRO, Larry PORTIS, Les sociologies marxistes, dans Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

 

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