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2 janvier 2019 3 02 /01 /janvier /2019 14:52

   Écrivain français, Jean GIONO dépeint la condition de l'homme dans le monde, face aux questions morales et métaphysiques et est connu pour son activité pacifiste. Ami de nombreux écrivains (Lucien JACQUES, André GIDE, Jean GUÉHENNO) et de peintres, il reste néanmoins en marge de tous les courants littéraires de son temps.

   Pour Laurent FOURCAUT, comme pour beaucoup d'écrivains contemporains, "le patient travail de la critique a fait justice des malentendus qui ont longtemps masqué la véritable portée de l'oeuvre de Giono : écrivain régionaliste, puis "collaborateur", il aurait ensuite totalement changé de manière en imitant Stendhal. On mesure mieux aussi, maintenant, la richesse, la complexité et la profondeur de cette oeuvre : poèmes, contes et nouvelles (Solitude de la pitié, L'eau vive), essais, théâtre (huit pièces), traductions (surtout celle de Moby Dick), cinéma, nombreuses préfaces, articles réguliers dans les journaux régionaux durant les années soixante, mais avant tout les quelques 25 romans qui en sont la meilleure part. L'édition critique de ses Oeuvres romanesques complètes ainsi que des essais, des poèmes, du journal, dans La Pléiade, la publication des récits inachevés et de la correspondance avec l'ami de toujours Jacques, ainsi qu'avec Gide, Guéhenno, Paulhau, ont jeté un éclairage nouveau sur une oeuvre qui s'affirme comme l'une des premières du XXe siècle."

"Giono, poursuit-il, a d'abord tenté de définir les conditions du "mélange de l'homme et du monde", mais il aboutit au constat de plus en plus amer de son impossibilité. A ce premier échec s'est ajouté celui de son engagement très actif dans le pacifisme, qui se solda par son emprisonnement d'octobre à novembre 1939. Un second séjour en prison pour "collaboration" en 1944 achève de le marquer : désormais, il n'essaiera plus d'infléchir le cours de l'histoire. Dans les Chroniques d'après guerre, l'accent se déplace sur les hommes, que leur séparation d'avec la nature condamne à un radical ennui, et dont les passions monstrueuses répondent à la démesure inhumaine du monde. Parallèlement, Giono abandonne de façon progressive le lyrisme rustique et parfois emphatique des romans "paniques", pour un ton nouveau et un style où la concision, l'ellipse et des combinaisons narratives très subtiles attestent sa virtuosité et doublent le prodigieux poète de la matière d'un fascinant conteur. C'est là sans doute - avec le recours de plus en plus délibéré aux ressources des intertexes dont les réseaux inépuisables tendent à se substituer, comme champs d'expansion du désir, au réel devenu hors d'atteinte - ce qui assure l'originalité d'une oeuvre si étrangère aux modes, et sa modernité : l'ivresse froide et souveraine, sensuelle et rythmique d'une parole tendue vers l'expression vitale des impulsions d'un matérialisme mystique, pour séduire le désir, le détourner du vertige de la mort en lui imposant cette préférence pour les formes."

 

D'abord et avant tout romancier

   Travaillant dans une banque pour subvenir aux besoins de sa famille, avant la fin de ses études, Jean GIONO s'instruit en autodidacte pour assouvir sa soif de savoir. Il commence à écrire en 1911 tout en se constituant une bibliothèque (notamment de l'Antiquité grecque et latine). Il commence par un roman médiéval, reprit plusieurs qu'il ne finit jamais (même si Gallimard en publie une ébauche bien avancée en 1980). Il ne dévie pas de sa vocation d'écrivain, celle-ci prenant toujours la priorité, même au plus fort de ses engagements.

 

Pacifisme d'expérience mais romancier encore

   Mobilisé fin 1914, il est envoyé comme élève aspirant à Montségur. Mais n'ayant pas le sens de l'armée ni goût de la chose militaire, il ne le sera pas. En janvier 1915, il participe aux batailles les plus terribles du conflit (Artois, Champagne, Verdun, Somme, Chemin-des-Dames) et en tire une révulsion profonde de la guerre. En 1916 et en 1918, il encore participe encore à des combats, dans les conditions qu'on sait (tranchées et hécatombes). Pacifiste convaincu, d'un pacifisme d'abord viscéral et spirituel, toutes ses prises de position et tous ses combats seront marqués par cette priorité absolue - qui prime sur toute analyse de la situation - d'empêcher la guerre.

  S'il reprend ses activités à la banque, il se consacre avant tout à une carrière littéraire, constituée surtout de romans, et dès que cette banque fait faillite, il se libère de toutes obligations professionnelles.

   Ce sont les événements du début des années 1930 qui le poussent à s'engager politiquement. Il adhère à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires (mouvance communiste) mais, par méfiance, il s'en désengage très rapidement, pour se recentrer sur sa carrière littéraire. Il encourage d'ailleurs nombre de ses amis ou/et écrivains de s'en désengager eux aussi, notamment ceux qui claquent la porte en juillet 1937 : Michel ALEXANDRE, Gaston BERGERY ou René CHÂTEAU...

En 1935, il publie Que ma joie demeure qui connaît un grand succès, particulièrement auprès de la jeunesse. Il traduit Moby Dick en français et publie ensuite Pour saluer Melville. Cette oeuvre le fait ancrer à gauche, malgré ses réticences. le retentissement considérable de Que ma joie demeure a deux conséquences. L'essai Les Vraies Richesses (1936) réaffirme l'idéal d'une communauté rurale autarcique, mais contient un appel à la révolte contre la société industrielle capitaliste qui asservit le travail et "détruit les vraies richesses". D'autre part, en septembre 1935 a lieu, autour de lui, le premier rassemblement sur le plateau de Contadour (il y en aura neuf jusqu'à la guerre) qui va devenir un foyer d'antifascisme et de pacifisme. D'aucuns voient dans ces rassemblements, les ancêtres des grands rassemblements du Larzac ou, mieux, auparavant, des communautés non-violentes fondées autour de Lanza Del VASTO.

Lorsque les prémisses d'une nouvelle guerre apparaissent évidentes, il rédige ses suppliques Refus d'obéissance, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix et Précisions et Recherche de la pureté qui constituent ses (presque) seuls écrits pacifistes. Ces textes accentuent l'opposition de Jean GIONO aux totalitarismes en même temps que son refus d'une solution révolutionnaire. Il abandonne en cours de route en octobre 1938, le projet d'un roman des Fêtes de la mort, centré sur une insurrection paysanne contre la société industrielle. Privé de débouché social, la force centrifuge individuelle a tendance à se dépenser dans le jeu des passions, colorant du même coup la vision politique d'un scepticisme machiavélien. Ses Chroniques, après ces "Messages" renforcent à la fois un pessimisme à propos de l'action collective pour renverser l'ordre des choses et le retrait vers l'individu des ressources pour se dégager de l'emprise de la société industrielle.

 

Attitude ambigüe pendant l'Occupation

   A la déclaration de guerre de 1939, il se rend au centre de mobilisation de Digne. Cependant, à cause de son pacifisme, il est arrêté en septembre, puis relâché et libéré de ses obligations militaires. Sa trajectoire d'écrivain reconnu et ses succès qui l'enrichissent considérablement constitue pour lui une priorité, qui le fait passer au-dessus de considérations politiques. Ainsi, sa proximité avec la collaboration ne le gêne pas, se prêtant à des reportages du journal nazi Signal et participant à Radio Paris ; il écrit même 3 ans dans le journal Aujourd'hui. L'utilisation de sa pensée par le régime de vichy, souvent très caricaturale (néoprimitivisme, tarzanisme, retour à la terre et à l'artisanat), ne semble guère le gêner non plus. Et d'ailleurs, envers de sa notoriété, il fait l'objet d'un attentat en janvier 1943 et après la guerre, il est accusé de collaborationniste et est emprisonné en septembre 1944, principalement pour ses faits d'écrivains.

D'ailleurs, il fait partie, au-delà de ceux qui reconnaissent au régime de Vichy le mérite d'avoir mis fin à la guerre, d'une grand pourcentage de personnalités pacifistes ayant opté pour la franche collaboration avec l'Allemagne, à l'instar d'ALAIN ou de Félicien CHALLAYE. Tout en se prêtant à l'usage de ses écrits par la propagande vichyssoise et allemande, il ne fait pas toutefois preuve de beaucoup d'activisme durant cette période...

Libéré sans avoir été inculpé en janvier 1945, même s'il est inscrit par le Comité National des écrivains sur sa liste noire. Sa mise à l'index (interdiction de presse) dure jusqu'à fin 1947 et par la suite ne fait plus l'objet d'une attention particulière pour ses activités pendant la guerre.

Constamment, il est défendu par nombre d'écrivains, le présentant comme un pacifiste trompé par le régime de Vichy, même si des études récentes indiquent qu'il avait pris lui-même contact avec les autorités allemandes, se prêtant à leur propagande. Par ailleurs, il est avéré que Jean GIONO a caché et entretenu à partir de 1940 des réfractaires, des Juifs, des communistes. Et son oeuvre porte des traces de cette "résistance" à l'hitlérisme (Le Voyage en calèche, interdit en décembre 1943, Le Bonheur fou, Mort d'un personnage). Faut-il alors le placer dans le registre d'un pacifisme naïf trompé par les nazis (comme le furent d'autres) ou au contraire le présenter comme particulièrement rusé dans sa protection de poursuivis?  Dans la période trouble de l'Occupation, se mêle souvent chez certains à la fois désir de sauvegarder une carrière et volonté de s'opposer aux injustices abominables... On ne peut conclure à un simple double jeu car même s'il ne croit pas (plus) au rôle social de l'écrivain, et s'évade volontiers de la vie et surtout des événements politiques, il garde les convictions qui l'ont conduit, avant la guerre, à tant d'activisme - même discret - autour du pacifisme et de l'anti-totalitarisme, et même ensuite à se dépenser pour le pacifisme toujours...

 

Encore des romans et un engagement pour l'objection de conscience

    Dans les années d'après-guerre, Jean GIONO publie quantité de romans qui sont autant d'oeuvres brillantes : Un roi sans divertissement (1947), Mort d'un personnage (1949), Les Âmes fortes (1950), Le Hussard sur le toit (1951), le Moulin de Pologne (1953). Sa réputation d'un des plus grands écrivains français du XXème siècle, en plus de l'intérêt que porte le monde du cinéma à son oeuvre l'emporte sur tout le reste.

     Mais il n'abandonne pas pour autant ses viscérales convictions pacifistes, qui le font s'engager pendant la guerre d'Algérie dans la défense de l'objection de conscience. Il parraine le comité créé par Louis LECOIN, aux côtés d'André BRETON, Albert CAMUS, Jean COCTEAU et de l'Abbé Pierre. Il est mis en première ligne dans le combat pour l'obtention d'un statut de l'objecteur de conscience, chose faite en 1963.

    Il publie son dernier roman, l'année de sa mort en 1970, L'Iris de Suse.

   Une association, créée en 1972, l'Association des amis de Jean Giono concourt à la mémoire de l'oeuvre et de la vie de l'écrivain. Son Bulletin de l'Association des amis de Jean Giono est remplacé en 2007 par le Revue Giono.

 

Jean GIONO, Ecrits pacifistes, Gallimard, 1978. Réédition de Refus d'obéissance (1937), Recherche de la pureté (1939) aux mêmes éditions et de Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix (1938) et Précisions (1939) publiées aux éditions Bernard Grasset.

Laurent FOURCAUT, Jean Giono, dans Encyclopedia Universalis, 2014. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Jean CARRIÈRE, Jean Giono, Qui suis-je?, La Manufacture, 1985.

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