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10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 08:43

     Avec ce livre-récit sur l'équipée d'un bateau, le Fri, élément d'une Flotte de paix, Gilbert NICOLAS met en valeur à la fois l'esprit de l'action entreprise et le choix du matériel, celui des moyens pauvres dans la protestation contre les essais nucléaires dans le Pacifique. Cette protestation du Fri, en 1973, soutenue par de nombreuses personnalités politiques et culturelles, des partis politiques et des syndicats est l'un des maillons d'une longue chaîne d'expéditions maritimes contre la course aux armements nucléaires. 

   Comme l'écrivait dans 'Le Monde" du 17 juillet 1973, sa compagne : "D'une part la protestation du "Fri" ou des autres yachts de la flotte de paix (Arakiwa, Barbary, Waiana, Greenpeace III...) se place résolument sur le plan de refus par des moyens non-violents - c'est-à-dire de la désobéissance civile - engageant personnellement, matériellement et physiquement tous les participants à l'action. Le "Fri et les organisations Peace Media (Nouvelle-Zélande), Greenpeace (Canada) et d'autres pays, refusent, par leur présence dans la zone de danger de reconnaitre à la France ou à tout autre pays le droit de disposer de territoires menaçant la sécurité et l'avenir de toute population quelle que soit sa nationalité ou son origine.

D'autre part, le "Fri" est indépendant de la Frégate néo-zélandaise et, faisant partie d'une flotte de Paix, il se refuse à accepter une aide quelconque d'un bateau de guerre quelle que soit sa nationalité. C'est pourquoi l'équipage du "Fri" a refusé que la frégate Ortago lui apporte une pièce manquant au moteur (pièce qui sera d'ailleurs apportée par le Greenpeace III parti le 20 juin de Nouvelle-Zélande). Par ailleurs, le vice-amiral Peter Philps (interview du 30 avril 1973) au New Zeland Listener, a catégoriquement écarté l'éventualité de "manoeuvres concertées"."

  Avec son équipage de 13 personnages dont 3 femmes, le "Fri" entendait apporter au monde entier le témoignage de l'opposition aux essais nucléaires dans le Pacifique, lesquels seront interdits bien plus tard, malgré tous les obstacles mis sur sa route. Élément premier en date d'une contestation internationale de ces essais, le bateau a valeur de symbole. Qualifiée à l'époque de "protestation un peu dérisoire" par le Président Pompidou, cette action, à laquelle participèrent Jacques de BOLLARDIÈRE, Jean TOULAT, Jean-Marie MULLER et Brice LALONDE, a sa part modeste à tout le mouvement d'ensemble qui a aboutit à l'interdiction totale de tous les essais nucléaires en 1995.

Moquée par une partie de la presse et par les équipes techniques des essais nucléaires dont les membres plus tard réclameront à l'Etat des dommages et intérêts pour les dégâts causés sur leur santé par la radioactivité, cette entreprise démontre qu'il est possible de s'opposer à la course aux armements nucléaires. Ellle reste un exemple d'action capable de populariser des éléments qui aujourd'hui sont enfin "scientifiquement" validées : radioactivité dans l'air et dans l'eau, effritements de l'archipel, mise en cause du développement économique de la Polynésie, contamination des populations...

Comme l'équipage du Fri, des marins, seuls ou en flottille, n'ont pas hésité à s'engager pour protéger la mer et alerter sur les dangers du nucléaire, que ce soit les essais et des immersions de déchets radio-actifs, ces derniers étant interdits dans les années 1990.

Plus largement, des équipages, notamment sous la bannière de Greenpeace, lutteront par ces mêmes moyens non-violentes contre des exactions diverses à l'environnement : chasse aux baleines, immersion de polluants, déforestation massive (de l'Amazonie)...

     En quatrième de couverture, on pouvait lire ce texte de Jean ROSTAND, extrait du disque édité par le Mouvement Contre les Armes Atomique (MCAA) : "L'Etat français va faire exploser en Polynésie française, près de Tahiti, aux environs de l'atoll de Mururoa, des bombes atomiques de type A, style Hiroshima, mais appartenant à cette catégorie spéciale que l'on qualifie de bombes "dopées" ou "exaltées" parce qu'on y a introduit certains perfectionnement qui les rapprochent, en vertu explosive, et donc en dignité meurtrière, des bombes thermonucléaires du type U. Sur les données fournies par les éclatements polynésiens, l'état-major va pouvoir hamburger à son aise pour fignoler sa logistique. Nos valeureux stratèges s'en sentiront tout regaillardis, et de braves généraux, dignes d'être invités à goûter par Boris Vian, accoucherons d'un nouveau plan de manoeuvres qu'on croirait dicté par le Père Ubu. 

Et, bien sûr, toutes les précautions auront été prises, toutes les normes de sécurité respectées. Tout aura fonctionné à souhait, sans le moindre inconvénient pour personne, ni dans le présent ni dans l'avenir ; à peine si quelques oiseaux furent un peu gênés dans leur vol et si quelques poissons ont mis le ventre en l'air...

Mais, au milieu de l'euphorie générale, nous saurons - nous - que ce jour de fierté est un jour de honte. Nous saurons qu'il fut une insulte à la paix, une défaite pour l'homme, une offense à la civilisation, un défi à l'avenir. Nous saurons qu'à dater de cette mauvaise heure, un peu partout des enfants vont porter un peu plus de strontium radio-actif dans leur squelette ; nous saurons que des infirmes, des débiles, des monstres, des tarés de toutes sortes sont désormais condamnés à être, qui n'eussent jamais dû venir à l'existence ; nous saurons qu'aux tristes fleurs d'Hiroshima vont bientôt se mêler celles de Mururoa".

    Par ailleurs, complétant ce livre, on trouve, entre autres informations, dans une petite brochure, au texte serré et aux photographies abondantes,  La bombe en question, un détail de l'opération du "Fri", de la campagne médiatique emmenée par le journal L'express et Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER au périple du navire dans le Pacifique. On ne rend bien compte à sa lecture de l'importance de cette campagne qui dépasse les frontières françaises, bien présente notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande. C'est l'une des dernières campagnes importantes en France contre l'armement nucléaire, avant la "crise" des euromissiles en Europe des années 1980. Petite remarque un peu égoïste, c'est la campagne qui a amorcé ma prise de conscience politique, notamment à la lecture de l'hebdomadaire de centre gauche... 

 

Gilbert NICOLAS, Un bateau nommé liberté, Ou la passion selon le capitaine David Moodie, auto-édition, Quimper, 1976, 195 pages environ.

Jean-Marie MULLER, La bombe en question, par pensée, par parole, par action, Combat non-violent, numéro spécial 35-36-37, 4 ème trimestre 1973, 52 pages. 

Complété le 16 février 2018

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