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1 février 2018 4 01 /02 /février /2018 16:31

      Raimond DE MONTECUCCOLI, Italien au service des Habsbourg, général des armées autrichiennes est considéré à son époque et encore aujourd'hui comme le meilleur général du XVIIe siècle. Sa principale oeuvre sert de référence à de nombreuses études ultérieures de militaire de carrière. Il y énonce nombre de principes tactiques et stratégiques, dans un texte didactique qui n'est plus le compte-rendu de campagnes militaire, lot de nombreux écrits de cette époque de la part de ses contemporains. 

     Rappelons que Raimondo MONTECUCCOLI (1609-1680) est non seulement un stratège et un général exceptionnel mais aussi un penseur militaire dont les écrits sur la guerre lui garantissent une notoriété méritée. Lu attentivement par CLAUSEWITZ, il est admiré par FRÉDÉRIC LE GRAND, SHARNHOST,  ENGELS et NAPOLÉON. 

      Ses Mémoires, qui ne sont pas de simples Mémoires, comprennent trois livres : De l'art militaire en général, De la guerre contre les Turcs en Hongrie et Relation de la campagne de 1664. Avant ses Mémoires, il rédige son Traité sur la guerre ainsi qu'un ouvrage mineur, Sur la bataille. Son oeuvre n'est publiée qu'après sa mort, et c'est surtout par son action de général qu'il possède sa notoriété. 

Son mérite est de reprendre des idées et des pratiques issues de diverses époques et de les formuler en une synthèse cohérente. Sur le terrain de la guerre, MONTECUCCOLI suit le chemin tracé par MAURICE D'ORANGE et GUSTAVE ADOLPHE. Il peut observer ce dernier lors de sa victoire magistrale à Breitenfeld (1631) pendant la guerre de Trente Ans. Alors jeune officier dans l'armée impériale, il est blessé et fait prisonnier par les Suédois. Relâché six mois plus tard, il se distingue à la bataille de Nôrdlingen. A nouveau prisonnier des Suédois en 1639, il n'est libéré que 3 ans plus tard après avoir écrit le Traité et Sur la bataille. A la fin de la guerre de Trente Ans (1648), il atteint le rang de général. 

Pendant la guerre du Nord (1656-1658), MONTECUCCOLI est à la tête d'un corps autrichien combattant aux côtés de la Pologne contre les Suédois. Employé par l'armée impériale, il est placé à la tête d'une coalition, avec les Autrichiens et les Français, pour faire face aux Turcs qu'il défait à Saint-Gotthard (1664) lors d'une bataille considérée comme son chef-d'œuvre militaire. Après cette victoire, il est nommé lieutenant générale, le plus haut rang dans l'armée impériale. Entre 1672 et 1678, il mène campagne contre les Français dirigés par TURENNE. Durant la campagne de 1673, il entraîne ses troupes dans une guerre de mouvement à l'aide de ruses et de feintes et après s'être emparé des convoi de ravitaillement ennemis, il rejoint les troupes hollandaise et pousse les Français hors de Hollande. Deux ans plus tard, TURENNE se montre supérieur au stratège!re italien avant d'être tué à Casbah. Bien que les exploits de MONTECUCCOLI sur les champs de bataille européens aient inspiré l'admiration et le respect de ses pairs, son influence réside avant tout dans sa réflexion sur la guerre.

MONTECUCCOLI est un grand admirateur du philosophe humaniste Juste LIPSE dont il reproduit la méthode de raisonnement inductive pour son analyse des conflits militaires, et dont il reprend également l'interprétation de la guerre comme phénomène essentiellement politique. De même que son maître à penser, il se tourne vers les grandes auteurs classiques pour y puise les fondements de sa connaissance. Il lit les grands historiens grecs et romains ainsi que les manuels de stratégie de l'Antiquité mais s'intéresse relativement peu à l'art de la guerre médiévale. C'est que sa mentalité est toute imprégnée du mythe du Saint Empire Romain Germanique, qui se veut le continuateur des acquis à la fois de l'Antiquité romaine et le fer de lance de la foi Catholique. Bien qu'il soit par ailleurs fasciné par les sciences occultes et l'astrologie, comme l'était d'ailleurs ses modèles grecs et romains antiques (n'oublions par le rôle des oracles dans toute la vie civile et militaire), son approche de la guerre et des relations internationales se veut réaliste et pragmatique, dans la grande tradition italienne de MACHIAVEL et GUICHARDIN. Fervent catholique, encore une fois, MONTECUCCOLI est aussi dans la lignée de SAINT AUGUSTIN et des théoriciens de la guerre juste. Il n'aime pas la guerre mains considère que celle-ci est inévitable. Ses combats contre les Turcs sont aussi une sorte de continuation de l'esprit des Croisades. Il veut minimiser l'aspect destructeur de la guerre sur les populations civiles, mais, notamment au nom de Dieu, il encourage l'anéantissement des forces ennemis et la poursuite implacable de l'adversaire vaincu.

MONTECUCCOLI, notamment dans ses Mémoires, veut intégrer les diverses branches du savoir de façon systématique dans le but de développer une théorie de la guerre à vocation universelle. Cette vision de la guerre le mène au-delà des considérations purement stratégiques et tactiques auxquelles se limitent la plupart des traités militaires de son époque. Il réfléchit sur les facteurs moraux, politiques, psychologiques et économiques qui déterminent la nature de la guerre. Il accorde une importance toute particulière à la préparation de la guerre autant qu'à la négociation de la paix, car il sait bien qu'une victoire militaire ne signifie pas grand chose si elle n'est pas exploitée sur le plan diplomatique. Il combine cette approche théorique avec sa propre expérience et notamment avec son goût pour la guerre de mouvement. Ses ouvrages se veulent complets : il y traite de tous les aspects de la guerre : les alliances politiques et la préparation logistique, les méthodes de recrutement, les fortifications, la conduite de la guerre et la négociation de la paix. Il établit, bien avant JOMINI, un typologie des guerres : internes ou externes, défensives ou offensives, justes ou injustes. Il est aussi le premier à faire la distinction entre une stratégie d'anéantissement et une stratégie d'usure, choix qui doit être dicté par les circonstances. En ce qui concerne la composition des armées, il préconise l'emploi piques plutôt que de baïonnettes (héritage antique...), et veut renforcer les troupes de cavalerie afin qu'elles atteignent un nombre égal à 50% de celui des troupes d'infanterie. Il ne néglige pas l'exploitation de l'effet de surprise et encourage mobilité, rapidité et concentration. Bien que son approche ait des prétentions scientifiques, il est conscient que la guerre demeure non une science mais un art où la part de hasard et d'imprévu est toujours présente. Son grand mérite réside dans la manière dont il intègre la problématique de la guerre dans son contexte social, politique et économique. En cela il est sans doute le dernier des généraux à contribuer réellement à une stratégie d'Empire, même si à son époque le Saint Empire Romain Germanique ressemble bien plus à un conglomérat de principautés qu'à un véritable Empire centralisé comme l'avait été le Bas Empire Romain. Ce mérite est d'autant plus remarquable qu'il sait prévoir les changements considérables qui interviennent au cours de sa vie, comme la centralisation de l'Etat et les conséquences qu'aura cette transformation sur l'avenir de la guerre. Si les théories de la guerre totale qui émergent au XIXe siècle mettent un terme à l'influence qu'il a exercée jusque-là sur la stratégie européenne, MONTECUCCOLI reste l'un des plus grands théoriciens de la guerre telle qu'elle est pratiquée aux XVIIe et XVIIIe siècles. (BLIN et CHALIAND)

     

      La modernité de la pensée de MONTECUCCOLI frappe même les lecteurs du XXIe siècle. S'il faut lire un seul ouvrage du XVIIe siècle européen sur la guerre, choisissez ses Mémoires. Mieux que d'autres, il sait se servir de son expérience militaire acquise avec les ordres des plus grands généraux de l'armée impériale de la guerre de Trente Ans (COLLADO, TILLY, SPINOLA, WALLENSTEIN, GALLAS) pour interpréter les écrits des Anciens, et de plus il en a le temps, puisque souvent prisonnier (des Suédois), d'ennemis qui réservent toujours des geôles dorées aux hommes de son rang, pourvues de bibliothèques bien fournies. 

Le titre de "Mémoires" peut facilement conduire le lecteur sur une mauvaise piste, car il ne s'agit aucunement ici d'un ouvrage autobiographique. Il s'agit d'une utilisation reprise d'une première publication italienne du manuscrit connu sous le titre Aforismi. Les Mémoires sont publiées la première fois à Cologne en 1704 par les soins de Heinrich von HUYSSEN, ancien précepteur et conseiller de guerre du tsar Pierre le Grand. Lequel était intéressé par tout ce qui peut aider sa politique anti-ottomane. La première édition française date de 1712 à Paris (Mémoires de Montecuculi). L'édition française, portée par la marée haute de la francophonie du siècle des Lumières dans la littérature en général, devient vite un ouvrage de référence et un vademecum des officiers de presque toutes les armées. Depuis, plusieurs éditions ont vu le jour, avec des introductions diverses. (Ferenc TÖTH, professeur à l'Université de la Hongrie occidentale).

     

       Des extraits de ces Mémoires sont publiés par l'Anthologie mondiale de la stratégie. Dans la partie intitulée Considérations militaires, l'auteur écrit :

De la disposition par rapport aux forces.

  Il faut mesurer ses forces et les comparer à celles de l'ennemi, comme un juge désintéressé compare les raisons des parties dans une affaire civile. Si la meilleure partie de vos forces consiste en cavalerie, il faut chercher les plaines larges et découvertes ; si vous comptez plus sur votre infanterie, il faut chercher les montagnes et les lieux étroits et embarrassés. L'infanterie est bonne pour les sièges, la cavalerie pour les batailles.

Si votre armée est forte et aguerrie, et celle de l'ennemi faible, de nouvelle levée, ou amollie par l'oisiveté, il faut chercher des batailles, comme le firent Alexandre et César avec leurs armées de troupes vieilles et victorieuses ; si l'ennemi a l'avantage en cela, il faut les éviter, se camper avantageusement, se fortifier dans des passages, se contenter d'empêcher ses progrès et imiter Fabius Maximus, dont les campements contre Annibal sont les plus célèbres de l'Antiquité (...). Qu'on considère, dis-je, la conduite de ce dictateur, et on trouvera qu'il faut dans ces occasions : changer la forme de la guerre, temporiser, donner de l'intervalle après une disgrâce arrivée, ne pas risquer le salut de la république, parce que le moindre échec dans une armée faible est considérable (...).

Se camper en face de l'ennemi, le côtoyer en marche par des hauteurs et par des lieux avantageux ; se saisir des châteaux de passage autour de son camp, et des lieux par où il doit marcher ; se tenir dans les lignes, et ne se laisser pas engager à combattre avec désavantage. C'est toujours beaucoup que de l'empêcher e rien faire, de lui faire perdre le temps, de le tromper, de rompre ses desseins, d'arrêter ou d'en retarder le progrès et l'exécution. Garnir les places ; rompre les ponts, abandonner les lieux sans défense, en retirer les troupes et les mettre en sûreté, ravager le pays où l'ennemi doit passer en brûlant et gâtant les vivres.

Avoir derrière soi des provisions assurées ; conduire l'ennemi dans des lieux où il n'en trouve point ; inquiéter ses fourrageurs par des partis continuels ; l'empêcher de faire des courses ; observer ses marches ; le côtoyer ; lui dresser des embuscades. En agissant de cette manière, on peut vaincre l'ennemi sans se remuer. Vous êtes dans votre pays ; vous avez tous les secours nécessaires. L'armée que vous avez en tête n'a rien de tout cela : elle est en pays ennemi, éloignée du sien, sans places, sans magasins, sans lieu où elle puisse prendre pied, sans moyen de continuer la guerre ; elle voit continuellement diminuer son monde, ses forces, son courage ; en sorte que, comme j'ai dit, on peut la ruiner sans se remuer. 

Si l'on est fort inférieur à l'ennemi, tant pour le nombre que pour la qualité des troupes, en sorte qu'on ne puisse pas camper contre lui, il faut abandonner la campagne et se retirer dans les places fortes, comme firent ceux de Byzance contre Philippe, et Annibal contre Scipion, afin que l'ennemi, courant la campagne, soit harcelé et affaibli par les garnisons des places voisines, sans qu'il puisse rien faire de considérable, ou qu'il s'ennuie d'assiéger et qu'il y renonce, ou bien qu'il fasse plusieurs sièges l'un après l'autre, et qu'il y consume son temps et des forces. (...)

De la guerre offensive

   Pour attaquer un pays par une guerre offensive, il faut observer les maximes suivantes :

- Être maître de la campagne, et être plus fort que l'ennemi, ou par le nombre, ou par la qualité des troupes. César disait que deux choses servent à conquérir, conserver et agrandir les États : les soldats et l'argent, c'est ce que fait aujourd'hui la France ; avec son argent, elle achète des placer, avec ses armes, elle en force d'autres.

- Veiller aux conjonctures par exemple, qu'il y ait une guerre intestine et des factions dans le pays qu'on veut attaquer, et qu'on soit appelé par l'un des partis.

- Donner des batailles, jeter la terreur dans le pays, publier ses forces plus grandes qu'elles ne sont, partager son armée en autant de corps qu'on peut le faire sans risque, afin d'entreprendre plusieurs choses à la fois.

- Traiter bien ceux qui se rendent, maltraiter ceux qui résistent.

- Assurer ses derrières, laisser les choses tranquilles et bien affermies dans son propre pays et sur ses frontières.

- S'établir et s'affermir dans quelque poste, qui soit comme un centre fixe, et capable de soutenir tous les mouvements qu'on fait ensuite ; se rendre maître des grandes rivières et des passages ; former bien sa ligne de communications et de correspondance.

- Chasser l'ennemi de ses forts en les prenant, et de la campagne en le combattant. S'imaginer de faire de grandes conquêtes sans combattre, c'est un projet chimérique.

- Lui couper les vivres, enlever ses magasins, ou pr surprise, ou par force ; lui faire tête de près et le resserrer, se mettre entre lui et les places de communication, mettre garnison dans les lieux d'alentour, l'entourer avec des fortifications, le détruire peu à peu en battant ses partis, ses fourrageurs, ses convois, bruler son camp et ses munitions, et y jeter des fumées empestées ruiner les campagnes autour des villes, abattre ses moulins, corrompre ses eaux, mettre parmi ses troupes des maladies contagieuses, semer des divisions entre ses gens.

- S'emparer de l'État : En y bâtissant des forteresses et des citadelles nouvelles, et en mettant de bonnes garnisons dans les anciennes. En gagnant les coeurs des habitants. En y mettant des garnisons et des colonies. En y faisant des alliances, des ligues, des factions. En l'incommodant par des courses continuelles, des menaces, des incendies, et l'obligeant par là à contribuer à payer tribut et à se soumettre. En y établissant sa demeure. En protégeant les voisins faibles et abaissant les puissants ; en ne souffrant pas que des étrangers puissants viennent s'y établir. En emmenant avec soi les principaux comme otages, sous prétexte de leur faire honneur. En leur ôtant la volonté et le pouvoir de remuer. 

De la guerre défensive

   Maximes à observer pour la défense :

- Avoir une ou plusieurs forteresses bien situées,pour arrêter l'agresseur jusqu'à ce qu'on ait assemblé ses forces, ou qu'on ait reçu du secours de quelque autre puissance jalouse de celle qui attaque.

- Appuyer et encourager les places avec un camp volant, qui soit aussi de son côté appuyé et encouragé par les place.

- Pour empêcher les séditions et les divisions intestines, entretenir la guerre au-dehors, où les humeurs mauvaises et inquiètes vont s'évaporer et se résoudre.

Quand on est sans armée ou qu'elle est faible ou qu'on n'a que de la cavalerie, il faut :

- Sauver tout ce qu'on peut dans les places fortes, ruiner le reste, et particulièrement les lieux où l'ennemi pourrait se poster.

- S'étendre avec des retranchements, quand on s'aperçoit que l'ennemi veut vous enfermer : changer de poste ; ne demeurer pas dans des lieux où on puisse être enveloppé, sans pouvoir ni combattre ni se retirer, et pour cela avoir un pied en terre et l'autre en mer, ou sur quelque grande rivière.

- Empêcher les desseins de son ennemi, en jetant de main en mai du secours dans les place dont il s'approche, distribuant la cavalerie dans des lieux séparés pour l'incommoder sans cesse, se saisir des passages, rompre les ponts et les moulins, faire enfler les eaux, couper les forêts et s'en faire des barricades.

 

Cet extrait est tiré de Raimond de MONTECUCCOLI, Mémoires militaires, in Liskenne et Sauvan, Bbilothèque historique et militaire, tome V, Paris, 1844, dans Anthologie mondiale de la stratégie, Robert Laffont, Bouquins, 1990. 

Toth FERENC, Les Mémoires de Raimondo Montecuccoli, dans Cahiers Saint Simon, n°40, 2012, www.perse.fr. Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

 

 

 

 

 

 

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