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7 février 2016 7 07 /02 /février /2016 08:39

      La presse se fait écho de temps à autre de l'évolution de dépenses militaires, de ventes d'armements ou de mouvements de structuration/restructuration des forces militaires. Elle le fait parfois en dressant des tableaux ou en présentant des graphiques censés refléter les dépenses d'armements ou l'ensemble des dépenses militaires.

Mais ces présentations sont très souvent faussées, soit que les sources d'information elles-mêmes sont entachées scientifiquement pour des impératifs politiques de toutes sortes, soit que les critères de prise en compte de dépenses changent, de manière ouverte ou plus souvent de manière cachée, soit encore que de nombreux fonds secrets plus ou moins officiels influent de manière camouflée sur les statistiques...

Dans un domaine "hypersensible", tant pour les États que pour les firmes directement ou indirectement "concernés" par les dépenses militaires, il est bien difficile de comprendre les réalités. De plus, mêler des mouvements de fonds concernant à la fois des armes légères et des armes majeures, du matériel high tech ou des reventes de matériels obsolètes à des pays "pauvres" n'a pas grand sens. Ce qui fait qu'une présentation quantitative dans ce domaine n'a aucune... importance (sauf de manipulation idéologique...) sans une analyse qualitative intégrant la géopolitique ou les politiques de défense...

   Olivier de FRANCE, posant la question de l'usage rhétorique des statistiques de défense, en vient à demander s'il s'agit là de science exacte (les superbes mathématiques mises en oeuvres...) ou d'idéologie. Même des "études" menées conjointement entre le ministère français de la défense, CIDEF et Mc Kinsey & Company sur les exportations françaises d'armement (40 000 emplois dans les régions, septembre 2014) sont soumises à caution. Pour le directeur de recherches à l'IRIS, "l'usage idéologique des chiffres de dépense militaire est parfois inversement proportionnel à leur robustesse méthodologique", tout en réservant aux chiffres européens une meilleure appréciation que pour les chiffres américains ou chinois. "Aussi, les statistiques ne deviennent-elles fausses que lorsque s'efface le socle méthodologique sur lequel elles reposent. L'erreur survient lorsque l'on tente d'ériger en absolu des données que sont par nature relatives, c'est-à-dire qu'elles dépendent de conventions de calcul et d'outils de mesure qui sont construits. Les affirmations médiatique assénées (...) de manière péremptoire montrent bien que les statistiques de défense sont dénuées de sens, sans la conscience de ce qu'elles tentent de montrer."

La faiblesse des bases statistiques (la source des informations) oblige à une évaluation de leur fiabilité, en fonction de la cohérence, région par région, des statistiques elles-mêmes. Ainsi le même auteur évalue cette fiabilité à l'aune de la cohérence entre plusieurs séries statistiques, entre plusieurs émetteurs (États, Institutions...). "Un examen nourri des différentes sources tend à mettre en lumière la cohérence des chiffres de dépenses de défense en Europe depuis la crise. L'ensemble des sources confirment la baisse des dépenses de défense depuis 2010 pour l'ensemble composé par les pays européens de l'OTAN. Il en est de même pour ceux qui composent l'Union Européenne. Le volume de la baisse est ensuite plus ou moins important selon les indicateurs. Les estimations divergent en effet selon que l'on se rapport aux chiffres de l'OTAN, de l'Agence européenne de défense (AED), de l'International Institute for Strategic Studies (IISS), de Jane's (IHS), ou du Stockolm International Resarch Institute (SIPRI). Cependant, la base de données consolidée de l'Institt d'études de sécurité de l'Union Européenne (EUISS) permet de comparer les principales estimations (AED, OTAN, IISS et SIPRI) en utilisant une même base monétaire et méthodologique (euros, taux de variation, taux d'inflation notamment)." Il résulte de ces rapprochements que les indicateurs concordent plutôt pour y relativiser le déclin des budgets militaires. "Les dépenses de défense y résistent depuis le début de la crise, de même qu'en Europe centrale, avec de légères baisses en fonction du mode de calcul. La chute des budgets dans le Sud et dans l'Ouest de l'Europe est beaucoup plus prononcée, notamment chez les pays qui ont souffert de la crise - à l'exception de la Grèce -, avec des baisses qui vont jusqu'à 20% en Bulgarie et en Espagne." Olivier de FRANCE égratigne au passage l'engagement prix au sommet de Newport de l'OTAN par les pays membres de consacrer 2% de leur produit intérieur brut (PIB) à la défense, "voeu pieux" ne reposant que sur une stratégie de communication.

Pour les États-Unis, les indicateurs s'accordent à partir de 2011, faisant apparaitre une baisse avérée du budget de la défense, plus ou moins rapide selon les sources. Toutes sources comprise, on constate également une hausse combinée des dépenses en Asie et au Moyen-Orient. Mais la fiabilité des chiffres diminue considérablement, non seulement quand on remonte dans le temps, mais aussi quand on passe des États-Unis à la Russie ou à la Chine. Pour ce dernier pays, les estimations récentes vont du simple au double en volume, quoique les trajectoires soient comparables. Les estimations du budget russe sont comparables en volume, mais divergentes du point de vue des trajectoires. 

Au-delà de carences ponctuelles (séries de données incomplètes, manque de transparence selon les années et selon les pays... qui semble bien refléter à la fois des difficultés internes passagères de récoltes et d'assemblages de données plus ou moins mâtinées de stratégies de communication..), existent des lacunes structurelles qui font douter de la réalité exprimée par les statistiques de défense. L'exercice de comparaison des données militaires et de défense, bien connu des experts de l'ONU (UNIDIR en particulier), demeure difficile tant des écarts de méthodes de comptage existent : question du périmètre des dépenses prises en compte, écart entre budgets préparés, budgets approuvés et budgets réalisés. L'intervention de lois et règlements (sur les ventes d'armes, sur les spécifications d'engins militaires...) peut troubler les résultats de manière importante. Ce qui oblige à regarder davantage la qualité de ce qui est chiffré, l'état des armements produits et en usage, la qualité des troupes elles-mêmes... "Le niveau des dépenses est, en effet, loin d'être le noeud du problème : rappelons que l'Europe, toute dépense déclinante qu'elle soit, dépense encore davantage que la Russie et la Chine réunies en matière de défense - bien qu'environ 90% de ses capacités militaires soient inutilisables dans un conflit moderne hors de ses frontières.(...)".

Compter les dépenses, même si cela à un sens pour comprendre le poids de la défense dans chaque pays, s'avère de peu d'intérêt lorsqu'on passe à la comparaison entre pays. Outre les distorsions de périmètres et de méthodes de comptage, voulues ou non (plus voulues d'ailleurs souvent...), les différences de stratégie, de but de défense, la non-correspondance parfois entre l'efficacité d'une arme et de son coût. Mieux dépenser importe plus que dépenser plus, mais la dépense militaire n'est pas l'essentiel, même si l'on disposait de données fiables, ce qui compte, c'est l'utilisation qu'un pays compte faire de son armée et de son armement. Olivier de FRANCE met même en garde contre une croyance et une utilisation des statistiques : elles pourraient brouiller les perceptions des réalités, non seulement pour les populations plus ou moins directement concernées mais aussi pour les responsables de la défense eux-mêmes et pour les élus chargés d'examiner (lorsqu'ils veulent bien s'en donner la peine...) les budgets de la défense.

 

     Dans la nomenclature de dépenses de défense du Ministère français de la défense, nous pouvons lire que les dépenses de défense comprennent la défense militaire, la défense civile, l'aide militaire et la recherche.

La défense militaire comprend l'administration des affaires et services de la défense militaire, le fonctionnement des forces de défense terrestres, navales, aériennes et spatiales ; génie, transports, transmissions, renseignement, personnel et forces diverses non combattantes ; fonctionnement ou soutien des forces de réserve et des forces auxiliaires de la défense nationale. Sont inclus les bureaux des attachés militaires stationnés à l'étranger et les hôpitaux de campagne. Sont exclus : missions d'aide militaire, hôpitaux des bases militaires, prytanées et écoles militaires dont les programmes d'enseignement sont analogues à ceux des établissements civils correspondants, même si seuls sont admis à en suivre les cours les militaires et les membres de leur famille ; régimes de retraite de militaires.

La défense civile comprend l'administration des affaires et services de la défense civile ; définition de plans d'urgence, organisation d'exercices faisant appel à la participation d'institutions civiles et des populations ; Fonctionnement ou soutien des forces de défense civile.

Sont exclus : services de protection civile, achat et entreprosase de vivres, de matériel et d'autres fournitures d'urgence à utiliser en cas de catastrophe en temps de paix.

L'aide militaire comprend l'administration de l'aide militaire et fonctionnement des missions d'aide militaire accrédités auprès de gouvernements étrangers ou détachées auprès d'organisations ou d'alliances militaires internationales. Elle comprend aussi l'aide militaire sous forme de dons (en espèces ou en nature), de prêt (quel que soit le taux d'intérêt) ou de prêt de matériel ; contributions aux opérations internationales de maintien de la paix, y compris détachement de personnel.

La recherche comprend la recherche fondamental, la recherche appliquée et le développement expérimental.

Cette nomenclature est à la base de toutes les statistiques produites par le ministère de défense. Les dépenses des administrations publiques en général sont ventilées suivant une nomenclature internationale définie dans le système de comptes nationaux de 1993 et révisée en 1999, la COFOG (Classification of the Fonctions of Government).

 

Dans la présentation de ses données statistiques, le SIPRI indique que "les données sur les dépenses militaires du SIPRI sont dérivées de la définition de l'OTAN qui englobe toutes les dépenses courantes et en capital pour les forces armées, notamment les forces du maintien de la paix, les ministères de la défense et autres agences gouvernementales participant à des projets de défense, les forces paramilitaires si elles sont jugées comme étant formées et équipées pour assurer des opérations militaires et les activités dans l'espace militaire. De telles dépenses comprennent les dépenses engagées pour le personnel civil et militaire, notamment les pensions de retraite du personnel militaire et les services sociaux pour le personnel, l'exploitation et la maintenance, l'approvisionnement, la recherche et le développement et l'aide militaire (dans les dépenses militaires du pays donateur). Sont exclues de ces dépenses, la défense civile et les dépenses attribuables à des activités militaires précédentes, telles que les prestations des vétérans, la démobilisation, la conversion et la destruction d'armes. Cette définition ne peut toutefois pas être appliquée à tous les pays étant donné qu'il faudrait que beaucoup plus d'information détaillée soit rendue disponible au sujet de ce qui est inclus dans les budgets militaires et dans les dépenses militaires hors budget (Par exemple, les budgets militaires peuvent couvrir ou non la défense civile, les réserves et forces militaires, la police et les forces paramilitaires, les forces à double mission comme la police militaire et civile, les subventions militaires en nature, les pensions pour le personnel militaire et les cotisations à la sécurité sociale versées par une partie du gouvernement à une autre)."

 

Olivier de FRANCE, Science exacte ou idéologie? De l'usage rhétorique des statistiques de défense, dans La revue Internationale et stratégique, n°96, Hiver 2014. SIPRI Yearbook, Armaments, Disarmament and International Security, Rapport annuel, 2015. Ministère de la défense, Annuaire statistique de la défense 2014-2015.

 

DEFENSUS

Relu le 15 mars 2022

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