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16 décembre 2015 3 16 /12 /décembre /2015 13:45

   Même si l'attention de concentrer sur une notion de post-conflit dérivée de l'expérience des interventions multiples en faveur de la paix dans des zones touchées par des guerres civiles depuis les années 1990, l'expérience plus large des organisations internationales depuis la fin de la seconde guerre mondiale de "maintien de la paix" donne aux problématiques de sorties de conflit armé une plus grande portée.

Le maintien de la paix comme méthode d'utilisation de la force militaire sans recours à la violence pour préserver la paix constitue un concept élaboré et développé par l'Organisation des Nations Unies (ONU) à partir de 1948 avec la mise sur pied d'une mission d'observation en Palestine et surtout avec le déploiement d'une force d'interception lors de la crise de Suez en 1956. Si le public anglophone bénéficie d'une pléthore d'études de toutes sortes consacrées à cette notion et à ses applications multiples, il n'en est pas de même du public francophone où le monde universitaire de manière générale s'intéresse peu à la défense et aux relations internationales en dehors des crises liées à des guerres coloniales ou à des conflits armés se composant de terrorisme... En français, on peut se référer surtout à l'excellente publication annuelle canadienne, Guide du maintien de la paix, créée par Jocelyn COULON, et supervisée actuellement par David MORIN et d'autres auteurs.

La particularité de ces interventions de maintien de la paix est d'être menée par une organisation internationale qui ne peut agir, grosso modo, que par l'intermédiaire de ses membres les plus influents, ne possédant en propre ni forces armées ni capacités de commandement unifié étendu sur ces forces. Elle dépend entièrement des volontés politiques des membres permanents du Conseil de sécurité. Aussi, les critiques sur sa relative inefficacité à freiner ou stopper des conflits armés n'ont guère de sens, les puissances les plus importantes maîtresses de sa capacité d'action agissent à leur guise, selon des impératifs géopolitiques étatiques. L'habileté du Secrétaire général de l'ONU consiste à lancer et à garder une unité d'action la plus longue possible à ces forces et à faire respecter avec leur aide des résolutions prises avec le consentement ou la volonté réelle... des membres permanents du conseil de sécurité. C'est la structure même de l'ONU, à qui ses membres ont refusé des moyens propres en matière de police et d'action armée (et même souvent non armée!), qui entraine sa relative faiblesse. Pour autant, l'accumulation de l'expérience des Nations Unies oriente de plus en plus ses activités multilatérales vers des calculs stratégiques en faveur réellement du maintien de la paix, cela sous la pression conjointe des États non membres du Conseil de sécurité (avec des interventions au sein notamment de l'Assemblée Générale), d'une opinion publique internationale qui s'affirme de plus en plus (par Internet notamment) et d'une kyrielle d'organisations non gouvernementales (au statut d'observateurs souvent à l'ONU même) de toute nature.

   "Avec l'évolution des tâches effectuées par les soldats de la paix, écrit Ronaldo HATTO, la tendance a consisté à délaisser le terme d'opération de "maintien" de la paix pour celui plus englobant d'"opérations de paix", le maintien de la paix n'étant qu'une des facettes des opérations de paix multinationales. Ces dernières peuvent dorénavant impliquer l'assistance humanitaire, la supervision d'élections, le rapatriement des réfugiés, le désarmement, la démobilisation et la réintégration des anciens combattants, la restauration de la capacité de l'État à maintenir la sécurité dans le respect de l'État de droit et des droits de l'homme ou le soutien à la création d'institutions de gouvernance légitimes et efficaces". Et cela même si l'ONU continue d'utiliser le terme "maintien de la paix" (peace-keeping) pour qualifier l'intégralité de ses opérations. Elle a créé de toutes pièces le maintien de la paix, "transformant au fil des années ce mécanisme improvisé de gestion des conflits en institution incontournable de la société internationale." Plus précisément, c'est le secrétaire général Dag HAMMARSKJÖLD qui, sous la pression des nécessités pour l'organisation d'intervenir bien plus directement dans les conflits armés, a amorcé le corpus de règles qui s'est développé considérablement ensuite. Malgré toutes les critiques (manque de réactivité, d'efficacité), "le maintien de la paix n'a jamais été remplacé par un instrument de gestion ou de résolution des conflits plus "efficace"." S'il n'a pas vocation, considéré juridiquement comme un mécanisme périphérique de gestion des conflits, de  s'immiscer dans les situations où les intérêts des grandes puissances sont en jeu, les interventions répétées, et surtout depuis les années 1990 la gestion des situations d'après guerre civile par de nombreux organisées plus ou moins étroitement reliées à l'ONU, ce mécanisme met en question bel et bien le principe sacro-saint de souveraineté étatique.

    La diplomatie préventive que veut initier Dag HAMMARSKJOLD (Rapport annuel du secrétariat général sur l'activité de l'Organisation, 16 juin 1959-15 juin 1960) répond directement à la crise de Suez en novembre 1956. Deux interventions de l'ONU ont déjà été lancées auparavant : la première en Palestine en 1948, la seconde au Cachemire en 1949. Ces deux opérations en faveur de la paix reposent alors sur le déploiement d'observateurs non armés de l'ONU. Ces premières interventions ont pour but de répondre aux crises liées à la décolonisation et au démantèlement de l'empire britannique et sont rendues possibles par l'absence de conflit d'intérêts sur le moment entre Américains et Soviétiques.

Le terme maintien de la paix est utilisé pour la première fois dans le cadre de la Force d'Urgence des Nations Unies non seulement pour son utilité descriptive, mais surtout comme un moyen de distinguer les nouvelles procédures de celles qui devaient caractériser la sécurité collective (Alan JAMES, The politics of Peace-keeping, New York, Praeger Publishers, 1969). La méthode utilisée pour le maintien de la paix pour séparer les belligérants était très différente de celle envisagée par la sécurité collective. La Charte impliquait la dissuasion des agressions ou la punition des agresseurs par les moyens militaires des grandes puissances. Le maintien de la paix repose au contraire sur le déploiement de contingents légèrement armés fournis par les petites et les moyennes puissances. La dissuasion doit reposer dorénavant sur la seule présence de soldats de la paix (ou casques bleus) déployés entre les parties du conflit. Une différence existe également dans le consentement des parties en présence. Dans la vision traditionnelle du maintien de la paix, les "soldats de l'ONU" ne peuvent pas imposer la paix comme l'exigence la sécurité collective. Ils ont besoin du consentement et de la coopération des parties. L'ONU tire cela directement de son expérience au Congo entre 1960 et 1964. L'absence de consentement des protagonistes peut poser de graves problèmes aux casques bleus. 

    A partir de 1948, les Nations Unies ont développé deux grands types d'opération : observation et interposition.

Les premières n'ont pas vraiment évolués mais les secondes ont connu des fluctuations au cours de la guerre froide, et une tendance à la complexification de leurs fonctions après 1988. Les opérations d'observation visent à déployer des soldats légèrement armés et en petit nombre dans le but d'observer et de rapporter aux Nations Unies le déroulement des événements, dans un pays où la frontière entre deux ou plusieurs pays en conflit armé. L'interposition a pour objectif de déployer des soldats organisés en contingents (habituellement des bataillons de 400-500 soldats) dans le but de former une zone tampon entre les parties en conflit. Les missions d'interposition ont été déployées entre des armées régulières lors de conflits interétatiques et entre des groupes paramilitaires dans le cadre de conflits intra-étatiques. Plusieurs auteurs ont distingué plusieurs périodes dans le maintien de la paix. Ainsi WISEMAN (1993) et FETHERSON (1994) proposent une périodisation en 6 parties :

- 1946-1956 : période d'émergence où les Nations Unies réfléchissent aux moyens d'intervenir pour maintenir la paix et la sécurité internationale, aux mesures à prendre pour protéger son personnel qui serait appelé à être déployé dans des zones de conflits et à mettre sur pied des opérations d'observation en Palestine et au Cachemire, opérations du maintient de la paix sans en porter le nom.

- 1956-1967 : période d'affirmation caractérisée par la création d'opérations impliquant des soldats en plus grand nombre et légèrement armés, déployés pour remplir des tâches complexes et presque totalement inédites. C'est dans cette période qu'apparaissent les casques bleus.

- 1967-1973 : période de mise en sommeil marquée par un ralentissement important des activités de maintien de la paix de l'ONU. Difficultés rencontrées par les caspques bleus et tensions entre membre permanents du Conseil de sécurité, crise financière sans précédent contribuent à cette situation.

- 1973-1978 : période de résurgence avec le lancement de 3 nouvelles opérations autour de l'État d'Israël.

- 1978-1988 : période d'entretien où aucune nouvelle opération n'est lancée, suite aux regains de tension entre les États-Unis et l'URSS (invasion de l'Afghanistan par l'URSS, nouvelle guerre froide initiée par Ronald REAGAN en 1979).

- depuis 1988 : période d'expansion qui début avec l'envoi d'une mission de bons offices entre l'Afghanistan et le Pakistan et d'une mission d'observation entre l'Iran et l'Irak. Cette période d'expansion avec des a-coups (1995-1999) n'a jamais cessé depuis : le nombre de troupes et de personnels civils de l'ONU déployés dans des opérations de maintien de la paix atteint des records vers 2009 et l'ONU continue de créer de nouvelles missions.

     BELLAMY, WILLIAMS et CRIFFIN (2004) présentent les trois principes qui servent de socle doctrinal aux opérations de maintien de la paix traditionnel :

- consentement des parties, consentement qui peut être tacite, non sanctionné par des textes ou accords juridiques.

- impartialité des troupes de l'ONU, principe délicat appliqué dans la composition des troupes intervenantes (nationalités, qualités professionnelles, contrôle de moralité)

- non usage de la force sauf en cas de légitime défense, sans doute le plus difficile à mettre en oeuvre sur le terrain et qui a coûté déjà la vie de nombreux participants civils et militaires. 

   Ronalt HATTO, à qui l'on doit déjà les nombreuses informations ci-dessus, adopte une définition à deux niveaux du maintien de la paix : "la première au niveau stratégique et la deuxième au niveau tactique.

Au niveau stratégique, le maintien de la paix est une institution secondaire qui vise avant tout à réguler et à stabiliser la société internationale en maintenant ou en rétablissant la souveraineté d'États menacés par des agressions extérieures ou par une désintégration interne." L'auteur indique que cette conception des opérations de maintien de la paix repose sur une "conception "westphalienne" de l'ordre international qui considère que les États restent, malgré la montée de puissance de nombreux acteurs transnationaux et du concept de sécurité humaine, les acteurs centraux des interactions internationales". Vu la désagrégation, justifiée par une vision libérale de l'économie, du pouvoir en général des États, cette conception pourrait masquer les véritables luttes qui comptent, lesquelles réduisent les États à des ensembles, qui pour être très médiatisés, montrent une réelle impuissance dans de nombreux domaines. Même si lors des crises financières de grande ampleur, les acteurs économiques semblent se tourner vers les Etats, provoquant des tentatives de régulation des marchés qui n'aboutissent d'ailleurs pas, ce sont eux qui mènent les véritables combats. In fine, l'inefficacité des États intervenant dans de nombreux conflits pour y maintenir ou y rétablir cette "paix et sécurité internationale" pourraient s'expliquer précisément par cette perte de puissance devant des acteurs qui jouent dans la discrétion. Parmi les auteurs qui s'opposent à cette conception "wesphalienne", citons Alex BELLAMY, Paul D WILLIAM et Stuart GRIFFIN dans leur ouvrage Understanding Peacekeeping (Cambridge, Polity Press, 2010).

"Au niveau tactique, le maintien de la paix consiste en opérations mises sur pied par l'ONU, par des États, des groupes d'États (coalitions of the willing) ou des organisations régionales ou sous-régionales (seules ou en coopération avec l'ONU) reposant sur le déploiement de personnel en uniforme (militaires et/ou policiers) et civil, avec le consentement des parties concernées, visant à s'interposer de façon impartiale entre ces dernières dans le but de prévenir, contenir, modérer ou mettre fin à un conflit et éventuellement de rétablir la paix entre les parties.

Pendant la guerre froide, un autre principe consistait à empêcher les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de participer aux opérations de maintien de la paix (mais pas aux missions d'observation)", principe qui peut souffrir de quelques exceptions. "Un autre principe implicite à la base des OMP est que les forces de l'ONU n'ont pas l'autorisation de conduire des missions de renseignement" (synonyme d'espionnage), l'ONU préférait la recherche ouverte des informations. Ceci représente un handicap, un de plus, pour l'ONU : l'absence de renseignement tactique propre peut générer, avec une certaine difficulté d'organisation entre forces nationales différentes, une efficacité réduite sur le terrain, ainsi que des possibilités de manipulations de la part des grandes puissances. 

L'Agenda pour la paix du secrétaire général Boutros BOUTROS-GHALI propose des définitions des différents types d'OMP. "A partir de l'opération en Namibie en 1989, les Nations Unies ont organisé des opérations multifonctionnelles rappelant l'ONUC, la FSNU/AETNU et l'UNIFICYP dans sa première version, dans lesquelles les fonctions exercées par le personnel civil et militaire de l'ONU étaient de plus en plus complexes puisqu'elles impliquaient la supervision d'élections et le rapatriement de réfugiés. C'est aussi au début des années 1990 que se sont ajoutées des opérations de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) et de réforme des secteurs de la sécurité (RSS) en coopération avec l'Organisation des Etats américains (OEA) en Amérique Latine. L'Agenda pour la paix de 1992 avait donc pour but d'offrir une doctrine pour les opérations multifonctionnelle que les Nations unies allaient avoir à organiser (SCHRICKE, 1992) mais aussi à encourager le partage des tâches entre l'ONU et les organisations régionales, qui, selon le Chapitre VIII de la Charte, ont un rôle à jouer dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale." Dans sa partie 2, l'Agenda pour la paix propose trois définitions :

- la diplomatie préventive, avec pour objet d"éviter que les différends ne surgissent entre les parties, d'empêcher qu'un différend existant ne se transforme en conflit ouvert et, si un conflit éclate, de faire en sorte qu'il s'étende le moins possible.

- le rétablissement de la paix vise à rapprocher des parties hostiles, essentiellement par des moyens pacifiques tels que ceux prévus au Chapitre VI de la Charte des Nations Unies (voir dans ce blog Comparaisons entre la SDN et l'ONU).

- le maintien de la paix consiste à établir une présence des Nations Unies sur le terrain, ce qui n'a jusqu'ici fait qu'avec l'assentiment de toutes les parties concernées, et s'en normalement traduit par un déploiement d'effectifs militaires et/ou de police des Nations Unies ainsi, dans bien des cas, que du personnel civil. Cette technique élargit les possibilités de prévention des conflits aussi bien que de rétablissement de la paix.

  L'Agenda pour la paix mentionne aussi une quatrième modalité d'action (et introduit une nouvelle notion dans le vocabulaire de l'ONU) : la consolidation de la paix après les conflits. Cette action, dixit l'Agenda, doit être "menée en vue de définir et d'étayer les structures propres à raffermir la paix afin d'éviter une reprises des hostilités". La notion de peace-building s'est popularisée à partir du début des années 2000. Cette notion est encore très contestée, surtout parce que l'ONU est mal équipée pour mettre sur pied des unités capables de telles activités, l'obligeant de faire appel à des prestataires extérieurs privés sur lesquelles elle n'exerce qu'un médiocre contrôle. 

Les frontières entre les différents types d'intervention ne sont pas clairement définies, signe sans doute positif (malgré les critiques, notamment juridiques) que l'ONU veut (mais le peut-elle) intervenir à toutes les étapes des conflits armés, sauf bien entendu dans la phase des combats, même si des velléités existent pour effectuer des opérations plus ou moins directes d'imposition de la paix. Les OMP, vu la faiblesse de l'ONU, écho de la faiblesse des États membres, restent encore improvisées, les "experts" proches de l'organisation étant loin de maitriser toutes les données des conflits dans lesquels elle veut intervenir. Mais s'ébauche une véritable doctrine stratégique qui, si les OMP se développent et se renforcent réellement, peut donner à l'ONU l'impact que les textes fondateurs voulaient lui donner.

 

Ronald HATTO, Le maintien de la paix, L'ONU en action, Armand colin, 2015.

 

STRATEGUS

 

Relu le 21 février 2022

    

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