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17 mars 2015 2 17 /03 /mars /2015 14:45

  Economiste italien, professeur en Angleterre et proche dans les années 1920 de John Meynard KEYNES, également proche d'Antonio GRAMSCI et de Ludwig WITTGENSTEIN, est l'auteur de nombreux ouvrages d'histoires économiques et traducteur et commentateur de RICARDO, Piero SRAFFA est considéré comme un point de repères dans l'histoire de la pensée économique. Nombre de ses recherches portent sur les lois de la productivité économique.

On peut citer parmi ces écrits, dont nombreux constituent des articles dans des revues, La crise bancaire en Italie (1922), M Hayek sur l'argent et des capitaux (1932), Malthus sur travaux publics (1955), Introduction à David Ricardo, travaux et correspondance (1951-1955), Production de matières premières au moyen de produits de base. Prélude à une critique de la théorie (1960), Une édition posthume des principaux écrits publiée en 1922-1970, sous le nom d'essais (Il Mulino, Bologne, 1986) existe. Beaucoup de ses ouvrages sont traduits en italien et assez peu de ses écrits en français.

    Une des critiques de l'économie néo-classique les plus importantes de cet auteur - faite dès 1926 - réside dans le fait que la "loi des rendements marginaux décroissants", théorie clé de cette économie, ne s'applique pas, en général, dans une économie industrielle. Au contraire, il explique que la situation ordinaire reposerait sur des rendements marginaux croissants, et donc sur des courbes de coûts marginaux horizontaux (plutôt que croissantes). Disqualifiée par les économistes néo-libéraux, son analyse se concentre pourtant sur les hypothèses néo-classiques selon lesquelles, premièrement, il existe des "facteurs de production" qui sont fixes à court terme et, deuxièmement l'offre et la demande sont indépendantes l'une de l'autre. Pietro SRAFFA explique que ces deux hypothèses ne peuvent se réaliser simultanément. Cette explication sape non seulement des fondements théoriques de l'économie néo-classique mais rend caduques également de nombreuses études qui se fondent sur les mêmes postulats, dont celle, après lui, de SONNENSCHEIN, MANTEL et DEBREU...

A sa suite, notamment après sur ouvrage Production de marchandises par des marchandises, une véritable école économique sraffienne se forme, des auteurs utilisant sa démonstration pour critiquer les autres écoles (tout particulièrement l'économie néo-classique et le marxisme). L'analyse du professeur italien constitue, dans l'histoire de la discipline économique, la plus détaillée et la plus attentive des mécanismes de production, dans l'économie réelle. Son analyse comporte de nombreuses subtilités qui échappent aux autres écoles : la dépendance de la "quantité de capital" au taux de profit, et non l'inverse, le phénomène du "retour des techniques"... Aucune autre école n'accorde la même importance qu'elle à la rigueur de l'hypothèse de liberté supplémentaire.

Mais les sraffiens font l'hypothèse que l'économie peut être analysée en utilisant des outils statiques. Par conséquents, même si le traitement rigoureux du temps constitue une composante essentielle de la critique de SRAFFA envers l'économie néo-classique, l'économie sraffienne moderne ne fait aucun usage du temps et de la dynamique, comme Ian STEEDMAN. Du coup, cette école parvient vite à ses limites et si elle est très influente jusqu'en 2000, elle ne se développe que peu depuis, surtout par comparaison avec la croissance des contributions de l'école post-kynésienne depuis cette date. (Steve KEEN)

 

Steve KEEN, L'imposture économique, Les éditions de l'atelier, 2014. 

 

Relu le 21 décembre 2021

 

 

 

    

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17 mars 2015 2 17 /03 /mars /2015 11:08

   Considéré comme un des penseurs de l'école évolutionniste en économie, le critique social, l'économiste et le sociologue Thorstein Bunde VEBLEN, né en Norvège, professeur dans plusieurs universités des États-Unis, est assez peu connu.

Et pourtant, face aux dérives et aux échecs du néo-libéralisme, ses écrits, et notamment The Theory of the Leisure Class (1899), analyse critique de la vie sociale des hommes d'affaires, le placent parmi les auteurs qui méritent d'être redécouvert. Il a lors de son enseignement un rôle stimulant pour l'élaboration de notions fondamentales telles que celle de relative deprivation et par son ébauche des théories modernes de l'action sociale. Il écrit également dans sa sociologie critique du capitalisme d'autres ouvrages tels que Theory of Business Enterprise (1904), The Instinct of Workmanship (1914) et The Engineer and the price System (1921). (Daniel DERIVRY).

    Dans le monde francophone, le travail de ce théoricien est encore peu connu, même si la situation commence à changer. L'une des raisons de cette méconnaissance est due à un certain dédain en France envers toute pensée se réclamant du pragmatisme, made in USA. Il faut attendre les travaux sur l'habitus de Pierre BOURDIEU pour que le pragmatisme soit reconsidéré. Mais, malgré cela, trop peu d'ouvrages francophones ont été consacrés à cet auteur et peu de ses ouvrages aussi sont traduits dans notre langue.

C'est surtout dans le sillage de mai 1968 et de l'intérêt porté aux théories critiques de l'économie et de la sociologie qu'un plus grand intérêt est porté à son oeuvre. Plusieurs ouvrages sont alors traduits en français : La théorie de la classe de loisir (1970), Les ingénieurs et le capitalisme (1971), qui incluent ses deux articles sur la Nature du Capital. Si la pensée de Thorstein VEBLEN commence alors à diffuser dans l'espace francophone dans les années 1970, on en retient surtout une analyse sociologique de l'ostentation et du loisir ainsi qu'une critique radicale des élites parasites, mais on continue à perdre de vue la dimension philosophique et la profondeur économique de son oeuvre ainsi que sa théorie du processus de l'évolution institutionnelle de la société. C'est seulement au tournant des années 1980-1990 qu'un véritable regain d'intérêt pour son oeuvre s'observe lorsqu'on commence à explorer les dimensions moins connues avec entre autres la soutenance de plusieurs thèses doctorales. On ne soulignera pas assez à ce propos le travail de fond de nombreux auteurs, plus ou moins importants et plus ou moins connus, qui en font connaitre d'autres, et notamment celui-ci : Dominique AGOSTINI (1987), Diane-Gabrielle TREMBLAY (1989) et Véronique DUTRAIVE en font par exemple partie. A partir de ces travaux, plusieurs chercheurs aux intérêts convergents, basés pour la plupart à Lyon, fondent le Collectif de Recherches sur l'Économie Institutionaliste (COREI) et publient un ouvrage d'introduction à l'économie institutionnelle en 1995. Une Association des Amis de Thorstein Veblen est créée en 2002 et fondée par Olivier BRETTE. (Dimitri Della FAILLE et Marc-André GAGNON).

    Thorstein VEBLE estime que l'économie devrait être une science évolutionniste (Quarterly Journal of Economics, vol 12, n°4, 1898), mais si effectivement l'économie est dans la réalité un système évolutionnaire, mais ses théoriciens, à la suite de cet auteur, peinent à modéliser dans ce sens. La difficulté à laquelle les économistes évolutionnistes sont confrontés est de parvenir à développer des outils analytiques qui soient cohérents avec l'évolution, et qui permettent cependant de proposer des énoncer significatifs à propos des problèmes économiques. En général, ces outils incluent la simulation informatique, mais malheureusement, les économistes n'ont aucune formation en programmation informatique. Par chance, beaucoup d'étudiants arrivent à l'université en disposant déjà de ces compétences, et certains outils de programmation pour la modélisation évolutionnaire, tels NetLogo et Repast, sont bien plus accessibles pour eux que pour les générations précédentes. (Steve KEEN)

     Le chercheur américain développe une analyse originale de la société américaine au début du XXe siècle. L'analyse vébléenne tient son originalité du regard d'étranger que pose l'auteur sur sa société ainsi que sur les sources intellectuelles diverses où puise ses influences. Son regard sur le capitalisme sauvage diffère radicalement des autres auteurs de son époque. Ses sources principales sont la philosophie kantienne, le pragmatisme, l'École historique allemande, les théories évolutionnistes et le socialisme. On peut préférer l'analyse marxiste, bien plus élaborée et autant mordante, mais la sienne présente des aspects non négligeables. Ces influences lui permettent d'élaborer une théorie des institutions économiques, supérieure à bien des égards aux théories néo-institutionnalistes contemporaines, le poussant à critiquer radicalement une Amérique dominée par des institutions "imbéciles".

  Alors que l'analyse marxiste présente un socle bien unifié et ramifié, les éléments de la pensée de Throstein VEBLEN sont répartis, éparpillés, dans plusieurs de ses écrits.

 

        Marc-André GAGNON et Dimitri Della FAILLE s'efforcent d'en faire la synthèse.

S'inspirant d'Emmanuel KANT, il développe l'idée que, pour donner un sens et une cohérence à leur expérience et à leurs actions, les individus imputent pas raisonnement inductif une téléologie sur le monde qui permet de systématiser l'ensemble des connaissances et ainsi donner un sens à la vie. "Les actions individuelles peuvent donc être intentionnelles puisque la systématisation téléologique que nous posons sur le monde nous permet de déterminer un principe de causalité dans nos actions. Une telle systématisation conduit à la mise en place d'habitudes de pensé, ou institutions, qui ne sont rien d'autre que le système de sens qui sous-tend nos actions. Ces habitudes de pensée sont le matériau de base du facteur humain, dont la rationalité n'est pas donnée dans l'absolu, mais est plutôt construite à travers les habitudes en vigueur. Avec les pragmatistes, Veblen considère que ces habitudes de pensée ne peuvent en rien prétendre à la vérité. Elles n'existent que parce qu'elles s'avèrent adaptées au milieu matériel dans lequel évolue la communauté. Mais puisque ce milieu change, les institutions se transforment aussi pour s'y adapter. L'évolution institutionnelle doit prendre en compte trois facteurs :

1 - les habitudes de pensée (institutions) ;

2 - les agents humains ;

3 - le milieu matériel. 

Les trois éléments se déterminent constamment sans fin dans un processus qui n'a pas de finalité. Les habitudes de pensée déterminent les modes d'action des agents humains, constitués de la somme des individus de la communauté ; par leurs actions, ceux-ci influencent, construisent et donnent forme à leur milieu matériel ; par son évolution, ce dernier oblige l'adaptation des habitudes mentales, qui conduira à des nouveaux modes d'action, etc. Inspiré du darwinisme philosophique, Veblen considère que, puisque la vie de l'homme en société est une lutte pour l'existence, "l'évolution de la structure sociale a été un processus de sélection naturelle des institutions". L'évolution de la structure sociale est en fait "un processus où les individus s'adaptent mentalement sous la pression des circonstances". Si les habitudes mentales font que les actions individuelles sont toutes téléologiques, le processus d'évolution des habitudes mentales n'a aucune finalité en soi et évolue au rythme des contingences et des impératifs du moment.

Cette théorie de l'évolution institutionnelle distingue Veblen de l'École historique allemande. Bien que cette dernière insistait sur l'importance du facteur institutionnel dans l'économie, elle ramenait toujours celui-ci à l'État sans être capable d'en théoriser l'évolution ; tâche à laquelle Veblen s'est attelé. Toutefois, présenté si rapidement, la théorie de Veble semble un effrayant ramassis de structurale et de déterminisme socio-biologique. Ce n'est cependant pas du tout le cas! Et ce, pour les trois raisons suivantes.

Premièrement, rappelons que dans les théories du "darwinisme social", le processus de sélection s'appliquait aux individus et légitimait de ce fait le laissez-faire et le maintien des classes laborieuses dans la misère. Veblen applique plutôt le processus de sélection aux institutions, où le laissez-faire et la légitimité de la misère doivent eux-mêmes être soumis au processus de sélection en tant qu'habitudes mentales. Bref, si dans la pensée de Spencer les individus doivent être soumis à la sélection naturelle, Veblen croit plutôt que c'est la pensée de Spencer qui doit être soumise à ce processus de sélection. De cette manière, Veble permet de remettre en mouvement la réflexion sociale et les aspirations des différentes classes sociales plutôt que de s'enfermer dans un système idéologique posé comme naturel et nécessaire.

Deuxièmement, la théorie de Veblen n'est pas une théorie structuraliste de la société. L'individu n'est pas purement et simplement déterminé par les structures sociales. S'il existe des institutions dominantes, il existe aussi des institutions alternatives, à savoir des aspirations et des modes d'action non-dominant qui remettent en cause les institutions dominantes et qui cherchent à la transformer. (...) L'individu devient acteur, il est l'instigateur (prime mover) d'un processus vivant cherchant constamment à transformer un monde qui le transformera à son tour. (...).

Troisièmement, la principale déficience des théories de l'évolution socio-institutionnelle construite sur un principe de sélection est qu'elles deviennent rapidement des apologies de l'ordre existant. En effet, si les institutions en place sont le produit d'un processus de sélection pour adapter les institutions aux réalités matérielles, il ne reste qu'un pas pour affirmer que les institutions existantes sont donc les meilleures et les plus efficientes. C'est dans ce piège plaglossien que tombent normalement les théories socio-économiques évolutionnistes comme  celle de Hayek (1988) ou des néo-institutionnalistes comme Williamson (1985) ou North et Thomas (1973). Veble tombe-t-il dans ce piège? Non, au contraire, Veblen a recours à la métaphore darwinienne de la sélection naturelle justement pour éviter ce piège. (...) Pour Veblen, la lutte pour la survie ne doit pas être entendue comme une lutte pour l'obtention de biens de nécessité. Il considère plutôt que, sous les conditions modernes, la lutte sociale pour la survie est devenur une lutte pour maintenir et accroitre son statut social. (...). Les institutions dominantes dictent non seulement les modes d'action pour assurer la survie de la communauté mais aussi ceux pour se distinguer à l'égard d'autrui et dans le regard d'autrui. Les institutions peuvent donc être absolument inefficientes en termes matériels tout en nourrissant la logique d'émulation sociale. (...)" Il s'attaque, notamment dans sa Théorie de la classe de loisir, à la notion de conservatisme social entendu comme principe d'hérédité dans le processus évolutionnaire.  Il considère en effet que les classes conservatrices cherchent à ralentir ou saboter le processus de sélection naturelle des institutions. Ces classes, l'élite sociale tire profit des institutions existantes et n'ont pas intérêt à les modifier. La sélection naturelle des institutions devient en fait une sélection artificielle des idées par l'élite en place, qui ne consent à une évolution des habitudes dans la communauté que si elles n'ont aucun autre choix face aux possibilités de fracture dans le système social, ou si elles peuvent elles-mêmes en tirer profit. (...)."

 

Marc-André GAGNON et Dimitri Della FAILLE, La sociologie économique de Thorstein Veblen ; pertinences et impertinences d'une pensée à contre-courant ; Introduction : Thorstein Veblen : héritage et nouvelles perspectives pour les sciences sociales, dans Revue Interventions économiques, n°36, 2007. Steve KEEN, L'imposture économique, Les éditions de l'atelier, 2014. Daniel DERIVRY, Veblen Thorstein, dans Encyclopedia Universalis, 2015.

 

Relu le 22 décembre 2021

 

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15 mars 2015 7 15 /03 /mars /2015 13:25

   Une des racines du néo-libéralisme réside dans la croyance que l'affaiblissement économique des États au profit d'une économie de marché créatrice d'énormes quantités de richesses partout dans le monde allait être la voie vers une pacification du monde.

Non que ses théoriciens ou partisans aient réellement cette idée en tête, leur objectif étant plus de s'enrichir plus que d'autres choses, mais la possibilité que le nombre de violences étatiques, de guerres par exemple, pourrait diminuer au profit d'une mise en relation de plus en plus poussée des consommateurs et des producteurs ne peut qu'attirer d'abord la sympathie sur ses pré-supposés. C'était oublier la facette protectrice des États envers les moins puissants. C'était oublier (ou ignorer) que les ressorts de l'expansion étatique était en grande partie économique. Les mêmes motivations économiques transférées des États ou grands groupes privés ne produisent pas forcément des résultats différents, outre le fait que ces moins puissants se trouvent privés d'alliés. Du coup, on observe un peu partout dans le monde, corrélativement à l'accroissement effectif des richesses (mais beaucoup moins importantes que mises en statistique, si l'on enlève les bénéfices financiers agglomérés...), un accroissement des inégalités et des violences. Les conflits sont toujours là et il semble bien qu'ils s'accroissent, se diffusant dans toutes les sociétés, de manière lente et d'autant plus redoutable... La conflictualité dans le monde s'accroit pratiquement dans tous les domaines au rythme même de la mondialisation, qui est parfois avancée comme allant de pair avec la diffusion du néo-libéralisme, au mépris d'ailleurs de la vérité historique (la mondialisation existe depuis longtemps, même si elle n'était pas généralisée comme de nos jours et même si elle ne s'exprimait pas par l'argent...).

    Le terme de néo-libéralisme désigne le renouvellement des thèses économiques libérales à partir des années 1970 et leur application dans les politiques économiques, comme dans leur hégémonie dans le monde académique.  Ces renouvellements se sont attachés à développer certains domaines de la théorie traditionnelle, ou à compléter les zones d'ombres laissées par les premiers libéraux néo-classiques dont les représentations manquaient souvent de réalisme. L'objectif de ces nouvelles théories est en premier lieu positif ; il vise à améliorer le caractère opérationnel de la théorie, c'est-à-dire à lui permettre de rendre compte de phénomènes observables non intégrés jusqu'alors dans les représentations théoriques. L'ambition est en second lieu normative ; elle veut fournir les recommandations de politique économique jugées nécessaires pour enrayer le chômage et l'inflation caractéristiques des années 1970. (Liém HOANG NGOC)

    En fait, l'étiquette néo-libérale est utilisée actuellement par la majorité des économistes. Elle sert souvent par défaut pour les théoriciens en panne d'inspiration qui, bien souvent oublient d'en donner la définition ou prétendent qu'il est impossible d'en donner une précisément. Autant dire que le terme n'a aucun sens pour ceux qui se revendiquent du libéralisme, sinon l'utilité très pratique de pouvoir cerner par le simple indice de l'emploi de ce concept, la prévention idéologique de la personne qui s'en sert. Pour beaucoup de ceux qui s'affirment authentiques libéraux (comme wiklibéral), beaucoup de théories monétaristes, qualifiées de néo-libérale, passent par une intervention de l'État et des Banques Centrales, ce qui constitue un non-sens. Le néo-libéralisme est souvent associé au néo-conservatisme, aussi libéral que le  collectivisme à la soviétique.

   Il est vrai que le terme néolibéralisme désigne de nos jours un ensemble multidimensionnel d'analyses d'inspiration libérale ou supposée telle. Ces analyses partagent un socle d'idées communes, mais il faut faire un effort intellectuel pour amalgamer des théories qui s'opposent par certains aspects : la dénonciation du développement jugé excessif de l'État-providence après la Seconde guerre mondiale ; la promotion de l'économie de marché au nom de la liberté de l'individu et de l'efficacité économique ; des orientations pratiques communes, prônant la dérégulation des marchés et la disparition progressive du secteur public au profit du secteur privé. La signification du mot néo-libéralisme a tout de même varié depuis qu'il est apparu au XIXe siècle et c'est surtout la contemporaine qui est signalée ici, avec la double connotation anti-socialiste et anti-keynéisienne.

    Lièm HOANG NGOC (né en 1964), économiste et homme politique (socialiste) français,  du "Club des Socialistes affligés" créé en 2014, distingue dans cette nébuleuse quatre courants principaux :

- les théories de l'économie de l'offre qui se fondent sur une conception de la dépense publique et du taux d'imposition optimal ;

- le monétarisme focalisé sur les normes de croissance de la masse monétaire. Il s'agit de la version moderne de la "théorie quantitative de la monnaie" de Irving FISHER (1897-1947) ;

- le courant néo-walrasien qui tente d'expliquer la persistance de rigidités de salaires et de prix sur les marchés à partir notamment des travaux de Léon WALRAS, rendus plus réalistes, notamment par ceux de Joseph STIGLITZ (1976) ;

- le courant néo-institutionnaliste qui cherche à produire une théorie générale des institutions et des structures de gouvernance observables dans l'économie. Figure de proue de ce courant, Olivier WILLIAMSON qui dans son ouvrage de 1985 tente de fournir la synthèse de tout un ensemble de travaux sur la "rationalité limitée" et la "gouvernance".

   Bien entendu, il s'agit là d'une classification comme une autre, tant l'univers intellectuel néo-libéral (qui ne se limite pas à l'économie) est poreux, vaste et élastique... Mais tous ces courants amènent des politiques économiques similaires.

  Ainsi, les perceptions en Europe et aux États-Unis du néo-libéralisme divergent (même de façon dominante) : aux États-Unis, le keynésianisme, pourtant en opposition forte avec le monétarisme et le libéralisme classique, peut être considéré comme néo-libéral... new liberal, ce qui constitue encore une autre source de confusion. Il est utile de rappeler ce que John WILLIAMSON, par exemple (What Washington Means by Policy Reform, dans Latin American Adjustment : How Much Has Happened?, Washington, Institute for International Economics, 1990) résume comme étant le consensus de Washington, partagé par toutes les institutions financières internationales - FMI, Banque Mondiale... :

- Politique budgétaire : les déficits n'ont d'effets positifs qu'à court terme sur l'activité et le chômage, alors qu'ils seront à la charge des générations futures. A long terme, ils produisent l'inflation, baisse de productivité et d'activité. Il faut donc les proscrire, et n'y recourir qu'exceptionnellement lorsqu'une stabilisation l'exige ;

- Les dépenses publiques doivent se limiter à des actions d'ampleur sur des éléments clefs pour la croissance et le soutien aux plus pauvres : éducation, santé publique, infrastructures... Les autres subventions (spécialement celles dans une logique de guichet) sont nuisibles ;

- Politique fiscale : les impôts doivent avoir une assiette large et des taux marginaux faibles de manière à ne pas pénaliser l'innovation et l'efficacité ;

- Politique monétaire : les taux d'intérêts doivent être fixés par le marché ; ils doivent être positifs mais modérés ;

- Pas de taux de change fixe entre les monnaies ;

- Promotion de la libéralisation du commerce national et international : cela encourage la compétition et la croissance à long terme. Il faut supprimer les quotas d'import et d'export, abaisser et uniformiser les droits de douane ;

- Libre circulation des capitaux pour favoriser l'investissement ;

- Privatisation des entreprises publiques, démantèlement des monopoles publics pour améliorer l'efficacité du marché et les possibilités de choix offertes aux agents économiques ;

- Déréglementation : à l'exception des règles de sécurité, de protection de l'environnement, de protection du consommateur ou de l'investisseur, toutes les règles qui entravent la concurrence, et empêchent les nouveaux compétiteurs d'entrer sur un marché doivent être éliminées ;

- La propriété doit être légalement sécurisée ;

- Financiarisation.

 

     Dans de nombreuses régions du monde, écrit Lièm HOANG NGOC, les politiques néo-libérales ont contribué à consolider un régime de croissance macro-économique où se redéfinit le partage salaire-profit en faveur des profits privés. "En particulier, la réduction de la fiscalité pesant sur les entreprises, la désindexation des salaires sur les prix et une politique monétaire restrictive - les taux d'intérêts prohibitifs incitant au désendettement - ont autorisé ou incité les entreprises à restaurer leurs marges et leurs fonds propres. Ce mouvement n'a pas engendré une reprise significative de l'investissement et de l'emploi. Il a contribué à alimenter une épargne financière à caractère hautement spéculatif et extrêmement volatil". Parmi les traits significatifs de cette politique économique, il indique :

"- Sur le plan micro-économique, les processus de croissance externe et de "financiarisation" des entreprises se sont développés, à la faveur de la dérégulation des marchés financiers. Les fusions-acquisitions-externalisations-restructurations ont pris la place des investissements de capacité. Sans créer d'activités nouvelles, en fusionnant des entreprises ou en acquérant de nouvelles, les grands groupes se sont recentrés sur un noyau dur d'activités spécifiques restructurées, d'une façon semblable au schéma décrit par le modèle de "corporate gouvernance" de Williamson (1985). Ils sont revendu ou externalisé leurs activités périphériques qu'ils gardent sous contrôle, notamment sous forme de sous-traitance. ils mettent fortement en concurrence les petits fournisseurs. La norme de sanction du cours des actions des entreprises qui s'est affirmée sur les marchés financiers est devenue la valorisation à court terme de leurs fonds propres, dont le corollaire se matérialise par un ajustement à la baisse de la masse salariale. la contraction de l'emploi en est la principale conséquence lorsqu'une situation de croissance ralentie restreint les débouchés des entreprises.

- Sur le plan macro-économique, le régime de croissance est caractérisé par une inflation peu élevée, des taux d'investissement relativement bas et une consommation faible, alors que s'affirme une épargne excédentaire, ces traits caractérisent l'économie européenne de la décennie 1990. Il en résulte une croissance structurellement faible et financièrement instable. Les marchés financiers sont certes dynamiques, mais ils sont menacés en permanence par un effondrement des cours, dû à un retournement des anticipations des gestionnaires de l'épargne, déplaçant leurs fonds d'une place financière à une autre au jour le jour en fonction de critères de rentabilisation de très court terme. Cette volatilité est elle-même liée à une économie réelle où les perspectives des entreprises sont contraints par un univers macro-économique ralenti.

    Dans sa conclusion, on peut lire :

"Les théories néo-libérales sont progressivement devenues dominantes dans la perception de la réalité économique. Elles ont produit des recommandations normatives, appliquées sous des formes diverses par les gouvernements. Le régime de croissance néo-libéral qui s'est installé dans certaines régions du monde est caractérisé par une croissance ralentie, financièrement instable et porteuse d'une épargne à caractère fortement spéculatif. La persistance du chômage et les risques financiers incitent désormais les gouvernements, les institutions économiques internationales et les économistes à rechercher les voies d'une nouvelle régulation des marchés pour maîtriser les risques liés à la volatilité de l'épargne mondiale. Dans le mêm temps, le commencement du troisième millénaire pourrait être marqué par la résurgence d'une réflexion autour de la mise en oeuvre, coordonnée à l'échelle supranationale, de politiques monétaire et budgétaire de soutien à la croissance."

 

Lièm HOANG NGOC, Néo-libéralisme, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

Relu le 22 décembre 2021

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2 mars 2015 1 02 /03 /mars /2015 09:55

   Le conflit en entreprise relève à la fois du conflit interindividuel (ou interpersonnel) et du conflit collectif. Malgré un organigramme et une hiérarchie sensés garantir l'activité des salariés et/ou des collaborateurs des entreprises vers l'efficacité optimum, aucune organisation de la production ou des services ne peut prémunir contre l'existence de conflits interpersonnels, qui résulte du face à face de personnalités qui, le plus souvent, ne partagent rien d'autres que l'appartenance à une entreprise ou à un service. Mélange de conflit "de compétence" (même dans les cas où les fonctions sont bien définies) et d'"incompatibilité de caractères", ce conflit interpersonnel interfère avec le travail proprement dit, dans des proportions très variables d'une population à une autre, dans des proportions qui sont liées souvent au type de relations que les individus entretiennent avec l'entreprise, ce qui peut aller de la constante négociation et du constant rapport de forces dans des entreprises européennes à une relative discipline rigoureuse faite d'abnégation et de dévouement dans des entreprises japonaises. Ce conflit "subjectif" se mêle plus ou moins à un conflit directement lié aux conditions de travail et à la division du travail, plus "objectif" et sans doute plus quantifiable, où dominent les rapports de classe : ouvriers et contremaitres, ouvriers et patrons mènent une sorte de jeu social où entrent en compte de manière complexe représentation du travail (de sa qualité, de son utilité, pour les uns et pour les autres), conditions matérielles, niveaux de rémunération...

 

La persistance du conflit

  Le conflit, remarque Christian THUDEROZ, "loin de disparaitre, comme l'annonce en est souvent faite (rendu obsolète, nous dit-on, par les nouveaux modes de management ou les nouvelles formes d'organisation productive, devenues flexibles et réticulaires), rythme toujours le quotidien des ateliers et des bureaux (...). Un flou sémantique entoure la notion : elle renvoie à des situations différenciées. Un silence assourdissant lors d'une réunion de projet, une hostilité marquée entre deux top managers, une pétition pour demander le renvoi d'un chef d'atelier, une délégation "musclée" à la direction, un portail cadenassé : autant de situations sociales que l'analyste désigne par un même terme : conflit. Ce sont pourtant des intentions et des actions différentes. Le mot, en fait, désigne deux phénomène : une divergence entre des individus - par exemple, l'usage disputé, entre deux collègues, d'une salle de réunion, qu'ils estiment chacun avoir réservée ; le heurt entre un salarié et son manager qui lui annonce qu'il ne fait pas partie de la liste des promus ; le refus de syndicalistes d'avaliser un plan de restructuration - et l'expression, en actes, de cette divergence par divers moyens coercitifs : l'altercation entre deux employés, le départ collectif et bruyant de certains salariés à l'heure habituelle, pour marquer leur refus de faire des heures supplémentaires, ou la grève. Cette dernière action est qualifiée de "conflit du travail" (si sa durée dépasse la journée) ; les analyses comptent ainsi chaque année le nombre de JINT, journées individuelles non travaillées - le terme technocratique et l'outil de mesure de ces grèves -, pour en tirer de savantes leçons sur l'évolution de la conflictualité sociale. Or, tout désaccord ne se transforme pas en grève ; et le nombre de journées de grèves est dérisoire par rapport au nombre de journées où les désaccords ne prennent pas cette forme ouverte... 

Si le désaccord est fréquent (car inhérent à la relation d'emploi, à l'effort de production et aux difficultés de la coordination), mais qu'il débouche rarement sur un conflit ouvert, c'est donc le basculement du désaccord en conflit qu'il faut expliciter. Il s'agit d'expliquer ce saut, cette rupture, ce recours à la pression directe." Cette manière de comprendre le conflit se rapproche - et ce n'est sans doute pas un hasard à la théorie du passage à l'acte dans la sociologie criminelle. Le conflit et son expression sont deux choses bien différentes et si cette expression est identifiable, le conflit lui-même n'est souvent pas ouvertement exprimé, même s'il préexiste à cette expression...  Pour préciser les choses, le professeur de sociologie (Université de Lyon), chercheur au centre Max Weber, propose pour penser le conflit entreprise de ne retenir que les situations sociales caractérisées par trois éléments :

- la présence d'au moins deux individus, en relation ;

- le fait qu'il oppose des personnes, et non des entités abstraites ;

- le fait qu'ils s'y déroulent dans un lieu spécifique : un espace de travail et de subordination.

Ce qui exclue les conflits moraux (ou de devoirs), les conflits intrapsychiques propres à chaque individu et les conflits d'éléments, comme les conflits d'horaires ou de juridiction (les fameux conflits de compétence...). Ce qui inclue (et ne les opposent pas) conflits individuels et conflits collectifs dans l'entreprise. le sociologue ne doit pas les confondre mais ne peut négliger l'impact des uns sur les autres.

 

Incident ou lutte sociale

Mais malgré toutes ces précisions, les sociologues s'opposent fondamentalement sur l'appréciation du conflit : est-ce un accroc, nuisible à la coopération, qu'il faut éviter ou rapidement circonscrire? Ou un révélateur de problèmes, l'occasion de changer l'organisation, de stimuler l'innovation. "Chaque analyste argumente, preuves à l'appui, pour défendre l'une des deux thèses. Celle du dysfonctionnement, un temps dominante aux premières années du XXe siècle taylorien - il en reste encore des traces chez les managers...- a laissé place à la seconde; celle du conflit fonctionnels (en plus d'être naturel), dès les années 1940. ces deux images ne sont pas inconciliables ; saisies simultanément, elles offrent une approche réaliste du conflit." Cette généralité n'est cependant pas partagée par tous les acteurs sociaux... On ne peut oublier de mentionner qu'il existe toute une catégorie de "sociologues" d'entreprises qui sont plus au service de ces dernière bien plus qu'elle ne fait avancer les recherches en matière de conflits liés au travail. Recyclés professionnels en conseils des chefs d'entreprise (souvent sous forme d'audits...), ces "sociologues" entendent souvent mettre à profit leur "science" pour faire régner dans les ateliers et dans les bureaux une "paix" plus ou moins profitable car en fin de compte obligeant les acteurs salariés ou collaborateurs à des stratégies camouflées, où les conflits ne sont pas exprimés mais conduisent toutefois à des résultats en fin de compte dommageables pour l'activité économique.

 

Cinq manières de penser le conflit en entreprise

   En tout cas, en suivant toujours Christian THUDEROZ, nous pouvons distinguer cinq manières de penser le conflit en entreprise :

- une approche historiciste, qui place l'entreprise dans l'Histoire. Deux variantes : tentative d'aménagement des rapports sociaux et effort de révision des règles. Les sociologues de cette manière peignent des acteurs stratèges, en lutte pour des positions de pouvoir, certains s'évadent de l'entreprise et requalifient ces rapports de pouvoir en rapports de classe ;

- une approche stratégique, qui dépasse les contradictions de classe pour raisonner en termes de jeux sur les règles et de jeux de pouvoir et qui localise l'attention dans les seules organisations ;

- une approche, pragmatique, décisionnelle, qui s'attachent aux individus, dans ces organisations, qui ressentent le besoin de prendre des décisions communes (ou à définir des règles communes) mais se heurtent à différentes difficultés, du fait de différence d'objectifs et de perceptions ;

- une approche fonctionnelle où le conflit joue un rôle. C'est la recherche de la description du mécanisme ad hoc pour que les situations s'ajustent, pour que s'inventent des solutions originales aux problèmes, pour que les individus s'unissent, pour que les groupes renforcent leur cohésion ;

- une approche juridique, qui s'intéresse aux dimensions de justice et de reconnaissance, au coeur des luttes sociales et du conflit d'entreprise.

  Ce découpage reste très théorique, car les sociologues ont l'habitude de butiner dans plusieurs approches. ils le font souvent en référence de réflexions globale sur le conflit. Sur les réflexions globales de Ralf DAHRENDORF et ses continuateurs, de Robert PARK et Ernest BURGESS, ou encore de Georg SIMMEL, de Julien FREUND ou encore de Anatol RAPOPORT.

 

Compétitions, luttes de pouvoirs et conflits

    Ralf DAHRENDORF (1929-2009), notamment dans son Classes et conflits de classe dans la société industrielle (Mouton, 1972) n'effectue pas de distinction entre les notions de compétition et de conflit. Dans les deux cas, il y a rivalités de pouvoir et perception d'une incompatibilité d'objectifs. Robert PARK (1864-1944) et Ernest BURGESS (1886-1966), auteurs d'une Introduction to the Science of Sociology (1924) et inspirateurs d'une longue tradition d'études (suivis par Everett HUGHES, Erwing GOFFMAN ou Howard BECKER), préfèrent distinguer les deux concepts. la compétition, pour eux, est un rapport social parallèle (le cadre de l'interaction est défini indépendamment de la relation) ; le conflit suppose, lui, un contact social et une intervention délibérée sur l'action de l'autre. La condition d'existence du conflit est un face à face où des coups (intellectuels, moraux, physiques)  peuvent être échangés. Julien FREUND (1921-1993), dans sa Sociologie du conflit par exemple (PUF, 1983) insiste sur cette différence : le conflit n'est pas compétition. L'une traduit une rivalité normale, nommée état agonal ; l'autre, un affrontement, un état polémique. L'état agonal est précaire, fragile ; à tous moments il peut basculer en état polémique - et l'adversaire devenir un ennemi. Chez Anatol RAPOPORT (1911-2007), en revanche, dans son Combat, débats et jeux (Dunod, 1960), l'échelle est inversée. Il distingue trois modes conflictuels : le combat (donc une animosité, une volonté mutuelle d'en découdre et le souci des combattants d'être chacun le plus fort), les jeux de stratégie (comme le jeu d'échecs) où chacun maximise son avantage et le débat (conflit de persuasion). 

  De nombreux auteurs abordent le conflit en entreprise, de manière restreinte ou de manière large, leur inspiration chez Max WEBER et chez Emile DURKHEIM est parfois marquée. Ainsi, Alain TOURAINE (né en 1925), Ulrich BECK (1944-2015), Pierre BOURDIEU (1930-2002) ou encore AKROYD et THOMSON (Organisational Misbehaviour (Sage, Londres, 1999) et BÉLANGER et THUDEROZ (Le répertoire de l'opposition au travail, dans Revue française de sociologie, 2010) étudient les différentes facettes du conflit en entreprise, suivant des modalités différentes et des sensibilités idéologiques elles aussi différentes, selon les modalités d'évolution de la division sociale du travail, du salariat et des entreprises elles-mêmes.

A remarquer que des auteurs comme André GORZ ou Michel LALLEMENT ne dissocient pas l'étude  des conflits à l'intérieur des entreprises de celle des conflits sociaux dans la société au sens large. A trop vouloir se limiter au monde interne à l'entreprise, on peut passer à côté d'évolutions majeures. A rebours, faire l'économie de l'étude des conflits (qui peuvent apparaitre comme des micro-conflits) à l'intérieur de l'entreprise, risque de faire passer à côté de constantes et de variables sociales empêchant une claire analyse de la lutte globale de classes. Les conflits en entreprise n'obéissent pas tous à une logique de classe ; les conflits entre classes sociales ne sont pas réductibles à ce qui se passe dans l'arène politique ou économique globale. La tendance s'observe, de la même manière, à considérer surtout les conflits interpersonnels, l'entreprise n'étant qu'un cadre contraint, et à faire l'impasse sur les rapports de pouvoir résidant dans l'organisation même de la production des biens et des services. Ceci dans le cadre d'une évolution des mentalités vers un individualisme de plus en plus insistant.  Pourtant, un conflit de pouvoir à l'intérieur d'une entreprise industrielle n'est pas de même nature qu'un conflit de pouvoir à l'intérieur de n'importe quelle autre organisation, voire dans le cadre de vie quotidien. Le mérite d'une sociologie des entreprises, même lorsqu'elle reste dans le cadre du respect de l'idéologie dominante (règne du marché, acceptation des principes hiérarchiques, acceptation de niveaux de vie très différents par exemple) est de mettre l'accent précisément sur ces caractères spécifiques. 

 

Christian THUDEROZ, Sociologie du conflit en entreprise, Presses Universitaires de Rennes, 2014.

 

ECONOMICUS

 

Relu le 27 décembre 2021

 

 

 

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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 14:25

  A l'heure où le capitalisme donne des signes de plus en plus inquiétants de dérives socio-économiques dangereuses (chomage massif, concentration des richesses entre de moins en moins de mains, endettement financier inextricable dont on peine à identifier les acteurs...), le livre de Steve KEEN, professeur australien d'économie et de finance et spécialiste de la modélisation macroéconomique monétaire et directeur du département Économie, Histoire et Politique à l'Université de Kingston (Londres), indique la mesure des fausses routes de la science économique officielle.

Un certain nombre d'idées d'auteurs aux grandes erreurs mathématico-économiques sont détaillées dans son livre. Se situant dans la lignée montante d'économistes voulant refonder la "science économique" (dont d'ailleurs ils contestent souvent le caractère strictement scientifique s'appuyant en référence en sciences physiques), et rompre avec le néo-libéralisme, autant critiques vis-à-vis des libéraux que des marxistes (notamment sur la notion de valeur...), Steve KEEN reprend à gros frais l'ensemble des théories fondées sur la notion d'équilibre, au coeur des théories économiques dominantes.

C'est un livre à la lecture dont l'auteur averti d'emblée qu'elle exige un certain nombre de volume de café fort. Pédagogique mais n'épargnant pas la démonstration logique et mathématique, le pionnier qui a prévu (avec d'autres) l'effondrement de la finance mondiale des années 2000, livre pas à pas pourquoi l'ensemble des économistes orthodoxes n'ont ni vu ni compris les crises financières contemporaines. 

   Ce livre, qui n'exige pas d'avoir une maitrise en mathématiques, dans lequel d'ailleurs il fait l'économie des formules mathématiques pour s'attacher au sens des équations utilisées usuellement (avec tout de même un certain nombre de pages de logique mathématique...) est écrit, selon l'auteur lui-même "pour des lecteurs enclins à adopter une attitude critique envers l'économie, mais qui sont intimidés par son arsenal intellectuel. Je pars du principe que, bien que vous soyez sans doute familier des conclusions de la théorie économique, vous n'avez pas connaissance de la manière dont ces conclusions sont obtenues."

Au fil des chapitres, ce sont tous les principes, soit-disant bien fondés sur des mathématiques solides, qui sont démantelés au sens propre. Toutes les hypothèses de base de l'économie officielle sont exposées, parfois jusqu'à leur absurdité même, alors qu'on passe généralement assez vite dans les manuels pour étudiants, de quelques niveaux que ce soit, aux conséquences de ces hypothèses, alors même que des travaux des économistes de référence eux-mêmes, indiquent la nature erronée de ces hypothèses. La grande majorité des économistes officiels ignore ou fait semblant d'ignorer ces travaux-là, menés par exemple par des sommités comme HICKS ou LUCAS, auto-critiquant leurs propres approches une fois que les faits leur ait donné tort.

Une des raisons avancées de l'aveuglement général réside selon Steve KEEN, non dans une sorte de conspiration mais plutôt dans une "vision téléologique que les économistes ont adoptée depuis la première formulation par Adam Smith de l'analogie de la "main invisible", pour expliquer le fonctionnement d'une économie de marché. La vision d'un monde si bien coordonné qu'aucun  pouvoir supérieur n'est nécessaire pour le diriger et qu'aucun pouvoir individuel n'est suffisant pour le corrompre, a séduit l'esprit de nombreux jeunes étudiants de la discipline. Je devrais le savoir, car j'ai été l'un  d'entre eux ; si Internet avait existé à l'époque où j'étais étudiant, quelqu'un, quelque part, aurait pu mettre en ligne l'essai que j'avais écrit durant ma dernière année d'université, prônant l'abolition tant des syndicats que des monopoles. Aucune entreprise ne m'avait payé le moindre centime pour écrire ce papier (bien que désormais, si on avait accès à cet article, je serais heureux de payer une entreprise pour le dissimuler). Ce qui m'a permis de rompre avec cette analyse délirante fut ce que les Australiens appellent un "détecteur de foutaises". A un moment, l'absurdité des hypothèses requises pour soutenir la vision de la main invisible m'a conduit à rompre avec cette approche et à devenir l'économiste critique que je suis aujourd'hui." 

L'interprétation sociale, poursuit-il "un peu exagérée des raisons pour lesquelles les économistes néoclassiques ont prospéré constitue une part de l'explication de leur domination. Un grand nombre des chercheurs les plus fameux de l'économie académique américaine ont vécu au croisement entre l'académie, le gouvernement et les milieux d'affaires, la finance en particulier. Bien qu'effectivement à des années-lumière du monde réel, leurs théories ont fourni un écran de fumée derrière lequel a pris place une concentration sans précédent de la richesses et du pouvoir économique. Pourtant, elles sont devenies des outils utiles pour les riches financiers, même si elles sont inutiles - et en fait largement nocives - pour le capitalisme lui-même.(...)".

  L'auteur reste dans le cadre du fonctionnement du capitalisme et attaque autant les théories marxistes que les théories néo-libérales (notamment dans leur explication de l'évolution économique). Il estime que l'économie marxiste est bien plus solide une fois débarrassée de la théorie de valeur travail, et que bien de ses éléments cadrent plus avec le réel que bien d'autres théories. Analysant l'apport de bien de théories alternatives au l'économie néo-libérale (les écoles autrichienne, post-keynésienne, sraffienne, de la complexité et évolutionnaire), partisan plutôt de l'approche post-keynésienne, le professeur d'économie et de la finance estime qu'il existe bien des alternatives à l'économie officielle.

 

Steve KEEN, L'imposture économique, Les éditions de l'atelier, 2014, 520 pages environ.

 

 

 

    Relu le 28 décembre 2021

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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 13:51

     Série documentaire que l'on peut qualifier de magistrale du réalisateur américain Ilan ZIV, écrite par Bruno MAHAN, diffusée par la chaine de télévision ARTE en 2014, Capitalisme retrace l'histoire des théories et des pratiques économiques en Occident et dans le monde entier, à partir d'une origine qui se trouve bien en-deça des écrits d'Adam SMITH jusqu'aux crises financières des années 2000.

En six parties (Adam Smith : à l'origine du libre marché?, "La richesse des nations", nouvel Évangile, Ricardo et Malthus, vous avez dit liberté?, Et si Marx avait raison?, Keynes/Hayek, un combat truqué?, Karl Polanyi, le facteur humain), la série livre une enquête aux quatre coins du monde sur les dynamismes du capitalisme, avec pour guide des économistes renommés comme Robert BOYER et Thomas PIKETTY. D'une tonalité critique sur le seul système économique aujourd'hui en action, dans le fil droit d'une évolution dans la "science économique" vers des approches de plus en plus contestataires des points de vue officiels, elle donne, sur une durée totale de 312 minutes (6 fois 52 minutes), des éclairages forts instructifs.

Il s'agit clairement d'une revisitation de l'histoire économique mondiale qui n'épargne pas les considérations sociales, à l'inverse d'une certaine présentation académique qui sévit dans les écoles et les universités. Anthropologie, sociologie et économie sont mêlés dans une lecture claire. Mise en relief du rôle de la violence dans le fonctionnement du capitalisme, informations sur les structures esclavagistes et coloniales des ressorts du système économique, mise en évidence des conséquences de tout ordre, sociales notamment, de cette marche d'un système qui crée et détruit en même temps d'innombrables richesses, dans un processus de croissance et d'extension géographique, à travers ses innombrables crises. Loin d'être ce système d'équilibre vanté dans les manuels officiels, le capitalisme est foncièrement un système qui vit et génère déséquilibres et destructions. Toutes les leçons de son passé ressurgissent dans les crises financières que nous vivons.

   Ilan ZIV (Israël, 1950), diplômé de la New York University Film School et fondateur en 1978 du Festival du film moyen-oriental de New-York, fait figure aux États-Unis de pionnier en développant un nouveau genre documentaire télévisés où des gens "ordinaires" travaillant en collaboration avec des professionnels produisent des témoignages sur leur vie. Il a produit et coproduit la série video Diares pour la BBC, ARD (Allemagne), la télévision israélienne, IKON (télévision néerlandaise), PBS (Etats-Unis) et Channel 4 (Royaume Uni). Il est le réalisateur de longs métrages, comme Jésus en politique (2008) et de moyens métrages comme Au nom des victimes (2006).

     Dans la sixième partie (Karl Polaniy, le facteur humain) qui couronne en quelque sorte la série, les auteurs examinent les enseignements de cet auteur qui gagne à être connu, sur Sumer et Babylone où le rôle de la dette est majeur. L'avertissement de Karl POLANYI sur le danger représenté par une société qui devient tributaire de l'économie, et non l'inverse, prend tout son sens dans notre XXIe siècle.

 

Capitalisme, film en six parties de Ilan ZIV, 2 DVD, 312 minutes, Zadig productions, 2014, ARTE.

 

FILMUS

 

Relu le 29 décembre 2021

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4 juin 2014 3 04 /06 /juin /2014 07:19

    Des statistiques plus ou moins sérieuses sur la démographie des États à celles nettement plus folkloriques des audiences d'émissions télévisées, sans parler de celles farfelues qui circulent sur les audiences des sites Internet, notre information quotidienne est remplie de chiffres qui représentent parfois autant d'arbres qui cachent les forêts de la réalité...

L'histoire des statistiques, derrière la "scientificité" des chiffres qui sont censés représenter la réalité sociale, économique et politique, nous indique que la subjectivité l'emporte de loin sur la froide comptabilité. Alors qu'un plus un fait deux dans les mathématiques, il est possible qu'il s'agisse en fait de un plus un, soit vingt-deux, soit tout à fait l'inverse! Ce n'est pas tant la multiplicité des statistiques que leur présentation dans les différentes presses écrites et audiovisuelles qui nous irrite. Aux yeux de beaucoup de nos concitoyens inattentifs, les différentes étapes de la construction d'une statistique et de sa présentation sont souvent confondues, ajoutant une certaine confusion de la représentation de la réalité. Il ne s'agit pas tant, à la lecture d'une statistique, de la comprendre réellement, à travers les graphiques, tableaux et interprétations proposés, que de savoir pourquoi, comment et par qui elle est présentée. Sauf à croire que les chiffres ne font que révéler la froide réalité, on oublie un peu facilement que ceux qui les produisent et les présentent ne sont pas des machines, et même si on en venant à robotiser l'ensemble de la chaine de la production et de la distribution des statistiques, il y aurait quand même des humains pour paramétrer l'ensemble de leurs caractéristiques. Et comme chacun sait, non seulement l'erreur est humaine, mais l'humain est un animal avant tout politique et qu'une statistique, avant d'être calculée est pensée dans une stratégie ou une intention précise. On ne calcule pas la réalité pour le plaisir de la calculer, sauf sans doute pour quelques techniciens un peu perdus, mais pour la présenter d'une manière ou d'une autre, pour favoriser ou défavoriser des perceptions de cette réalité. Il est vrai qu'à l'heure des vastes populations et de la mondialisation, il est difficile de se passer des statistiques, des évaluations chiffrées, mais il faut savoir que toute statistique part d'une intention, et que cette intention se prévaut souvent de l'intérêt collectif, et que cet intérêt souvent n'est pas si collectif que cela!

 

   Loin de se réduire à une succession d'actes techniques, l'élaboration des statistiques s'inscrit dans des dynamiques de conflits et de coopérations. Si le terme "statistiques" est relativement récent (XVIIe siècle), l'activité de recueil de données comme d'élaboration de tableaux de présentation de ces données est très ancienne et répond aux besoins d'organisation du gouvernement des grands empires comme des grands royaumes. Dénombrement liés à l'armée, aux impôts et à l'évaluation des richesses, les recensements connus apparaissent sur les tablettes d'origine sumérienne, pour des listes de biens et de... dettes. C'est de l'Empire romain que proviennent les dénombrements les plus systématiques, absolument indispensables pour le dressement des listes des assujettis à l'impôt ou à l'enrôlement dans les armées. Si les progrès, notamment mathématiques, apparaissent à la fin du XVIIe siècle, on trouve déjà depuis longtemps les différents protagonistes de l'élaboration des statistiques :

- les "cibles" de ces statistiques, plus ou moins rétives de se prêter au dénombrement, à commencer par le dénombrement des "feux" (foyers) dans les villages permettant de dresser les listes d'impôts. Les progrès des statistiques sont très liés aux politiques fiscales des différentes entités politiques et... commerciales. Ne parlons pas des réticences de plus en plus grande des sondés des multiples questionnaires, qui ont plutôt tendance à répondre à côté ou à carrément mentir...

- les enquêteurs qui collectent les données auprès des populations "cibles", dont la qualité varie de membres d'administration locale ou d'envoyés spéciaux du gouvernement "central". Suivant cette qualité, on peut déjà trouver un jeu entre recensés et recenseurs qui orientent dans un sens ou dans un autre l'importance des données recueillies. N e parlons pas de ces collecteurs de données qui, pour bien promouvoir quelques avancements, "arrangent" un peu leurs résultats...

- les commanditaires de ces enquêtes, gouvernements ou organisations privées, qui entendent avoir une vue globale sur les territoires ou/et les populations sur lesquelles ils/elles entendent exercer un certain pouvoir, et qui "attendent" des résultats "exploitables" ou simplement "présentables"... Il va de soi que si les résultats ne sont pas terribles, surtout lorsqu'il s'agit de mesurer la compétitivité de l'entreprise vers les actionnaires ou les pourvoyeurs de fonds, il faut absolument trouver de très bons analystes qui rendront les choses un peu plus optimistes...

- les analystes pris entre les impératifs des commanditaires, une certaine expertise arithmétique, une "conscience professionnelle" de recenser "dans le vrai" et les pressions, soit des enquêteurs ou même parfois directement des "cibles" des enquêtes...

   De la collecte des données aux analyses finales, en passant par l'élaboration des statistiques elles-mêmes, des phénomènes sociologiques de tout ordre interviennent. De plus, l'élaboration de la "science statistique" n'est pas uniforme dans toutes les civilisations et les différentes méthodes d'élaboration des statistiques, à commencer par la définition des données recueillies, peuvent donner des résultats différents, même si la présentation finale semble s'accorder sur les mêmes termes... De là des distorsions parfois importantes dans le temps et dans l'espace qui obligent à effectuer diverses analyses de fond avant de pouvoir faire des comparaisons "exploitables"...

 

Statistiques : des enjeux de pouvoirs

    Pour rester dans notre époque aux statistiques surabondantes que l'on retrouvent pratiquement dans n'importe quelle activité humaine, les statistiques constituent, ni plus ni moins, des enjeux de pouvoirs.

  Nous ne prendrons pour exemple que quelques cas, sans plus les développer, qui attirent notre irritation ou simplement notre attention, soit qu'ils peuvent nous induire carrément en erreur sur la réalité, soit qu'ils constituent des déformations fortes, laissant au vestiaire toute notion d'honnêteté ou de probité intellectuelles, et ce parfois de manière définitive, par la force des habitudes.

Tout d'abord, rares sont les ouvrages et encore moins les articles qui considèrent d'un oeil critique les données chiffrées qu'ils présentent, surtout dans le domaine économique. La confusion de l'information économique et de la propagande commerciale n'y est sans pas pour rien.

Ainsi les éditions successives de l'État du monde renferment un certain nombre d'observations très utiles pour la compréhension des statistiques. Comme il dresse un état du monde par régions et par pays dans lequel les données chiffrées ont presque plus d'importance que les analyses globales, soit 50 indicateurs portant sur la démographie, la culture, la santé, les forces armées, le commerce extérieur et d'autres grands indicateurs économiques et financiers, il indique les limites des comparaisons possibles d'évolution d'une année sur l'autre, comme les limites des considérations sur les données brutes. "Les décalages que l'on peut observer, pouvons-nous lire par exemple dans l'édition de 2006, pour certains pays entre les chiffres présentés dans les tableaux peuvent avoir plusieurs origines : les tableaux, qui font l'objet d'une élaboration séparée, privilégient les chiffres officiels plutôt que ceux émanant des sources indépendantes (observatoires, syndicats...), et les données "harmonisées" par les organisations internationales ont priorité sur celles publiées par les autorités nationales. Il convient de rappeler que les statistiques, si elles sont le seul moyen de dépasser les impressions intuitives, ne reflètent la réalité économique et sociale que de manière très approximative, et cela pour plusieurs raisons. D'abord parce qu'il est rare que l'on puisse mesurer directement un phénomène économique et social : le "taux de chômage officiel" au sens du BIT (Bureau international du Travail), par exemple, même lorsqu'il a été "harmonisé" par les organisations internationales, n'est pas un bon outil pour comparer le chômage entre pays différents. Et même lorsqu'on compare la situation d'un même pays dans le temps, il se révèle être un indicateur trompeur, tant il existe de moyens pour l'influencer, surtout en période électorale. il faut aussi savoir que la définition des concepts et les méthodes pour mesurer la réalité qu'ils recouvrent sont différents d'un pays à l'autre malgré les efforts d'harmonisation accomplis depuis les années 1960. Cela est particulièrement vrai pour ce qu'on appelle "impôts", "prélèvements", "dette publique", "subvention", etc. De minimes différences de statut légal peuvent ainsi faire que des dépenses tout aussi "obligatoires" partout apparaissent comme des "impôts" dans les comptes d'un pays et comme des "consommations des ménages" dans l'autre."

  Et les auteurs de L'état du monde ne font référence qu'à des difficultés d'origine technique ou des différences qui tiennent à des traditions administratives divergentes d'un pays à l'autre, ou à des distorsions possibles en période politique importante. Des statistiques de population peuvent faire l'objet aussi de "distorsions" volontaires de la part des pays qui les présentent. L'état de collecte (en tant que machine administrative capable de les faire) des données diffère d'une région du monde et parfois radicalement. Quoi de commun entre l'appareil administratif ramifié des pays industrialisés avec ceux aux compétences restreintes au plan géographique, avec une tradition de contrôle très faible, ou tout simplement une immensité des populations à couvrir... Quel crédit peut-on finalement apporter, d'autant que s'y mêlent des considérations tout simple stratégiques, aux chiffres de la population chinoise ou africaine?  Quel attention faut-il accorder à des comparaisons complètement hors de la réalité entre certains flux migratoires ou entre taux d'emploi, quand le statut de citoyen ou de travailleur varie du tout au tout?  Et cela est encore plus brouillé par les présentations officielles ou officieuses, et par une presse de plus en plus paresseuse... Et encore faudrait-il que les différents médias sachent compter!  Or, en dehors de la question de fond posée par une étude relativement récente, combien de journalistes savent-ils lire les pourcentages des statistiques et combien de lecteurs comprennent qu'un doublement d'une quantité donnée ne se traduit pas 200% mais 100%!!!

  Le délabrement de structures administratives chargées des statistiques économiques, comme par exemple des services de recensement, sous les coups de butoirs d'un néo-libéralisme qui ne pense qu'à supprimer des emplois et d'un informatisation qui prétend remplacer les évaluations périodiques de populations ou de résultats économiques par des projections vérifiées simplement par sondages très sélectifs, provoque la question de la fiabilité même des données recueillies et analysées. 

   Pour ce qui est des chiffres proposés par les entreprises au public ou même à leurs actionnaires, comment ne pas se poser la question de leur fiabilité. Outre qu'ils ont toujours été soumis à au moins deux impératifs contradictoires : effectuer la publicité de leurs activités et de celles de leurs gestionnaires et tenter au contraire d'échapper à l'impôt jugé trop lourd, d'autant que semble bien l'emporter le désir de "participer" à la fraude fiscale généralisée.

   Conjoncturellement, il semble bien que les fausses statistiques chassent les vraies comme on dirait de la monnaie! (la mauvaise monnaie chasse la bonne)   Seules échappent sans doute à cette tendance les statistiques qui portent sur des réalités physiques, comme celle des changements climatiques actuels...

 

    On termine cette charge par une étude qui en dit long sur la perception des réalités économiques...

En effet, Yvan DEFFONTAINE, informaticien, s'exprime dans une Tribune libre de Le Monde du 4 mai 214, s'étonnant que pour la grande presse et même la presse économique, nous soyons depuis toujours ou presque, depuis au moins 1973, année du "choc pétrolier" en crise et que pour autant nous ne soyons apparemment pas entré dans une descente aux enfers socio-économique, ni dans une décroissance croustillante. Il se penche alors sur les statistiques de base pour voir les effets de la crise sur le PIB de la France : 1973 : 177,5 milliards d'euros ; 2013 : 2 060 milliards d'euros. trouvant cela bizarre de voir ces graphiques en couleurs et en noir et blanc montrer des pentes descendantes du PIB... En fait, les économistes oublient de dire, et peut être même l'ont-ils oublié eux-mêmes!, que pour que cette courbe soit orientée vers le haut, il faudrait que la croissance soit logarithmique (vous savez ce que c'est, j'espère...), ce qui est bien sûr impossible pour une économie déjà développée. En fait, tout repose sur un "mauvais" enchaînement des pourcentages : Année 1, vous produisez 100 ; Année 2, vous produisez 110. Bravo, les économistes vous adorent. Année 3, vous produisez 120... Bien, bien, mais hé, vous dises ces bons docteurs, votre taux de croissance est passé de 10% à 9,09%... Pas bien, ça, on va mal vous noter. Année 4, vous produisez 130 et vous êtes content de vous. mais non, vous vous faites tapez sur les doigts, la croissance baisse, dises les mêmes docteurs : 8,33%... Alors que vous pensiez avoir progressé de 30% en 3 ans... Vous renouvelez 40 fois l'opération. Ben, mon vieux, il est temps de prendre la retraite, la croissance n'est plus que de 2,04%! La mort est proche, les notations baissent, les financiers froncent les sourcils, la presse économique vous rétrograde.. En fait, à force de regarder pas plus loin qu'une année, ces bons docteurs on tout simplement oublié les chiffres... Et cela pour toute sorte de statistique. En fait, les graphiques devraient montrer, en prenant les chiffres de base, des courbes en pente ascendante!  mais ce n'est pas tout, les politiques, menés par le bout du nez par les erreurs de ces bons docteurs,  assènent à la population des morales sur l'endettement. D'où, conclusion de notre informaticien, nécessité de trouver de nouveaux indicateurs économiques afin de produire des statistiques qui reflètent quand même un peu plus la réalité!   En fait, cela reflète le court-termisme de nombreuses politiques économiques, qui à force de ne penser qu'en terme d'années (électorales?) oublient les données chiffrées sur plusieurs années... Même si nous ne partageons pas forcément l'optimisme final de Yvan DEFFONTAINE qui en déduit que le monde s'est finalement considérablement développé et que la crise en fait est au moins partiellement fictive, à tout le moins, voilà de quoi s'alarmer sur la fiabilité des statistiques!

 

On consultera avec profit : Alain DEROSIÈRES, L'histoire de la statistique comme genre, style d'écriture et usages sociaux, dans Genèses, n°39, 2000. Libby SCHWEBER, l'histoire de la statistique, laboratoire pour la théorie sociale, dans Revue Française de sociologie, n°37-1, 1996. L'État du monde 2006, La Découverte, 2005. Et aussi, en ce qui concerne les questions économiques de la défense : François BELLAIS, Martial FOUCAULT et Jean-Michel OUDOT, Économie de la défense, La Découverte, 2014.

 

MOTUIS

 

Relu le 7 novembre 2021

 

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16 mai 2014 5 16 /05 /mai /2014 12:10

         Revue entièrement consacrée au monde chinois contemporain, universitaire, trimestrielle, sur papier et électronique, Perspectives chinoises analyse la Chine dans ses aspects socio-politiques, culturels et littéraires. Elle offre une information originale ainsi que des analyses fondées sur des enquêtes de terrain menées par des chercheurs spécialisés. Fondée en 1992 par Michel BONNIN, spécialisé dans les rapports entre société et pouvoir en République Populaire Chinoise pendant et après l'époque maoïste, par Raphaël JACQUET et Jean-Philippe BÉJA, entre autres auteur de A la recherche d'une ombre chinoise. Le mouvement pour la démocratie en Chine (1919-2004) paru aux Éditions Le Seuil en 2004, la revue, établie à Hong Kong et parfaitement bilingue (tous les articles sont publiés dans les deux langues), constitue actuellement une référence dans ce domaine.

Organe du Centre d'Études Français sur la Chine Contemporaine (CETC), elle se veut pluridisciplinaire : chaque numéro aborde un thème particulier dans un dossier parfois copieux, ainsi que des articles de recherche et d'actualité. Ses comptes rendus d'ouvrages et ses lectures critiques sont particulièrement utiles aux étudiants cherchant une documentation récente et fournie, comme d'ailleurs aux non-spécialistes. Elle se fait l'écho des recherches menées en Chine même et fait le lien constant, sur les mêmes sujets, entre les réflexions d'auteurs chinois en Chine et ceux établis en en Europe. 

 

   Le CETC, fondé en 1991, membre d'un réseau des 27 centres de recherches à l'étranger soutenus par le Ministère français des Affaires Étrangères et le CNRS, est le seul centre de recherche européen en Chine entièrement consacré à l'étude de la Chine contemporaine. Il est basé à Hong Kong et dispose d'une antenne à Taïwan depuis 1994, ainsi que des chercheurs individuels établis en Chine continentale. Impliqué dans la formation universitaire, en France et en Chine, ce centre a été dirigé par Michel BONNIN (1991-1998), puis par Jean-Pierre CABESTAN (1998-2003), Gilles GUILHEUX (2003-2006) et Jean-François HUCHET (2006-2011) et l'est actuellement pas Sébastien VEG. 

 

   On trouve, au fil des numéro, consacrés par exemple à l'Urbanisation de la Chine rurale (2013/3), à Mao aujourd'hui : une icône politique pour une époque prospère (2012/2), ou à La modernisation de l'Armée populaire de libération et ses répercussions (2011/4), les signatures de spécialistes, de Séverine ARSÈNE (rédactrice en chef), de Jean-Philippe BÉJA (basé à Pékin, il travaille sur la politique chinoise), de Stéphane CORCUFF (sur la géopolitique comparée des deux Chine par exemple), de Chloé FROISSARD (de l'Université Rennes 2), d'Aurore MERLE (histoire de la sociologie en Chine, modes d'association et de mobilisation des citoyens chinois...), de Judith PERNIN (cinéma documentaire chinois "indépendant"), de Sébastien VEG (littérature et politique...) ou de Yinde ZHANG (Université Sorbonne Nouvelle - Paris III). Le dernier numéro (2014/1) porte sur Hong Kong  depuis 1997. Il comporte des articles sur les pouvoirs exécutif et législatif, l'épargne chinoise, l'identité nationale et l'intégration régionale...

 

    Les numéros, disponibles sur le portail Revues.org, offrent ses articles documentés sous la vigilance d'un Comité de lecture de plus de quarante membres. On peut consulter sur le site du CETC, les différents travaux et initiatives du centre. 

 

Perspectives chinoises, China perspectives, CEFC, 20F Wanchai Central Building, 89 Lockart Road, Wanchai, Hong Kong. Abonnements par mail notamment : cfec@cefc.com.hk.

 

Relu le 28 octobre 2021

 

 

 

 

 

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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 18:52

   Pamphlet antimonétariste paru en Angleterre en 1982, ce texte de Nicholas KALDOR (1908-1986), une des figures marquantes du keynésianisme britannique (il participe à l'élaboration de la Théorie, après avoir été disciple de HAYEK) constitue une contestation radicale des postulats théoriques et des déductions logiques de l'analyse monétariste de Milton FRIEDMAN.

Les principales contributions théoriques du professeur à l'université de Cambridge (1952) et du conseiller des gouvernements travaillistes de l'après-guerre et de nombreux pays, portent sur la croissance et la répartition des revenus. Il approfondit l'analyse keynésienne de l'intérêt et de l'incertitude économique, et aborde donc les questions monétaires. Il fait partie des "disciples" de John Meynard KEYNES qui mènent le combat contre les politiques monétaristes entre 1979 et 1986. Le texte de ce pamphlet fait suite à de nombreux travaux sur le comportement des agents économiques.

 

     Sa théorie centrale repose sur la constatation que les détenteurs de profit, les entreprises ou les propriétaires de capitaux, épargnent davantage leurs revenus que les salariés. Il s'ensuit qu'à chaque configuration de la répartition du revenu correspond un montant d'épargne, donc d'investissement, différent. Comme le niveau de l'emploi et de la croissance dépendent du niveau de l'investissement, il existe une relation entre la répartition des revenus et la croissance. Une fois cette relation explicitée, Nicholas KALDOR pose la question de la relation entre l'investissement et la croissance à long terme.

Cette question essentielle pour comprendre l'évolution des économies industrielles, n'est pourtant pas beaucoup posée par les économistes depuis les travaux de Karl MARX. Pour y répondre, l'économiste britannique veut montrer, à la suite d'Adam SMITH, que les gains de productivité industrielle augmentent avec le niveau de l'investissement et de la production. En effet, plus la production s'accroît, plus il est possible de spécialiser les travailleurs et les machines. En outre, les coûts fixes comme les frais de gestion ou de mise au point diminuent par unité produite. Enfin, le progrès technique ne peut s'incorporer que dans de nouvelles machines, et dépend donc du taux d'investissement. 

Nicholas KALDOR tire les conséquences d'une telle relation quant à la politique économique. Afin de susciter une croissance continue de la production et des gains de productivité, il paraît nécessaire de maintenir la demande à un niveau élevé. Il rejoint ici l'enseignement de KEYNES, mais inscrit dans une perspective dynamique. Dans la mesure où les gains de productivité sont redistribués sous forme d'une augmentation des revenus, une telle politique  permet de créer un cercle vertueux de croissance, puisque toute augmentation de la demande permet un accroissement des revenus, et donc une nouvelle augmentation de la demande. Du coup, toute politique de réduction de la demande globale conduit à une moindre croissance de la production, et donc à une hausse des coûts unitaires de production qui entraine une perte de compétitivité et une nouvelle contraction des marchés. L'économie est alors entrainée dans le cercle vicieux de la désindustrialisation. (Gérard GRELLET)

 

Une contestation du monétarisme

       Le Fléau du monétarisme prolonge une littérature abondante keynésienne sur la politique monétaire.

Nicholas KALDOR conteste d'abord les arguments empiriques de FRIEDMAN relatifs à la stabilité de la fonction de demande de monnaie. La mise en avant du caractère endogène de la monnaie est l'argument principal au nom duquel il rejette la vision monétariste, et l'amène à amender celle de KEYNES. FRIEDMAN a en effet en commun avec KEYNES de considérer la masse monétaire comme une grandeur exogène. Cette hypothèse est conforme à la tradition classique libérale venue de RICARDO, qui voit dans l'offre de monnaie une variable soumise au double arbitraire des décisions de la Banque centrale et des comportements des banques de second rang, mais elle est gênante, selon le point de vue de KALDOR, car les propriétés d'instabilité d'une économie capitaliste sont alors associées non pas aux fluctuations plus ou moins erratiques (en fonction des règles d'émission) de l'offre de monnaie, mais aux conditions d'incertitude radicale qui entourent les décisions d'investissement des entrepreneurs. Aussi, les successeurs de KEYNES, avec KALDOR, l'ont-ils abandonnée au profit d'une conception endogène de l'offre de monnaie, dans laquelle l'offre de monnaie bancaire, qui représente l'essentiel de la masse monétaire, répond à la demande des firmes et des particuliers. Nicholas KALDOR insiste sur ce point, qui remet en cause toute possibilité de contrôle de l'offre de monnaie par les autorités monétaires. 

   Les arguments avancés dans ce texte peuvent être considérés comme le "fond commun" anti-monétariste des différents courants keynésiens, que l'on retrouve par exemple chez Frank HAHN (1971, 1983) ou chez James TOBIN (1981), représentants d'un keynésianisme beaucoup plus syncrétique que celui de Nicholas KALDOR, qui est, avec Joan ROBINSON, la pointe avancée d'un keynésianisme "anti-néoclassique", très critique par rapport à la théorie dominante de l'équilibre. (Christian TUTIN).

 

Dans le texte de cette oeuvre...

   Après s'être attaqué à une évolution qui va du quantitativisme au monétarisme, Nicholas KALDOR dénonce les postulats fondamentaux de ce monétarisme et leurs implications :

"Les principales propositions du monétarisme sont : - le taux de croissance de la masse monétaire (en lui déduisant le taux de croissance justifié par l'augmentation de la production réelle) est la principale cause, si ce n'est la seule, de la croissance des prix des biens et des services ; - à part les perturbations à court terme dues à l'incapacité de prévoir le futur (anticipations irrationnelles), l'évolution de l'"économie réelle", soit la croissance de la production, de l'emploi, de la productivité, est entièrement déterminée par les "facteurs réels" tels que le progrès technique, la croissance de l'offre de travail et le taux de formation du capital. Tous ces facteurs sont déterminés par les forces du marché, indépendamment des variations de la masse monétaire, si on met à part les perturbations temporaires (qui peuvent être positives ou négatives en termes de produit réelle ou d'emploi) dues à l'imperfection des prévisions. A "long terme", cependant, la production réelle (ainsi que sa répartition) est entièrement déterminée par de tels facteurs "réels" : il n'y a pas de place pour une quelconque politique macroéconomique se fixant les objectifs cités ci-dessus, sauf en ce qui concerne la maitrise de l'inflation, qui peut être obtenue (et uniquement de cette manière-là) par le contrôle de la masse monétaire.

Avant de commencer à examiner les hypothèses qui justifient ces opinions, un certain nombre de questions se posent : - En supposant que le comportement de l'économie "réelle" soit neutre par rapport aux perturbations monétaires, pourquoi devrait-on regarder l'élimination de l'inflation comme un objectif d'une telle importance, au point de lui accorder la "priorité absolue?" Dans quelle mesure est-il préférable pour la communauté d'avoir des prix constants plutôt que des pris qui augmentent (ou baissent) constamment?

Évidemment la réponse doit être, du point de vue du gouvernement, que l'inflation entraine des distorsions graves et mène à une détérioration de la situation économique. Dans ce cas-là, cependant, la proposition de base selon laquelle l'économie "réelle" reste insensible à de telles perturbations ne tient pas. (...)."

   L'auteur explique ensuite que les propositions monétaristes pourraient s'appliquer à une économie imaginaire régie par le modèle de WALRAS sur l'équilibre général, mais en définitive, les monétaristes "supposent que l'économie livrée à elle-même s'"autorégule" et fonctionne de façon à assurer la pleine utilisation des ressources". Ils supposent aussi "qu'il n'y a pas de différence importante entre le fonctionnement d'une économie faisant appel à une monnaie-marchandise et une économie utilisant une monnaie de crédit. Dans cette dernières, la monnaie est formée par des reconnaissances de dettes ("promesses de paiement") convertibles en d'autres "promesses de paiement" qui apparaitraient en tant que sous-produit des opérations d'open market de la Banque centrale et de l'octroi de crédits par le système bancaire, et non pas en tant que conséquence de l'activité économique et des revenus qu'elle engendre. Ils supposent aussi "que le contrôle  réussi de la croissance de la masse monétaire provoquera à lui tout seul une "pression de la baisse" sur les prix et par conséquent une ralentissement de l'inflation, en arrivant même à la faire disparaitre si le contrôle est maintenu suffisamment longtemps".

C'est à partir de ces fausses prémisses que sont proposées des politiques économiques  au mieux inefficaces, au plus nocives. Car le contrôle de l'"offre de monnaie", "totalement inefficace d'après les propres critères du gouvernement, ce n'est rien d'autre qu'un écran de fumée procurant une justification idéologique à ses mesures antisociales."

Les erreurs des monétaristes proviennent plus profondément selon Nicholas KALDOR à une conception erronée de la monnaie. Dans son chapitre sur "La définition de la monnaie", il écrit "Tous s'accordaient finalement pour dire que la ligne de démarcation entre les politiques économiques keynésiennes et non keynésiennes passait par la réponse à une question empirique tournant autour de la valeur prise dans la réalité par l'élasticité par rapport au taux d'intérêt de la demande de monnaie. En réalité, la divergence est beaucoup plus profonde - il s'agit de savoir si le "côté de l'offre de monnaie" tel qu'il est déterminé par les autorités monétaires, est mieux représenté en termes de quantité de monnaie offerte ou en termes de taux d'intérêt fixé par la Banque centrale, qui détermine le coût du crédit (laissant la demande déterminer la quantité de monnaie en circulation). Si l'élasticité par rapport au taux d'intérêt de la demande de monnaie est faible ou nulle (ce qui est le cas, comme nous le montrerons à partir de preuves empiriques), cela ne parle pas en faveur de l'efficacité des contrôles monétaires (comme le prétendent les tenants de la théorie quantitative de la monnaie), mais montre, au contraire, l'impuissance des autorités monétaires à faire varier la quantité de monnaie autrement qu'en répondant aux variations de la demande. De ce point de vue, l'étroite corrélation entre quantité de monnaie et niveau du revenu prouve non pas l'importance de la politique monétaire, mais exactement le contraire : la variation du stock de monnaie n'est rien d'autre que le reflet de la variation du volume des transactions monétaires. Plus importante est la réponse de l'"offre de monnaie" aux variations du volume des transactions monétaire, moindre est le besoin d'économiser de la monnaie ; et voici l'explication de ce paradoxe apparent d'une masse monétaire et d'une vitesse de circulation variant souvent dans le même sens, et non dans un sens opposé."

 

Nicholas KALDOR, Le Fléau du monétarisme, Economica, 1985. Traduction en français de B. GURRIEN et M. ORIOL.

Christian TUTIN, Une histoire des théories monétaires par les textes, Flammarion, 2009. Gérard GRELLET, Nicholas Kaldor, dans Encyclopédia Universalis, 2014.

 

Relu le 25 septembre 2021

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24 février 2014 1 24 /02 /février /2014 09:59

     Économiste américain considéré comme l'un des plus influents du XXe siècle, Milton FRIEDMAN, par un long et patient travail de harcèlement envers les keynésiens, qui s'étale sur un demi-siècle, est le principal artisan de la restauration des thèses pré-keynésiennes. Il influence encore les politiques économiques monétaristes occidentaux et même au-delà, dans ce qu'il appelle, selon une formule très contestée, "le cadre monétaire et fiscal pour la stabilité économique". Dès 1948, dans un article de l'American Economic Review, il avance l'idée d'imposer aux autorités monétaires le respect d'une norme de croissance de la masse monétaire calée sur le taux de croissance "naturel" de l'économie. En un sens, si l'on s'en tient à cet objectif, la stabilité monétaire et des masses de capitaux n'est pas réellement au rendez-vous au bilan de toutes ces politiques monétaristes promues à grand renfort de médias et de chaires d'université. Il n'est d'ailleurs pas certain que ses observations aient été réellement suivies dans la réalité : il y a loin du discours libéral aux politiques effectivement mis en oeuvre. 

 

La crise des années 1970 favorable à une diffusion de ses idées

     Christian TUTIN situe son activité dans un contexte bien précis : "La crise des théories et des politiques keynésiennes, mises en difficulté par la coexistence, dans les années 1970, de l'inflation et du chômage, l'ont fait passer du statut d'apôtre isolé du libéralisme économique à celui de grand inspirateur de la révolution néo-libérale.

Jusqu'à sa mort en 2006, il a été de tous les débats internationaux. Partisan résolu des changes flexibles lorsque le système de Bretton Woods s'est effondré, convaincu de l'échec inéluctable de la monnaie unique européenne, il a aussi été l'ardent propagandiste, de par le monde, des politiques néolibérales. Les "chicago boys" qui ont sévi dans divers pays du tiers-monde, dont le Chili de Pinochet, étaient des disciples de Friedman.

Au plan théorique, l'oeuvre de Friedman a consisté à reprendre la tâche que s'était fixée Fisher quarante ans plus tôt : réhabiliter la théorie quantitative de la monnaie, et ce faisant imposer peu à peu l'idée que Keynes et les keynésiens péchaient par leur "ignorance de la monnaie".

Dans son offensive contre ces derniers, il a d'abord multiplié les arguments empiriques en faveur de la stabilité de la fonction de demande de monnaie, affirmant contre Keynes, qui y voyaient une source majeure d'instabilité, que celle-ci était toujours et partout une fonction stable du revenu réel, et qu'en conséquence la relation entre masse monétaire et niveau général des prix devait être considérée comme une relation causale allant de la première au second. Il s'est également attaqué à la fonction de consommation pour montrer l'instabilité de la relation entre consommation et revenu courant, et ruiner ainsi la notion de multiplicateur sur laquelle s'appuient les politiques keynésiennes de relance. Enfin, il a remis complètement en cause la possibilité même d'un arbitrage entre inflation et chômage, tel que le visaient les politiques de "pilotage en douceur" (fine tuning) des années 1960. Cette thèse est exposée dans un article de 1968 sur "le rôle de la politique monétaire" (...) où il soutient que la politique monétaire ne doit viser aucun objectif réel (emploi ou taux de croissance du PIB) mais exclusivement le contrôle de la masse monétaire, et par là la stabilité des prix. Ainsi les effets potentiellement néfastes de la monnaie seront-ils neutralisés et l'équilibre "naturel" pourra être atteint sur les marchés, à condition évidemment qu'ils soient concurrentiels. Le maintien d'une politique monétaire "activiste" ne peut, selon lui, que déboucher sur l'accélération de l'inflation. Parce qu'elle est potentiellement dévastatrice, la politique monétaire doit donc consister à n'en avoir aucune, ou plus exactement à assurer la "neutralité" de l'offre de monnaie.

Cet article a marqué une étape essentielle du débat entre keynésiens et libéraux ; en remettant en cause la validité théorique de la "courbe de Philippes", qui établissait une relation inverse entre inflation et chômage et confortait une explication de l'inflation par les coûts, il sapait en effet les fondements mêmes des politiques de réglage conjoncturel de la demande globale.

L'article de Friedman laissait toutefois subsister une "fenêtre" d'efficacité de la politique monétaire "à court terme", le temps que les agents économiques adaptent leurs anticipations d'inflation. La critique s'est radicalisée avec les nouveaux classiques, qui tenteront de montrer, en adoptant la double hypothèse d'anticipations rationnelles (c'est-à-dire dépourvues d'erreurs systématiques) et d'ajustement immédiat des marchés,que même à court terme la politique monétaire ne peut rien contre le chômage. On passe ainsi de la neutralité de la monnaie "à long terme" à la "super-neutralité", c'est-à-dire à la négation de toute influence de la monnaie sur l'équilibre réel."

 

Le travail théorique de FRIEDMAN

    Jean-Marc DANIEL précise les éléments de son travail théorique en tant que monétariste : "Auteur abondant, Milton Friedman cultive plusieurs registres, celui de l'universitaire rigoureux comme celui du militant et du polémiste habile qui soutient le Parti républicain et tient une chronique dans le magazine Newsweek. Ses ides trouvent leur cohérence dans l'opposition systématique au keynésianisme dominant des années où il commencer sa carrière. Il s'emploie à démontrer que la politique économique inspirée par John Maynard Keynes et ses discipline n'a aucun impact sur la croissance, que ce soit par l'usage de la politique monétaire, de la politique de change ou de la politique budgétaire.

Son raisonnement porte principalement sur l'aspect monétaire de l'économie. Friedman part de ce que les économistes appellent l'équation quantitative de la monnaie dans sa forme p.T = M.V (p comme prix, T comme Volume des transactions, M comme la Masse monétaire et V comme vitesse de circulation de la monnaie), qui exprime une relation de proportionnalité entre la quantité de monnaie nécessaire pour réaliser des transactions au cours d'une période donnée et la valeur monétaire de ces transactions. Dans une monumentale étude historique qu'il publie en 1963 avec Anna Schwartz (Une histoire monétaire des États-Unis, 1867-1960), il établit qu'à long terme V décroit, tandis qu'à court terme elle croit, si bien que V est constante en moyenne dans la période d'efficacité de la politique économique. Il considère, en outre, que le mécanisme monétaire déterminant est celui de la demande de monnaie, c'est-à-dire des besoins en monnaie estimés par les agents économiques et non pas celui de l'offre de monnaie, c'est-à-dire de la quantité de monnaie mise en circulation par la banque centrale. Toute augmentation de la masse monétaire, décidée par les autorité monétaire et non désirée par les agents économiques est sans effet sur le comportement de ces derniers et donc ne modifie pas T ; V étant constante, elle se traduit par une hausse des prix.

A partir de là, Friedman développe une théorie de l'inflation qu'il résume dans la formule : "l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire", formule qui lui vaut le qualificatif de monétariste. Il s'oppose en particulier aux économistes qui, s'inspirant des travaux du Néo-Zélandais Alban William Phillips, font de l'inflation un moyen de réduire le chômage. Pour Friedman, l'inflation traduit une augmentation de la masse monétaire et n'a aucun lien avec le chômage. Elle le ferait baisser si elle conduisait à une baisse du salaire réel. Mais, si les salariés se laissent d'abord surprendre, n'attachant d'importance qu'à leur salaire nominal, ils réalisent vite la situation et demandent des hausses de salaire afin de rétablir leur salaire réel.

En ce qui concerne la politique de change, Friedman s'oppose là encore à la vision keynésienne d'un système de change fixe dans lequel la dévaluation, augmentant les débouchés à l'exportation et donc la demande, a un effet de relance. Pour lui, les changes fixes sont dépassés : le prix d'une devise, comme les autres prix, relève du marché et non d'un accord entre les autorités monétaires. Il préconise l'adoption d'un système de changes flottants, c'est-à-dire de laisser le cours des monnaies se fixer librement, au jour le jour, sur le marché des changes. Il en attend, en particulier, la possibilité pour les banques centrales de concentrer leur action sur les problèmes monétaires internes.

En ce qui concerne la politique budgétaire, il se fonde sur sa théorie du revenu permanent. Il considère que la consommation n'est pas un acte instantané mais que chaque consommateur inscrit ses dépenses dans une perspective longue, dans laquelle il intègre l'évolution probable de son revenu. Par conséquent, toute mesure de relance par injection de revenus supplémentaires liée à une augmentation des dépenses publiques ou à une baisse des impôt modifie la situation de court terme, mais peu le revenu permanent, si bien qu'elle n'a aucun impact durable.

Selon Milton Friedman, l'intervention de l'État perturbe donc l'économie de marché plus qu'il ne la régule, y introduisant soit l'inflation, soit la déflation, comme en 1929."

 

Un oeuvre plus lue comme opinion que comme science source de programmations publique

     L'oeuvre de Milton FRIEDMAN a plus d'impact dans la presse économique spécialisée ou dans la presse d'opinion que sous la forme de livres. Toutefois, on peut suivre la cohérence forte de sa pensée à travers une vingtaine d'ouvrages, de Taxing to Prevent Inflation : Techniques for Estimation Revenue Requirements, avec Carl SHOUP et Ruth P. MACK publié en 1973 (Columbia University Press) à Money mischief : episodes in monetary history publié en 1992 (Harcourt Brace Jovanovich), en passant notamment par The Quantity Theory. A Retastement (La théorie quantitative de la monnaie. Une nouvelle présentation) de 1968 ou Capitalisme and Freedom (Capitalisme et Liberté) de 1962 (traduction française en 1971, chez Calmann-Lévy) ou encore Free to Choose (Penguin Books) de 1980 (La liberté du choix, Belfond, 1980).

On remarquera une relative dispersion et une certaine parcimonie dans l'édition française de ses oeuvres. Le texte de la Théorie quantitative de la monnaie, par exemple est disponible seulement dans l'édition de textes choisis par R. S. THRON (Dunod, 1971). Toutefois sont également disponible en langue française La monnaie et ses pièges (Dunod, 2002), Inflation et systèmes économiques (réédition 1985, Presses Pocket) et Prix et Théorie économique (Economica, 1983). Free to Choose (La liberté du choix) qui n'est qu'une sorte de novellisation d'une série de dix émissions télévisées du même nom, rédigé conjointement par Rose et Milton FRIEDMAN, constitue plus une sorte d'allégorie du marché et du capitalisme qu'une argumentation scientifique de leurs mérites face à d'autres systèmes économiques. Diffusée en pleine résurgence du libéralisme, elle est rediffusée en 1990, émission qui semble alors, de par le changement de conjonctures économiques plus une défense qu'autre chose... Elle est disponible sur le site Ideachannel.com.

 

La théorie quantitative de la monnaie

   La théorie quantitative de la monnaie. Une nouvelle présentation, de 1956 marque le retour au coeur des débats macroéconomiques de l'après-guerre de cette théorie. C'est d'ailleurs la première grande contre-attaque théorique d'envergure à l'encontre de l'orthodoxie keynésienne. Il s'agit en fait de l'article introductif d'un ouvrage édité sous la direction de Milton FRIEDEMAN la même année, Studies in the Quantity Theory of Money, qui rassemble principalement des contributions empiriques, dont une étude importante de Philip CAGAN (The Monetary Dynamics of Hyperinflation). 

   Jean Sébastien LENFANT présente le double objectif de l'économiste : "à la fois prendre des distances avec la version traditionnelle de la théorie quantitative de la monnaie et (...) contrer les positions anti-quantitativistes des keynésiens orthodoxes." 

La tradition en économie, explique t-il, "considère que la quantité de de monnaie M nécessaire pour réaliser des transactions pendant une période donnée est dans une proportion fixe avec la valeur monétaire de ces transactions. De plus, la production Y de l'économie est toujours suffisante pour qu'il n'y ait pas de chômage. Par conséquent, toute augmentation de la quantité de monnaie en circulation (suite à une augmentation de l'offre de crédit bancaire, par exemple) sera sans effet sur le niveau de la production. La même quantité de produit sera achetée avec une plus grandes quantité de monnaie. Puisque la vitesse de circulation de la monnaie V est une constante (une donnée institutionnelle invariable à court terme, qui indique le nombre moyen de transaction par unité monétaire), le niveau des prix P est la seule variable d'ajustement aux variations de l'offre de monnaie. Selon les keynésiens orthodoxes, l'équation quantitative (MV=PY) est pertinente, mais, lorsque le taux d'intérêt est trop faible, en situation de "trappe à liquidités", toute augmentation de l'offre de monnaie est conservée sous forme d'encaisses spéculatives. Ce n'est plus P qui sert de variable d'ajustement, c'est la vitesse de circulation.

La réhabilitation qu'entreprend Friedman de (cette théorie) consiste à concilier plusieurs contraintes. Tout d'abord, se départir du caractères mécaniques de ces explications. Ensuite, théoriser une hypothèse empirique : la stabilité de la demande de la monnaie et de la vitesse de circulation, conçues comme des fonctions et non comme des constantes. Enfin ne pas négliger l'explication du niveau des prix. Pour cela, Friedman présente la théorie quantitative comme une théorie de la demande de monnaie. La monnaie est un actif parmi d'autres, une manière de détenir de la richesse, que l'on peut traité formellement comme la demande de n'importe quel bien, à condition d'introduire une dimension intertemporelle. La demande d'encaisses réelles d'un agent (demande de monnaie exprimée en valeur réelle, (c'est-à-dire déflatée du niveau général des prix) est une fonction qui dépend, de manière simplifiée :

1 - de la contrainte de richesse, la richesse étant assimilée par Friedman au revenu permanent, c'est-à-dire à la valeur actualisée des revenus présents et futurs des agents ;

2 - du rendement relatif de la monnaie par rapport aux autres actifs financiers (actions, obligations) ;

3 - des anticipations d'inflation ;

4 - des préférences des ménages.

Finalement, à la différence de la version traditionnelle, "la quantité moyenne de monnaie détenue par dollar de transactions est elle-même considérée comme résultant d'un processus économique d'équilibrage (entre l'offre et la demande de monnaie), et non comme une donnée physique". Dans ce cadre général, Friedman définit un quantitativiste comme celui qui suppose que la fonction de demande de monnaie est stable, ce qui n'est pas incompatible avec des variations importantes de la vitesse de circulation, comme le montre Philip Cagan ; que les facteurs qui affectent l'offre et la demande de monnaie sont indépendants ; que la fonction de demande de monnaie demeure très sensible à de faibles taux d'intérêt, ce qui revient à nier les situations (keynésiennes) de "trappe à liquidités". 

   Notre auteur précise, dans cette origine de la contre-révolution monétariste, que en 1968, dans The Role of Monetary Policy (American Economic Review, vol 58, 1968), Friedman livrera les implications politiques de sa théorie. Dans les faits, l'hypothèse empirique de stabilité de la demande de monnaie permet de rétablir les propositions politiques essentielles d'un quantitativiste : la variation de la demande étant lente et graduelle, les modifications importantes du revenu à court terme proviennent nécessairement des variations de l'offre nominale de monnaie, et elles alimentent les phénomènes inflationnistes. Dans l'Histoire monétaire des États-Unis, 1867-1960 (de 1963), Milton Friedman et Anna Schwartz soutiennent que les variations monétaires ont généralement été la cause, plus que la conséquence, de récessions majeures. Se succèdent alors de nombreuses études empiriques sur la demande de monnaie. Le débat attire l'attention sur l'aspect déstabilisateur des politiques d'accompagnement monétaire des relances expansionnistes keynésiennes. La conclusion théorique est qu'il vaut mieux assurer la stabilité des prix à long terme en faisant croître la masse monétaire à un taux fixe correspondant à celui de la production. Ces recommandations inspireront directement la politique monétaire de la Réserve fédérale aux États-Unis, particulièrement dans les années 1980, sous les présidences de Ronald Reagan, et la stabilité des prix figure dans les tout premiers objectifs de la Banque centrale européenne."

 

Capitalisme et liberté

    Dans Capitalisme et liberté, publié en 1962, Milton FRIEDMAN expose sa thèse de la liberté économique comme condition nécessaire à toute liberté politique. Ce livre, qui s'adresse à un large public, fait l'apologie (très intelligente) du libéralisme en y exposant les travaux de ses collègues de l'Université de Chicago (Frank KNIGHT, Froedrich HAYEK et George STIGLER). Il y défend, plus que dans d'autres ouvrages d'économie, ses convictions philosophiques et politiques. Écrit à une époque où la Grande Dépression était encore dans tous les esprits, à un moment où les dépenses fédérales d'infrastructures, sociales et de la défense augmentaient fortement. Il se situe dans une vision du libéralisme philosophique où le gouvernement a un rôle très limité et peu centralisé. Sont abordées successivement :

- les relations entre liberté économique et liberté politique ;

- le rôle du gouvernement dans une société libre ;

- le contrôle de la monnaie ; 

- le commerce international et les accords commerciaux où il défend la fin du système de Bretton Woods et son remplacement par un système de changes flottants (régime dans lequel nous vivons aujourd'hui), ainsi que la fin des barrières protectionnistes (très loin à l'heure actuelle de l'être... même et sans doute surtout, aux États-Unis) ;

- la politique fiscale ;

- le rôle du gouvernement dans l'éducation (chèque éducation pour les étudiants...) ;

- capitalisme et discrimination, celui-ci étant le meilleur système pour éviter celle-ci ;

- monopole et responsabilité sociale des entreprises et des travailleurs, où l'auteur distingue 3 types de monopoles : public, privé et de réglementation publique. Ces derniers doivent être très limités et les entreprises doivent, dans sa "doctrine de responsabilité sociale" se préoccuper de la "société" et non du profit seul, ceci ne pouvant mener qu'au totalitarisme. Nous nous demandons si Milton FRIEDMAN joue au naïf ou considère réellement l'entreprise comme le centre de la responsabilité sociale. Dans ce cas, on pourrait parler de défaite idéologique, en provenance du monde des entreprises lui-même! ;

- professions réglementées réduites au strict minimum, le marché devant seul permettre de distinguer les meilleurs avocats, médecins... des autres ;

- redistribution des revenus : thèse de l'impôt progressif, qui permet une réelle redistribution des richesses produites, jusqu'à un impôt négatif... ;

- mesures de l'État providence qui freine la réelle redistribution que seule un système fondé sur la "responsabilité des entreprises" peut assurer ;

- réduction de la pauvreté, avec l'instauration d'un revenu minimum. Cette disposition est défendue par une fraction de la gauche américaine, au-delà de celle qui adhère au propositions de FRIEDMAN. Une partie du libertarisme américain lutte pour celle-ci).

 

Christian TUTIN, Une histoire des théories monétaires par les textes, Flammarion, collection Champs, 2009. On y trouve des extraits de l'article de FRIEDMAN sur le Rôle de la politique monétaire (American Economic Review, vol 58, 1968, traduction d'André CABANNES).

Jean-Sébastien LENFANT, La Théorie quantitative de la monnaie, 1956 ; Jean-Marc DANIEL, Milton Friedman, dans Encyclopedia Universalis, 2014.

 

Relu le 26 septembre 2021

 

 

 

 

 

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