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12 octobre 2010 2 12 /10 /octobre /2010 17:28

         Le nombre des recherches dans le domaine de psychologie et des neurosciences explose depuis de nombreuses années. Les progrès techniques de l'imagerie qui permettent de visualiser des zones longtemps inconnues du cerveau et de ses constituants, l'établissement de la carte génétique humaine, rendue possible par les progrès en informatique notamment, la focalisation sur les relations plus ou moins directes entre fonctionnement du cerveau et capacités cognitives ou émotionnelles chez l'homme... et il faut bien l'écrire un centrage de la psychologie sur les relations entre individus - à l'inverse d'une tendance antérieure à privilégier plutôt la psycho-sociologie - lui-même produit d'un certain individualisme ambiant.... tout cela favorise la réflexion et les spéculations sur un certain déterminisme biologique, dont heureusement la plupart des scientifiques et des revues scientifiques se détournent actuellement. Nous sommes maintenant assez loin de certains divagations, d'influence religieuses, tendant à trouver dans l'organisation biologique une finalité divine. Cette tendance, qui reste assez forte aux États-Unis, s'est étiolée en Europe et cela se voit à la lecture des revues scientifiques et de vulgarisation présentes sur Internet, dans les facultés ou dans les librairies. 

 

        De manière plus générale, surtout dans un domaine touchant aux sciences de la vie, plus qu'aux sciences sociales sans doute, nous pouvons distinguer plusieurs sortes de revues selon leur degré de technicité. A la littérature grise des praticiens qui circule sous forme de polycopiés ou de brochures et beaucoup maintenant sous forme électronique, aux revues très spécialisées destinées aux chercheurs, comme le fut Agressologie ou comme l'est la Revue de neuropsychologie, correspond une littérature encore spécialisée mais destinée surtout au monde étudiant et universitaire, voire à un public très cultivé, et correspond également, mais de façon parfois lointaine de façon générale dans son contenu et dans ses intentions, une troisième littérature destinée au grand public. Parfois, au gré de l'attention intermittente des comités de lecture, une contribution "audacieuse" tente de fournir une explication globale (et politico-religieuse malheureusement quelquefois) à des recherches prudentes et très limitées, mais de plus en plus, après quelques incidents mémorables (rappelons l'histoire de la mémoire de l'eau...) et malgré la persistance d'une véritable bataille intellectuelle autour de l'idée de l'Évolution, nous pouvons percevoir que la prudence heureuse des chercheurs se diffuse même dans les revues spécialisées destinées au plus large public, comme Cerveau et Pyscho

 

             Il n'existe pas de revue, du moins francophone, qui traite spécifiquement de l'agressivité ou du conflit dans sa dimension biologique, même dans les milieux scientifiques concernés. Les articles sur l'agressivité se retrouvent un peu partout dans les grandes revues de vulgarisation scientifique (Nature, Pour la science, Science et Avenir, Science et Vie...) et il faut simplement avoir l'oeil sur le sommaire des revues traitant du système nerveux en général pour découvrir de temps à autre des contributions éclairantes pour notre propos. 

 

Agressologie

          La revue Agressologie, Revue internationale de physiologie et de pharmarcologie appliquée aux effets de l'agression, créée par Henri LABORIT, a fourni de 1958 à 1993, à un public composé surtout d'anesthésistes, une information de première main sur les recherches les plus avancées sur les processus bio-chimiques et physiologiques en jeu dans les situations d'urgence dont la gravité menace à court terme les fonctions vitales. B. WEBER, responsable de la revue, relate cette expérience éditoriale, mettant en relief les conflits d'ordre intellectuel que les idées généralistes du fondateur ont suscité. 

"Son comité de rédaction est international (jusqu'aux spécialistes en  Europe de l'Est...), appuyé sur le réseau d'amis de LABORIT que ses travaux sur le choc et l'hibernation artificielle ont amené dans de nombreux pays (...). SELYE pourtant refuse son patronage, non pas qu'il récuse les résultats de LABORIT ; mais il craint de voir s'installer une confusion entre le "stress", syndrome non spécifique, d'apparition lente, résultant d'agressions minimes et répétées, caractérisés par des lésions histologiques d'une part et le ROPA (Réaction Organique à l'Agression), d'évolution rapide, mettant immédiatement en jeu le pronostic vital d'autre part : les deux comportent en effet une séquence hypophyso-cortico-surrénalienne. (...). Internationale se veut aussi la diffusion ; ce sera un peu plus tard la seule revue médicale - et probablement biologique - dont les résumés sont systématiquement traduits en Français ou Anglais (...). La ligne éditoriale suit bien évidemment la progression des travaux du laboratoire d'eutonologie, à (l'hopital) Boucicaut, d'autant plus que dès la deuxième année de parution, les cliniciens proposent un tel nombre d'articles, certains contestant en outre l'intérêt de la vision généraliste que défend LABORIT, que des anesthésistes fondent une revue spécifiquement clinique, les Annales de l'anesthésiologie française. Mais, généraliste, Agressologie reste attentive à des originalités qui trouvent rarement l'occasion de se manifester dans d'autres publications. Ce qui a conduit assez rapidement à consacrer des numéros à thème. Certains resteront épisodiques, trop particuliers ou suffisamment en avance pour que le relais soit pris ultérieurement par d'autres : Analyse automatique du signal électrobiologique ; Consultation d'anesthésie ; Anesthésie électrique ; Acupuncture en anesthésie ; Monitorage EEG de l'anesthésie... D'autres, comparatifs, se veulent au service des réanimateurs-anesthésistes utilisateurs de matériels (...). Certains assumeront les publications de sociétés trop jeunes pour avoir leur propre journal (...). 

Cette aventure de trente ans ne serait plus possible aujourd'hui sous cette forme. Elle a permis à l'équipe rassemblée autour de LABORIT d'exprimer des résultats et des opinions en marge des convenances : avantage dans la mesure où persistent des traces qui auraient disparu sans cela ; inconvénient en soustrayant cette équipe aux règles impératives de Comités de lecture dont le travail contribue à l'édification d'une pensée partagée sinon conforme".

Rappelons que l'agressologie est l'étude des chocs provoqués par une cause interne ou extérieure à l'organisme. L'eutonologie, nom (légèrement barbare pour le grand public) imposé par le professeur CANGUILHEM à la Sorbonne, épistémologue, pour nommer les recherches d'Henri LABORIT au laboratoire à Boucicaut, désigne l'étude des réactions de l'organisme à tous types d'agression telles que les brulures, les blessures, le stress, le froid, les chocs opératoires, etc. Ces réactions à l'agression doivent permettre à l'organisme de se défendre et de revenir à son état normal (homéostasie).

 

Revue de neuropsychologie, neurosciences cognitives et cliniques

    Fondée en 1991 par Eric SIEROFF et Michel HABIB, sous l'égide de la société de neuropsychologie de langue française (SNLF), La Revue de Neuropsychologie est devenue Revue de neuropsychologie, neurosciences cognitives et cliniques, en mars 2009. Avec à sa tête Francis EUSTACHE, cette revue, organe officiel de la Société de Neuropsychologie de Langue Française (SNLF), la seule revue couvrant l'ensemble des disciplines de la neuropsychologie, veut répondre aux problématiques rencontrées par les neuropsychologues, neurologues, orthophonistes. Avec ses quatre numéros par an, la Revue de neuropsychologie, est disponible sur son site www.revuedeneuropsychologie.com. Destinée donc aux spécialistes, on y retrouve la relation des expériences les plus avancées dans ce domaine. Cette revue est éditée par John Libbey Eurotext.

Dans le numéro 4, volume 11 de la revue trimestrielle, l'éditorial de Bénédicte GIFFARD et de Francis EUSTACHE, porte sur la Neuropsychologie des traumatismes, et l'opus de novembre-décembre 2019 comporte comme à l'habitude des articles de synthèse de travaux (sur le stress), de points de vue et de revue de presse.

www.revuedeneuropsychologie.com

 

Cerveau & Pyscho

         Cerveau&Psycho, revue mensuelle de psychologie et de neurosciences, éditée par le groupe Pour la Science, fondée en 2003, se veut une revue destinée à donner au grand public des informations sur les recherches scientifiques en cours. Avec des articles souvent concis, la revue dirigée par Cécile LESTIENNE (après Françoise PETRY), avec son rédacteur en chef Sébastien BOHIER et une petite dizaine de collaborateurs, s'efforce d'apporter des explications tirées de l'étude du cerveau de divers comportements de l'homme (et de la femme, bien entendu...). En un peu moins de 100 pages (avec une publicité pas trop envahissante, il faut dire...), tous les deux mois, un grand dossier est présenté (celui de septembre-octobre 2010 porte sur Comment motiver les élèves? Ce que l'étude du cerveau apporte aux sciences de l'éducation) par des spécialistes dans le domaine considéré.

Cerveau & Psycho reprend et adapte certains articles parus dans les éditions américaine Scientific American Mind et allemande Gehirn & Geist.

Autour de ce dossier, l'actualité de la recherche est abondamment couverte, tant en Psychologie qu'en Neurobiologie. Une rubrique Idées reçues, une synthèse autour d'une question (dans ce même numéro, La personnalité antisociale), et une analyse de livres complètent bien chaque numéro. Les titres, parfois, font craindre le pire, mais l'abondance de références, le ton mesuré de la portée de telle ou telle découverte, l'illustration scientifique la plus précise possible sans tomber dans le jargon scientifique, la prudence des conclusions dans chaque article, rassurent complètement sur l'apport de la revue. Les thèmes abordés touchent parfois notre domaine de prédilection, le conflit, (L'art de la persuasion, La force de l'empathie, La rumeur, Alcool, plaisir et dépendance, Sectes et religions : quelles différences?...), même si la revue reste très généraliste (avec des accroches qui font parfois frémir : Comment séduire?, Quelle intelligence?) et proche de préoccupations du moment de l'opinion publique (La maladie d'Alzheimer...), ce qui n'est pas un aspect forcément négatif... (marketing oblige, sans doute). En tout cas, même pour des thèmes racoleurs, le ton des articles restent à la hauteur d'une exigence scientifique bienvenue.

      L'un des numéros (n°51, mai-juin 2011), porte sur l'autisme, objet d'une véritable bataille actuellement entre tenants de son étiologie purement biologique et tenants de son étiologie au moins en partie psychologique. C'est autour de l'enjeu crucial du dépistage précoce qu'est construit ce numéro : "L'organisation cérébrale et la structure neuronale des autistes sont différentes, ce qui expliquerait qu'ils ont un mode de pensée spécifique, avec un traitement perceptif exacerbé. A nous de comprendre leur différence pour les aider à trouver leur place dans la société."

Cerveau&Psycho, Pour la science, 8, rue Férou, 75278 PARIS CEDEX 06. Site www.cerveauetpsycho.fr

 

 

Actualisé le 29 Avril 2012. Actualisé le 9 mars 2020.

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11 octobre 2010 1 11 /10 /octobre /2010 08:45

Définitions et orientations 

        Agressivité est défini dans le Petit Robert (comme nom féminin dérivé à partir de l'adjectif Agressif, nom apparu en 1875) comme le Caractère agressif. En psychologie, ce serait selon ce dictionnaire la manifestation de l'instinct d'agression. Conception bien ancrée qui n'est pas du tout en phase avec les connaissance scientifiques actuelles...

       Pierre RENNES, dans Vocabulaire de la psychologie d'Henri PIERON, le défini comme le "comportement caractérisé par l'acte d'attaquer ou d'aller de l'avant et s'opposant à celui de refuser le combat ou de fuir les difficultés".

           Jean BERGERET, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, sous la direction d'Alain de MIJOLLA, écrit qu'"au sens propre du terme, l'agressivité correspond à des fantasmes ou à des comportements que Freud a déterminé du point de vue clinique, mais il a, de prime abord, hésité pour en donner une définition répondant aux exigences de ses propres repères métapsychologiques successifs. Ce n'est qu'après avoir montré l'importance de l'ambivalence dans le transfert (1912) qu'il s'est trouvé en mesure de considérer l'agressivité comme une manifestation relationnelle courante, mais n'ayant pas une origine unique ni même homogène. Il n'a jamais changé d'opinion par la suite et a toujours regardé l'agressivité comme l'alliance et la conjonction imaginaires ou symptomatiques de motions affectives hostiles d'une part et érotisées de l'autre."

        Dans le Dictionnaire encyclopédique réalisé sous la direction de Richard GREGORY, "les comportements visant à blesser physiquement un autre individu doivent à l'évidence être considérés comme agressifs : c'est le coeur même de la notion d'agression. Les comportements visant à provoquer une blessure psychologique sont généralement eux aussi inclus dans la définition, et les fantasmes faisant intervenir la blessure d'autrui en sont proches. La question de l'intention est cruciale : une blessure provoquée par accident n'est habituellement pas considérée comme agression." Cette définition relativement proche de la tradition juridique part surtout de la provenance de l'agression, une blessure causée involontairement peut très bien être interprétée par l'organisme qui la subit comme une agression et sa réaction est d'ailleurs analogue à celle suivant une agression "intentionnelle".

De toute manière, l'auteur de l'article insiste sur l'hétérogénéité de l'agression : "Qu'elle qu'en soit la définition, la catégorie des comportements agressifs est très hétérogène, et on a souvent essayé d'établir des subdivisions." Il cite deux exemples  :

- "Dans les études sur les enfants (FESHBACH, 1964 ; MANNING et collègues, 1978), quatre catégories se sont montrée utiles : l'agression spécifique ou instrumentale, visant à obtenir ou à conserver des objets ou des positions donnés, ou l'accès à des activités désirables ; l'agression gratuite ou hostile, visant surtout à irriter ou à blesser un autre individu, sans avoir pour but un objet ou une situation quelconques ; l'agression ludique, qui apparaît lorsque des jeux de combat dégénèrent jusqu'à ce que des blessures soient délibérément infligées ; l'agression défensive, provoquée par les actes d'autrui."

- "En ce qui concerne les adultes (TICKLOENBERG et OCHBERG, 1981) (il y a la) classification suivante de la violence criminelle : violence instrumentale, dont le motif est le désir conscient d'éliminer la victime ; violence émotionnelle, perpétrée sous le coup d'une forte colère ou d'une forte peur : violence par félonie, survenant à l'occasion d'un autre crime ; violence anormale, crimes de déments et des psychopathes sévères ; violence "dyssociales", actes de violences approuvés par le groupe de référence de leur auteur, qui les considère comme une réponse appropriée à la situation." 

        Ces définition ont été utiles à un moment de la réflexion, mais ils présentent des difficultés quand on examine les motivations en situation réelle. En outre, nous dirions que ces définitions mélangent fâcheusement les notions de violence et d'agressivité. Heureusement, le Dictionnaire ne s'y attarde pas et examine la complexité des motivations, les facteurs prédisposant immédiats à l'agression, le conflit entre groupes et les causes ultimes.

    Pour ce qui est de la complexité des motivations, elle est mise en évidence par les études de nombreuses espèces où se partagent les motivations spécifiques au contexte (nourriture, territoire) et tendances antagonistes à attaquer ou à fuir un rival. "La diversité du comportement pouvait être comprise en termes de variations de niveaux absolus et relatifs des diverses motivations (...). De manière analogue, il semble probable que chez l'homme, les divers types d'agression puissent être analysés comme diverses combinaisons des variables sous-jacentes dont il est fait l'hypothèse. Des possibilités évidentes sont "l'avidité spécifique", c'est-à-dire la motivation d'acquérir des objets ou des situations précises ; la domination, c'est-à-dire la motivation d'élever sa position ou de se pousser en avant ; et la peur (...), ainsi que la propension elle-même à se comporter de manière agressive, c'est-à-dire à blesser autrui (...)."

    Sur les facteurs prédisposant immédiats à l'agression, "certains auteurs ont considéré l'agression comme ne dépendant que de facteurs émotionnels, et d'autres, comme spontanée et devant inévitablement s'exprimer. (...) Mais aucune de ces deux manières de voir n'est exacte (...) Sans rejeter aucune (des) idées (comme la catharsis), les chercheurs ont tenté d'identifier les causes premières de l'agression." Mais, "rejetant toute idée d'un facteur primordial, les chercheurs actuels tentent d'identifier l'ensemble des facteurs, internes ou externes à l'individu, qui modifient l'incidence de l'agression."

    Dans la suite du développement sur l'agressivité, l'auteur met surtout en avant (causes ultimes) les facteurs de l'évolution, en termes de bénéfices/risques pour les espèces.

          Jacques GERVET, dans le Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, indique que "la mode est un peu passée de tenter un traitement neuro-chirurgical des individus agressifs ; cela signifie sans doute que des conceptions moins simplistes ont remplacé une conception localisant précisément des structures responsables de l'agressivité."

Il rappelle la définition donnée par Henri LABORIT à l'agressivité : toute forme d'activité capable de détruire une forme organisée. "Cette définition très extensive peut englober bien des conduites qui ne sont pas agressives au sens des éthologistes. KARLI a tenté, quant à lui, d'étudier plus précisément le réglage du "comportement du Rat tueur de souris (conduite "muricide"), ce comportement possédant grossièrement certains traits des conduites agressives au sens habituel".

Après avoir rappelé les principaux résultats devenus classiques de ces expériences, l'auteur conclue, avant d'aborder des considérations touchant à la génétique,  qu'"en définitive, si l'on essaie de préciser un peu les termes, une conduite agressive implique une mobilisation générale de l'organisme, des conditionnements variés... en sorte qu'on ne peut guère la ramener à un processus physiologique ayant quelque spécificité. Cela ne signifie certes pas qu'il est impossible de diminuer l'"agressivité" d'un être par voie physiologique : que l'on pense par exemple aux "camisoles chimiques" ; mais l'effet produit n'est, aujourd'hui encore, pas extrêmement spécifique et affecte également d'autres fonctions."

Contrairement au dictionnaire encyclopédique réalisé sous la direction de Richard GREGORY, Jacques GERVET signale que "aucun généticien professionnel ne se proposerait aujourd'hui d'étudier "la génétique" de l'agression". Pour autant, les études sur l'hérédité de l'agressivité, sous forme d'influences de la présence de certaines formules chromosoniques sur certains comportement, continuent et continuent de susciter des débats. L'auteur insiste sur un cas de recherche et pense "qu'il illustre les fautes récurrentes de raisonnement commises à propos d'un problème sensible, et qu'il montre pourtant à quel point les généticiens, quant à eux, insistent aujourd'hui sur l'absence de relation causale simple entre une variation génétique et l'émergence d'un trait complexe comme celui qui se manifeste sous la forme d'une réaction taxée d'agressive."

 

Conflit, agressivité, emprise

   Dans son Introduction à ce triptyque de notions, Alain FINE, dans la véritable "somme" sur la psychanalyse publiée sous la direction de Alain de MIJOLLA et de Sophie de MIJOLLA MELLOR, écrit que "si le conflit est d'emblée en place maîtresse chez Freud, comme enjeu intrapsychique, en rapport direct avec la libido et le sexuel, il faudra attendre un long temps dans l'évolution de ses idées pour que l'agressivité s'autonomise du libidinal et prenne rang de pulsion autonome. L'emprise, tôt citée comme pulsion, n'a pas vraiment pris rang de concept central dans sa théorisation ; recouvrant le champ du pouvoir, ce terme, aurait, dans ses avancées ultérieures, surtout été utilisé dans un sens phénoménologique décrivant des conduites ou des comportements ou pour désigner l'action de ce que nous subissons, "être sous l'emprise de"."

Le docteur en médecine, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris, membre de l'Institut de psychosomatique, poursuit : "Il y aurait conflit, au sens psychanalytique du terme, lorsque s'opposent dans le sujet des exigences internes incompatibles, agressivité comme tendances ou ensembles de tendances qui s'actualisent dans des conduites réelles ou fantasmatiques vis-à-vis d'autrui, emprise dont le but est de dominer l'objet par la force, sans a priori sexuel et sans le souci de lui nuire. Mais le conflit peut s'externaliser, être projeté à l'extérieur et s'exprimer de façon manifeste et déformée dans des désordres de conduite, notamment à l'égard de l'objet visé, aboutissant, alors, à l'agressivité et à l'emprise. Ces divers engagements peuvent certes êtres vus sous l'angle phénoménologique, mais, en psychanalyse, ils doivent être compris sur des bases métapsychologiques."

   Au départ donc, présente toujours Alain FINE, ces trois termes "étaient intimement liés à la libido impliquée dans tous les phénomènes psychiques, incluant dans leurs visées l'ambivalence et l'hostilité. C'est que Freud avait réussi aussi à lutter, à ce moment, contre une "relégation" de la théoris de la libido entreprises par Adler et Jung. P. Denis (1992) suggère pour les mêmes raisons, hostilité (en tant que pulsion autonome) et emprise n'auraient pas eu l'ampleur attendue.

L'hypothèse d'une "pulsion d'agression" a pris origine dans une conférence donnée par Adler (juin 1908), intitulée "Le sadisme dans la vie et dans la névrose." Freud, tout en marquant son intérêt pour les pulsions d'Adler (sur sa théorie des pulsions, bien entendu...), écrit alors dans une lettre à Abraham : "Je ne puis me résoudre à admettre une pulsion spéciale d'agression à côté des pulsions déjà connues de conservation et sexuelles et de plain-pied avec elles. Il me paraît qu'Adler a mis à tort comme hypostase d'une pulsion spéciale ce qui est un attribut universel et indispensable de toutes les pulsions, justement leur caractère "pulsionnel", impulsif, ce que nous pouvons décrire comme étant la capacité de mettre la motricité en branle. Des autres instincts, il ne resterait alors plus rien d'autre que leur relations à un certain but, puisque leurs rapports aux moyens d'atteindre celui-ci leur auraient été enlevés par la pulsion d'agression." Freud préfère alors penser que l'agressivité contient des composantes depuis longtemps familières de la libido sexuelle ; il n'y a pas encore de dualité entre pulsions érotiques et pulsions agressives, l'agressivité est intrapulsionnelle et peut être retrouvée à l'intérieur même des pulsions sexuelles. La motricité mise en branle rappelle l'idée d'emprise (...). (...)."

"A ce moment de la théorisation freudienne, c'est l'agressivité en tant que pulsion autonome, et non pas les conduites agressives, qui est déconsidérée. Dans sa clinique qui évoque "les conflits d'ambivalence", notamment, il parle même de pulsions, de tendances hostiles. Enfin le complexe d'Oedipe est d'emblée décrit comme conjonction de désirs amoureux et hostiles ; conflit, agressivité et emprise se donneraient ici la main. Rappelons par ailleurs que, dans le cadre théorique de la première dualité pulsionnelle, l'explication de conduites et de sentiments agressifs, tels le sadisme, la haine, sont cherchés dans un jeu complexe des deux grandes séries de pulsions représentées par celles du sexuel et de l'autoconservation, puis du Moi."

     Ces trois notions, loin des enjeux polémiques, évoluent ensuite dans la théorisation de Freud, avec l'introduction de nouveaux concepts qui les ont affinées. Au fur et à mesure de ces développements théoriques, nombre d'adeptes, de collaborateurs ou de disciples de Freud retiendront ou rejetteront telle ou telle interprétation.... Nombreux ceux-ci qui préférerons de loin s'en tenir à l'un ou l'autre stade de sa réflexion sans le suivre plus avant, tout en gardant cette relation intime entre agressivité et libido.

 

Sous la direction de Richard L. GREGORY, Le cerveau, cet inconnu, Dictionnaire encyclopédique, Université d'Oxford, Robert Laffont, collection bouquins, 1993. Sous la direction d'Alain de MIJOLA, Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littérature, collection Grand Pluriel, 2002. Henri PIERON, Vocabulaire de la psychologie, PUF, collection Quadrige, 2000. Sous la direction de Patrick TORT, Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Alain FINE, Expression et aménagement du pulsionnel, dans Psychanalyse, Sous la direction de Alain de MIJOLLA et de Sophie de MIJOLLA MELLOR, PUF, collection fondamental, 1999.

 

Complété le 9 mars 2020

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8 octobre 2010 5 08 /10 /octobre /2010 17:37

        Le médecin chirurgien et neurobiologiste français qui introduit l'utilisation des neuroleptiques en 1951 est surtout connu du grand public pour une vulgarisation des neurosciences dans une conception globale du conflit qui combine éléments biologiques, physiologiques et psycho-sociologiques. Parallèlement à ses écrits scientifiques consacrés surtout à l'anesthésie, réservés aux spécialistes de la médecine, qui le conduisent d'ailleurs à l'étude des mécanismes du stress (notamment dans la revue Agressologie), il publie des ouvrages généraux à l'intention du public, de philosophie scientifique et sur la nature humaine. Pionnier de la théorie de la complexité et de l'auto-organisation du vivant, il mène des activités socio-politiques progressistes.

Même si parfois des aspects purement biologiques ou médicaux apparaissent dans ses livres destinés au grand public, demandant de lui une certain effort de réflexion scientifique, nous pouvons partager son oeuvre entre ouvrages scientifiques (spécialisés) et ouvrages sociologiques (généraux).

 

      Dans le registre purement professionnel, cela va de Physiologie et biologie du système nerveux végétatif au service de la chirugie de 1950 à Les récepteurs centraux et la transduction des signaux de 1990. En passant entre autres par Réaction organique à l'agression et choc (1952), Résistance et soumission en physio-biologie : L'hibernation artificielle (1954), Bases physio-biologiques et principes généraux de réanimation (1958), Physiologie humaine (cellulaire et organique) (1961), Les régulations métaboliques (1965), Biologie et structure (1968), Neurophysiologie, Aspects métaboliques et pharmacologiques (1969), Les Comportements : Biologie, physiologie, pharmacologie (1973), L'inhibition de l'Action (1979).

       Dans le registre plus général, ses ouvrages sociologiques, sur l'agressivité notamment, nous intéresse plus particulièrement, dans ce blog sur le conflit : Les destins de la vie et de l'homme. Controverses par lettres avec P. Morand sur les thèmes biologiques (1959), Du soleil à l'homme (1963), L'homme imaginant : essai de biologie politique (1970), L'agressivité détournée : Introduction à une biologie du comportement social (1970), L'homme et la ville (1971), La société informationnelle : Idées pour l'autogestion (1973), La Nouvelle grille (1974), "Éloge de la fuite (1976), Discours sans méthode (1978), Copernic n'y a pas changé grand chose (1980), L'Alchimie de la découverte (1982), La colombe assassinée (1983), Dieu ne joue pas aux dés (1987), Les bases biologiques des comportements sociaux (1991), L'esprit du grenier (1992), Étoiles et molécules (1992), La légende des comportements (1994).

Un ouvrage auto-biographique, Une vie - Derniers entretiens, avec Claude GRENIÉ est paru également en 1996. Nous n'oublions pas bien entendu la participation du professeur LABORIT au film Mon oncle d'Amérique, d'Alain RESNAIS de 1980, basé sur ses travaux sur le conditionnement.

 

        L'homme imaginant, de 1970, constitue sans doute l'ouvrage où l'auteur livre de la manière la plus extensive sa conception proprement politique de la société. Il explique ses sympathies pour les idées progressistes, par la nécessité qu'à l'homme, s'il veut continuer à vivre, de prendre conscience des conditions (biologiques) mêmes dans lesquelles il mène les différentes révolutions qu'elles soient sociales ou politiques. Il ne cache pas ses préférences pour une société socialiste (notamment dans le chapitre La droite et la gauche), même s'il montre qu'il est plus facile pour la droite de gouverner dans une société repue : la révolution, si elle doit se faire est d'abord une révolution des mentalités.

 La caractéristique fondamentale de l'organisme humain parait être l'association originale, dans la création de structures nouvelles, des éléments mémorisés et imposés par l'expérience abstraite de l'environnement. Cette faculté d'imaginer ne le libère pas de ses déterminismes génétiques, biologiques, sémantiques, économiques et socio-culturels, mais lui permet d'en prendre conscience. En ne plaçant ses espoirs que dans la transformation, par ailleurs indispensable, de son environnement socio-économique, il ne résoudra qu'imparfaitement le problème de son aliénation. Seule la connaissance de ses déterminismes biologiques et de leur organisation hiérarchisée, lui permettra la transformation de sa structure mentale, sans laquelle toutes les révolutions risquent d'être vaines.

Complétant cette présentation de son livre, l'auteur, dans l'Introduction, écrit qu'"adepte d'une certaine discipline, celle des sciences de la vie, j'essaie d'appréhender les faits humains. Cette attitude me conduit parfois à voir ces faits humains sous une lumière qui peut déplaire à toute personne dont le système nerveux est déjà fortement structuré par son expérience antérieure de la vie. Ma vision est peut-être fausse; mais les visions antérieures le sont peut-être aussi. Et puis, la vérité ou prétendue telle, n'est jamais monolithique. Elle est fragile et changeante. Il faut lire cet essai en le comprenant comme une tentative de structuration autre, à partir d'informations souvent incomplètes mais différentes, motivées par un déterminisme unique, le mien." C'est dans cet état d'esprit de modestie, qu'Henri LABORIT propose une compréhension des relations entre biologie et politique, des effets de différents conditionnements sur l'évolution humaine. Ses idées sur l'engagement et l'individualisme, sur les sciences humaines, sur les régimes socio-économique contemporains portent la marque de cette préoccupation majeure sur les conditionnements. Il insiste toujours sur la faculté de l'imagination humaine à trouver des solutions à ses problèmes, même les plus difficiles à résoudre. "Ce qui distingue profondément les sociétés humaines des société animales, ce n'est pas leur travail, même avec la puissance intermédiaire de l'outil ; ce n'est pas non plus une liberté individuelle permettant à l'homme d'agir sur le monde matériel, si l'on comprend sous le terme de liberté la notion de libre arbitre, mais un déterminisme d'un niveau d'organisation supérieur, celui de l'imagination."

Délibérément optimiste, d'un optimisme qui fait vraiment défaut dans le monde actuel, le biologiste pense que c'est dans la nature même des déterminismes qui orientent l'activité humaine que se trouve les meilleures chances de l'humanité.

 

           L'agressivité détournée, de la même année, est un ouvrage de vulgarisation particulièrement clair et complet d'une approche biologique de la sociologie. Dans plus de la moitié de ce livre, Henri LABORIT entre dans les grandes lignes du fonctionnement de notre système nerveux et montre comment il conduit aux comportements, devant les agressions les plus diverses, de fuite ou de lutte. Exposant les bases physiologiques de l'affectivité, il indique différentes voies d'activation et d'inhibition de ces comportements. Cette description d'une machine complexe cybernétique comme le cerveau, système ouvert par essence sur l'environnement, ancrée dans son expérience d'anesthésiste, permet de comprendre (et en même temps de relativiser) les notions d'individu et de liberté, de justice. Il explique à la fin de l'ouvrage en quoi consiste le vieillissement et la mort. 

 

               L'homme et la ville (1971) se situe dans le cadre de réflexions collectives (à l'Université de Vincennes) sur Urbanisation et Biologie. C'est l'ouvrage le moins unifié de l'auteur qui lance surtout des pistes de réflexions. Produit d'une recherche de groupe, le livre part de l'ABC de cybernétique pour étudier les relations entre la ville et le groupe humain, et pour "envisager le rôle fondamental de la structure socio-économique du groupe humain fondateur ou utilisateur urbain. L'urbanisme pose avant tout un problème sociologique. Or une société se réalise par un groupement d'individus. Sur quelles bases s'établissent les relations interindividuelles? Nous pensons que pour répondre à cette question, c'est du niveau d'organisation biologique qu'il faut partir. Un individu entre en relation avec les autres individus grâce au fonctionnement de son système nerveux. Comment fonctionne-t-il? Par quelles étapes successives est-il passé au cours de l'évolution? Que reste-t-il dans nos cerveaux d'hommes modernes des cerveaux plus primitifs qui les ont précédé? Quelles conséquences en résulte-t-il sur leur fonctionnement? Ce sont bien là des connaissances indispensables à posséder, semble-t-il, pour celui qui veut comprendre les lois qui gouvernent les comportements humains en société, celles qui président à l'établissement des structures sociales elles-mêmes enfin, donnent naissance à la ville et organisent l'espace qui les entoure." Loin des travaux sur l'hygiène urbaine, loin aussi d'un rapprochement analogique entre la ville et les organismes vivants, entre structure urbaine et structure biologique (qualifié de poétique...), cet ensemble de réflexions veut étudier la ville non comme un organisme, "mais elle représente un des moyens utilisés par un organisme social pour contrôler et maintenir sa structure."

 

                 En 1974, il propose, dans la logique de L'agressivité détournée, un modèle biologique, physiologique et psycho-sociologique des comportements agressifs. Il l'expose en grande partie dans La nouvelle grille.

A partir des notions d'énergie, de masse et d'information, l'auteur propose une explication du fonctionnement du cerveau humain. La "nouvelle grille" qu'il expose (Chacun a besoin d'une grille de lecture des différents événements auxquels il est confronté)  est une grille biologique permettant "d'entrevoir comment déchiffrer la complexité de nos comportements en situation sociale". Elle vient tout droit de son expérience en laboratoire. Ce livre est la vulgarisation de Les comportement, Biologie, physiologie, de 1973, et se compose de beaucoup d'éléments scientifiques déjà présents dans Réaction organique à l'agression et au choc de 1952. Il expose d'abord donc les notions de Thermodynamique et d'information physique en biologie. De l'homéostasie au fonctionnement du système nerveux central, c'est l'information qui avant tout régi les comportements. 

Dans son modèle, il défini l'agression comme "la quantité d'énergie capable d'augmenter l'entropie (le désordre, l'agitation) d'un système, autrement dit d'en détruire plus ou moins rapidement la structure. La structure est ainsi définie comme l'ensemble des relations existant entre les éléments d'un ensemble. L'agressivité est alors la caractéristique d'un agent capable d'appliquer cette énergie sur un ensemble organisé." L'agressivité n'est pas conçue par Henri LABORIT comme un concept unitaire, car les mécanismes qui sont à l'origine de la libération énergétique déstructurante sont variés. Ce sont des mécanismes différents qui ont conduit de nombreux auteurs à établir une liste des types d'agression. Mais ils l'ont fait le plus souvent sans préciser les mécanismes nerveux centraux en jeu, se fondant surtout sur les situations déclenchantes. Ce sont les liens entre ces situations environnementales et le mécanisme de la réponse qu'il tente d'établir.

Dans ces processus, la mémorisation du résultat des réactions est essentielle : c'est elle qui détermine si une action est récompensée ou mise en échec, c'est elle qui détermine les comportements de lutte ou de fuite. Toute la question est de savoir quels processus provoquent l'activation ou l'inhibition des comportements, et comment sur le long terme, un organisme est amené à avoir une orientation d'action plus ou moins agressive à son tour, comment en fin de compte la dominance s'établit d'un organisme sur un autre. Le système nerveux permet par essence à un organisme d'agir sur un environnement. Si cette action est rendue impossible ou dangereuse, il assure aussi l'inhibition motrice. Or, il apparait que c'est cette dernière qui est à l'origine des bouleversements biologiques persistants, des maladies psychosomatiques en particulier, hypertension neurogène et ulcérations gastriques. Quelle que soit la complexité que le système nerveux a atteint au cours de l'évolution, sa seule finalité est de permettre l'action, celle-ci assurant en retour la protection de l'homéostasie, la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur, le plaisir. Quand l'action qui doit en résulter est rendue impossible, que le système inhibiteur est mis en jeu, et en conséquence la libération de noradrénaline, de ACTH et de plucocorticoïdes avec leurs incidences vaso-motrices, cardiovasculaires et métaboliques périphériques, alors nait l'angoisse.

Henri LABORIT reprend les catégories d'agressivité prédatrice, d'agressivité de compétition, d'agressivité inter-mâles, avec l'établissement des hiérarchies sociales, d'agressivité défensive, d'agressivité d'angoisse ou irritabilité, pour en expliciter les mécanismes neurobiologiques. Et aborder les conditions spécifiques d'apparition du phénomène de la guerre. Cette dernière est finalement définie comme "résultant de l'affrontement de deux informations-structures, de deux système fermés pour établir leur dominance, nécessaire à l'apparition de leur approvisionnement énergétique et matériel nécessaire lui-même au maintien de ces structures." 

 

             Dans Éloge de la fuite, de 1976, Henri LABORIT reprend les enseignements du modèle de l'agressivité pour en développer les conséquences dans divers domaines très divers : l'amour, l'enfance, les autres, la liberté, la mort, le plaisir, le bonheur, le travail, la vie quotidienne, le sens de la vie, la politique, le passé, le présente et l'avenir, la société idéale... Sur les ressorts de ces phénomènes, qui avant la conscience que nous en avons, sont déterminés biologiquement. Contrairement à la forme d'exposé didactique des précédents ouvrages, l'auteur exprime ici sa philosophie profonde de la vie et des relations sociales. A la fin du livre, quelques pages sur la réflexion du croyant chrétien à propos du marxisme reflètent bien ses interrogations d'homme public et très actif, en même temps que déjà, une interrogation sur le sens même de son parcours intellectuel, affectif et moral. Le message du Christ possède une autre signification, lumineuse, après l'acquisition de tant de connaissances scientifiques : "Car le signifié que nous croyons découvrir aujourd'hui dans le message du Christ est celui que nos connaissances actuelles du signifiant nous permettent de comprendre. Cependant, le phénomène le plus troublant, c'est que cet imaginaire incarné, qui en conséquence ne peut être autre chose que ce que nous sommes, puisse contenir un invariant suffisamment essentiel pour, toujours et partout, guérir l'angoisse congénitale de l'Homme." 

      

             La Colombe assassinée, édité en pleine crise internationale des euromissiles, se veut surtout une présentation d'une réflexion de trente ans sur l'agressivité et la violence, à l'intention des lecteurs des Cahiers de la Fondation pour les Études de Défense Nationale. Ainsi, dans des chapitres relativement courts, clos par un épilogue qui aborde quantité de problèmes sociaux (des pensées de l'auteur sur l'évolution sociale surtout), le lecteur peut retrouver sa démarche habituelle : Niveaux d'organisation, régulation et servomécanisme ; Signification fonctionnelle des centres nerveux supérieurs, Bases neurophysiologiques et biochimiques des comportements fondamentaux, Inhibition motrice et angoisse, Les moyens d'éviter l'inhibition de l'action, Passage du biologique au sociologique, du niveau d'organisation individuel au collectif... Dans la seconde partie, sont abordés les agressivités et la violence, d'abord chez l'animal, puis chez l'homme.

            

             Parmi les livres scientifiques destinés à un public spécialisé, notons Inhibition de l'action (Masson, 1980) où l'auteur évoque le programme Biologique de Survie (PDB) de tout organisme vivant. Ouvrage de référence quant à la pensée de Henri LABORIT où se trouvent exposés les différents comportement humains face à une épreuve, il reste très accessible pour tous, si l'on veut bien faire l'effort habituel nécessaire. 

 

     Henri LABORIT fonde en 1958 la revue Agressologie qu'il dirige jusqu'en 1983.

 

   L'influence de l'oeuvre d'Henri LABORIT, après son décès notamment, est diverse et relativement éparse. Elle est nourrie autant par les deux types d'ouvrages (scientifiques et grand public), d'autant que cette oeuvre s'inscrit aussi dans un mouvement intellectuel d'ensemble, auquel participent bien d'autres auteurs, en faveur d'une vision globale de l'homme et de la société (approche pluridisciplinaire), dans une perspective progressiste et une sensibilité politique de gauche.

On peut percevoir cette influence à travers le site Internet Nouvellegrille.info, lancé en 2014 par David BATÉJAT. Elle existe tant au niveau de la recherche (Bernard CALVINO, Edmond ESCURET, Claude GRENIÉ...) qu'en économie (René PASSET dans son ouvrage L'économique et le vivant, Jean-François BOUSSARD à travers la création d'entreprises de biotechnologie). Également en biosémiotique (Simon LÉVESQUE, (Laboratoire de résistance sémiotique..), en littérature de science-fiction (Serge JADOT...), en arts multidisciplinaires (Patrick BERNATCHEZ...)... 

 

Henri LABORIT, L'homme et la ville, Flammarion, 1971 ; L'homme imaginant, Essai de biologie politique Union Générale d'Editions, 10/18, 1978 ; L'agressivité détournée,  Initiation à une biologie du comportement social, Union Générale d'Editions, 10/18, 1981 ; La nouvelle grille, Pour décoder le message humain, Robert Laffont, collection "libertés 2000", 1981 ; Éloge de la fuite, Gallimard, folio essais, 2001 ; Un modèle biologique, physiologique et psycho-sociologique, Polycopié, 1974 ; La colombe assassinée, Les Cahiers de la fondation pour les études de défense nationale, n°27, 1983.

 

Actualisé le 25 février 2016. Relu le 10 mars 2020

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7 octobre 2010 4 07 /10 /octobre /2010 13:47

        Parmi les études sur la modulation biologique du comportement agressif de l'homme, pour s'en tenir cette fois à des expériences et à des réflexions concernant uniquement l'espèce humaine, nous pouvons relever plusieurs catégories.

Dans chacune d'elles, des arguments sont périodiquement lancés et des polémiques (entre scientifiques notamment) font parfois rage. Farnazeh PAHLAVAN, maître de conférences à l'institut de psychologie de l'université René Descartes, Paris 5, indique, avant d'entrer dans le détail de telles catégories, que "certains processus biologiques préparent les individus à réagir de manière agressive, alors que d'autres déterminent le moment et la manière de l'expression de l'agression."

  Ces catégories sont :

- les études sur la génétique du comportement agressif, "affaire" du chromosome du crime compris ;

- les études sur la relation entre certains hormones et les comportements agressifs ;

- les études effectuées sur les différentes zones du cerveau qui entrent dans l'élaboration et le fonctionnement des comportements agressifs, tels que le cortex cérébral, le système limbique...

- les études des relations entre activation physiologique et agression, dans les deux sens : l'activation influence l'agression et l'agression influence l'activation.

 

Études sur la génétique du comportement agressif

          Les facteurs génétiques jouent déjà un rôle dans la mise en place de tous les moyens permettant à l'individu d'agir sur l'environnement, y compris sur les moyens agressifs. Ces facteurs contribuent au développement des capacités sensorielles, physiques et motrices. Ils interviennent au niveau neuronal, pour le traitement de toutes les informations sur l'état du corps et l'environnement, pour contrôler l'expression effective de l'agression. La constatation que les individus qui partagent le même patrimoine génétique se comportent de la même manière est souvent avancée comme preuve que le comportement agressif est génétiquement modulé.

   Les expériences sont effectuées surtout soit sur des jumeaux (vrais ou faux jumeaux) ou sur des enfants adoptés.

Ainsi, Johan Philippe RUSHTON (né en 1943), l'auteur d'études très controversée sur les relations entre Race et Histoire, et certains de ses collègues (FULKER, NEALE, NIAS, EYSENCK, 1986) ont appliqué un questionnaire pour évaluer la personnalité de plus de 500 jumeaux adultes. Les corrélations entre cinq traits différents (altruisme, empathie, sympathie, agression, affirmation de soi) et la proximité entre jumeaux (au niveau génétique) sont plus fortes pour les jumeaux monozygotes que pour les jumeaux dizygotes. Ces études (corrélées par MCGUE, BACON et LYKKEN en 1993) qui mettent en évidence une correspondance entre plus grande proximité et traits de caractère tendent à montrer que des facteurs génétiques interviennent fortement dans la modulation des comportements agressifs. Certaines études montrent que l'effet de la transmission des tendances agressives est plus important pour les individus du sexe masculin, et diminue en fonction de leur âge. Mais d'autres études menées entre autres par Daniella CARMELLI et ses collègues (ROSEMANN et SWAN en 1988), à l'issue de l'application auto-évaluative de différents inventaires d'hostilité, indique en revanche un effet de transmission plutôt faible. 

Les études sur des enfants adoptés montrent aussi un instabilité en ce qui concerne le lien entre les facteurs génétiques et le comportement agressif. Des études aux résultats contradictoires montrent soit une corrélation modérée entre enfant et mère biologique, nulle entre enfant et parents adoptifs, forte entre enfant adopté et autres enfants de la famille adoptive...

Une méta-analyse portant sur 24 études réalisées avec des jumeaux mono ou dizygotes, effectuée par Donna MILES et Gregory CAREY (The genetic and environnemental architecture of human agression, journal of Personality and Social Psychology, n°72, 1997), souligne les défauts méthodologiques et la variabilité des résultats en fonction de la technique d'observation employée. Ils concluent que, d'une manière générale, les facteurs génétiques et environnementaux sont difficilement dissociables.

    La polémique auteur du chromosome du crime, après bien des péripéties nombreuses depuis les années 1940, aboutit tout simplement au rejet de l'éventualité d'un lien entre des anomalies de chromosomes sexuels et l'agression. Le rapprochement de ces deux éléments montre plutôt en évidence le rôle des déficits mentaux dans l'incarcération plus fréquente des individus des individus porteurs de ces anomalies génétiques. Le fait que de nombreuses expériences s'effectuent en milieu carcéral, sans comparaison avec des milieux ouverts, invalide beaucoup de conclusions tirées par divers chercheurs.

 

Études entre de relation entre hormone et comportement agressif

          Parmi les hormones étudiées figurent surtout la testostérone qui semble faciliter l'agression entre mâles de plusieurs espèces de vertébrés et intervient largement dans l'augmentation du niveau de cette agression entre les mâles pendant la période de reproduction. L'effet sur les mâles humains reste problématique. Si l'activité hormonale est constatée dans de nombreux cas d'agression (expériences d'injection de progestérone synthétique...) est constatée, les différences effectuées avec des groupes témoins restent assez peu significatives. De nombreux sujets placés dans des situations de provocation, dans des conditions très diverses, réagissent très diversement, et cela en dehors de leur taux d'hormones. En fait, les meilleurs résultats (au sens de corrélation forte) sont obtenus dans des conditions de victoire assurée chez de nombreux sujets : la victoire décisive déclenche un état affectif qui peut, à son tour, augmenter le niveau de testostérone (MAZUR et LAMB, 1980). L'activité hormonale fait partie de l'ensemble des variables biologiques présentes dans les situations conflictuelles, mais il est difficile de distinguer si c'est la situation d'urgence requise par une agression qui augmente cette activité ou si c'est la présence anormale de certaines hormones qui constituent des facteurs déclencheurs d'agression... R. G. GEEN tend à penser qu'il vaudrait mieux dire en tout cas que les activités hormonales constituent des variables dispositionnelles ou un "background" lorsqu'une situation "aversive" déclenche une agression (Process and personal variables in affective agression, 1998). 

 

Études sur les différentes zones du cerveau

           Après un amoncellement d'études menées sur le cerveau humain (situation de réactions automatiques ou semi-automatiques de comportements), l'hypothèse de l'existence d'un centre de l'agression a été mise en doute et totalement réfutée. (Farzaneh PAHLAVAN).

C'est un ensemble de structures cérébrales qui intervient, avec deux parties qui semblent être prépondérantes dans la modulation des réactions agressives : le cortex cérébral et le système limbique. Le cortex cérébral est impliqué dans les fonctionnements cognitifs complexes de l'apprentissage, des jugements et des prises de décision. Le système limbique enserre un ensemble de structures nerveuses qui contrôlent les émotions et les besoins fondamentaux. De nombreux modèles comportementaux ont été élaborés ; nous avons une certaine préférence pour ceux présentés par Henri LABORIT, beaucoup utilisé - parfois sans en mentionner la source - par les chercheurs, francophones notamment.

  Dans l'interaction entre le cerveau et l'environnement, la plupart du temps le cortex frontal permet l'organisation de stratégies comportementales hautement élaborées, inhibe l'agression et empêche la réponse agressive systématique aux provocations. Des auteurs comme V. MARK et F. ERVIN émettent l'hypothèse que l'apprentissage crée dans certains cerveaux une capacité à percevoir les menaces de façon plus intense et plus fréquente. Le système limbique est alors davantage sollicité dans les réponses de l'organisme. Pierre KARLI, professeur de neurophysiologie à la faculté de médecine de Strasbourg, relate de nombreuses expériences et propose une neurobiologie des comportements d'agression. Sa présentation est très éloignée de celle que fait par exemple Arthur KOESTLER, qui analyse une dangereuse divergence entre structures anciennes et structures nouvelles du cerveau, qui expliquerait selon lui certaines tendances paranoïaques de l'espèce humaine.

 

Études sur l'activation physiologique et agression

     Le comportement agressif est lié également à l'activation du système nerveux sympathique (partie du système nerveux autonome périphérique). Celui-ci prépare l'individu à se battre ou à fuir (Farzaneh PAHLAVAN reprend vraiment la problème initié par Henri LABORIT...).

Ce système agit lorsque la sécurité et/ou la survie de l'individu sont menacées. L'activation de ce système déclenche un ensemble de réactions physiologiques qui préparent l'organisme à faire face ou à fuir, devant l'attaque perçue. Se référant à la notion d'éveil physiologique, plusieurs recherches montrent que l'effet de certains variables environnementales (sonores par exemple) sur le comportement agressif est étroitement lié à l'activation physiologique. Des études montrent que l'éveil physiologique augmente la probabilité de l'agression, alors que d'autres indiqueraient plutôt le contraire... Les études de D. ZILLMANN et de Jack E. HOKANSON notamment portent sur les relations entre activation et agression. 

 

Des variables plutôt modératrices de l'agression

     Nous ne pouvons que reprendre à notre compte la conclusion de Farzaneh PAHLAVAN : "Chez l'homme, les facteurs biologiques doivent être considérés comme des variables modératrices de l'agression. Il est possible de penser que ces facteurs contribuent à la formation d'un potentiel d'agression et que la mesure de ce potentiel peut permettre de déterminer le type et la puissance de la réaction à la situation de provocation. Le rôle modérateur des facteurs biologiques est plus évident dans le cas des études portant sur l'activité hormonale, mais il concourt aussi au fonctionnement des autres facteurs de l'agression".

En tout état de cause, l'étude des phénomènes purement biologiques doit toujours mettre en relief les conditions présentes dans l'environnement. "Pour déterminer dans quelle mesure les conduites agressives sont modulées par des processus affectifs et pour définir l'importance du rôle médiateur des activités cognitives dans cette modulation, il est indispensable d'étudier les réactions à une stimulation "aversive" chez l'homme ; et ce au moins à trois niveaux d'observations :

- un niveau proto-social, correspondant à des phénomènes neuromoteurs et neurovégétatif relativement automatiques, communs à l'espèce humaine et à beaucoup d'espèces animales,

- le niveau intégrant ces automatismes moteurs à des ensembles de conduites socialement organisées, placées sous la maitrise partielle des individus, à savoir les émotions ;

- le niveau constitué par les actes issus de plans élaborés à l'avance, résultant de l'intégration des différents comportements émotionnels à des stratégies de réponse, comportant à la fois les caractéristiques propres de la sociabilité de l'espèce humaine et les démarches de pensée complexes faisant intervenir des conceptions normatives."

 

Farzaneh PAHLAVAN, Les conduites agressives, Armand Colin, collection Cursus, 2002. Arthur KOESLTLER, Le cheval dans la locomotive, Calmann-Lévy, 1968. Pierre KARLI, Neurobiologie des comportements d'agression, PUF, 1982.

 

                                                                                                                                                                          ETHUS

 

Relu le 11 mars 2020

 

 

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5 octobre 2010 2 05 /10 /octobre /2010 13:19

        Les différentes approches biologiques de l'agressivité ne sont plus aujourd'hui considérées comme des approches réellement explicatives de ce qui se passe dans la réalité, notamment parce qu'elles, du moins au début, donnaient une part excessives aux phénomènes internes à l'être humain par rapport à ses relations avec d'autres êtres vivants, mais sans doute surtout parce que la base expérimentale de ces approches était trop étroite (expériences sur des animaux, oiseaux et poissons en particulier, même si des primates sont aussi utilisés, expériences en laboratoire qui restreint la richesse de l'environnement...). L'ensemble des scientifiques, des psychologues notamment, qui étudient le comportement humain préfère de loin une approche combinatoire des phénomènes internes et des phénomènes relationnels, une approche complexe où les facteurs biologiques ne constituent que les supports de ces comportements, et non les déterminants. Et ce malgré la vogue encore actuelle des études en neurobiologie et une certaine popularité de la sociobiologie

 

       Les approches théoriques biologiques du comportement agressif mettent, surtout au début, l'accent sur l'agression en tant que modalité génétiquement déterminée du comportement des organismes, ayant pour fonction de préserver l'espèce contre les changements survenant dans son milieu. (Farzaneh PAHLAVAN). En fait, la définition du comportement agressif est trop complexe et ne permet guère de donner une réponse sans équivoque à la question du déterminisme biologique. Les conduites agressives, même dans une seul espèce d'animaux, sont loin de former une unité comportementale ou biologique permettant de renvoyer à un déterminisme génétique simple.

 

            Konrad LORENZ (1903-1989) propose de considérer l'agression comme étant d'origine interne spontanée, résultant d'une pulsion interne, souvent tenue pour innée, et qui se manifeste par la réaction agressive. La spontanéité du comportement agressif serait due à une accumulation d'énergie dans le système nerveux, reprenant en cela une certaine interprétation des analogies de Sigmund FREUD. D'où la nécessité de mécanismes de décharge que l'organisme trouverait dans certaines réactions spécifiques (actes instinctifs). Une fois que cette énergie est consommée dans l'accomplissement de l'acte instinctif, le comportement cesse. Mais même en l'absence de cible, le besoin de décharger est tel que l'organisme effectuerait cet acte. L'expression de l'agression serait alors suivie d'une diminution catharsique de l'énergie et un nouveau cycle recommencerait. "Ici, le comportement agressif est une notion unitaire et unidimensionnelle, dont l'unité se fonde sur un instinct spécifique", l'instinct agressif. (Farzaneth PAHLAVAN). Pour Irenäus EIBL-EIBESFLEDT (né en 1928), élève de Konrad LORENZ, l'organisation de certaines conduites, dont les agressions, est déterminée par un processus de maturation guidé par des caractères innés.

     Walter Dill SCOTT (1869-1955) soutient plutôt l'hypothèse selon laquelle l'agression est essentiellement la réponse à la réception d'un stimulus externe. 

       Farzaneth PAHLAVAN résume les observations qui auraient permis de démontrer ce type de processus chez les animaux, leur application aux agressions chez l'être humain semblant être sans portée scientifique : "Récemment, certains spécialistes du comportement animal ont proposé de faire ce type d'analogie avec des animaux génétiquement proches de l'homme, en particulier les grands singes. Les études portant sur ces derniers révèlent que leurs compétences sociales dépendent étroitement du développement de leur capacité à utiliser des stratégies agressives adaptées. Par ailleurs, ces études soulignent que l'acquisition de compétences sociales exige aussi l'apprentissage d'inhibitions. Un jeune mâle doit, par exemple, savoir inhiber l'expression de son agression lorsqu'il se trouve devant un mâle puissant, mais l'exprimer lorsqu'il est autrement menacé. Les signes élevés seuls et isolés ou uniquement en contact avec des pairs, mais sans les adultes, n'acquièrent pas la capacité d'exprimer des agressions. Par conséquent, ils sont socialement rejetés et incapables de créer le réseau social nécessaire à l'obtention d'un rang social satisfaisant dans le système hiérarchique du groupe. Le même rejet social par des pairs a été observé pour des enfants agressifs ou victimes d'agressions. L'interaction entre les facteurs génétiques et les variables de l'environnement permet par ailleurs de présager l'acquisition de certaines compétences sociales." J. W. RENFREW (Agression and its causes : A biopsychological approach, Oxford University Press, 1997)  avance avec d'autres ce genre d'arguments fondés sur l'interactionnisme bio-psychologique.

 

          D'autres auteurs, comme Kenneth MOYER, conçoivent les agressions comme des réactions essentiellement effectrices, liées à l'économie adaptative de l'espèce, et issues d'un processus d'adaptation de sélection naturelle. Concevoir les conduites agressives comme des modalités comportementales spécifiques résultant d'un processus d'adaptation amène à distinguer différents types de conduite, en fonction de la nature de la situation dans laquelle elle se produit : agression prédatrice, agression défensive, agression maternelle... Pour les tenants de cette position, les conduites agressives ne renvoient pas nécessairement à une conception unitaire.

 

             Edward O. WILSON (né en 1929)  propose une conception théorique globale, d'inspiration darwinienne, mais seulement d'inspiration..., qui a pris une grande importance dans l'explication des conduites agressives. Le fondateur de la sociobiologie se réclame des courants théoriques qui soutiennent que les génotypes déterminent de façon assez directe et étroite les comportements. Il existe un mécanisme inné dans tout organisme qui essaie d'assurer le maintien et la survie de son génotype. Ce besoin fondamental entraînerait une sélection de comportements permettant la survie de ce génotype, y compris les comportements de favoritisme au bénéfice des individus porteurs d'un génotype proche ou identique. On reconnaît parfois la trame de la réflexion de Konrad LORENZ dans l'explication des comportements agressifs et amicaux... 

 

             R. B. et B. D. CAIRNS (Par exemple dans Social networks and agressive behavior : Peer support or peer rejection, avec H J NECKERMAN, S D GEST et J L GARIEPY, Developmental Pyschology, n°24, 1988) insistent sur l'importance du rôle des facteurs biologiques dans le développement des individus, y compris dans le développement des comportements agressifs :

- la capacité d'agression est propre à l'homme ;

- la différence due à l'âge et au sexe, dans le comportement agressif se produit pendant la période de la puberté ;

- durant cette période, l'agression physique joue un rôle moins important pour les femmes que pour les hommes ;

- de l'adolescence et au début de l'âge adulte, les manoeuvres indirectes pour contrôler les relations interpersonnelles sont utilisées plus par les filles que par les garçons. 

Ils concluent qu'une théorie viable concernant le développement du comportement social doit tenir compte de l'impact de tous les processus jouant un rôle dans le développement de l'individu, et doit dire de quelle façon ils interviennent dans les différentes périodes de son évolution pour former des structures comportementales stables. Sans doute ces auteurs s'aventurent-ils quand ils veulent préciser cette théorie. Ainsi selon eux, la jalousie sexuelle est le mobile le plus important dans les meurtres violents commis par les hommes jeunes. Partant de cette constatation, vérifiée par de nombreuses études criminologiques, ils pensent qu'au cours de l'évolution de l'espèce humaine, la jalousie serait née du renforcement par la sélection naturelle de la tendance psychologique du mâle à rechercher puis à assurer sa paternité auprès de la progéniture des femelles avec lesquelles il a eu des rapports sexuels. La survie de son génotype est à ce prix...

 

         Comme l'explique Farzaneth PHALAVAN, ces arguments fondés sur la biologie évolutionniste sont ignorés par les psychosociologues, qui refusent de qualifier le comportement agressif de "naturel". Ce qui les renforcent dans cette attitude, ce sont les études comparatives du système nerveux central d'animaux de différentes espèces, en particulier de l'homme, qui mettent en évidence le développement progressif de structures nerveuses dont la fonction est d'augmenter la maîtrise exercée par les centre de commande cognitive sur les activités liées aux émotions (ANDY et STEPHAN, 1974 ;  J. PANKCEPP, notamment dans Emotions as natural kinds within the mammalian brain, dans Handbooks of emotions, The Guilford Press, coordonnés par LEWIS & J.M. HAVILAND-JONES, 2000). 

     C'est sur précisément la présence de ces structures cérébrales que se fonde l'approche d'Henri LABORIT, pour proposer un modèle biologique, physiologique et psycho-sociologique des comportements agressifs.

       Le surdéveloppement de l'importance de l'apprentissage dans l'espèce humaine amène à concevoir l'ensemble des processus biologiques dans une autre perspective tout autre qui serait tirée de l'étude des autres espèces, même de primates. Même les théories mécanicistes du comportement agressif, sur lesquels nous reviendrons plus tard, regroupées sous le terme de théorie de la frustration n'intègrent pas suffisamment cet aspect. 

 

Farzaneh PAHLAVAN, Les conduites agressives, Armand Colin, collection Cursus, 2002.

 

                                                                                                                                                                 ETHUS

 

Relu le 13 mars 2020

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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 14:34

      La compréhension de l'effet des drogues sur l'organisme, des mécanismes de dépendance, des addictions... est encore rendue difficile par deux phénomènes qui se rapportent à l'histoire des sciences, et plus précisément sans doute à l'histoire de la médecine : la confusion d'approches moralisatrices et des approches cognitives, les unes interagissant sur les autres par le jeu des préoccupations sociétales et des financements préférentiels et une certaine opacité persistante dans la circulation des informations scientifiques, soit par le jeu direct des conflits entre acteurs de la recherche, soit par la compétition entre laboratoires de recherches, elles-mêmes mues par des objectifs plus économiques que purement scientifiques.

       Malgré ces deux types d'obstacles, le nombre d'études, dans le cadre notamment de conflits entre acteurs prônant la pénalisation et la prohibition et acteurs qui les combattent (pour des raisons très diverses), ce qui entraîne d'ailleurs de nombreux risques d'instrumentalisation de résultats d'expérience, s'accroît. Jamais la littérature grise (documents de travail, brochures, rapports...) n'a paru aussi importante, si l'on en juge leur circulation de plus en plus importante sur Internet par exemple, sur tous les phénomènes biologiques et psychologiques liés aux diverses substances communément reconnues comme drogues (illicites ou licites)  et sur d'autres d'ailleurs moins communément reconnues comme telles (alcool, tabac...). Les études sur les phénomènes de dépendance notamment s'accumulent, directement reliées à une demande sociale forte.

Pour s'en tenir seulement au niveau de la biologie, quelles sont aujourd'hui les approches qui permettent de se faire une idée précise sur l'activité de toutes ces substances ? Un aspect qui revient constamment dans beaucoup d'études concerne l'homéostasie.

 

Des dynamiques du plaisir et de la douleur....

         Au coeur de la problématique se trouve en fait toute la biologie du plaisir et de la douleur. Jean-Didier VINCENT tente de définir les contours de ces deux sensations/sentiments : "Concept obscur, sentiment lumineux, le plaisir doit être conçu à la fois comme état et acte, un affect qui ne peut être dissocié du comportement qui lui a donné naissance. Récompense pour l'individu, il est le moteur de son apprentissage et de l'évolution des espèces. l'homme seul dit son plaisir : mais à observer l'animal en action, nous concluons parfois qu'il y prend du plaisir. Modalité de l'état central, le plaisir est plus facile à vivre qu'à définir." "La douleur a la particularité d'être à la fois affection et sensation. A ce titre, on décrit des récepteurs, des nerfs et des voies, dans le système central, spécifiques de la sensation douloureuse. ces voies nerveuses qui montent dans les étages successifs de la moelle épinière et du cerveau, mettent en place à chaque niveau, leurs propres systèmes inhibiteurs." 

  Alexander BAIN (1818-1903) et Herbert SPENCER (1820-1903) donnent un rôle clé au plaisir dans l'adaptation face à la sélection naturelle. "Des décharges spontanées d'énergie nerveuse provoquent des activités musculaires diffuses : les mouvements qui s'accompagnent de plaisir sont sélectivement renforcées, ceux qui provoquent du déplaisir s'affaiblissent et disparaissent. Ce choix favorise l'adaptation de l'espèce : ce qui est bon pour elle entraîne du plaisir, et ce qui est mauvais, du déplaisir. (...) Même l'école béhavioriste, préoccupée d'apprentissage plutôt que d'évolution, ne pense pas autrement lorsque, par la loi de l'effet, elle établit qu'une réponse comportementale n'est conservée que si elle est suivie d'une récompense : or il n'est d'autre récompense que le plaisir qui en résulte. (...)  

Quelles que soient les théories proposées pour expliquer la formation des assemblées neuronales qui sous-tendent les comportements, on peut dire que le plaisir est au coeur des processus d'association."

La quantification du plaisir est tentée par des méthodes physio-physiques, afin de déterminer les zones de cerveau impliquées par les excitations de plaisir, ainsi que les voies du système nerveux central et du système nerveux périphérique par lesquelles transitent les influx en feedback (tests effectués surtout sur des rats). En 1954, par exemple, James OLDS (1922-1976) et Brenda MILNER (née en 1918) décrivent le phénomène d'autostimulation et les structures nerveuses qui s'y rapportent et José DEGALDO (né en 1915) montre que des stimulations électriques appliquées dans les régions médianes de l'hypothalamus provoquent la fuite de l'animal. De la même manière des tests permettent la recherche des neurohormones intervenant dans la genèse du plaisir : quels sont les neurotransmetteurs impliqués dans le phénomène d'autostimulation? Peuvent-ils être considérés comme les médiateurs chimiques du plaisir? Parmi les substances trouvées figurent les catécholamines (noradrénaline notamment), les peptides opiacés et le GABA. Jean-Didier VINCENT illustre l'aboutissement de ces différentes recherches par le cas du toxicomane.

Le modèle de Neal MILLER (1909-2002), inspiré des conceptions de Louis LEWIN (1850-1929) postule que tous les comportements - dimensions cognitives comprises, s'inscrivent dans un champ de forces opposées : approche-plaisir, lié à l'hypothalamus latéral, et évitement-aversion, lié aux structures médianes.

Walter Rudolf HESS (1881-1973) établit une classification des effets de la stimulation électrique de l'intérieur du cerveau : les points de stimulation se répartissent en deux systèmes selon la nature des réponses. Le système throphotrope, qui correspond à l'hypothalamus latéral et antérieur, soutiendrait l'activation du système nerveux parasympathique : chute de la pression artérielle, ralentissement du pouls et de la respiration, salivation, fermeture des pupilles, digestion, défécation, érection et sommeil ; fonctions qui concourent, dans l'ensemble, au repos, à l'assimilation et à la reproduction. Le système ergotrope, au contraire, qui correspond aux structures médianes et postérieures, serait responsable de l'activation orthosympathique : accélération du pouls et de la respiration, hypertension, dilatation des pupilles, horripilation, éveil, alerte, peur et colère ; fonctions de dépense, de destruction et d'attaque.

"Autrement dit, commente Jean-Didier VINCENT, un boudha trophotrope et un démon ergotrope cohabiteraient au centre du cerveau. Reconnaissons que HESS se garde bien de tout manichéisme physiologique. Le bien et le mal n'ont pas de localisation cérébrale. Une telle idée est une fantaisie dangereuse qui hante pourtant certains esprits (le cinéma fantastique en fait un usage extensif, dirions-nous...). Nous laisserons également de côté le couple Éros et Thanatos, non pour contester les vertus théoriques - malgré les mises en garde de FREUD (...), mais pour ne pas succomber aux délices analogiques (...). Finalement le plaisir n'est rien sans le déplaisir (...)"

Ce plaisir et ce déplaisir ont une dimension extracorporelle, les objets de plaisir et de dégoût, une dimension corporelle, représentée par le fonctionnement des organes et la composition du milieu intérieur et une dimension temporelle où trône le rôle de l'apprentissage dans l'acquisition du stock individuel de représentations d'objets de plaisir. Ces trois dimensions sont bien illustrées par l'expérience du toxicomane : acquisition de l'expérience du plaisir par l'intermédiaire d'une substance extérieure qui active d'anciennes représentations excitatives, accoutumance à la drogue qui se traduit par une diminution progressive de ses effets et qui oblige à augmenter les doses. Les différentes substances possèdent soit des effets atténuateurs de la douleur, soit des effets activateurs du plaisir. 

L'étude précise des récepteurs de la douleur, du fonctionnement de leur activation, acheminement des sensations par la moelle épinière, aboutissement au thalamus et au tronc cérébral, transmission au cortex qui effectue la représentation finale. La découverte des morphines endogènes entre 1968 et 1972, l'extraction par HUGUES et KOSTERLITZ en 1974 d'un facteur pouvant se fixer sur les récepteurs de la morphine (enképhaline)... permettent de mieux comprendre l'action des drogues sur la douleur.

 

L'action des psychostimulants et l'addiction

            Parmi les très nombreuses études sur l'action des différentes drogues, sans entrer dans des détails qui n'ont pas leur place dans ce blog (il vaut mieux se reporter aux ouvrages de médecine et de biologie), prenons-en seulement deux, celle sur le rôle des psychostimulants sur l'axe du stress et une étude sur l'addiction (dépendance) aux drogues.

    Catherine RIVIER, dans Rôle des psychostimulants sur l'axe du stress, de 1999, expose le fait que "la santé des mammifères dépend de leur capacité de maintenir et/ou de restaurer l'homéostasie quand ils sont soumis à des menaces pour la cohérence du "milieu intérieur".

L'organisation de la réponse à ces menaces de l'homéostasie (les "stresseurs") est constituée d'un stimulus d'entrée, d'un système de calcul central et d'une réponse de sortie. L'un des principaux systèmes responsables de la restauration de l'homéostasie est le système Hypothalamo-Pituito-Adrénalien (HPA) qui, en réponse à des stress, orchestre la production du CRF Cortico-Releasing Factor) et de la vasopressine (VP) à partir des noyaux paraventriculaires de l'hypothalamus, de l'ACTH (Adreno Cortico Trophic Hormone) à partir de l'hypophyse et des corticoïdes à partir des surrénales.

L'exposition à des drogues telles que l'alcool représente un enjeu homéostatique et comme attendu, elle stimule l'axe HPA chez les animaux de laboratoire et les êtres humains. (...) Nous illustrons d'abord l'activation de l'axe HPA par une injection aiguë d'alcool, traduite par une augmentation dans le plasma des niveaux d'ACTH (une réponse qui dépend de la présence de CRF et de VP endogènes) et la régulation supérieure de la réponse neuronale PVN (qui implique le CRF, les récepteurs CRF et les corps cellulaires VP). Nous décrivons ensuite  nos recherches récentes concernant l'effet à long terme de l'alcool. Ce paradigme consiste en l'exposition de rats à 3 injections quotidiennes consécutives d'alcool ou à un autre stress, ensuite l'étude de la réponse de l'axe HPA à une injection aiguë d'alcool administrée 3 à 12 jours plus tard. Au-delà, nous démontrons que tandis qu'une exposition initiale à l'alcool stimule significativement l'axe HPA en termes d'activités PVN (CRF) et de sécrétion d'ACTH, des réponses endocrines consécutives à des traitements additionnels médicamentaux sont significativement altérées. Nous proposons que si ce phénomène de tolérance sélective se retrouve chez l'humain, il peut jouer un rôle dans les comportements de recherche de drogue parce que certains individus peuvent essayer de restaurer la réponse de leur axe HPA initial en consommant des doses croissantes d'alcool." (Dr Jean-Michel THURIN).

    Florence NOBLE présente, en 2009, des données récentes sur l'addiction aux drogues. "Elle a posé le problème en termes de maladie chronique et récidivante du système nerveux central. En situation physiologique basale, dans la mesure où l'activité du système nerveux central est globalement régulé par des molécules excitatrices et inhibitrices, l'équilibre très fin qui existe entre ces deux grands groupes de neuro-transmetteurs et de neuropeptides permet de maintenir l'homéostasie du cerveau. Mais une prise de drogue va fortement déséquilibrer cette balance, et la répétition de cette prise de drogues va entraîner une réaction d'adaptation pour tenter de rétablir un nouvel équilibre : la prise chronique de drogues perturbe cette homéostasie, et de nombreuses réactions d'adaptation de l'activité du système nerveux se mettent en place, à l'origine de cette maladie chronique.

Ces mécanismes se prolongent dans le temps : il faut donc traiter cette maladie par une pharmacologie adaptée pour aider le toxicomane à vaincre cette abstinence. L'usage de traitements de substitution chez des personnes dépendantes aux opiacés a montré son utilité au cours des années passées : ces traitements ont pour finalité de conduire le malade dépendant à une réduction de la consommation de drogues opiacées. On utilise pour les cures de sevrage des agonistes opioîdes comme la buprénorphine ou la méthadone qu'il faut utiliser avec précaution, car ces molécules, utilisées pour les traitements de substitution, présentent de propriétés pharmacodynamiques et pharmococinétiques particulières. Les progrès dans de nombreux domaines, neuro-imagerie, biologie moléculaire, modèles animaux, ont permis, ces dernières années, de mieux comprendre les mécanismes neurobiologiques et neurochimiques des addictions."

 

Drogues, malaise existentiel et piège pour l'organisme

         La recherche du plaisir et la fuite devant la douleur constituent les motivations de consommation des drogues. La recherche de solutions à un malaise existentiel ou tout simplement la recherche de nouvelles sensations modifient l'homéostasie générale du corps (ou les différentes homéostasies en relations dans le corps), d'abord de manière ponctuelle, avec un rétablissement plus ou moins rapide, puis au fur et à mesure des nouvelles absorptions, de manière constante, alors même que les sensations éprouvées s'amoindrissent dans le temps.

C'est un véritable piège dans lequel l'organisme est plongé, dans un assouvissement de plus en plus difficile en parallèle avec des déséquilibres de plus en plus profonds et prolongés. Tant que l'usage d'une drogue quelconque s'effectue dans un contexte plus ou moins ritualisé, dans le cadre d'une activité collective quelconque, il est possible d'effectuer un contrôle qui s'appuie sur une connaissance et une expérience de ses effets. Mais à partir du moment où sa prise s'effectue individuellement et même en secret, dans un climat de réprobation sociale, il n'existe que très peu de possibilités de rétablir, par un moyen ou par un autre, sauf dans de nouvelles douleurs, l'homéostasie rompue.

 

 Jean-Didier VINCENT, biologie des passions, Odile Jacob, collection Points, 1986. Bernard CALVINO, Éditorial de présentation des travaux du Congrès de Strasbourg de novembre 2008 de la Société française d'étude et de traitement de la douleur, Springer Verlag France, 2009. Jean-Michel THURIN, présentation du travail de Catherine RIVIER, Rôle des psychostimulants sur l'axe du stress, 2000.

A noter que Jean-Didier VINCENT indique dans son livre qu'on trouve une documentation sur la biologie de la toxicomanie dans les livres de C. KONETSKY et G. BAIN, Effects of Opiates on Rewarding Brain Stimulation, Smith and Lane et The neurobiology of Opiate Reward Porcess, Elsevier Biomedical Press, 1983). L'article de R. SOLOMON, complète t-il, sur le coût du plaisir et le bénéfice de la douleur, illustre bien le caractère des processus opposés à l'oeuvre chez le toxicomane : R..L. SOLOMON, The Opponent-Process Theory of Acquired Motivation : the Costs of Pleasure and the Benefits of Pain, dans la revue American Psychology, n°35, 1980.

 

                                                                                                            ETHUS

 

Relu le 14 mars 2020

 

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 11:01

         L'homéostasie, depuis que ce concept a été créé par Claude BERNARD (1813-1878), précisé par Walter Bradford CANNON (1871-1945), étendu par Norbert WIENER (1894-1964) et William Ross ASHBY pour donner la cybernétique, se révèle fécond dans l'explication de l'existence biologique et peut-être dangereux dans la compréhension de la vie sociale.

      Claude BERNARD, en 1865 (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale) crée ce concept de milieu intérieur et d'équilibre à l'intérieur de celui-ci : "Tous les mécanismes vitaux, quelques variés qu'ils soient, n'ont toujours qu'un but, celui de maintenir l'unité des conditions de la vie dans le milieu intérieur" et Walter Bradford CANNON forge le mot homéostasie à partir des deux mots grecs stasis (état, position) et homolos (égal, semblable à) en 1926 (The Wisdom of the Body) : "Les êtres vivants supérieurs constituent un système ouvert présentant de nombreuses relations avec l'environnement. Les modifications de l'environnement déclenchent des réactions dans le système ou l'affectent directement, aboutissant à des perturbations internes du système. De telles perturbations sont normalement maintenues dans des limites étroites parce que des ajustements automatiques à l'intérieur du système entrent en action et que de cette façon sont évitées des oscillations amples, les conditions internes étant maintenues à peu près constantes (...). Les réactions physiologiques coordonnées qui maintiennent la plupart des équilibres dynamiques du corps sont si complexes et si particulières aux organismes vivants qu'il a été suggéré qu'une désignation particulière soit employée pour ces réactions : celle d'homéostasie". 

   Ainsi la notion d'homéostasie se réfère fondamentalement à celle d'un état stationnaire de processus stabilisés par la coordination de mécanismes physiologiques (mécanismes auto-régulateurs), et qui permettent à l'organisme de maintenir son intégrité fonctionnelle dans des environnements, interne (milieu intérieur) et externes fluctuants. Pour éviter toute dérive dans un premier temps dans la compréhension du phénomène, nous pouvons définir l'homéostasie comme l'état d'un système en fonctionnement dans une situation de déperdition minimale d'énergie.

 

    Pour rester dans le domaine de la biologie, ce concept est étendue ensuite du niveau cellulaire au niveau des populations cellulaires. L'homéostasie du milieu intérieur se compose de systèmes de régulation de la pression artérielle, de la masse sanguine, de concentrations de substances nécessaires à la vie (pH - mesure de l'acidité du milieu, pression d'oxygène et de gaz carbonique...). 

       L'organisme est un système qui ne trouve son équilibre dynamique que grâce à son ouverture sur le monde extérieur, c'est-à-dire grâce à sa vie de relation qui intègre fonctions nerveuses et fonctions endocriniennes. Les systèmes nerveux diencéphalo-limbique, hypophyse-glandes endocrines périphériques, glandulaire, tous reliés entre eux fonctionnent de manière à ce, à chaque instant, par l'intermédiaire des afférences somesthésiques et viscérales, grâce à des cellules réceptrices hypothalamiques (sensibles à la températures, à la pression osmotique, au pH, au taux de glucose, d'androgènes, etc), l'ensemble hypothalamo-limbique (du cerveau) centralise les informations venues du microcosme individuel par voie "nerveuse", c'est-à-dire rapide, et préside aux modifications nerveuses et endocriniennes qui, faisant une large part à l'autonomie des mécanismes périphériques, assurent l'homéostasie.

Quand celle-ci devient impossible à maintenir en "cycle fermé", les déséquilibres enregistrés président au déclenchement des séquences comportementales - quête de nourriture, par exemple. A l'inverse, le système hypothalamo-limbique apporte les afférences (olfactives, optiques, auditives...) du monde extérieur. Ces afférences convenablement stockées, mémorisées (rôle du système limbique et des hippocampes), vont associer le possible et le souhaitable, et conduire aux "comportements instinctifs" à partir d'un schéma initial inscrit dans l'anatomie des neurones, par le jeu des renforcements, des inhibitions et d'un véritable conditionnement opérant. (Jack BAILLET)

       Dans Biologie et structure, Henri LABORIT résume cette conception du fonctionnement d'un organisme et souligne que la finalité d'un être vivant est toujours le maintien de se structure complexe dans un environnement moins complexifié. "Or, la simple excitation, c'est-à-dire le seul fait pour lui de subir l'apport d'une énergie extérieure sous une forme autre que celle élaborée des substrats, constitue déjà une tendance au nivellement thermodynamique, et l'on constate une déstructuration des protéines par rupture des liaisons hydrogène : déstructuration réversible dans l'excitation, alors que dans l'irritation et la mort elle est irréversible. C'est entre les deux que se situe l'état physiopathologique, la "maladie", mais il est bien difficile d'en définir les frontières, car à notre avis, ce sont des frontières temporelles."

A l'échelon cellulaire, les processus métaboliques oscillants, extériorisés par les variations du potentiel de membrane, permettent à l'être unicellulaire de maintenir son autonomie dans le milieu environnant. Ces variations oscillantes du potentiel de membrane se situent à l'échelle du temps de la milliseconde. Toute variation qui tend à se stabiliser ou à utiliser une période plus longue peut être alors considérée comme pathologique. "S'il est alors possible de définir peut-être une frontière temporelle entre physiologique et pathologique, les variations qui mèneront du pathologique à la mort sont si progressives qu'il est par contre pratiquement impossible d'envisager actuellement une limite entre ces deux derniers états, alors que le rôle du biologiste est justement de tenter de faire reculer le second à l'avantage du premier."

"A l'échelle des êtres pluricellulaires et particulièrement des homéothermes, la limite entre physiologique et pathologique est pareillement temporelle. la réaction stable aux variations de l'environnement en est la plus limpide expression. Cette réaction (...) rend possible la fuite ou la lutte. L'homéostasie (...) est alors gravement perturbée, comme l'objectivent par exemple l'abaissement du pH, l'hypoglycémie, l'hypercoagulabilité, l'hyperadrénalinémie, ect. Les organes hypovascularisés vont souffrir. Mais la fuite ou la lutte rendues possibles permettront, en supprimant ou évitant l'agent d'agression, le retour à l'équilibre physiologique normal. La finalité de l'organisme, à savoir le maintien de ses structures, sera donc observée.

Mais à une condition, c'est que la réaction à l'agression soit efficace. Car si elle dure, la mort des organes momentanément sacrifiés sera cause de la mort de l'organisme entier. Là encore, nous constatons que les réactions oscillantes passent du physiologique au pathologique dès que s'installe un état stable. Les régulations en "constance" deviennent des régulations en "tendance". Du moins doit-on précisément envisager le produit de l'intensité par la durée de la réaction, ce qui nous amène à concevoir une "quantité réactionnelle" et nous oblige, pour l'organisme entier comme pour la cellule, à l'envisager sous forme d'"énergie", de même que c'est une énergie de l'environnement qui la provoque. Puisque nous arrivons à cette conclusion que le temps joue un rôle considérable dans le mécanisme de la maladie, et qu'il s'agit d'un temps lié à la vitesse des processus enzymatiques, on est évidemment conduit à penser que l'un des aspects de la thérapeutique préventive est le ralentissement de la vitesse de ces processus, ce que réalise l'hypothermie. ce sera aussi de tempérer la réaction nerveuse et endocrinienne, en particulier vasomotrice, qui a conduit au "changement de programme", ce que nous réalisons par la "neuroplégie"".

        Dans La nouvelle grille, Henri LABORIT précise qu'il a été contraint depuis longtemps "de distinguer une homéostasie restreinte au milieu intérieur dans lequel baigne l'information-structure de l'ensemble cellulaire de l'organisme et une homéostasie généralisée de cet ensemble organique qui peut parfois exiger la perte de l'homéostasie restreinte. C'est le cas lorsque la fuite ou la lutte mises en jeu et permettant la sauvegarde de l'information-structure générale exigent (....) un sacrifice temporaire de l'approvisionnement énergétique de certains organes ne participant pas directement à ce comportement. Si cette réaction dure, du fait de son insuccès à écarter le danger menaçant, l'information-structure elle-même peut en souffrir et l'on voit survenir un état de choc et la mort. Ainsi, le milieu intérieur, matelas liquide qui sert d'intermédiaire entre les variations survenant dans l'environnement et l'information-structure cellulaire, est le lieu de passage que traverse la matière et l'énergie dont cette dernière a besoin pour subsister. C'est aussi le lieu où ses produits de déchet transite avant d'être excrétés dans l'environnement. A l'état physiologique, l'information-structure cellulaire, par d'innombrables feed-backs et boucles de servo-mécanismes, assure la constante de sa composition. A l'état d'urgence, elle sacrifie momentanément cette constance à la fuite et à la lutte. Cette constance peut se rétablir si celles-ci, victorieuses, parviennent à écarter le danger. Si l'état d'urgence persiste on peut pénétrer dans un état pathologique où l'information-structure elle-même est endommagée, soit de façon aiguë, soit plus lentement avec apparition de lésions chroniques qui siègent préférentiellement au niveau de organes sacrifiés par la réaction organique à l'agression. L'homéostasie ne peut donc plus être considérée comme la tendance à maintenir constantes "les conditions de vie dans le milieu intérieur", mais comme celle à préserver l'intégrité de l'information-structure de l'organisme ; parfois grâce à la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur, parfois aussi par l'autonomie motrice de l'ensemble organique dans l'environnement, mais aux dépens de la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur. La finalité reste donc bien la même, la conservation de la structure, mais le programme utilisé pour sa réalisation peut changer et les moyens employés aussi."

              Ce qu'il faut retenir de cet exposé, très lié aux recherches du professeur de biologie sur les processus de l'anesthésie et de la réanimation, c'est la nature de ce concept d'homéostasie. Le jugement de valeur généralement sous-entendu que cet équilibre est un état favorable à rechercher fait passer facilement ce concept du physiologique au psychologique et à la psychophysiologie. Les recherches sur la douleur, au départ processus physiologique pour toute structure biologique puis prise de conscience, grâce au perfectionnement du cerveau humain, de cette douleur, amènent à s'interroger sur les frontières entre le souhaitable, le normal, le pathologique... Le glissement des réflexions sur la douleur, du niveau physiologique au niveau psychologique, fait envisager le concept d'homéostasie sous l'angle sociologique.

Des auteurs peuvent être facilement tenter d'élaborer toute une réflexion auteur de la notion d'homéostasie sociale, en considérant le "corps" social par analogie au "corps" biologique, ce qui inévitablement conduit à (l'explication ou à la justification) de conceptions conservatrices. Déjà dans les écrits de Konrad LORENZ, l'usage de la notion d'équilibre, définie pour les comportements instinctifs des oiseaux et des poissons, légitime si l'on ne dépasse par le cadre de la biologie, devient extrêmement délicat pour l'explication de comportements complexes dans les sociétés humaines.

 

         Pour en revenir à la biologie, depuis les études de Walter Bradford CANNON, la notion d'homéostasie a été étendue au développement embryonnaire et aussi aux populations, considérées comme des organismes doués de propriétés auto-régulatrices : homéostasie écologique, sociologique ; l'homéostasie génétique (LERNER, Genetic homeostasis, 1954) est définie comme la capacité des populations mendéliennes (ou des espèces) de maintenir la stabilité de leur pool génétique face à des causes de perturbation. En maintenant la stabilité des génotypes, et donc des phénotypes, l'homéostasie génétique assure la pérennité des espèces. Elle est une conséquence de la sélection naturelle qui favorise les phénotypes hétérozygotes, de valeur adaptative supérieure à celle des homozygotes. (Charles DEVILLERS).

    Patrick TORT met en garde contre le fait que l'homéostasie suscite une imagerie finaliste, qui "transparait dans des analogies à vocation didactique dont il est couramment fait usage pour assurer sa représentation. Ce phénomène a été mise en lumière et étudié dans ses conséquences par un groupe de pédagogues (E. RESWEBER, M. MISERY, Philosophie. Méthodologie en classe de Première. Sciences physiques. Sciences naturelles. Rapport d'expérience de l'enseignement de la philosophie en classe de Première, Bouaké, mai 1981) dans le cadre d'une expérimentation conduite à partir d'un texte extrait de La biologie moderne de Towle, et de sa critique."

L'auteur de ce manuel écrit "On retrouve l'homéostasie à tous les niveaux de l'organisation des êtres vivants." Depuis la cellule jusqu'à la biosphère, l'existence d'équilibres dynamiques auto-régulés permet des dérives analogiques de niveau en niveau. Il est certain que la genèse intellectuelle de la théorie sélective chez Darwin ne pouvait se concevoir sans un passage obligé par une explication des équilibres naturels. Dans un autre registre, l'"hypothèse Gaïa" de LOVELOCK, macro-organicisme cosmique ayant permis d'élaborer de nombreuses oeuvres de fictions par ailleurs passionnantes, n'est, sous ce rapport, rien d'autre que le report à l'échelle planétaire du concept extensif d'homéostasie. Si la rigueur scientifique et didactique souffre de tels glissements, l'imagination, sans doute, y trouve son compte, et une rétroaction "positive" sur l'invention d'hypothèses éventuellement fécondes n'en est pas radicalement exclue, sous la condition de validations restreintes ultérieures. Il n'en est pas de même, cependant, lorsque cette imagination porte sur les phénomènes sociaux et que rapidement, trop rapidement, la notion d'homéostasie y est appliquée. En mettant cette réserve toujours à l'esprit, la connaissance scientifique obéit, de même - c'est là, donc, une hypothèse - à des mécanismes oscillatoires analogues de part et d'autre d'un axe d'objectivité - d'où sa démarche indéfiniment corrective (TORT, La raison classificatoire, Aubier, 1989). Il est possible à l'épistémologie historique de mettre en garde contre les écarts de ce mécanisme - extrêmement dommageables encore une fois sur les faits sociologiques  - mais, c'est généralement la science elle-même qui procède à ces réajustements (ce qui constitue une réflexion optimiste).

 

Charles DEVILLERS, Patrick TORT, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'évolution, PUF, 1996.  Henri LABORIT, Biologie et structure, Gallimard, collection Idées, 1968. Henri LABORT, La nouvelle grille, Robert Laffont, collection Libertés 2000, 1981. Jack BAILLET, Homéostasie, Encyclopedia Universalis, 2004. 

 

                                                                                                                                                       ETHUS

 

Relu le 16 mars 2020

 

 

 

 

 

 

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23 février 2010 2 23 /02 /février /2010 10:40
        Plusieurs théories politiques justifient des visions à la fois pessimistes et agressives de la vie sociale. Pessimistes comme les théories d'Arthur de GOBINEAU, de Gustave le BON ou de Vacher de LAPOUGE, agressives comme celles de Houston Stewart CHAMBERLAIN ou de Francis GALTON, les théories socio-politiques de la lutte pour la vie possèdent en commun une confusion entre les niveaux biologique et sociaux de la réalité. Ils s'insèrent plus ou moins dans un darwinisme social qui n'a rien de scientifique.

     Ce darwinisme social, si l'on suit André BEJIN, malgré sa grande diversité, distille 6 postulats principaux :
- moniste : dans la plupart des cas, il s'agit d'un monisme matérialiste, selon lequel tout ce qui existe peut se ramener à un seul principe, la matière ;
 - réductionniste : tous les phénomènes peuvent être décomposés en unités de plus en plus simples ;
 - déterministe : il existe des relations nécessaires entre les phénomènes concomitants, les phénomènes successifs, les phénomènes complexes, d'une part, et les phénomènes simples les constituant ;
- d'inégalité : les individus, qui par nature diffèrent les uns des autres par leurs aptitudes et leurs comportements (principes de variation), sont du point de vue de chacune des facultés physiques ou mentales discernables, généralement inégaux ;
- d'hérédité : les traits physiques et mentaux innés et/ou acquis se transmettent, par voie de reproduction, des parents à leurs descendants. A noter que le principe lamarckien de l'hérédité des caractères acquis, accepté partiellement par Charles DARWIN, est abandonné aujourd'hui par la plupart de ses successeurs.
- de sélection : l'évolution des espèces et des sociétés procède des sélections - sélections par la mort (la lutte pour l'existence au sens strict) et par la fécondité différentielle (la lutte pour la descendance selon Vacher de LAPOUGE).
         Ce même auteur distingue trois phases dans l'histoire de l'évolution de ces théories :
- de 1853 à 1883, on passe progressivement d'un premier darwinisme social, plutôt libéral, à un second plutôt socialiste et dirigiste ;
- entre 1884 et 1904, domine ce second darwinisme social, souvent eugéniste, raciste et/ou impérialiste ;
- de 1905 à 1935, ce courant de pensée ne produit plus d'innovations théoriques majeures mais il inspire des applications politiques lourdes de conséquences.
       Mais, comme André BEJIN le souligne, ce darwinisme social s'inspire également d'un mouvement intellectuel tel que le panslavisme, qui se transforme au gré des nationalités de ceux qui s'expriment. Ainsi, un pangermanisme naît ensuite dans la mouvance de ce darwinisme social...

          Plusieurs auteurs peuvent être situés dans cet ensemble assez vaste, parfois sans en faire l'objet principal de leurs préoccupations.
    - Arthur de GOBINEAU (1806-1882)  ouvre cette période du darwinisme social, par la place qu'il donne aux races, notamment aux "Ariens-Germains" dans cette évolution qui selon lui provient du mélange à partir des races fondamentales, blanches, noires et jaunes.
- Clémence ROYER (1830-1902), par ailleurs figure française du féminisme et de la libre pensée, première traductrice en français de l'oeuvre de Charles DARWIN, développe ses propres idées évolutionnistes dans le domaine des sciences sociales. Dans sa préface à L'origine des espèces, elle évoque surtout "la protection exclusive et inintelligente accordée aux faibles, aux infirmes, aux incurables, aux méchants eux-mêmes, à tous les disgraciés de la nature (alors que) rien au contraire ne tend à aider la force naissante, à la développer, à la multiplier". Elle reste cependant optimiste pour autant qu'il soit admis que les hommes comme les races "sont inégaux par nature" et que soit établi "le régime de la liberté individuelle la plus illimitée, c'est-à-dire de la libre concurrence des forces et des facultés comme de leur libre association".
     - Walter BAGEHOT (1826-1877), journaliste britannique, auteur d'ouvrages de politique constitutionnelle (The English Constitution, 1867) et d'économie (Physics and Politics, 1872), considère que la guerre avait longtemps constitué l'instrument essentiel de la sélection naturelle s'appliquant aux hommes, mais que son rôle devait décroître dans les sociétés les plus "civilisées" au profit de celui de la "discussion".
- Francis GALTON (1822-1911), anthropologue et explorateur anglais, fondateur par ailleurs de la psychologie différentielle ou comparée, met en place la méthode d'identification des individus par empreintes digitales. Ce cousin de Charles DARWIN veut faire le lien entre la théorie de la sélection naturelle et la recherche mathématique, mais surtout clame la nécessité (Hereditarius Genius, 1869) de pallier les carences  de la sélection naturelle dans les nations "civilisées" en instituant ce qu'il appelle d'abord une "viriculture" puis en 1883 (Inquiries into Human Faculty), l'"eugénique" qu'il définissait comme la science de l'amélioration des qualités héréditaires. Attaché aux droits de l'homme dans les démocraties modernes, il ouvre la voie à toutes les théories et pratiques eugéniques peu regardantes envers ces droits.
     - Gustave Le BON (1841-1931), anthropologue, psychologue, sociologue amateur français, vulgarisateur des théories sur l'inconscient, est connu surtout pour ses ouvrages sur la psychologie des foules. Dans son ouvrage le plus synthétique, Lois psychologiques de l'évolution des peuples (disponible sur le site de l'uqac) de 1894, difficile à résumer, il tente de lier la transformation du caractère et l'hérédité. Pour agir sur le caractère, il existe deux moyens : la modification de l'hérédité et la création de sentiments et de croyances. Mais en ce qui concerne l'action sur l'hérédité, Gustave Le BON ne croit pas, à l'encontre des eugénistes socialistes, en l'efficacité d'une "sélection méthodique" de grande ampleur. C'est le "mélange des races" qui fait évoluer le fondement héréditaire. Il n'existe pas de "peuples purs de tout mélange" : la plupart des races civilisées actuelles sont le produit du "hasard des conquêtes, des immigrations et de la politique...". La formation de l'âme de la race est lente. Par contre, sa décadence peut être très rapide : "La présence d'étrangers, même en petit nombre, suffit à altérer l'âme d'un peuple. Elle lui fait perdre son aptitude à défendre les caractères de sa race, les monuments de son histoire, les oeuvres de ses aïeux". D'où la possibilité et la nécessité d'agir par la création de sentiments et de croyances à partir d'idées nouvelles. Même si elles sont chimériques, elles sont mobilisatrices, écrit-il, et peuvent contribuer à bâtir une civilisation.
       - Georges Vacher de LAPOUGE (1854-1936), anthropologue française, se fondait sur l'étude de variations de certaines mensurations crâniennes pour affirmer que les "dysgéniques" submergent progressivement les "eugéniques" (sujets héréditairement doués). Cette rapide destruction des plus parfaits, décrite notamment dans Les sélections sociales, de 1889, résulte, selon lui, de la conjugaison de "sélections sociales" :
- militaire, les guerres modernes éliminant surtout les meilleurs ;
- politique, les coteries et les partis politiques favorisant les médiocres ;
- religieuse, le célibat sacerdotal interdisant à de très nombreux eugéniques de se reproduire et les persécutions religieuses entraînant la disparition de nombreux êtres d'élite ;
- morale, la charité profitant aux dysgéniques ;
- légale, l'interdiction de la polygamie nuisant par exemple aux eugéniques ;
- économique, la ploutocratie française favorisant l'élimination de l'aristocratie intellectuelle et conduisant à multiplier les mariages dictés par des raisons financières aux dépens des considérations d'eugénisme ;
- professionnelle, les individus les plus qualifiés ayant généralement une fécondité moindre ;
- urbaine, les villes drainant les eugéniques avant de les stériliser...
Du coup, l'évolution ne tend vers rien. En un sursaut volontariste, affirme que la sélection systématique pourrait permettre  de "refondre la nature humaine". Il suggère, parmi d'autres propositions, un service sexuel obligatoire pour les individus sains, afin de renverser la tendance. Il fait de nombreux adeptes, hors de France surtout, et engagé en faveur du contrôle des naissances, promeut les idées de Madison GRANT, président depuis 1922 de l'Immigration Restriction League, qui considère l'immigration comme une menace pour la survie de la race blanche. Sympathisant de nombreuses organisations racistes tant dans le monde anglo-saxon qu'en Allemagne, Georges Vaches de LAPOUGE reste ambivalent face au nazisme, s'interrogeant sur sa politique, à savoir si les exterminations seront réellement compensées par la réorientation du destin de l'espèce humaine. Il est l'auteur d'oeuvres racistes et antisémites, dont L'Aryen, son rôle social (1889), disponible sur le site www.archive.org. Elles ont eu une influence certaine juste avant et pendant la Seconde Guerre Mondiale.
       - Houston Stewart CHAMBERLAIN (1855-1927), écrivain et essayiste anglais d'expression allemande, par son ouvrage Genèse du XIXe siècle, de 1899, marque un tournant dans l'histoire des doctrines raciales. Surtout parce qu'il leur donne un volontarisme qui dépasse le pessimiste de nombreux d'auteurs antérieurs. Désignant comme péril majeur le chaos ethnique, et durcissant les oppositions entre la race des "Germains" et celle des anti-Germains, les Juifs, il affirme possible une politique si elle est menée avec énergie et systématisme, qui peut redonner toute sa noblesse à la meilleure race. Cette politique de mélange temporaire entre races apparentées, suivie d'endogamie raciale et de sélection dans le cadre des nations, le Germain doit pouvoir s'opposer à l"abâtardissement.
         - Alexis CARREL en fait Marie Joseph Auguste CARREL-BILLIARD (1873-1944), chirurgien et biologiste français, fait partie des rares auteurs, dans cette dernière période qui va de 1905 à 1935, à redonner de la vigueur intellectuelle aux vieilles idées racistes et eugénistes. Dans celle-ci, caractérisée plutôt par des pratiques eugénistes un peu partout dans le monde (notamment aux États-Unis et en Allemagne), le lauréat 1912 du Prix Nobel de physiologie et de médecine, notamment à travers des ouvrages comme L'homme, cet inconnu (1935) ou Réflexions sur la conduite de la vie (posthume, mais écrit en 1905) contribue à l'affermissement scientifique de ces pratiques.
Dans L'homme cet inconnu, il reprend cette théorisation : "La vie moderne nous a apporté un autre danger plus subtil, mais plus grave encore que la guerre : l'extinction des meilleurs éléments de la race." Alors que les nations blanches se dépeuplent, les nations africaines et asiatiques s'accroissent. Prônant l'eugénisme, "qui peut exercer une grande influence sur la destinée des races civilisées", même si "on ne réglera jamais la reproduction des humains comme celle des animaux, Alexis CARREL appelle de ses voeux l'établissement par celui-ci "d'une aristocratie biologique héréditaire (...) étape importante vers la solution des grands problèmes de l'heure présente", très loin de cette confusion des concepts d'être humain et d'individu, qu'est l'égalité démocratique...
   
     Ces conceptions de la lutte pour la vie n'ont pas tellement d'influence précise sur la production scientifique ou la pensée politique dans leur ensemble, mais elles possèdent une influence diffuse, dans beaucoup de domaine de la littérature. On peut citer comme le fait - très largement - André BEJIN, l'oeuvre d'Emile ZOLA (Roujon-Macquart, Fécondité de 1899...), la naissance de la géopolitique (Harold MACKINDER, The Geographical pivot of History en 1904, mais amendé en 1919 et en 1943)... On pourrait bien entendu en citer bien d'autres, à la postérité bien moindre.

André BEJIN, chapitre Théories socio-politiques de la lutte pour la vie, dans nouvelles histoire des idées politiques, sous la direction de Pascal OURY, Hachette, 1987.

                                                                               PHILIUS
 
 
Relu le 19 octobre 2019

  
   
       
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13 février 2010 6 13 /02 /février /2010 17:32
          Dans l'Origine des espèces, Charles DARWIN (dans le chapitre 3) décrit l'influence de la lutte pour l'existence sur la sélection naturelle.
L'émergence d'espèces "vraies et distinctes" à partir d'"espèces naissantes", dont des exemples sont d'abord pris dans le monde végétal, découle de la lutte pour la vie. Grâce à elle, les variations, mêmes les plus minimes, tendent à préserver les individus d'une espèce, "et se transmettent ordinairement à leur descendance, pourvu qu'elles soient utiles à ces individus dans leurs rapports infiniment complexes avec les autres êtres organisés et avec la nature extérieure."
       
          Quelle est cette lutte pour la vie? Tout de suite le naturaliste fait remarquer qu'il emploie le terme "dans le sens général et métaphorique, ce qui implique les relations mutuelles de dépendance des êtres organisés, et, ce qui est le plus important, non seulement de la vie de l'individu, mais son aptitude ou sa réussite à laisser des descendants."
        Il mentionne ensuite les animaux carnivores entre eux, mais également, il le souligne, les plantes qui au bord du désert luttent contre la sécheresse, les guis qui, poussant sur la même branche et produisant des graines, luttent l'un contre l'autre. "Comme ce sont les oiseaux qui disséminent les graines du gui, son existence dépend d'eux, et l'on pourra dire au figuré que le gui lutte avec d'autres plantes portant des fruits, car il importe à chaque plante d'amener les oiseaux à manger les fruits qu'elle produit, pour en disséminer la graine"...
                  Il indique la progression géométrique de l'augmentation du nombre des individus sur un territoire donné et la compétition universelle qui régit les relations entre toutes les espèces entre elles, mais aussi à l'intérieur de chacune des espèces, des individus entre eux, comme entre les espèces du même genre. La dépendance d'un être organisé vis-à-vis d'un autre, "telle que celle du parasite dans ses rapports avec sa proie" se manifeste entre êtres très éloignés les uns des autres dans l'échelle de la nature. "Mais la lutte est presque toujours plus acharnée entre les individus appartenant à la même espèce ; en effet, ils fréquentent les mêmes districts, recherchent la même nourriture, et sont exposés aux même dangers". Les changements des conditions d'existence - humidité, composition en espèces d'un territoire donné, avers présence de nouveaux compétiteurs ou absence des anciens compétiteurs par exemple - entraînent une modification des caractéristiques des espèces présentes sur ce territoire.
              Devant cette présentation de cette lutte universelle, l'auteur ne peut s'empêcher d'exprimer ses sentiments : "La pensée de cette lutte universelle provoque de tristes réflexions, mais nous pouvons nous consoler avec la certitude que la guerre n'est pas incessante dans la nature, que la peur y est inconnue, que la mort est généralement prompte, et que ce sont les êtres vigoureux, sains et heureux qui survivent et se multiplient."

            Patrick TORT, analysant la conception de Charles DARWIN sur ce "combat universel pour la survie que livrent les individus, les variétés et les espèces et qui résulte de la situation de tension adaptative et de concurrence vitale dans laquelle se trouvent les organismes au sein d'un milieu donné" reprend bien les caractéristiques de ce que lisons plus haut.
Les dépendances écologiques entre espèces de tout genre, le caractère métaphorique de la notion de lutte pour l'existence, l'aspect global et systématique de cette lutte qui l'emporte sur la réalité immédiate, tout cela reflète trois données majeures, où l'on reconnaît bien l'influence de MALTHUS sur l'auteur :
- le taux élevé d'accroissement spontané de toute population d'organismes ;
- la limitation de l'espace disponible capable de la contenir ;
- les limites quantitatives des ressources qu'elle peut tirer de son environnement.

         Dans La filiation de l'homme, les considérations sur la lutte pour l'existence sont largement supplantées par l'accent mis sur le développement des instincts sociaux de l'homme, tant par rapport aux animaux inférieurs que par rapport aux animaux supérieurs.
       Au chapitre 4 par exemple, sur la comparaison des capacités mentales de l'homme et des animaux inférieurs, Charles DARWIN écrit qu'il souscrit "au jugement des auteurs qui soutiennent que de toutes les différences existant entre l'homme et les animaux inférieurs, c'est le sens moral ou conscience qui est de loin la plus importante." "La proposition suivante me semble hautement probable : à savoir que tout animal, quel qu'il soit, doué d'instincts sociaux bien affirmés incluant les affections parentale et filiale, acquerrait inévitablement un sens moral ou conscience, dès que ses capacités intellectuelles se seraient développées au même point, ou presque, que l'homme." 
Toute son argumentation reposent sur la sociabilité observée de certains animaux, et il pense que "chez les animaux qui tiraient les bénéfices de cette vie en étroite association, les individus qui prenaient le plus grand plaisir à cette vie sociale échappaient le mieux à divers dangers ; tandis que ceux qui étaient les moins attachés à leurs camarades, et qui vivaient seuls, périssaient en grand nombre."
Sur l'origine de ces sentiments d'affection, "qui sont apparemment à la base des instincts sociaux" le naturaliste prend acte de l'ignorance des étapes "par lesquelles ils ont été acquis ; mais nous pouvons inférer que cela s'est produit en grande partie par le jeu de la sélection naturelle."
        Il rappelle, dans certaines passages dans cet ouvrage sur la place de l'homme dans l'évolution, que la sélection naturelle "résulte de la lutte pour l'existence ; et celle-ci d'un taux d'accroissement rapide". Il insiste beaucoup sur cette rapidité, comparée à la lenteur de l'évolution constatée dans les autres espèces, à un point tel qu'on peut se demander si la vitesse de l'évolution dans ses dernières étapes qui a conduit à l'humanité ne constitue pas une des  données majeures qui expliquent la nécessité d'adaptation au milieu, étant donné la fragilité du corps humain, comparativement aux autres primates beaucoup plus naturellement outillés que lui.
      Dans le chapitre 5 sur le développement des capacités intellectuelles et morales, nous pouvons lire que pour Charles DARWIN, les nations civilisées furent autrefois barbares, et qu'au fur et à mesure de son évolution les instincts sociaux prirent la place à l'évolution naturelle constatée chez les autres espèces. Dans le chapitre 6 sur les affinités et la généalogie de l"homme, il écrit que "L'homme est sujet à de nombreuses variations, légères et diversifiées, qui sont induites par les mêmes causes générales, et qui sont régies et transmises conformément aux mêmes lois générales que chez les animaux inférieurs. L'homme s'est multiplié si rapidement qu'il a nécessairement été exposé à la lutte pour l'existence, et conséquemment à la sélection naturelle. Il a donné naissance à de nombreuses races, dont certaines diffèrent tellement l'une de l'autre qu'elles sont souvent été rangées par les naturalistes comme des espèces distinctes. Son corps est construit sur le même plan d'homologie que celui des autres mammifères. Il traverse les mêmes phases de développement embryonnaire. Il conserve de nombreuses structures rudimentaires et inutiles, qui sans nul doute remplirent autrefois un office. Des caractères font occasionnellement en lui leur réapparition, dont nous avons toute raison de croire qu'ils étaient possédés par ses premiers ancêtres. Si l'origine de l'homme avait été totalement différente de tous les autres animaux, ces différentes apparitions ne seraient simplement que de vides simulacres ; mais cela n'est pas recevable. Ces apparitions, au contraire, sont intelligibles, du moins dans une large mesure, si l'homme est avec d'autres mammifères le co-descendant de quelque forme inconnue et inférieure." 

      A bon droit, Patrick TORT analyse l'insistance de Charles DARWIN à plusieurs reprises de "l'articulation décisive de ce processus : les instincts sociaux (évoluant de pair avec l'accroissement des capacités rationnelles) qui abolissent évolutivement la prééminence de l'ancienne sélection éliminatoire, sont eux-mêmes des produits de cette même sélection". Pour lui, "l'action de la sélection naturelle (...) est donc entrée en régression sous son ancienne forme à mesure que sa propre opération a progressivement favorisé les instincts sociaux et les sentiments moraux qu'ils engendrent comme procurant à l'Homme, combinés avec la rationalité, des avantages supérieurs à ceux qui pourraient dériver de la lutte éliminatoire, ce qui implique qu'ils deviennent à leur tour les cibles primordiales d'une sélection autrement accentuée, celle des qualités sociales, intellectuelles et morales, laquelle, au lieu d'abolir la compétition, en retourne les effets au bénéfice de l'organisation des conduites solidaires."
Cette hypothèse scientifique, exprimée avec force dans de nombreuses ouvrages, s'appuie sur une analyse détaillée des textes, avec des traductions bien plus précises qu'auparavant des livres originaux en anglais de Charles DARWIN. Elle reflète bien dans l'ensemble les opinions du naturaliste, même si parfois le trait est accusé.
    En tout état de cause, cette hypothèse effectue bien un pont entre d'une part la différence radicale de l'homme par rapport aux autres espèces animales et la filiation dans l'évolution des espèces. Elle permet d'en finir (même si le débat est bien entendu, et heureusement, sans fin, pour l'élucidation de la réalité) avec cette sorte de schizophrénie entre d'une part le sentiment d'une analogie (parfois sentimentale épidermique) avec les autres animaux et d'autre part ce sentiment inextinguible d'une coupure radicale. Il y a longtemps que les primates dont nous sommes issus ont subordonné toutes les autres espèces dans la chaîne alimentaire et que l'homme s'est détaché du mode d'évolution de ses ancêtres.

    Pour terminer cette première partie de cet article, insistons encore sur le fait que toute la problématique de Charles DARWIN appartient à une époque qui ignore absolument tout de la génétique.

Charles DARWIN, L'origine des espèces, GF Flammarion, 1992 ; La filiation de l'homme, Syllepse, 2000.
Patrick TORT, article Lutte pour l'existence, Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, 1996.

                                                                ETHUS
      
Relu le 26 octobre 2012
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11 février 2010 4 11 /02 /février /2010 15:13
        Selon plusieurs auteurs, ce petit essai d'une figure de l'anthropologie française, écrit en 1952, constitue une tentative de comprendre l'évolution culturelle de l'humanité à travers les différences physiques qui la composent, à partir d'une relecture-correction de l'oeuvre d'Arthur de GOBINEAU (1816-1882) au-delà des déformations qu'a subie la diffusion de L'Essai sur l'inégalité des races humaines. Ce texte, qui faisait partie d'une série de textes de différents auteurs sollicités par l'UNESCO, consacrés au problème du racisme dans le monde, s'efforce de lutter contre la déformation raciste tout en ne niant pas l'existence de différents groupes ethniques présents sur la planète.
     
     Dès le début, il signale qu'il n'entend pas élaborer une doctrine raciste à l'envers : "Quand on cherche à caractériser les races biologiques par des propriétés psychologiques particulières, on s'écarte autant de la vérité scientifique en les définissant de façon positive que négative. Il ne faut pas oublier que Gobineau dont l'histoire fait le père des théories racistes, ne concevait pourtant pas l'"inégalité des races humaines" de manière quantitative, mais qualitative : pour lui, les grandes races primitives qui formaient l'humanité à ses débuts - blanche, jaune, noire - n'étaient pas tellement inégales en valeur absolue que diverses dans leurs aptitudes particulières. La tare de la dégénérescence s'attachait pour lui au phénomène du métissage plutôt qu'à la position de chaque race dans une échelle de valeurs commune à toutes ; elle était donc destinée à frapper l'humanité toute entière, condamnée, sans distinction de race, à un métissage de plus en plus poussé." Nous laissons à Claude LEVI-STRAUSS la responsabilité de ce qui précède : n'oublions pas les passages sur la supériorité de la race blanche ni non plus les termes péjoratifs utilisés à propos du métissage justement, assimilé à quelque chose de négatif...
  Mais l'important ne se situe pas là, mais dans le replacement clair de la perspective du développement réel de l'humanité : "le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement biologique de race (à supposer, d'ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puisse prétendre à l'objectivité, ce que la génétique conteste) et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines. Il a suffit à Gobineau de l'avoir commis pour se trouver enfermé dans le cercle infernal qui conduit d'une erreur intellectuelle n'excluant pas la bonne foi à la légitimation involontaire de toutes les tentatives de discrimination et d'exploitation."

       Dans son discours sur la diversité des cultures, le fondateur du structuralisme indique qu'il y a en même temps à l'oeuvre, dans les sociétés humaines, des forces "travaillant dans des directions opposées : les unes tendant au maintien et même à l'accentuation des particularismes ; les autres agissant dans le sens de la convergence et de l'affinité" "...on en vient à se demander si les sociétés humaines ne se définissent pas, eu égard à leurs relations mutuelles, par un certain optimum de diversité au-delà duquel elles ne sauraient aller, mais en dessous duquel elles ne peuvent, non plus, descendre sans danger."
 
         Survolant l'évolution des cultures archaïques et des cultures primitives, revenant sur l'idée de progrès, il réfléchit à la place particulière de la civilisation occidentale, et de son histoire stationnaire et cumulative. Revenant sur quelques éléments d'histoire des civilisations, il montre qu'il n'y a pas de société cumulative en soi (accumulation des connaissances et des techniques), mais plutôt des conduites, des modes d'existence, des manières d'être ensemble comme il l'écrit, qui favorise cet accroissement de pouvoir sur la nature et... sur les autres sociétés. A certains moments de leur histoire, les sociétés stagnent ou progressent, régressent ou même disparaissent, qu'elles que soient leurs caractéristiques ethniques.

       Dans son dernier petit chapitre, Claude LEVI-STRAUSS, constate que maintenant les différentes sociétés sur la planète sont en contact, et sont en quelque sorte prises dans un mouvement d'échanges de plus en plus importants. Et complètement,  à rebours du pessimisme d'Arthur de GOBINEAU,  il perçoit un double sens du progrès dans lequel les organisations internationales ont un grand rôle à jouer. Ce double sens, uniformisation et diversification tour à tour sur un plan ou un autre (économique, social, culturel...), doit permettre "de maintenir indéfiniment, à travers des formes variables et qui ne cesseront jamais de surprendre les hommes, cet état de déséquilibre dont dépend la survie biologique et culturelle de l'humanité." 
Ce qui caractérise son approche, c'est bien de considérer qu'à la fois diversification et uniformisation sont positifs, pourvu que ces sociétés permettent aux hommes d'améliorer leur existence. La dégénérescence en soi constitue un non-sens lorsque l'on considère l'évolution de l'humanité.
   Constamment, l'auteur laisse pendante la question sociale (cela se voit d'ailleurs dans l'ensemble de son oeuvre...) même s'il ne camoufle pas les contradictions socio-économiques. Comme il regarde l'humanité dans son évolution à très long terme, il ne se penche guère sur les ressorts des solidarités et des différenciations qui traversent les sociétés de manière interne et qui régissent les relations des sociétés entre elles. "Quoi qu'il en soit, il est difficile de se représenter autrement que comme contradictoire un processus que l'on peut résumer de la manière suivante : pour progresser, il faut que les hommes collaborent ; et au cours de cette collaboration, ils voient graduellement s'identifier les apports dont la diversité initiale était précisément ce qui rendait leur collaboration féconde et nécessaire."
Cette contradiction insoluble, les organisations internationales doivent la gérer : leur mission est double : "elle consiste pour une part dans une liquidation, et pour une autre part dans un éveil". 
 
    La présentation de l'éditeur (en quatrième de couverture) est très brève : "La diversité des cultures, la place de la civilisation occidentale dans le déroulement historique et le rôle du hasard, la relativité de l'idée de progrès, tels sont les thèmes majeurs de Race et histoire. Dans ce texte écrit dans une langue toujours claire et précise, et sans technicité exagérée, apparaissent quelques-uns des principes sur lesquels se fonde le structuralisme."
Ce texte est beaucoup repris comme point de départ de réflexion dans les systèmes scolaires d'Europe. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de l'UNESCO.
 
    Claude LEVI STRAUSS (1908-2009) est l'auteur de très nombreuses oeuvres, sont certaines fondent le structuralisme : Les structures élémentaires de la parenté (PUF, 1949), Tristes tropiques (Plon, 1955), Anthropologie structurale (Plon, 1958), La Pensée sauvage (Plon, 1962), Mythologiques, en quatre tomes (Plon, 1964, 1967, 1968, 1971), Race et Culture (Revue Internationale des sciences sociales UNESCO, 1971), Anthropologie structurale 2 (Plon, 1973), Regarder, écouter, lire (Plon, 1993), L'anthropologie face aux problèmes du monde moderne, Seuil, 2011)...

       
Claude LEVI-STRAUSS, Race et histoire, Edition Denoël, collection folio/essais, 1987. Cette réédition est accompagnée d'un texte de Jean POUILLON, sur l'oeuvre de Claude LEVI-STRAUSS.
 
Complété le 4 septembre 2012
Relu le 28 octobre 2019
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