Le médecin chirurgien et neurobiologiste français qui introduit l'utilisation des neuroleptiques en 1951 est surtout connu du grand public pour une vulgarisation des neurosciences dans une conception globale du conflit qui combine éléments biologiques, physiologiques et psycho-sociologiques. Parallèlement à ses écrits scientifiques consacrés surtout à l'anesthésie, réservés aux spécialistes de la médecine, qui le conduisent d'ailleurs à l'étude des mécanismes du stress (notamment dans la revue Agressologie), il publie des ouvrages généraux à l'intention du public, de philosophie scientifique et sur la nature humaine. Pionnier de la théorie de la complexité et de l'auto-organisation du vivant, il mène des activités socio-politiques progressistes.
Même si parfois des aspects purement biologiques ou médicaux apparaissent dans ses livres destinés au grand public, demandant de lui une certain effort de réflexion scientifique, nous pouvons partager son oeuvre entre ouvrages scientifiques (spécialisés) et ouvrages sociologiques (généraux).
Dans le registre purement professionnel, cela va de Physiologie et biologie du système nerveux végétatif au service de la chirugie de 1950 à Les récepteurs centraux et la transduction des signaux de 1990. En passant entre autres par Réaction organique à l'agression et choc (1952), Résistance et soumission en physio-biologie : L'hibernation artificielle (1954), Bases physio-biologiques et principes généraux de réanimation (1958), Physiologie humaine (cellulaire et organique) (1961), Les régulations métaboliques (1965), Biologie et structure (1968), Neurophysiologie, Aspects métaboliques et pharmacologiques (1969), Les Comportements : Biologie, physiologie, pharmacologie (1973), L'inhibition de l'Action (1979).
Dans le registre plus général, ses ouvrages sociologiques, sur l'agressivité notamment, nous intéresse plus particulièrement, dans ce blog sur le conflit : Les destins de la vie et de l'homme. Controverses par lettres avec P. Morand sur les thèmes biologiques (1959), Du soleil à l'homme (1963), L'homme imaginant : essai de biologie politique (1970), L'agressivité détournée : Introduction à une biologie du comportement social (1970), L'homme et la ville (1971), La société informationnelle : Idées pour l'autogestion (1973), La Nouvelle grille (1974), "Éloge de la fuite (1976), Discours sans méthode (1978), Copernic n'y a pas changé grand chose (1980), L'Alchimie de la découverte (1982), La colombe assassinée (1983), Dieu ne joue pas aux dés (1987), Les bases biologiques des comportements sociaux (1991), L'esprit du grenier (1992), Étoiles et molécules (1992), La légende des comportements (1994).
Un ouvrage auto-biographique, Une vie - Derniers entretiens, avec Claude GRENIÉ est paru également en 1996. Nous n'oublions pas bien entendu la participation du professeur LABORIT au film Mon oncle d'Amérique, d'Alain RESNAIS de 1980, basé sur ses travaux sur le conditionnement.
L'homme imaginant, de 1970, constitue sans doute l'ouvrage où l'auteur livre de la manière la plus extensive sa conception proprement politique de la société. Il explique ses sympathies pour les idées progressistes, par la nécessité qu'à l'homme, s'il veut continuer à vivre, de prendre conscience des conditions (biologiques) mêmes dans lesquelles il mène les différentes révolutions qu'elles soient sociales ou politiques. Il ne cache pas ses préférences pour une société socialiste (notamment dans le chapitre La droite et la gauche), même s'il montre qu'il est plus facile pour la droite de gouverner dans une société repue : la révolution, si elle doit se faire est d'abord une révolution des mentalités.
La caractéristique fondamentale de l'organisme humain parait être l'association originale, dans la création de structures nouvelles, des éléments mémorisés et imposés par l'expérience abstraite de l'environnement. Cette faculté d'imaginer ne le libère pas de ses déterminismes génétiques, biologiques, sémantiques, économiques et socio-culturels, mais lui permet d'en prendre conscience. En ne plaçant ses espoirs que dans la transformation, par ailleurs indispensable, de son environnement socio-économique, il ne résoudra qu'imparfaitement le problème de son aliénation. Seule la connaissance de ses déterminismes biologiques et de leur organisation hiérarchisée, lui permettra la transformation de sa structure mentale, sans laquelle toutes les révolutions risquent d'être vaines.
Complétant cette présentation de son livre, l'auteur, dans l'Introduction, écrit qu'"adepte d'une certaine discipline, celle des sciences de la vie, j'essaie d'appréhender les faits humains. Cette attitude me conduit parfois à voir ces faits humains sous une lumière qui peut déplaire à toute personne dont le système nerveux est déjà fortement structuré par son expérience antérieure de la vie. Ma vision est peut-être fausse; mais les visions antérieures le sont peut-être aussi. Et puis, la vérité ou prétendue telle, n'est jamais monolithique. Elle est fragile et changeante. Il faut lire cet essai en le comprenant comme une tentative de structuration autre, à partir d'informations souvent incomplètes mais différentes, motivées par un déterminisme unique, le mien." C'est dans cet état d'esprit de modestie, qu'Henri LABORIT propose une compréhension des relations entre biologie et politique, des effets de différents conditionnements sur l'évolution humaine. Ses idées sur l'engagement et l'individualisme, sur les sciences humaines, sur les régimes socio-économique contemporains portent la marque de cette préoccupation majeure sur les conditionnements. Il insiste toujours sur la faculté de l'imagination humaine à trouver des solutions à ses problèmes, même les plus difficiles à résoudre. "Ce qui distingue profondément les sociétés humaines des société animales, ce n'est pas leur travail, même avec la puissance intermédiaire de l'outil ; ce n'est pas non plus une liberté individuelle permettant à l'homme d'agir sur le monde matériel, si l'on comprend sous le terme de liberté la notion de libre arbitre, mais un déterminisme d'un niveau d'organisation supérieur, celui de l'imagination."
Délibérément optimiste, d'un optimisme qui fait vraiment défaut dans le monde actuel, le biologiste pense que c'est dans la nature même des déterminismes qui orientent l'activité humaine que se trouve les meilleures chances de l'humanité.
L'agressivité détournée, de la même année, est un ouvrage de vulgarisation particulièrement clair et complet d'une approche biologique de la sociologie. Dans plus de la moitié de ce livre, Henri LABORIT entre dans les grandes lignes du fonctionnement de notre système nerveux et montre comment il conduit aux comportements, devant les agressions les plus diverses, de fuite ou de lutte. Exposant les bases physiologiques de l'affectivité, il indique différentes voies d'activation et d'inhibition de ces comportements. Cette description d'une machine complexe cybernétique comme le cerveau, système ouvert par essence sur l'environnement, ancrée dans son expérience d'anesthésiste, permet de comprendre (et en même temps de relativiser) les notions d'individu et de liberté, de justice. Il explique à la fin de l'ouvrage en quoi consiste le vieillissement et la mort.
L'homme et la ville (1971) se situe dans le cadre de réflexions collectives (à l'Université de Vincennes) sur Urbanisation et Biologie. C'est l'ouvrage le moins unifié de l'auteur qui lance surtout des pistes de réflexions. Produit d'une recherche de groupe, le livre part de l'ABC de cybernétique pour étudier les relations entre la ville et le groupe humain, et pour "envisager le rôle fondamental de la structure socio-économique du groupe humain fondateur ou utilisateur urbain. L'urbanisme pose avant tout un problème sociologique. Or une société se réalise par un groupement d'individus. Sur quelles bases s'établissent les relations interindividuelles? Nous pensons que pour répondre à cette question, c'est du niveau d'organisation biologique qu'il faut partir. Un individu entre en relation avec les autres individus grâce au fonctionnement de son système nerveux. Comment fonctionne-t-il? Par quelles étapes successives est-il passé au cours de l'évolution? Que reste-t-il dans nos cerveaux d'hommes modernes des cerveaux plus primitifs qui les ont précédé? Quelles conséquences en résulte-t-il sur leur fonctionnement? Ce sont bien là des connaissances indispensables à posséder, semble-t-il, pour celui qui veut comprendre les lois qui gouvernent les comportements humains en société, celles qui président à l'établissement des structures sociales elles-mêmes enfin, donnent naissance à la ville et organisent l'espace qui les entoure." Loin des travaux sur l'hygiène urbaine, loin aussi d'un rapprochement analogique entre la ville et les organismes vivants, entre structure urbaine et structure biologique (qualifié de poétique...), cet ensemble de réflexions veut étudier la ville non comme un organisme, "mais elle représente un des moyens utilisés par un organisme social pour contrôler et maintenir sa structure."
En 1974, il propose, dans la logique de L'agressivité détournée, un modèle biologique, physiologique et psycho-sociologique des comportements agressifs. Il l'expose en grande partie dans La nouvelle grille.
A partir des notions d'énergie, de masse et d'information, l'auteur propose une explication du fonctionnement du cerveau humain. La "nouvelle grille" qu'il expose (Chacun a besoin d'une grille de lecture des différents événements auxquels il est confronté) est une grille biologique permettant "d'entrevoir comment déchiffrer la complexité de nos comportements en situation sociale". Elle vient tout droit de son expérience en laboratoire. Ce livre est la vulgarisation de Les comportement, Biologie, physiologie, de 1973, et se compose de beaucoup d'éléments scientifiques déjà présents dans Réaction organique à l'agression et au choc de 1952. Il expose d'abord donc les notions de Thermodynamique et d'information physique en biologie. De l'homéostasie au fonctionnement du système nerveux central, c'est l'information qui avant tout régi les comportements.
Dans son modèle, il défini l'agression comme "la quantité d'énergie capable d'augmenter l'entropie (le désordre, l'agitation) d'un système, autrement dit d'en détruire plus ou moins rapidement la structure. La structure est ainsi définie comme l'ensemble des relations existant entre les éléments d'un ensemble. L'agressivité est alors la caractéristique d'un agent capable d'appliquer cette énergie sur un ensemble organisé." L'agressivité n'est pas conçue par Henri LABORIT comme un concept unitaire, car les mécanismes qui sont à l'origine de la libération énergétique déstructurante sont variés. Ce sont des mécanismes différents qui ont conduit de nombreux auteurs à établir une liste des types d'agression. Mais ils l'ont fait le plus souvent sans préciser les mécanismes nerveux centraux en jeu, se fondant surtout sur les situations déclenchantes. Ce sont les liens entre ces situations environnementales et le mécanisme de la réponse qu'il tente d'établir.
Dans ces processus, la mémorisation du résultat des réactions est essentielle : c'est elle qui détermine si une action est récompensée ou mise en échec, c'est elle qui détermine les comportements de lutte ou de fuite. Toute la question est de savoir quels processus provoquent l'activation ou l'inhibition des comportements, et comment sur le long terme, un organisme est amené à avoir une orientation d'action plus ou moins agressive à son tour, comment en fin de compte la dominance s'établit d'un organisme sur un autre. Le système nerveux permet par essence à un organisme d'agir sur un environnement. Si cette action est rendue impossible ou dangereuse, il assure aussi l'inhibition motrice. Or, il apparait que c'est cette dernière qui est à l'origine des bouleversements biologiques persistants, des maladies psychosomatiques en particulier, hypertension neurogène et ulcérations gastriques. Quelle que soit la complexité que le système nerveux a atteint au cours de l'évolution, sa seule finalité est de permettre l'action, celle-ci assurant en retour la protection de l'homéostasie, la constance des conditions de vie dans le milieu intérieur, le plaisir. Quand l'action qui doit en résulter est rendue impossible, que le système inhibiteur est mis en jeu, et en conséquence la libération de noradrénaline, de ACTH et de plucocorticoïdes avec leurs incidences vaso-motrices, cardiovasculaires et métaboliques périphériques, alors nait l'angoisse.
Henri LABORIT reprend les catégories d'agressivité prédatrice, d'agressivité de compétition, d'agressivité inter-mâles, avec l'établissement des hiérarchies sociales, d'agressivité défensive, d'agressivité d'angoisse ou irritabilité, pour en expliciter les mécanismes neurobiologiques. Et aborder les conditions spécifiques d'apparition du phénomène de la guerre. Cette dernière est finalement définie comme "résultant de l'affrontement de deux informations-structures, de deux système fermés pour établir leur dominance, nécessaire à l'apparition de leur approvisionnement énergétique et matériel nécessaire lui-même au maintien de ces structures."
Dans Éloge de la fuite, de 1976, Henri LABORIT reprend les enseignements du modèle de l'agressivité pour en développer les conséquences dans divers domaines très divers : l'amour, l'enfance, les autres, la liberté, la mort, le plaisir, le bonheur, le travail, la vie quotidienne, le sens de la vie, la politique, le passé, le présente et l'avenir, la société idéale... Sur les ressorts de ces phénomènes, qui avant la conscience que nous en avons, sont déterminés biologiquement. Contrairement à la forme d'exposé didactique des précédents ouvrages, l'auteur exprime ici sa philosophie profonde de la vie et des relations sociales. A la fin du livre, quelques pages sur la réflexion du croyant chrétien à propos du marxisme reflètent bien ses interrogations d'homme public et très actif, en même temps que déjà, une interrogation sur le sens même de son parcours intellectuel, affectif et moral. Le message du Christ possède une autre signification, lumineuse, après l'acquisition de tant de connaissances scientifiques : "Car le signifié que nous croyons découvrir aujourd'hui dans le message du Christ est celui que nos connaissances actuelles du signifiant nous permettent de comprendre. Cependant, le phénomène le plus troublant, c'est que cet imaginaire incarné, qui en conséquence ne peut être autre chose que ce que nous sommes, puisse contenir un invariant suffisamment essentiel pour, toujours et partout, guérir l'angoisse congénitale de l'Homme."
La Colombe assassinée, édité en pleine crise internationale des euromissiles, se veut surtout une présentation d'une réflexion de trente ans sur l'agressivité et la violence, à l'intention des lecteurs des Cahiers de la Fondation pour les Études de Défense Nationale. Ainsi, dans des chapitres relativement courts, clos par un épilogue qui aborde quantité de problèmes sociaux (des pensées de l'auteur sur l'évolution sociale surtout), le lecteur peut retrouver sa démarche habituelle : Niveaux d'organisation, régulation et servomécanisme ; Signification fonctionnelle des centres nerveux supérieurs, Bases neurophysiologiques et biochimiques des comportements fondamentaux, Inhibition motrice et angoisse, Les moyens d'éviter l'inhibition de l'action, Passage du biologique au sociologique, du niveau d'organisation individuel au collectif... Dans la seconde partie, sont abordés les agressivités et la violence, d'abord chez l'animal, puis chez l'homme.
Parmi les livres scientifiques destinés à un public spécialisé, notons Inhibition de l'action (Masson, 1980) où l'auteur évoque le programme Biologique de Survie (PDB) de tout organisme vivant. Ouvrage de référence quant à la pensée de Henri LABORIT où se trouvent exposés les différents comportement humains face à une épreuve, il reste très accessible pour tous, si l'on veut bien faire l'effort habituel nécessaire.
Henri LABORIT fonde en 1958 la revue Agressologie qu'il dirige jusqu'en 1983.
L'influence de l'oeuvre d'Henri LABORIT, après son décès notamment, est diverse et relativement éparse. Elle est nourrie autant par les deux types d'ouvrages (scientifiques et grand public), d'autant que cette oeuvre s'inscrit aussi dans un mouvement intellectuel d'ensemble, auquel participent bien d'autres auteurs, en faveur d'une vision globale de l'homme et de la société (approche pluridisciplinaire), dans une perspective progressiste et une sensibilité politique de gauche.
On peut percevoir cette influence à travers le site Internet Nouvellegrille.info, lancé en 2014 par David BATÉJAT. Elle existe tant au niveau de la recherche (Bernard CALVINO, Edmond ESCURET, Claude GRENIÉ...) qu'en économie (René PASSET dans son ouvrage L'économique et le vivant, Jean-François BOUSSARD à travers la création d'entreprises de biotechnologie). Également en biosémiotique (Simon LÉVESQUE, (Laboratoire de résistance sémiotique..), en littérature de science-fiction (Serge JADOT...), en arts multidisciplinaires (Patrick BERNATCHEZ...)...
Henri LABORIT, L'homme et la ville, Flammarion, 1971 ; L'homme imaginant, Essai de biologie politique Union Générale d'Editions, 10/18, 1978 ; L'agressivité détournée, Initiation à une biologie du comportement social, Union Générale d'Editions, 10/18, 1981 ; La nouvelle grille, Pour décoder le message humain, Robert Laffont, collection "libertés 2000", 1981 ; Éloge de la fuite, Gallimard, folio essais, 2001 ; Un modèle biologique, physiologique et psycho-sociologique, Polycopié, 1974 ; La colombe assassinée, Les Cahiers de la fondation pour les études de défense nationale, n°27, 1983.
Actualisé le 25 février 2016. Relu le 10 mars 2020