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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 13:41

      Depuis le développement très important à la fin de la dernière décennie de l'imagerie (photographies ou vidéos) biologique et médicale, de nombreux documentaires permettent de voir les micro-organisme évoluer les uns par rapport aux autres. Le moins que l'on puisse dire est que cela grouille dans le monde invisible! 

Nous présentons là trois documentaires différents sur la vie microbiologique qui abordent souvent le domaine des recherches médicales : L'aventure antibiotique, de Pierre BRESSIANT ; Les microbes, de Binh Nguyen TRONG et La guerre contre les microbes, de Mikael AGATON et Staffan BERQUIST. 

 

       L'aventure antibiotique, documentaire déjà diffusé plusieurs fois sur différents chaînes de télévision française, en 2008 et 2010, se compose de deux parties à peu près égales de 52 minutes, La Naissance d'un empire et La revanche des microbes.

La Naissance d'un empire rend compte de l'écologie des bactéries depuis 3,5 milliards d'années et du combat désespéré mené par l'homme pour résister aux épidémies. Dans ce contexte, la découverte de la pénicilline en 1928 tient du miracle... et du hasard d'ailleurs. Son efficacité ne sera pas démentie durant plusieurs décennies, pendant lesquelles le développement de la recherche sur les antibiotiques et leur diffusion ont porté à croire que nous en avions terminé avec les microbes. C'était sans compter sur leur extraordinaire faculté d'adaptation : certaines souches, depuis les années 1980, sont en effet devenues résistances.

La Revanche des microbes fait le portrait de ces bactéries qui ont acquis, grâce à leur capacité à muter et à transférer leurs gènes, une résistance à de multiples antibiotiques. En cause, la surconsommation médicale et agricole qui a abouti à une saturation de l'environnement générant une intense pression sélective à l'origine des multirésistances bactériennes. Aussi les antibiotiques ne sont-ils plus aujourd'hui un remède miracle, mais une ressource dont l'usage doit être limité. A grand renfort de combinaison d'images sous microscope et d'images de synthèse, ce documentaire nous fait réellement comprendre comment ces organismes vivent et se combattent.

 

    Les microbes, documentaires de 1998 d'une durée de 4 fois 13 minutes sont autant de modules pouvant être utilisés à des fins pédagogiques. Bien que destinés à la vie scolaire, ces documentaires restent une découverte pour de nombreux de nos contemporains qui n'ont pas eu l'occasion de voir ces multiples formes bouger et changer.

 

    La guerre contre les microbes date déjà de 2003 et nous place en première ligne de cette guerre contre les bactéries et les virus, une guerre sans fin bien plus meurtrière que n'importe quel conflit entre les nations. Grâce à un appareillage optique sophistique, le photographe Lennart NILSSON apporte un témoignage nouveau sur le travail de la recherche médicale : de la découverte par accident de la pénicilline par Alexander FLEMING en 1928 à la thérapie des cellules souches, en passant par la découverte de l'existence des bactéries, du système immunitaire, du vaccin de la poliomyélite et du fonctionnement de la transfusion... Des images que certains des inventeurs eux-mêmes n'ont pu voir à leur époque. Pour la première fois - et depuis les documentaires de ce genre ses sont multipliés - il est possible de visualiser en gros plan les virus du Sida et du SRAS, et les dégâts qu'ils provoquent. Même si la recherche fait d'énormes progrès, elle doit avancer plus vite - en une véritable course aux armements - que les virus qui trouvent des parades aux médicaments et aux vaccins.

 

  N'oublions pas, si nous voulons trouver des illustrations de cette lutte microscopique, de faire un tour dans les différentes banques d'images présentes sur Internet. Nous recommandons en autres celle de SEARCH, Photothèque mondiales où l'ont peut "piocher" sur plus de 600 clips vidéos, souvent très courts.

 

La guerre contre les microbes, de Mikael AGATON et Staffan BERQUIST, Images de Lennart NILSSON, Jan JONAEUS et Bo NIKLASSON, pour AGATON FILMS & TELEVISIONS, 52 minutes,  2003 (voir à http://stv.se). Les microbes, de Binh Nguyen TRONG, avec un montage de Noël BAYON, produit par Les Films d'Ici, avec comme partenaires La Cinquième et Ex Machina, 4 x 13 minutes, 1998. L'aventure antibiotique, de Pierre BRESSIANT, produit par Pascal BRETON, Emmanuelle BOUILHAGUET, MARATHON et WAKE UP, avec la participation de France 5, ARTE, du CNC et du Ministère Délégué à l'enseignement supérieur et la recherche, 2 fois 52 minutes, 2008.

 

FILMUS

 

Relu le 28 août 2020

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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 13:36

       Ce n'est que récemment que l'ensemble des études biologiques quitte le modèle dominant de la culture sur boite de Pétri pour la recherche des moyens de lutte contre les micro-organismes responsables des maladies, pour entrer dans une problématique d'écologie microbienne. Aussi, si nous connaissons bien ces micro-organismes étudiés depuis plus d'un siècle (les premières descriptions sont dues à Charles SÉDILLOT en 1878, un mois avant PASTEUR), si leur classification suivant leur constitution, leur morphologie, leur cycle de vie, leur mode d'action dans les organismes complexes des plantes, des animaux et des hommes est devenue très raffinée, nous avons encore beaucoup de recherches à effectuer sur leurs interactions dans l'eau, dans la terre et dans les organismes vivants, sur leur évolution perpétuelle, évolution d'ailleurs souvent maintenant accélérée par l'action des hommes pour se défendre contre leurs activités néfastes. Poussées par la nécessité de comprendre les dynamismes de la dégradation de l'environnement, autant que par les limites de l'action des antibiotiques, les disciplines biologiques autour de l'écologie microbienne se développent, avec une certaine difficulté due aux cloisonnements entre spécialités médicales.            

        Comme l'écrivent les responsables du réseau Microtrop, "la microbiologie est l'une des sciences biologiques qui a le plus évolué au cours des 20 dernières années. Cette évolution, due au développement rapide des outils de la biologie moléculaire, a permis la naissance de l'écologie microbienne, devenue aujourd'hui l'un des domaines clés de l'écologie moderne. Les outils moléculaires permettent aux microbiologistes de franchir le stade de l'étude du micro-organisme isolé, pour passer à l'analyse des communautés microbiennes dans leur environnement naturel. Cela demande une double compétence d'écologiste et de microbiologiste, mais seule une approche globale, interdisciplinaire, et systémique des communautés microbiennes permettra d'aborder la complexité des problématiques environnementales (réhabilitation des milieux dégradés, durabilité des agro-systèmes, dépollution, bio-remédiation, connaissance et exploitation des milieux extrêmes, etc.). Une telle approche de l'écologie microbienne nécessite cependant la maîtrise de connaissances à la fois théoriques et pratiques qui ne sont pas ou peu enseignées dans les cursus universitaires, particulièrement en Afrique (...)". Réseau voulant favorisant les échanges scientifiques sur les microorganismes entre le Nord et le Sud, Microtrop doit faire face également à une certaine lenteur de la progression de cette jeune discipline dans les pays les plus avantagés sur le plan de la recherche...

 

       Les micro-organismes ont été les premières formes de vie à se développer sur Terre, il y a environ 3,4 à 3,7 milliards d'années. Le transfert horizontal de gènes, de pair avec un haut taux de mutation et de nombreux moyens de la variation génétique, permettent aux micro-organismes d'évoluer rapidement, de survivre dans des environnements nouveaux, de répondre à des stress environnementaux (changements constants du relief, changement de la composition de l'air, de la terre et de l'eau, changement de conditions de température et de pression, de luminosité aussi...) comme aux multiples agressions de la part de leurs concurrents. De manière récente, cette évolution rapide est importante, on le constate dans la médecine, car elle conduit à l'apparition de "super-microbes" - des bactéries (la plupart pathogènes) rapidement devenues résistantes aux antibiotiques modernes.

L'apparition des végétaux et des animaux complexes ont sans doute accéléré la compétition entre micro-organismes, celle des activités humaines de prévention et de soins aux maladies, l'ont accéléré davantage : la multiplication des terrains de lutte ont sans doute accru dans de notables proportions la variété des micro-organismes et ont complexifié leurs interactions, surtout par l'introduction dans ces terrains de lutte de nouveaux micro-organismes (dans le domaine médical et vétérinaire). Déjà le vaste mouvement de domestication avait orienté de nombreuses batailles entre ces micro-organismes. 

 

Des luttes microscopiques

      Raymond VILAIN décrit sous une forme vulgarisée ces luttes microscopique : "L'écologie microbienne est la science qui étude tous les microbes présents sur un biotope et les facteurs d'équilibre. Le biotope, c'est vous ou moi à partir du moment où nous sommes vivants. L'équilibre définit la bonne santé vis-à-vis-vis de ces petites bêtes. Connaître les facteurs de cette paix provisoire nous intéresse. Nous pourrons éviter la guerre et, si nous sommes obligés de l'affronter, préparer une bonne paix. Nous offrons aux microbes deux territoires étendus : la peau et les muqueuses. Le tube digestif a l'originalité d'être ouvert aux deux bouts. Tunnel chaud et humide, il est plutôt surpeuplé. Les autres biotopes muqueux sont en impasse : trachée, urètre, vagin. Les défenses sont bien organisées mais, au moins pour les muqueuses génitales, le tourisme est dangereux. Il ne faut pas que la simple découverte d'un microbe lors d'un examen bactériologique déclenche une panique chez le porteur. Nous sommes normalement habités par des microbes, partout où les conditions de vie sont bonnes ou simplement acceptables. Pour que nous nous inquiétions, il est nécessaire que le germe soit pris en flagrant délit et reconnu coupable. Les microbes forment en effet une interface grouillante qui sépare normalement notre corps du monde extérieur. Location, métayage, squattérisation, effraction sont les différents statuts de notre relations journalière avec eux." Ce début de description ne va sans doute pas assez loin : nous sommes en fait formés en partie de toute cette "faune", dans les vaisseaux comme dans les tissus. Les bactéries, virus et compagnie se livrent à des interactions conflictuelles (qui peuvent être coopératives sous forme de parasitages) incessantes autant à la surface qu'à l'intérieur de ces vaisseaux et de ces tissus, dans des modalités égoïstes (les microbes ne nous connaissent pas réellement...) et à courtes distances qui selon les cas bénéficient ou nuisent à notre intégrité physique. "Les bactéries, organismes unicellulaires, ont été les premiers habitants de notre planète. Elles ont laissé leurs traces dans les roches primitives (d'où nous pouvant les extraire, sous formes dégradées, leurs descendants plus ou moins directs). Elles vivaient et se multipliaient en se coupant en deux. (...) Cette donation-partage peut se faire à grande vitesse ou s'arrêter pour de longues périodes. Nourries dans la soupe primitive de l'Univers, elles fabriquaient de l'oxygène à titre de déchet. La quantité de ce gaz-ordure devenant de plus en plus importante, il leur fallut s'organiser pour survivre. Certaines, irréductibles, vivant là où l'oxygène ne pouvait pénétrer, continuèrent le régime qui leur réussissait (anaérobies). Les autres évoluèrent. Certaines se convertirent complètement et devinrent dépendantes de cet oxygène-déchet, élevé à la hauteur de principe vital (aérobies). Beaucoup se décidèrent à vivre selon les deux modes, appréciant l'oxygène lorsqu'il y en a, mais pouvant s'en passer. Lorsque les animaux apparurent, un nouveau destin s'offrit. Les microbes virent les reptiles sortir prudemment des mers de l'ère secondaire".

Là, l'auteur fait un très grand raccourcit évolutionniste, qui peut empêcher de comprendre que c'est le résultat de l'évolution de ces micro-organismes qui produit des êtres vivants plus complexes. "Volontaires ou embarqués malgré eux, certains microbes tentèrent leur chance. Délaissant l'humus ombreux sous les fougères arborescentes, les feuilles et les arbres destinés à devenir du super ou de l'ordinaire (là, nous trouvons que l'auteur force dans la vulgarisation, mais peu importe!), les mousses battues par les flots, ils suivirent ces véhicules amphibies. Des options s'offrent pour cette croisière : la surface écailleuse ou les profondeurs digestives (ce choix n'en est pas vraiment un, puisque tout dépend des multiples contacts entre micro-organismes et de leurs caractéristiques attirances-répulsions...), le pont promenade ou les soutes encombrées. Seuls les aérobies vraies ou anaérobies facultatifs pouvaient survivre au-dehors. Tous, mais surtout les anaréobies, choisirent l'obscurité chaude, nutritive et pestilentielle des tripes (pestilentielle, c'est vite dit, pour reprendre même ton humoristique!). Devenus parasites, incapables ou presque de retourner à leur patrie d'origine, ils passèrent d'un animal à l'autre au gré de l'évolution, de leurs appétences particulières et des catastrophes naturelles. Ils préféraient l'abondante fourrure des grands signes mais n'hésitèrent pas à coloniser un modèle moins velu, bipède à temps plein, l'homme. (...) L'enfant naît stérile. Il est rapidement contaminé par les microbes (l'auteur parle là des microbes extérieurs, car son corps abonde déjà de micro-organismes...) dès le début de sa sortie par les voies naturelles. (...). En réalité, il n'accepte pas n'importe quel microbe de l'environnement (pour poursuivre sur le même ton, grâce à qui? aux micro-organismes déjà là...). La bouche, office d'immigration le plus tolérant qui soit, doit être placé sous haute surveillance.(...) Sur la peau, mise à l'air, recouverte de la layette ou culottée par les couches, s'installe dans la majorité des cas une flore paisible (pas si paisible que ça d'ailleurs!) dont les éléments viennent des espèces parentales et ancillaires (et alors, les parents ne transmettent qu'une flore paisible!). Les bactériologistes ont étudié ce peuplement progressif et sélectif en surveillant les enfants nés par césarienne et soustraits aux contaminations extérieures par une bulle. Nous avons notre flore microbienne personnelle exactement comme nos empreintes digitales. (...).

 

Des processus complexes mettant en jeu des micro-organismes toujours en mouvement...

Pour aller voir de près ces populations qui s'interposent entre la lame du bistouri et le corps humain et dont nous avons bien du mal à nous débarrasser provisoirement (il s'agit, l'auteur a bien raison, d'une lutte perpétuelle et sans fin...), réduisons-nous un instant à l'échelle de la bactérie et inscrivons-nous pour un circuit du grand tourisme cutané.

La visite commence par le front. Le paysage est assez semblable aux steppes de l'Asie centrale, plus ou moins desséchées. La terre craquèle sous le soleil. De larges écailles de kératine se forment et se détachent. De minuscules roseaux, le duvet, émergent de-ci, de-là. une manne providentielle suinte le long de la tige et s'étale autour : le sébum. De petits puits, oasis en réduction, parsèment le terrain. Un geyser de sueur jaillit de temps à autre avec moins de régularité que le célèbre Old Faithful de Yellowstone. Sueur et sébum forment un limon dans lequel nous patinons si le front est exposé au soleil. Mais nous sommes venus voir les bêtes, comme au Kenya. Elles sont groupées en petites colonies autour des points d'eau. D'autres sont accrochées aux écailles de kératine que le vent emporte. Le guide nous montre des billes rondes et des bâtonnets, plus ou moins garnis de protubérances mobiles et changeantes. certains microbes s'accrochent comme des calamars. Les billes sont des staphylocoques dits blancs par opposition à d'autres, dorés. Ces staphylocoques blancs sont habituellement inoffensifs. Ils sont dépourvus de mâchoires agressives (comprenez que leur équipement enzymatique est sans danger pour les cellules vivantes). Les bâtonnets sont de débonnaires bacilles, parfois impliqués dans un conflit juvénile : l'acné. (....) Si nous campons sur place, nous pouvons constater que ces quelques tribus (deux millions de germes au centimètre carré) se nourrissent paisiblement, se reproduisent rapidement, mais que leur nombre reste remarquablement stable. Les plus hardis des touristes profitent de l'arrêt pour faire un peu de spéléologie. Ils descendent encordés dans les entonnoirs des glandes sudoripares et pitonnent le long des poils. Ils peuvent voir les cavernicoles groupés en petit nombre le long du poil et au fond des creux, à l'abri de la douche et du savon. Après les ouragans hygiéniques (...) ils envoient quelques uns des leurs repeupler la surface un moment déserte. Nous longeons ensuite une épaisse forêt, les cheveux. Nous ne nous y aventurerons pas, surtout s'il s'agit d'un de ces appendices capillaires de type mérovingien dont la résurgence a permis le retour des poux. Grouille dans les futaies une flore composite nombreuse et féroce. Elle résiste bien aux nouveaux shampooings de plus en plus parfumés et vitaminés mais de moins en moins antiseptiques. Nous allons directement à l'aisselle en traversant le thorax, savane herbeuse chez l'homme où paissent de nombreux troupeaux. La traversée de l'aisselle comble les touristes les plus blasés. dans cette forêt tropicale luxuriante, sous les pluies torrentielles et fréquentes, de nombreuses espèces (....) s'accrochent aux branches (...) patrouillent dans les marais. (...) Le grand tour continue par la visite du cratère géant, l'omblic. Peu d'animaux aux alentours de cette décharge privée géante où sédimentent les poussières champêtres et urbaines, les débris textiles les plus divers et quelques résidus alimentaires à l'abri des orages salvateurs. (L'auteur rend bien la multitude de micro-organismes nécrophages, se nourrissant de multiples débris naturels ou artificiels qui peuplent la peau...) (...) Nous traversons avec un grand frisson le désert de la soif : l'ongle. Rien n'y pousse. Rien n'y vit (Là, l'auteur exagère un peu!). Une grande corniche nous amène au-dessous des gorges du Tarn, je veux dire le périnée. Passent sans s'accrocher des hordes sauvages accompagnant les selles. Retournant à notre point de départ après cette visite au mètre carré et quelque chose de surface cutanée, le guide nous explique que les microbes que nous avons vu sont des résidents. Ils naissent, se nourrissent et se reproduisent sur place. Leur nombre, leurs espèces sont remarquablement fixes pour un individu donné, à un endroit précis, sous un microclimat stable. Cet équilibre est assuré par les qualités du sébum et de la sueur, nourritures pour les uns, poisons pour les autres, et par la présence même des habitants qui luttent pour conserver leur territoire. Cet équilibre démographique presque parfait (relativement...) et ce peuplement ethniquement homogène ne sont pas dus qu'au contrôle rigoureux des naissances. La lutte contre les envahisseurs est continuelle et sans merci. Il n'y a pas plus raciste que les germes résidents (l'auteur risque avec cette prose de tomber dans l'anthropomorphisme mais il indique par là la forte spécificité par rapport au milieu de nombreux micro-organismes...). Les microbes venus par les multiples contacts de la vie quotidienne ne sauraient s'éterniser là où ils ont été parachutés. Ils disparaissent en quelques heures. Mais ce temps est suffisant pour que la main ainsi contaminée aille dans une capable partie de ping-pong hospitalier contaminer quelque crudité, tétine de biberon ou aiguille à injection intramusculaire. Nous élevons nos propres envahisseurs du territoire cutané. A la jonction des muqueuses et de la peau des narines vivent des staphylocoques dorés, dotés d'enzymes à la gloutonnerie bien connue. Ils sont responsables des furoncles, des septicémies, des panaris, de l'infection au début de l'évolution des brûlures, de la très grande majorité des infections post-opératoires. De leur gîte narinaire, ils défilent sur toute l'aire cutanée en colonies si nombreuses qu'il y en a toujours une, quel que soit l'endroit où se produit la plaie. Certains d'entre nous élèvent plus de staphylocoques dorés que d'autres. S'ils sont pâtissiers, ils peuvent, en déposant ces chiots dans une crème anglaise, envoyer une noce à l'hôpital, les enfants d'une cantine scolaire en vacances forcées (c'est parfois digne de Stephen King, cette prose (voir son livre, Le fléau)....). Mais en dehors de conditions bien particulières, ces staphylocoques ne font que passer. (...) Les streptocoques vivant dans la gorge, les germes (...) des selles rejoignent ces touristes sans avoir, eux non plus, la possibilité de s'installer à demeure. La connaissance de l'écologie microbienne est indispensable, aussi bien à celui qui s'occupe d'hygiène alimentaire qu'au chirurgien ou au fabricant de déodorant. (...)". Ce texte montre bien la cascade d'événements entre le pullulement de certains micro-organismes en terrain favorable, les conséquences macroscopiques, les répercutions à l'échelle d'un organisme tout entier d'une multitude de combats microscopiques.

 

     Dans cette lutte, la biologie a bien identifié les différents acteurs, "amis" ou "ennemis" de l'organisme complexe qu'est un humain, a identifier nombre de ces cascades d'événements, souvent en faisant des sauts entre la présence de bactéries, virus et compagnie et l'effet de cette présence sous forme de maladie à des stades particuliers. Sans pour l'instant avoir le tableau complet des différents champs de bataille. L'objectif des études d'écologie microbienne est de parvenir à dresser la cartographie et le déroulement de ces batailles, en tenant compte de l'évolution qu'elles provoquent chez les acteurs mêmes, car c'est souvent au niveau génétique que cela se passe. Ils ont à élucider la nature, la fréquence et les lieux d'interactions entre plusieurs agents microbiens, pathogènes ou non pour l'homme. La chaîne d'évènements du niveau microscopique au niveau de la structure entière d'un individu n'est ni directe ni forcément aboutie : du niveau des relations entre microbes, entre virus, entre microbes et virus, entre cellules structurelles d'un part et cellules circulantes d'autre part et ces derniers, au niveau du système immunitaire jusqu'au niveau de chacun des organes éventuellement atteints, puis du niveau de chacun des organes à l'ensemble de la structurelle corporelle, il existe des batailles qui restent à un seul niveau comme d'autres qui mettent en jeu tout l'organisme. Longtemps l'ingénierie médicale s'est attaquée aux relations entre agents pathogènes et circuits défensifs. Maintenant, il s'agit de comprendre comment s'organise l'écologie microbienne. C'est d'abord au niveau microscopique que se situent les premières batailles, d'où l'importance de l'enjeu de telles recherches. 

 

Des batailles et des évolutions complexes...

   C'est ce que rappelle Philippe SANSONETTI dans une "leçon inaugurale" de 2008 au Collège de France. L'auteur titulaire de la chaire de microbiologie et maladies infectieuses traite alors des microbes et les hommes, de la guerre et de la paix aux surfaces muqueuses. Plusieurs points doivent demeurer à l'esprit lorsque l'on traite des batailles microscopiques :

- L'homme évolue dans un monde microbien : bactéries, virus, virus de bactéries (les bactériophages), levures et champignons. Citons aussi les parasites mono et multicellulaires, même s'ils n'entrent pas dans la définition des microbes stricto sensu car ils sont une cause majeures d'infection. 

- Dès que les êtres vivants sont devenus multicellulaires, ils ont dû socialiser avec les microbes, premiers occupants de la planète, et établir avec eux un état de commensalisme, voire de symbiose. Les êtres multicellulaires modèles, comme le vers Caenohabditis et la mouche Drosophilia, ont un mIcrobiote commensal - c'est le terme désormais utilisé pour définir la flore microbienne résidente - et sont sensibles à des pathogènes. Les systèmes gouvernant la gestion de cette interface, qui sont nés de l'adaptation de mécanismes parmi les plus fondamentaux du développement, ont été remarquablement conservés au cours de l'évolution, de l'insecte aux primates supérieurs. La co-évolution homme-microbes ne s'est pas résumée à la reconnaissance et à l'éradication des pathogènes ; elle a aussi mené à la tolérance des microbiotes commensaux. La veille microbiologique de notre organisme est permanente.

- A côté des maladies infectieuses aiguës, on observe des colonisations chroniques ne donnant lieu à des complications significatives que dans un pourcentage limité de cas. Ainsi, dans les régions pauvres de la planète, la bactérie Helicobacter pylori, un pathogène gastrique, peut coloniser la population dès le plus jeune âge, mais elle ne donnera lieu à des complications (ulcère gastroduodénal, cancer de l'estomac) que chez une fraction limitée des individus. Faut-il la décrire comme un commensal violant la frontière, ou comme un pathogène furtif assurant sa survie prolongée? Faut-il invoquer la susceptibilité variable des individus en fonction de leur bagage génétique, ou des facteurs environnementaux? Probablement les quatre à la fois, ce qui souligne que la recherche dans le domaine des maladies infectieuses doit être multidisciplinaire.

- Pour compliquer ce schéma, certaines pathologies comme les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (la maladie de Crohn par exemple) reflètent une mauvaises gestion de l'interface avec notre microbiote commensal. L'analyse génétique de ces maladies commence à nous fournir des gènes candidats, qui sont autant de pistes orientant vers la nature moléculaire et cellulaire de cette interface. Va-t-il falloir revoir nos concepts et définitions des maladies infectieuses? Susceptibilité génétique à des organismes de l'environnement habituellement non pathogènes, infections opportunistes des sujets immunodéprimés, infections pluri-microbiennes : les postulats de Koch souffrent des exceptions. Les voies de la co-évolution hôte-microbe restent souvent impénétrables, et seule une perspective évolutionniste fondée sur une vision de pression sélective mutuelle a un sens.

- "Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements", écrivait déjà Charles Darwin. "L'évolution procède comme un bricoleur qui pendant des millions et des millions d'années, ruminerait lentement son oeuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d'ajuster, de transformer, de créer", écrit François Jacob dans Le Jeu des possibles. Sans cette lecture, on ne peut comprendre comment s'est développée notre interface avec les microbes : par exemple comment une voie gouvernant le développement dorso-ventral de la mouche a pu devenir une voie de perception des microorganismes jusque chez les mammifères ; ou encore, comme un flagelle bactérien a pu se transformer en un appareil de sécrétion de toxines, ou vice versa. 

- Au fond, l'homme est un hybride primate-microbes. Nous hébergeons dix fois plus de bactéries que nous ne possédons de cellules somatiques et germinales. Le tractus intestinal héberge l'essentiel de ce microbiote, atteignant le chiffre astronomique de 10 puissance 14 bactéries (cent mille milliards). L'extrapolation des résultats d'identification moléculaire indique que nous hébergeons de 15 à 30 000 espèces différentes. On peut donc considérer que la séquence du génome humain ne sera complète tant que l'on ne disposera pas de celle de son microbiome, soit probablement un pool de gènes 100 fois supérieur au génome humain. C'est une gageure, car le microbiote varie d'un individu à l'autre, d'une région à l'autre, d'un site anatomique à l'autre.

- Simplifions... Le microbiote intestinal comporte deux grands groupes : les firmicutes, bactéries à Gram positif anaérobies, et les bacteroidetes, bactéries à Gram négatif anaérobies. Les protéobactéries qui nous sont les plus familières, comme Escherichia coli, sont en fait ultraminoritaires - au moins à l'homéostasie, car dans les situations pathologiques, comme les maladies inflammatoires de l'intestin, les équilibres sont rompus et les bacteroidetes disparaissent au profit de pratéobactéries. Qui est l'oeuf, qui est la poule? Est-ce la maladie inflammatoire qui cause le déséquilibre microbiote, ou le déséquilibre qui cause la maladie inflammatoire?

- Essayons de simplifier. Le microbiote intestinal a une activité métabolique globale équivalente à celle d'un organe comme le foie. Cet organe surnuméraire a de nombreuses fonctions. Il mai tient un effet de barrière contre les microorganismes allogènes, éventuellement pathogènes. Il assure l'homéostasie de la barrière épithéliale intestinale en stimulant sa restitution en cas d'altération, mais assure aussi le développement et le maintien du système immunitaire muqueux ainsi que du réseau vasculaire sous-épithélial. Il joue un rôle clé dans la nutrition et le métabolisme : hydrolyse et fermentation des polysides complexes, biosynthèse de vitamines, production d'acides gras à chaînes légères qui représentent une source nutritionnelle majeure pour l'épythélium, détoxification des xénobiotiques alimentaires. Il ne s'agit donc plus de commensalisme au sens générique du terme, mais bien d'une symbiose.

- Mêmes si les pathogènes sont minoritaires dans cet environnement microbien, leur impact est majeur. Dans Destin des Maladies infectieuses, (dans les années 1930) Charles Nicolle se demande si l'on peut tirer une ligne définissant d'un côté les bonnes bactéries - le microbiote - et d'un autre les mauvaises, celles qui sont pathogènes?

- Émile Roux écrivait que "la virulence  d'un microbe (pathogène) (ce qui fait sa spécificité) est son aptitude à vivre dans l'organisme des êtres supérieurs et d'y secréter des poisons". Charles Nicolle, à la suite des travaux de Louis Pasteur et de ses élèves concluait qu'"il y a donc de bonnes raisons de penser que la virulence est liée à un support matériel. Ne la voyons-nous subir parfois des variations brusques auxquelles on peut donner légitimement le sens et de nom de "mutations", et ces variations subites se traduire, en dehors de l'adaptation à un être nouveau, par l'acquisition de propriétés pathogènes nouvelles vis-à-vis de l'espèce animales qu'elle (la bactérie pathogène) infecte ordinairement?

- Presque concurremment, Frederick Griffith découvre à Londres la transformation chez le pneumocoque, permettant la démonstration du principe transformant de Griffith - capable de restaurer l'expression de sa capsule, donc sa virulence, à une souche a-capsulée de pneumocoque - était détruit par l'enzyme DNase. Cette expérience prouvait que le support matériel de la virulence étant l'acide désoxyribonucléinque (ADN) qui "accessoirement" devenait LE support de l'hérédité.

- On découvre rapidement que certains facteurs clés de la virulence, comme la toxine diphtérique, sont codés par des éléments génétiques mobiles comme le bactériophage bêta. Puis survient, dans les années 1950, la révolution moléculaire : André Lwoff, Jacques Monod, François Jacob, Elie Wolmann et bien d'autres forgent les concepts et les outils qui vont permettre de faire se rejoindre, sinon Escherichia coli et éléphant, au moins Escherichia coli et microorganismes pathogènes.

- Stanley Falkow eut alors l'intuition que cette génétique moléculaire naissante allait permettre de déchiffrer le pouvoir pathogène des microbes, dans Infectious Multiple Dru Resistance, de 1975. 

- Que nous ont appris la génétique moléculaire, puis la génomique des pathogènes? Escherichia coli s'est avéré dès le début constituer un excellent modèle. Cette même espèce comporte en effet des isolats commensaux et des isolats pathogènes, ces derniers pouvant se décomposer en plusieurs pathovars intestinaux, urinaires, septicémiques, responsables de méningites. Il est vite apparu qu'au delà des propriétés métaboliques et antIgéniques souvent prises en défaut, chacun de ces pathovars a une signature génétique complexe correspondant à l'accrétion génomique d'éléments ; certains sont mobiles, les bactériophages et les phagiques ; d'autres sont fixés dans le chromosome mais probablement d'origine phagique : les "ilots de pathogénicité". Cette pathogénicité s'est construite par sauts quantiques, sous oublier la "touche finale" de mose de l'ensemble de ce dispositif sous le contrôle d'une stricte hiérarchie de régulations répondant aux conditions environnementales. Les séquençages et les analyses pngénomiques ont parfaitement confirmé ce concept, traduisant l'existence de flux constants de gènes.

- Des questions persistent : quelle est l'origine de ces gènes étrangers? Ce modèle est-il vrai pour l'ensemble des pathogènes? La réponde simple est "souvent mais pas toujours". Les organismes modèles sont des objets idéaux de recherche à condition de savoir en sortir. Enfin, les virus ont-ils subi une évolution génomique similaire? Oui, sans doute, pour les grands virus ADN comme les Pox et les Herpes, qui ont acquis des gènes de leurs partenaires cellulaires leur servant essentiellement à leurrer notre système immunitaire. C'est moins clair pour les virus ARN, où les recombinaisons intra-espèce et la piètre fidélité de l'ARN polymérase contribuent à générer la diversité nécessaire à l'adaptation aux hôtes et aux sauts d'espèces. 

- Revenons au coeur du paradoxe du commensalisme et de la pathogénicité qui sont gérés par les mêmes systèmes de surveillance immunologiques. Les commensaux intestinaux établissent un subtil dialogue moléculaire avec l'épytélhium à travers le filtre du mucus de surface, sur lequel ils sont établis en biofilms complexes. Ils sont maintenus à distance respectable par un gradient de facteurs antimicrobiens épythéliaux, et perçus en proximité et densité par l'échantillonnage permanent de molécules propres au monde procaryote. Ce dialogue moléculaire résulte, via l'analyse et le filtrage épithélial de ces signaux, en une situation tolérogène pour le microbiote. Des mécanismes sans doute très proches président à la tolérance des autres microbiotes, particulièrement le microbiote cutané.

- Les pathogènes disposent eux d'un arsenal de facteurs de virulence leur permettant d'accéder aux surfaces de l'hôte, d'y adhérer, éventuellement de les envahir, d'y injecter grâce à des systèmes dédiés des toxines qui vont assurer la subversion de la barrière épithéliale et de ses système de défense immunitaire. L'ensemble de ces effets est perçu par l'hôte comme un signal de danger, d'un seuil d'alerte dépassé : d'où une réponse immunitaire innée inflammatoire microbicide, mais aussi destructrice, largement responsable des symptômes et lésions de la maladie.

 

Philippe SANSONETTI, Des microbes et des hommes, Guerre et paix aux surfaces muqueuses, Leçon inaugurale du Collège de France, 20 novembre 2008. Raymond VILAIN, "jeux de mains", Arthaud, 1987 ; Réseau Microtrop.

 

Relu le 1 septembre 2020

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28 septembre 2011 3 28 /09 /septembre /2011 12:43

             La prédation constitue un des modes de relations à l'intérieur des écosystèmes et se retrouve dans tous les règnes de la biosphère. Mais loin d'être une sorte de "loi de la jungle", cette prédation est circonscrite à de nombreuses conditions (d'existence et de modalités) qui, du coup, n'en fait pas le principal élément de l'écologie, quelque soit le terrain. 

 

         Ce qui motive cette prédation, c'est avant la recherche concurrentielle de la nourriture par les différents espèces présentes dans un même écosystème. Nombreuses en fait sont les adaptations qui permettent aux animaux de fuir leurs ennemis ou de s'en protéger (Atlas de biologie).

Les réactions de fuite et les adaptations morphologiques correspondantes (organes sensoriels et locomoteurs développés) ont évolué de façon convergente dans des groupes différents (Ongulés, Kangourous, Ratites, Reptiles). Certains comportements rendent la fuite encore plus efficace : le Lièvre et l'Autruche d'Amérique du Sud opèrent de brusquement changements de direction ; les Céphalopodes projettent un nuage d'encre ou, comme le Céphalopode abyssal Heterotenthie, un liquide luminescent.

Des dispositifs mécaniques de protection se rencontrent chez les animaux immobiles ou peu mobiles. Le corps des Éponges renferme souvent des spicules qui les rendent immangeables. Les animaux de nombreux groupes sont couverts de piquants, souvent associés à une carapace dure (oursin) ou à des comportements qui augmentent leur efficacité (le Hérisson se met en boule, le Poisson porc-épic se gonfle). Beaucoup d'animaux possèdent une carapace, des plaques, une coquille (nombreux Protistes, Bivolves, Gastéropodes, Tortues, Tatous) ; ces enveloppes peuvent être constituées de matière étrangère au corps de l'animal (Amibe Difflugia, larves des Trichoptères). On peut mentionner aussi les cavités que recherchent ou construisent certains animaux (Sphécoïdes, Pics, nombreux mammifères).

Les moyens de défense chimiques varient entre deux possibilités extrêmes : tout l'animal est toxique, donc immangeable, ou il met en oeuvre des mécanismes hautement perfectionnés (cnidoblastes des Coelentérés, poils urticants des chenilles, éjection de liquide : Brachynus, Serpent cracheur, Moufette). Ces animaux sont souvent protégés contre les assaillants par la teinte voyante de leur corps (Parure prémonitrice ; exemple Guêpe, Frelon, Salamandre commune). Les animaux sont camouflés quand les teintes de leur corps se confondent avec leur environnement (homochronie, par exemple du Phalène du Rouleau) et quand l'animal ressemble par sa forme à un objet du milieu où il vit (Homomorphie). Même des dessins apparemment très voyants peuvent dissimuler l'animal (somatolyse). Parfois une espèce inoffensive possède les mêmes couleurs prémonitrices qu'une autre espèce vivant dans le même milieu, mais réputée immangeable ou dangereuse (mimétisme, par exemple de divers Papillons tropicaux ou du Frelon-Série apiforme).

Les interactions quantitatives entre espèces sont par ailleurs limitées par de nombreux phénomènes, même lorsqu'elles sont très proches géographiquement. Ces phénomènes sont considérés comme des interactions (plante-phytophage ; proie-prédateur ; hôte-parasite). Vito VOLTERRA (1860-1940), sur la base d'un modèle mathématique, en a donné une représentation quantitative sous forme de trois lois :

- Dans les relations nutritionnelles entre deux espèces se produisent périodiquement dans les courbes d'abondance des oscillations en déphasage ;

- Les abondances oscillent autour d'une valeur moyenne bien définie ;

- Des influences extérieures tout aussi signifiantes pour les deux espèces agissent plus durablement sur le prédateur que sur la proie.

 

           La prédation est définie généralement comme l'ensemble des mouvements qui s'ordonnent en vue de l'appropriation par capture et, généralement de la consommation alimentaire d'organismes vivants (proies). (Patrick TORT) Ce processus comportemental caractérise l'activité de chasse des animaux prédateurs - l'expression s'étant étendue de façon discutable selon le même auteur à certains végétaux. Elle implique une agression conduisant à la capture de la proie, et se trouve sous-tendue en chacune de ses manifestations par des stimulus activant, déclenchant un comportement d'appétence suivi d'actes consommatoires. Les proies, au cours de l'évolution, ont souvent développé des comportements multiples de réaction adaptative au comportement du prédateur, l'exemple le plus simple de cette adaptation étant la "distance de fuite" qui oscille autour d'une moyenne spécifique, tout en étant réglable suivant les individus. Ces comportements sont variables selon que l'animal-proie bénéficie ou non de capacités de camouflage. L'animal-proie reconnaît fréquemment son prédateur, comme l'attestent les expérimentations faites avec les Canards et les Oies soumis au spectacle d'un leurre représentant alternativement la forme d'un proche parent inoffensif et celle d'une Rapace. Ce genre d'expérimentation est souvent présenté par des auteurs comme Konrad LORENZ. 

Mais la prédation ne peut être comprise que dans la distinction entre compétition intra-spécifique et compétition inter-spécifique, les comportements constatés n'étant pas du tout les mêmes.

 

              Pour qu'il y ait compétition, comme l'écrit Vincent LABEYRIE, il faut qu'il y ait "à la fois même habitat et même niche, c'est-à-dire que plusieurs organismes recherchent, en même temps et dans une même localité, les mêmes éléments existant en quantité limitée, et indispensables à la synthèse de leur matière vivante. La compétition résulte d'une capacité limitée de l'habitat", suivant des paramètres démographiques bien précis. 

La compétition peut être intraspécifique ou interspécifique. Dans les deux cas, elle ne concerne que des individus ayant à un moment déterminé des exigences communes, dans le domaine de l'alimentation en particulier. Le déplacement compétitif, qui évite la compétition, contribue à diversifier les niches et les habitats.

Vincent LABEYRIE se réfère surtout à E. R. PIANKA, qui résume dans "competition and niche theory" (in Theorical ecology, de R MAY en 1976, chez Blackwell Scientific), les différents aspects théoriques de la compétition interspécifique et modélise son influence sur la dynamique des populations à partir des équations de VOLTERRA, en soulignant que "les coefficients de compétition de ces équations peuvent être illusoires et obscurcir souvent les mécanismes réels des interactions compétitives." Il remarque que la compétition interspécifique n'est jamais absolue, car "aucun organisme réel n'exploite entièrement sa niche fondamentale puisque ses activités sont de quelque façon limitée par ses compétiteurs autant que par ses prédateurs." Puisque les individus d'un même stade de développement d'une même espèce ont par définition des caractéristiques biologiques identiques, au polymorphisme près, la compétition intraspécifique doit être par nature plus sévère que la compétition interspécifique. Dans ces conditions, la compétition intraspécifique introduit une sélection active dès que K est limité. Cette sélection entraînant une modification qualitative de la population, c'est-à-dire pouvant induire son évolution, on peut en déduire que la limitation des ressources doit être un facteur d'évolution. 

Charles DEVILLERS indique dans l'explication du principe de compétition-exclusion (ou principe de GAUSE (Georgij. Franceric GAUZE (1910-1986)), établit en 1934) que "deux espèces ayant les mêmes impératifs écologiques ne peuvent coexister sur de longues durées. Ou bien l'une des formes est éliminée, ou bien elle modifie ses impératifs écologiques". Suivant aussi Garrett HARDIN (The competitive-exclusion principle, Science, 1960), "il ne peut y avoir de compétition totale", ce qui signifie que la compétition ne peut porter sur toutes les composantes de l'écologie des espèces en question. Sous l'apparence d'une constatation banale - il existe bien des carnivores qui ne s'attaquent qu'à des espèces bien spécifiques - ce principe décrit en fait une situation hautement théorique qui impose, pour bien la comprendre, signale toujours Claude DEVILLERS, "de définir au préalable compétition et niche écologique."

"Il y a compétition quand des organismes, animaux ou végétaux, de même espèce ou d'espèces différentes, utilisent les mêmes ressources, qui sont en quantité limitée, ou se nuisent mutuellement en cherchant ces ressources. Une niche écologique peut être décrite comme un "hyper-volume" à n dimensions, chaque dimension étant l'une des composantes de la niche : conditions physiques et chimiques du milieu, ressources nutritives, habitats, lieux de reproduction... Il est hautement improbable, impossible même, que toutes les utilisations des "dimensions" des niches de deux espèces soient strictement les mêmes. Il suffira que l'une d'entre elles soit différente pour que la coexistence ait lieu."

En fait, indique bien aussi le même auteur, ce principe a ses partisans et ses adversaires dans la communauté scientifique. Pour J. Viera Da SILVA (Introduction à la théorie écologique, Masson, 1979), c'est l'un des concepts les plus utiles en écologie théorique. Dans la pratique, il incite à rechercher la causalité des coexistences, de mettre au jour les différences écologiques, parfois subtiles, qui les rendent possibles. 

Charles DARWIN, sans l'énoncer sous forme de principe, formule à plusieurs reprises le contenu du principe de Gause dans L'Origine des espèces : "Or, ainsi que nous l'avons vu traitant de la lutte pour l'existence, c'est entre les formes les plus voisines - variétés de même espèce, et espèce de mêmes genres ou de genres voisins - que, par suite de la similitude de leur conformation, de leur constitution et de leurs habitudes, se déclarera la concurrence la plus sévère. Chaque nouvelle variété ou espèce tendra donc, pendant le cours de sa formation, à serrer de près les formes qui ont le plus d'analogie avec elle, et à les exterminer."

 

Vincent LABEYRIE, article Compétition intra- et interspécifique, Charles DEVILLERS, article Compétition-exclusion et Patrick TORT, article Prédation, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Günther VOGEL et Hartmunt ANGERMANN, Atlas de biologie, Le livre de poche, La pochothèque, 1994.

 

ETHUS

 

Relu le 31 juillet 2020

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 14:38

    Si la notion de parasitisme est largement péjorative, notamment en philosophie morale et en philosophie politique, les réflexions en matière de biologie et d'évolution obligent à à en avoir une toute autre perception. Et cela depuis assez longtemps, comme en témoigne certaines documents animaliers pour le large public et les recherches en matière de développement dans la nature en ce qui concerne les spécialistes en sciences naturelles.

 

L'étendue importante et le sens du phénomène parasitaire

      Le phénomène parasitaire est largement répandu dans le monde vivant, comme le rappelle Georges LARROUY. "Chaque espèce est susceptible d'être parasitée. Tous les grands groupes, depuis les unicellulaires jusqu'aux Végétaux et aux Animaux, comprennent des espèces parasites. Sous des formes diverses, le parasitisme est présent depuis les êtres les plus simples, nécessairement parasites, tels les Virus, jusqu'aux êtres organisés les plus complexes, termes actuels de l'évolution des grands Embranchements : Mollusques, Crustacés, Insectes, Oiseaux, certaines Orchidées, etc. Le fait parasitaire permet de poser, séparément et d'une façon plus synthétique, tous les grands problèmes de la biologie à travers un couple privilégié, le couple hôte-parasite, dont l'étude permet des modélisations fructueuses. Grâce au travail de générations de biologistes et de zoologistes, le parasite peut être utilement comparé à des espèces apparentées, demeurées libres, afin d'apprécier les modifications induites par la vie parasitaire, qu'elles touchent à la morphologie, à la physiologie ou aux comportements. Aussi les principales questions relatives au parasitisme se posent-elles d'emblée en termes d'adaptation, d'évolution, de sélection : "...Le parasitisme est directement lié aux problèmes de l'adaptation et de l'évolution" (L GALLIEN, 1948).

"Le parasitisme réalise des expériences naturelles aussi variées que nombreuses, riches en enseignement pour l'évolutionniste" (P P GRASSÉ, 1966)."  Dans sa définition du parasite, le même auteur écrit que "le parasite est, littéralement, "celui qui vit à côté de sa source de nourriture". Mais le terme implique aussi que le parasite vit aux dépens, au détriment de son hôte, dont il tire les matériaux indispensables à la synthèse de sa propre substance. On peut ajouter qu'il s'agit, dans la plupart des cas, d'une association de longue durée (...) ayant un caractère de profit unilatéral. Il existe des cas situés à la limite entre le parasitisme et d'autres types de relations interspécifiques. En principe, un prédateur tue sa proie sitôt qu'il entre en contact avec elle, alors que l'hôte survit plus ou moins longtemps à la présence d'un parasite. Il est vrai qu'une large tolérance du parasite par son hôte est un gage de réussite parasitaire et signe une bonne adaptation.(...) Bien des parasites provoquent la mort de leur hôte, parfois rapidement (...)" "Le poids, ajoute t-il après quelques exemples, du dommage causé à l'hôte par les prélèvements du parasite permet de distinguer le commensal, qui, tout en détournant de la nourriture, n'exerce pas trop de dommages, des inquiliens ou cleptoparasites, qui volent de la nourriture ou les matériaux préparés par l'hôte pour sa subsistance, voire sa progéniture, et sont plus spécifiques et parfois beaucoup moins nuisibles (...) Ainsi tous les degrés peuvent être observés dans la nuisance parasitaire, depuis le dommage léger lié à la présence dans le caecum humain de quelques Trichocéphales jusqu'à la mort à terme de toute une fourmilère de Tetramorium caespitum liée à l'exécution de la reine par ses propres ouvrières sous l'influence d'une femelle d'Anergates atratulus nouvellement adoptée (...)". 

 

Génétique du phénomène parasitaire

Georges LARROUY toujours, écrit, après avoir décrit les types parasitismes et des adaptations parasitaires sur le plan de la morphologie, de la physiologie et des réactions immunitaires de l'hôte, les modifications comportementales induites chez un hôte par la présence d'un parasite, que l"on peut retrouver dans les travaux de E. MAYR (1981) quelques réflexions applicables à (...) des comportements parasitaires complexes." "Un comportement a d'autant plus de chances d'obéir à un programme génétique ouvert que la durée de vie de l'individu, et plus particulièrement la durée relative de la période consacrée à l'apprentissage, est longue. Dans ces conditions, on ne s'étonnera pas que E. Mayr considère les comportements interspécifiques ou les comportements non communicatifs très stéréotypés qui relèvent du parasitisme comme obéissant à des programmes génétiques fermés, car ils ne permettent guère de variations ; le coût de l'erreur est dans ce cas souvent trop lourd. On note toutefois, dans un nombre parfois élevé de cas, des comportements aberrants du parasite qui, en règle générale, mais pas toujours, amènent sa destruction sans descendance : les Furcocercaires de Bilharzies peuvent venir parasiter des hôtes inadaptés, les migrations des Douves hors des voies habituelles ne leur permettent pas de se reproduire, certaines Filaires animales peuvent se retrouver chez l'Homme, mais perdent toute chance de survie.

C'est tout le problème des "impasses parasitaires" qui sont nombreuses. Le manque de rigueur de tels programmes génétiques comportementaux (car plusieurs séquences sont impliquées) traduit-il une variabilité élevée de certains déterminants génétiques de ces comportements, variabilité sur laquelle la sélection n'aurait pas eu le temps de manifester ses effets? Quoi qu'il en soit, la prolificité du parasite (source de variabilité elle aussi) compense largement le déficit populationnel issu de l'échec de quelques représentants de l'espèce. On doit par ailleurs constater que le "flou" dans le déterminisme de certaines séquences de reconnaissance a permis à nombre de parasites "opportunistes" la colonisation de nouvelles niches écologiques dont leur espèce a tiré le plus grand bénéfice. C'est évidemment le cas des parasites venus de l'animal à l'Homme, mais ce peut être aussi le cas de tous les parasites "en attente" et qui se révèlent à la faveur de modifications de leur environnement. L'aspect véritablement des réflexions de E. Mayr concernant l'évolution rapide, cohérente et corrélée de caractères génétiquement déterminés - évolution dont le sens, la vitesse et l'harmonie peuvent conditionner la réussite ou l'échec de l'espèce (...) réside dans sa prise en compte de l'équilibre interne du génome, des phénomènes épigénétiques et du rôle des gènes ou systèmes de gènes régulateurs.

A la suite de Britten et Davidson (1969), il écrit (en 1974, Populations, espèces et évolution, Hermann) (...) : "le fait que les macromolécules des gènes structuraux les plus importants sont si semblables, des Bactéries aux organismes les plus supérieurs, se comprend beaucoup mieux si on attribue un rôle majeur aux gènes régulateurs. Comme ils affectent fortement la viabilité de l'individu, ils constituent les cibles principales de la sélection naturelle. Les gènes régulateurs font partie d'un système délicatement équilibré, beaucoup plus que les gènes de structure, et on peut donc présumer qu'ils constituent un mécanisme majeur pour la coadaptation. Il est vraisemblable que le taux de la transformation évolutive des macromolécules des gènes structuraux importants est contrôlé en grande partie par le système des gènes régulateurs..." Le dernier niveau d'explication concernant l'évolution des organes, des fonctions ou des comportements parasitaires peut maintenant être recherché et caractérisé à l'étage moléculaire. Le phénomène de l'amplification des gènes favorables en un laps de temps très bref à l'échelle des générations, comme cela a été démontré pour la résistance des Culicides aux insecticides organo-phosphorés (...) fournit aux évolutionnistes une image nouvelle des effets d'une pression sélective élevée. Il en est de même pour l'incorporation rapidement généralisée de plasmides conférant à des espèces parfois très différentes de Bactéries une résistance élevée, à tel ou tel antibiotique."

   Il s'agit donc, à la lumières des récentes recherches, d'une nouvelle conception du parasitisme. Pour A. J. MAC INNIS par exemple (A general theory of parasitism, Proceeding of the Third International Congress of Parasitology, Munich, 1974), le parasite peut être défini comme l'un des partenaires d'un couple d'espèces interagissantes aux génomes intégrés de telle manière que la survie du parasite dépend au minimum d'un gène de l'autre espèce interactive appelée hôte. Tout organisme susceptible de fournir l'information génétique requise est un "hôte spécifique". Parmi ces hôtes, certains peuvent d'ailleurs n'être que des hôtes potentiels ou en attente si des barrières écologiques, géographiques, comportementales... font obstacles à la constitution du couple hôte-parasite. Selon K. VIKERMAN (The impact of future resarch on our understanding of parasitism, international Journal of Parasitology, 1987), notre compréhension de la nature du parasitisme dépendra en dernier ressort d'une analyse de la dépendance génétique des parasites vis-à-vis de leurs hôtes.

 

Parasitisme et Évolution

      Dans son exposé sur le parasitisme et l'évolution des traits d'histoire de vie, Y. MICHALAKIS met l'accent sur les modifications induites chez l'hôte de l'action du parasite. Face à des parasites virulents, les hôtes cherchent d'abord à se défendre : la première défense consiste à éviter de rencontrer le parasite, mais les hôtes n'y parviennent pas toujours et doivent donc lutter en cas de rencontre. Lutter, c'est-à-dire, empêcher le parasite de pénétrer dans l'hôte par des barrières physiques (peau...) ou par des mécanismes de reconnaissance (gène-pour-gène) ou empêcher son développement, limiter sa croissance, par un système immunitaire (pour les organismes libres). Le fonctionnement de la machinerie immunitaire complexe comporte souvent des coûts énergétiques qui entraînent des modifications des traits d'histoire de vie. Le professeur du GEMI de Montpellier décrit le problème de l'allocation des ressources entraîné par la présence du parasite et les conditions qui favorisent l'antagonisme entre plusieurs fonctions à l'intérieur de l'organisme. Si plusieurs mécanismes se mettent en fonction dans la plupart des cas observés pour tenter d'éradiquer ou de limiter le parasite, il existe d'autres cas où s'opère un ajustement de l'allocation de ces ressources dans le sens d'une tolérance au parasite. Si l'attention des chercheurs s'est polarisé sur l'hôte, de plus en plus ils s'orientent vers la connaissance des mécanismes d'évolution du parasite, dans ses ajustements aux efforts de l'organisme hôte. C'est une véritable écologie des systèmes parasitaires qui se découvre.

 

Y. MICHALAKIS, Parasitisme et évolution des traits d'histoire de vie, GEMI de Montpellier, site internet //GEMI-MPL.IRD.FR. Georges LARROUY, article Parasite, Parasitisme, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996.

 

ETHUS

 

Relu le 1er août 2020

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 09:03

        L'origine de la vie constitue toujours une énigme qui mobilise imagination et recherches scientifiques. En dehors des hypothèses douteuses issues des religions, plusieurs théories rivalisent aujourd'hui, qu'elles veulent se situer à la toute première origine (de l'inanimé au vivant) ou plus modestement dans le processus évolutif qui mène des organismes simples à des organismes de plus en plus complexes.

Les traces de cette origine, s'ils en existent, font que nous en sommes réduits à des hypothèses et les grands théoriciens de la biologie ou de l'évolution, même si une réflexion n'est pas absente chez eux, évitent de faire dépendre leurs reconstructions d'une explication sur l'origine de la vie. Sans céder à une mode, même scientifique, l'hypothèse de l'action de virus (par essence parasites) dans les premiers moment de l'apparition de la vie sur notre planète montre une dynamique de coopération-conflit à l'oeuvre.

 

Les idées des théoriciens du darwinisme et des généticiens

             Charles DARWIN, dans une lettre (à J-D. HOOVER, 1863), indique la possibilité du démarrage de la vie à partir de "quelque petite marre chaude, avec tous les espèces de sels d'ammoniaque et de phosphore, de la lumière, de la chaleur, de l'électricité, etc, en présence, un composé protoïque était là chimiquement formé, prêt à subir des changements plus complexes encore". Comme le commente André BRACQ, "malheureusement pour le chimiste, la vie a profondément bouleversé la Terre primitive" et "quelle que soit la puissance de la vérification expérimentale, la réalité historique du modèle ne pourra jamais être démontrée dans l'absolu car la variable "temps chronologique" échappe au contrôle de l'expérimentateur". 

Pour fixer les idées, André BRACQ rappelle que "le fonctionnement de tous les système vivants contemporains, qu'ils appartiennent au Règne animal ou au Règne végétal repose sur la cellule. Parmi les quelques 10 millions de molécules organiques (à base d'oxygène, d'hydrogène, de carbone et d'azote) qui constituent une cellule simple de Bactérie, par exemple, trois familles de molécules jouent des rôles fondamentaux :

- les molécules de compartimentation qui permettent de retenir les constituants de la cellule et évitent ainsi leur dispersion dans le milieu environnant. La membrane est formée par des phospholipides. Ce sont des molécules amphiphiles qui possèdent à la fois une tête polaire qui aime l'eau et des chaînes carbonées qui aiment l'huile.

- les molécules informatives qui permettent de stocker et de copier les informations nécessaires au bon fonctionnement de la cellule. L'ADN et l'ARN (acide ribonucléique) sont des chaînes très longues constituées pour la répétition de maillons élémentaires, les quatre nucléotides. Chaque nucléotide se compose d'un sucre, d'un phosphate et d'une base. Comme la séquence des lettres définit le sens d'un mot, l'ordre d'enchaînement des quatre principaux nucléotides définit le message génétique. La reconnaissance très spécifique des bases, deux à deux, permet de transférer l'information contenue dans la séquence, et plus particulièrement de faire des copies conformes de l'ADN.

- les molécules catalytiques qui effectuent le travail chimique de la machinerie cellulaire. La plupart des réactions chimiques sont assurées par les enzymes, qui constituent une classe particulière de protéines. D'une manière générale, les protéines peuvent être comparées à de longs mots écrits à l'aide de vingt lettres différentes, les acides animés. En moyenne, une protéine compte deux cent acides animés dans sa chaîne."

   Tout le travail des chercheurs consistent à comprendre, à l'aide de méthodes qui permettent de visualiser l'invisible et de le quantifier, comment les différents éléments simples s'organisent dans l'espace et dans le temps, pour faire vivre des ensembles vivants de plus en plus complexes. Une des difficultés pour le grand public de comprendre ces phénomènes est que l'accumulation des connaissances, depuis la découverte de l'ADN, ne faiblit pas, et que les biologistes font des découvertes de plus en plus rapides (parfois trop rapidement publiées, sans recul, quitte à ce que dans les publications scientifiques, très mal relayées d'ailleurs dans la grande presse, un terme soit mis ensuite à certaines explications), grâce à la présence de calculateurs de plus en plus performants (informatique) et par la mise au point de nouvelles techniques de manipulation des matières vivantes. Sans compter que les applications techniques de ces découvertes, qui valident en passant un certain nombre d'explications, entrent de manière très discrète dans la vie quotidienne, posant d'ailleurs la question de la démocratie dans un société de plus en plus "technologisée".

Dans ce domaine des recherches qui, de manière souvent indirectes, peuvent nous aider à comprendre comment est née la vie, les conceptions bougent aussi énormément. Car ce travail de compréhension de l'agencement et du fonctionnement des constituants auparavant cités amènent la communauté scientifique à émettre des hypothèses de plus en plus fines en même temps qu'elle offre des applications industrielles (sans compter les applications dans les affaires criminelles) de plus en plus massives. La rencontre des progrès en matière biologique et en matière informatique donne d'ailleurs naissance à une toute nouvelle branche d'activités : la nanotechnologie médicale.

 

Des modèles généraux d'explication...

       Il n'existe pas de consensus dans la communauté scientifique sur l'origine de la vie, mais des modèles couramment acceptés comme base de travail, après l'élaboration de processus par John Maynard SMITH, Eörs SZATHMARY ou John Desmond BERNAL :

- Des conditions prébiotique plausibles entraînent la création de molécules organiques simples qui sont les briques de base du vivant ;

- Des phospholipides forment "spontanément" (en fait sous l'effet de phénomènes d'attraction-répulsion entre les différents atomes constituants les molécules de ces phospholipides) des doubles couches qui sont la structure de base des membranes cellulaires) ;

- Les mécanismes qui produisent aléatoirement des molécules d'ARN en mesure d'agir comme des ARN-enzymes capables, dans certaines conditions très particulières, de ses dupliquer. Une première forme de génome apparait ainsi que des protocellules.

- Les ARN-enzymes sont progressivement remplacés par les protéines-enzymes, grâce à l'apparition des ribozymes, ceux-ci étant capables de réaliser la synthèse des protéines.

- L'ADN apparaît et remplace l'ARN dans le rôle de support du génome, dans le même temps les ribozymes sont complétés par des protéines, formant les ribosomes. C'est l'apparition de l'organisation actuelle des organismes vivants. 

 il s'agit d'une soupe d'organismes de plus en plus complexes qui dans des conditions précises de température, de pression et de mise en relation de molécules susceptibles de s'agréger et de durer, permet la formation d' organismes vivants. Des éléments laissent penser qu'il y eut plusieurs occasions manquées, pour une raison ou pour une autre, pour la formation de tels organismes. Les divers agencements à l'intérieur de ces organismes, comme leur rencontre avec d'autres organismes en formation, dans le temps et dans l'espace, meurent ou perdurent suivant un processus évolutif, qui est essentiellement un processus cumulatif qui évolue dans des conditions plus ou moins favorables. L'existence dans la nature de très peu de types de structures indique que le vie requiert des conditions étroites. 

 

De nouveaux organismes découverts peuvent aider à comprendre l'origine de la vie...

     Parmi les chercheurs qui veulent retracer l'histoire de l'ensemble du monde vivant, Carl WOESE introduit dans les années 1990 (mais ses premières recherches datent des années 1970) un troisième règne dans ce monde jusqu'alors partagés entre eucaryotes et procaryotes, les archées, au côté des bactéries et des eucaryotes. Ces archéobactéries, méthanogènes, trouvées dans les environnements chauds de marais volcaniques. Patrick FORTERRE estime que "concept d'archéobactérie a révolutionné la biologie en soulevant de nombreuses questions inédites" dont l'une des plus importantes est "à quoi ressemblait l'ancêtre commun des trois lignées ainsi mises en évidence, un organisme virtuel que WOESE appelait à l'époque le "progenote" et que nous appelons aujourd'hui LUCA (Last Common Universal Ancestor), le dernier ancêtre commun universel? A la vision linéaire qui prévalait jusque-là (des bactéries primitives - procaryotes - aux eucaryotes évolués) se substituait une histoire beaucoup plus complexe (trois lignées et un ancêtre mystérieux) qui allait entraîner des débats passionnés entre spécialistes de l'évolution." "l'ancienneté supposée de ce troisième groupe du monde vivant se trouvait (...) confortée par le caractère anaréobie des plus extrémistes des hyperthermophiles, qui étaient mis en relation avec l'absence d'oxygène dans l'atmosphère de la Terre primitive." Une première version de l'arbre universel de la vie, arbre non enraciné obtenu en 1985 par Gary OLSEN, met en présence les Eucaryotes, les Bactéries et les Archées et toute la difficulté - qu'il est d'ailleurs impossible de restituer ici - est de construire une chronologie d'apparition entre ces trois formes et le LUCA. Toute une discussion scientifique s'organise autour des conditions d'apparition du LUCA (un hyperthermophile ou non). Toujours est-il que les biologistes, dans leur très grande majorité, estime que le monde à ADN que nous connaissons a été précédé "par une période où le génome des organismes cellulaires était constitué d'ARN".

Patrick FORTERRE résume que cette théorie, proposé dès 1965 (mais admise beaucoup plus tard...), entre autres par Carl WOESE et Francis CRICK (...) repose désormais sur des bases très solides, avec en particulier la découverte, au début des années 80, de molécules d'ARN capables de catalyser des réactions chimiques : les ribozymes. Ces véritables enzymes à ARN ont contribué à résoudre un problème qui avait longtemps semblé insoluble : qui est apparu le premier, l'ADN ou les protéines? (...). L'ARN à la fois  peut se comporter comme une protéine, en agissant  comme une enzyme, et jouer le rôle de l'ADN, en étant le support d'une information génétique codée sous la forme d'une succession de nucléotides (...). Dans un deuxième temps, l'ARN aurait "inventé" les protéines et nous serions entrés dans une nouvelle ère, celle d'un monde de cellules plus complexes, composées d'ARN et de protéines, mais ne possédant toujours pas d'ADN. Finalement, l'ADN serait apparu grâce à l'invention de protéines enzymes capables de modifier les nucléotides de l'ARN (....) en désoxynucléotides, monomères de l'ADN."

 

Les virus et le phénomène parasitaire à l'origine de la vie?

    Dans un avant-propos au sujet d'une Conférence internationale de 1996, le même auteur, sur les étapes qui ont précédé l'apparition de cet ancêtre, commun à ces trois groupes, décrit une des pistes explorées par les chercheurs, du côté des virus.

"Ces parasites cellulaires obligatoires très simples pourraient être le témoin d'une période antérieure à la séparation des trois domaines. Certains mécanismes moléculaires atypiques que l'on découvre chez eux et qui sont absents chez les cellules pourraient correspondre à des mécanismes très anciens, testés au cours des premières étapes de l'évolution et qui n'ont pas été retenus par le dernier ancêtre commun aux bactéries, archaebactéries et eucaryotes. Les formes cellulaires rejetées par la compétition darwinienne (et qui portaient ces mécanismes) n'auraient pas eu, dès lors, d'autre choix pour survivre que de parasiter les cellules victorieuses, juste retour des choses. Si cette hypothèse est correcte, on peut considérer que nous payons encore aujourd'hui le prix, au travers des maladies virales, de cet affrontement ancien entre différentes formes de vie primitives!"

Plus tard, en 2007, il écrit dans un texte consacré aux origines de la vie : "Si les virus font aujourd'hui fréquemment la une des journaux (...), ils n'avaient pas jusqu'à ces derniers temps jamais beaucoup intéressé les évolutionnistes. En particulier, ils n'avaient pas pu être inclus dans l'arbre universel du vivant fondé sur les travaux de Carl WOESE, car ils n'ont pas besoin de ribosomes dont pas d'ARN 165. Toutefois, de nombreux virus à ADN possèdent des gènes qui leur permettent de fabriquer leurs propres enzymes de réplication de l'ADN (...). Or ces enzymes virules sont souvent très atypiques : elles ne ressemblent pas (sinon de très loin) à celles qui accomplissent la même fonction dans la cellule hôte de ces virus. Il existe donc dans la biosphère actuelle, à côté des deux systèmes de réplication cellulaire (celui des bactéries, et celui des archées et des eucaryotes), plusieurs autres systèmes de réplication qui sont caractéristiques des virus à ADN. Tous ces systèmes, viraux ou cellulaires, sont sans doute très anciens. On pense en effet aujourd'hui que les virus existaient déjà à l'époque de LUCA, et peut-être même avant, du temps des cellules à ARN. On peut donc bien imaginer que, tout au début de leur évolution, différentes lignées de virus à ADN se sont "bricolées" une grande variété de protéines pour répliquer leurs génomes. Pour expliquer les liens de parenté embrouillés des enzymes cellulaires qui répliquent l'ADN, il suffit d'imaginer que celles-ci n'ont pas été héritées d'une ou de plusieurs enzymes ancestrales présentes chez LUCA, mais qu'elles proviennent de différents virus qui les ont transférées de façon plus ou moins aléatoire aux ancêtres des trois domaines de l'arbre du vivant. Deux transferts indépendants auraient à chaque fois impliqué d'un coup les trois principales protéines de la réplications de l'ADN (...). L'un de ces transferts aurait conduit au système de réplication que l'on observe aujourd'hui chez les bactéries, un autre à ceux que l'on observe chez les archées et les eucaryotes. Des transferts ultérieurs n'auraient concerné qu'une seule protéine, expliquant les différences observées entre le système de réplication des arches et celui des eucaryotes (...).

Dans cette hypothèse, on voit que toutes les protéines qui répliquent l'ADN des cellules actuelles seraient d'origine virale. Comment expliquer cela? Le plus simple est d'imaginer que l'ADN lui-même a été "inventé" par les virus. Cette idée, a priori inattendue, est en fait plutôt raisonnable si l'on y réfléchit à deux fois. Comme nous l'avons vu (...), l'ADN est un ARN ayant subi deux modifications chimiques : l'une de ses bases azotées, la thymidine, correspond à une molécule d'uracile à laquelle a été ajouté un groupement méthyl, et le sucre constituant chacun de ces nucléotides, le désoxyribose, est produit par la réduction du ribose (élimination de son oxygène en position 2'). Or l'évolution des virus peut impliquer de telles modifications chimiques des acides nucléiques. Ainsi, un virus actuel (appelé T') qui attaque et tue la bactérie Escherichia coli possède un génome à ADN modifié : des groupements hydroxyméthyl sont ajoutés sur toutes les cytosines! Pour le virus T', cette modification confère un avantage sélectif évident : elle lui permet de résister aux enzymes produites par les bactéries pour détruire son génome (ce sont les fameuses enzymes de restriction utilisées par les biologistes moléculaires pour couper l'ADN en des endroits précis).

On peut transposer cette histoire à l'aube de la vie : si, dans le monde ARN, est apparu un virus capable de réaliser la transformation chimique de l'ARN en ADN, il s'est trouvé pourvu d'un génome à ADN résistant aux attaques des enzymes coupant l'ARN que les cellules à ARN produisaient sans doute pour se défendre. Un tel mutant ayant "inventé l'ADN" a dû obtenir un avantage immédiat dans la compétition qui l'opposaient aux autres virus. Les descendants de ce premier virus à ADN ont pu se diversifier pendant une longue période, donnant naissance à de nombreuses lignées qui ont développé chacun de leur côté une grande variété de mécanismes de réplication de l'ADN. Voilà ce qui expliquerait la diversité des enzymes en jeu. L'ADN aurait ensuite été transféré aux cellules au cours de l'évolution. Ainsi seraient nées les premières cellules à ADN, qui auraient rapidement éliminé toutes les cellules à ARN. En effet, l'ADN étant plus stable que l'ARN, il permet de construire de plus grands génomes, qui peuvent porter plus d'informations génétique. Ce transfert de l'ADN des virus aux cellules aurait pu se produire en même temps que le transfert des protéines de réplication (...). Dans ce scénario hypothétique, tous les êtres vivants cellulaires actuels seraient donc au moins en partie les descendants d'un ou plusieurs virus à ADN qui aurait pris le contrôle d'une cellule à ARN!" 

 

Patrick FORTERRE, Microbes de l'enfer, Belin/Pour la science, 2007. Les origines de la vie, Nouveaux concepts, Nouvelles questions, avant-propos au sujet de la conférence organisée par l'ISSOL (11ème conférence internationale sur l'origine de la vie, Orléans, 7 juillet 1996). André BRACQ, article Origine de la vie, dans le Dictionnaire du Darwinisme et de l'Évolution, PUF, 1996.

 

ETHUS

 

Relu le 2 août 2020

 

 

 

 

 

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19 septembre 2011 1 19 /09 /septembre /2011 12:53

       L'ouvrage du spécialiste des virus, à grande expérience entre autres à l'Institut Pasteur et aux deux plus grands centres américains de lutte contre les virus (CDC d'Atlanta et USAMARIID de l'armée amércaine), possède le mérite singulier, de "remettre les pendules à l'heure" dans les appréciations historiques de l'effet de l'action de parmi les plus petits êtres vivants sur l'espèce humaine, trop souvent ignorante de leur activité.

Ainsi de grandes tranches de l'histoire humaine - la conquête par les Occidentaux de l'Amérique, de multiples guerres, dont la première guerre mondiale et ses conséquences... - trop souvent analysées en termes de défaites et de victoires stratégiques de peuples et de pays vis-à-vis d'autres, doivent-elles être comprises en prenant en compte l'action des virus, et ce jusqu'à des périodes récentes et même sans doute aussi aujourd'hui. Le propos de Jean-François SALUZZO est de faire revivre l'histoire des hommes, victimes ou chasseurs de virus, en se limitant à quelques agents des plus redoutables. 

 

       Ainsi, à propos de la variole, "ente les XVIe et XVIIe siècles, les Européens auront colonisé l'ensemble du continent américain. En Afrique, la situation a été totalement différente. Au début du XVIIIe siècle, on ne compte que quelques milliers de colons européens, principalement localisés sur des comptoirs côtiers. la pénétration du centre de l'Afrique ne se fera qu'à la fin du XIXe siècle. Contrairement au continent américain, ce sont les maladies qui ont empêché la colonisation du continent africain. Il a fallu attendre la découverte de la quinine pour rendre effective la pénétration des Européens au coeur de l'Afrique. Les maladies infectieuses, et notamment la fièvre jaune, le paludisme, ont constitué un rempart efficace au processus de colonisation. Au XXe siècle, le bilan est sans équivoque : il ne reste quasiment plus d'Amérindiens alors que l'Afrique connaît la plus forte démographie du globe. La fragilité vis-à-vis des maladies d'un côté, la résistance de l'autre expliquent cette évolution."

La véritable histoire de la variole, à l'aide des méthodes d'investigations, archéologiques entre autres, peut de nos jours être connue, en révisant à très fortes hausses les hécatombes causées en Amérique par son introduction. Elle nous montre aussi qu'à l'activité "naturelle" de cette maladie se mêle parfois des considérations tactiques d'extermination de la part d'hommes possédant une certaine connaissance des voies de sa propagation. Ce qui ressort de cet examen de la variole, de la fièvre jaune, de la poliomyélite, de la grippe, du sida, de la fièvre de Lassa, du virus Ebola et du virus Hantaan, objets d'autant de chapitres de cet ouvrage, c'est l'existence omniprésente et parfois décisive de ces micro-organismes au milieu des conflits humains. Si les hommes ont parfois consciemment introduits ces micro-organismes dans leurs conflits, leur activité a souvent des répercussions imprévisibles, ce qui explique par ailleurs la grande réticences des états-majors de défense des principaux pays quant à l'emploi d'armes bactériologiques. Et ces conséquences, non seulement entravent certaines grandes stratégies (l'impossibilité pour les "États-uniens" d'envahir le Canada à une certaine période...), se situent souvent sur le long terme, influant directement sur la démographie de belligérants.

  En conclusion, l'auteur écrit : "Il y aura donc des maladies nouvelles. C'est un fait fatal. Un autre fait aussi fatal est que nous ne saurons jamais les dépister dès leur origine. Lorsque nous aurons des notions de ces maladies, elles seront déjà toutes formées, adultes pourrait-on dire".

Ces quelques lignes prophétique - qui résonnent, pouvons-nous ajouter, fortement en ces temps de coronavirus des années 2019-2020 -, ont été écrites par le prix Nobel de médecine, Charles Nicolle, en 1933. Elles ont un corollaire : face à ces nouvelles maladies, il y aura de nouveaux chasseurs de virus. Qui seront-ils? Probablement, comme dans le passé, ils se diviseront en deux groupes : les hommes de terrain, les "cow-boys" de la virologie, comme les appelle la journaliste Laurie Garrett. Ils seront chargés d'aller traquer les virus jusqu'au fin fond des forêts tropicales. A court terme, ils ont à résoudre le mystère du réservoir du virus Ebola qui, après vingt-cinq années de recherche, n'est toujours pas élucidé.

Le deuxième groupe comprend les chercheurs des laboratoire qui, grâce à l'amélioration permanente des techniques virologiques, pourront établir l'étiologie virale de certains cancers, ou celle de certaines maladies neuro-dégénératives. Des résultats spectaculaires sont attendus dans les années futures. Les traitements à l'aide d'antiviraux et les vaccins constitueront une part très active des recherches à venir. Les remarquables progrès dans le traitement du sida ou des hépatites ouvrent d'extraordinaires possibilités qui étaient totalement inimaginables il y a une trentaine d'années, lorsque les manuels de virologie indiquaient : "il n'existe aucune traitement antiviral".

Face aux scientifiques, il y les virus, les seuls prédateurs de l'homme. Nous avons à plusieurs reprises cité l'exemple des arbovirus : six cent ont été décrits, et nous ne connaissons le pouvoir pathogène que de 10% d'entre eux. Pour la plupart, ils sont présents dans les zones tropicales, mais les facteurs de leur émergence sont progressivement réunis, le transport aérien les rapproche des pays de l'hémisphère Nord. L'exemple du virus West-Nile est très significatif : inconnu du corps médical jusqu'à ces dernières années, il a été introduit depuis peu en Israël, en Roumanie, en Russie et aux États-Unis où il persiste. Combien d'autres virus suivront ce même parcours? Comme l'indique Joshua Lederberg, "le monde est un petit village. Toute négligence dans l'étude des maladies en quelque part de notre planète est à notre propre péril." La collaboration entre les "cow-boys" de la virologie et les biologistes moléculaires offre une exceptionnelle opportunité pour combattre les virus dès leur apparition. Les techniques mises au point dans les laboratoires de l'hémisphère Nord doivent bénéficier aux chercheurs des pays tropicaux ; seule une étroite collaboration Nord-Sud peut permettre de dépister les nouveaux virus dès leur apparition. L'histoire du sida doit être retenue." 

C'est donc uns véritable guerre qui se livre entre l'espèce humaine et différentes espèces virales. C'est ce conflit entre l'espèce dominante de la planète et les différentes espèces aux agents microscopiques, qui a déjà influé dans le cours de l'histoire humaine, qui importe sans doute le plus. Nul doute qu'à trop se focaliser sur ses conflits internes, les hommes peuvent perdre la guerre essentielle...

 

           Écrit dans un style journalistique, cet ouvrage comporte, à l'appui des analyses et des faits exposés, de nombreux éléments bibliographiques.

 

    L'éditeur présente ce livre de la manière suivante (quatrième de couverture) : "Les manuels d'histoire passent sous silence le rôle souvent décisif joué par les maladies infectieuses dans l'évolution des civilisations. Pourtant, ce ne sont pas Cortez ou Pizarro, avec une poignée de valeureux conquistadores, qui ont anéanti les civilisations précolombiennes, mais bien la variole et la rougeole. Les Américains doivent en partie la conquête de l'Ouest à la fièvre jaune qui, en décimant les troupes de Napoléon stationnées en Haïti, ont conduit Talleyrand à offrir en 1804 la Louisiane, terre maudite, à Jefferson. Cette même maladie provoquera l'échec de Ferdinand de Lesseps dans sa tentative de percement du canal de Panama, tandis que la variole empêchait le conquête du Canada par le jeune Etat américain.

A côté de telles informations inédites, le livre de Jean-François Saluzzo décrit également la véritable guerre menée par des scientifiques courageux et opiniâtres contre ces virus qui sont des prédateurs de l'homme. Walter Reed, par exemple, décide de soumettre ses collègues à la piqûre des moustiques soupçonnés d'être les vecteurs de la fièvre jaune. L'obstination se révélera l'un des traits dominants de ces chercheurs : il faudra quarante ans à Jenner pour imposer la vaccination contre la variole et près d'un siècle pour que Gallo découvre le premier rétrovirus humain responsable d'un cancer. Au prix d'une grande persévérance, et souvent au péril de leur vie, d'audacieux virologues identifieront sur le continent africain les pestes de demain : Ebola, Marburg, Lassa. La guerre contre les virus est un récit passionnant d'une réalité qui nous concerne tous."

 

 

    Jean-François SALLUZO, docteur ès sciences, docteur en pharmacie, expert de l'Organisation Mondiale de la Santé, en poste actuellement chez Aventis Pasteur, après avoir travaillé 14 ans à l'Institut Pasteur, est également l'auteur d'autres ouvrages spécialisés dans la question des virus : A la conquête des virus (Belin, 2009), Grippe aviaire, sommes-nous prêts?, avec Catherine LACROIX-GERDIL (Belin, 2006), Les virus émergents, avec Pierre VIDAL et Jean-Paul GONZALEZ (IRD Editions, 2005), La variole (PUF, collection Que sais-je?, 2004), Des hommes et des germes (PUF, 2004), Ces hommes qui ont traqué les virus (Plon, 2002)...

 

Jean-François SALUZZO, La guerre contre les virus, Plon, 2002, 290 pages. 

 

Complété le 2 janvier 2013. Relu le 4 août 2020.

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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 09:01

         L'utilisation de notion aussi générale que l'égoïsme et l'altruisme en sciences naturelles et dans les théories de l'évolution constitue une tendance lourde en matière de vulgarisation scientifique. Il n'est pas sûr que celles-ci gagnent en clarté. Ces notions, issues de la philosophie morale ou de la philosophie tout court, donnent une connotation bien précise de certains éléments constitutifs de l'Évolution. Ceci est bien proche d'un certain anthropomorphisme qui attribue à des constituants de base des qualités qui appartiennent à des niveaux d'organisation bien plus complexes, et qui, de surcroit, opère un jugement moral, qui, s'il n'est jamais absent des considérations scientifiques froides (de manière sous-jacentes), peut fausser la perception de la réalité. 

 

         L'acquisition des connaissances scientifiques est un processus conflictuel : non seulement différentes école ou auteurs se combattent pour faire prévaloir leurs points de vue - et pas seulement dans un combat intellectuel - mais les différentes conceptions en présence font partie de conflits sociaux et/ou économiques et/ou culturels dont elles sont difficilement détachables. Singulièrement dans les moments de changement de paradigmes comme au cours du XIXe siècle. Georges GUILLE-ESCURET nous rappelle qu'au cours de ce siècle, "la connaissance de la nature et la connaissance de l'Homme ont été reliées par une double série de va-et-vient philosophiques et scientifiques dont les nombreuses interdépendances, ou interpénétrations, ont gravement favorisé l'installation de la notion d'altruisme dans un rôle d'intermédiaire primordial entre naturalistes et anthropologues (au sens le plus vague et le plus confus de leur opposition institutionnelle). Les débats qui se sont développés durant les derniers lustres à partir des États-Unis, sous l'impulsion des thèses sociobiologistes, n'ont fait que confirmer cette importance et l'altruisme apparaît aujourd'hui comme la clef d'une extension plus ou moins rapide des compétences du néo-darwinisme dans le champ sociologique."

Cet auteur, anthropologue au CNRS,  fait remonter cet état de fait aux schémas philosophico-politiques de Thomas HOBBES et de Thomas Robert MALTHUS, qui donnent de la vie dans la nature, l'image persistante d'un affrontement permanent et inexorable entre congénères, d'une élimination féroce des "moins aptes" par les "plus aptes" de la même espèce. La constatation de comportements de coopération (jusqu'au sacrifice) dans de nombreuses espèces amène à rebours à formuler l'hypothèse d'un altruisme plus ou moins répandu suivant les espèces. Herbert SPENCER, l'élève dissident de COMTE jette les bases d'une telle hypothèse dans Les bases de la morale évolutionniste (1880) : "Toute action, inconsciente ou consciente, qui entraîne une dépense de la vie individuelle au profit du développement de la vie chez les autres individus, est incontestablement altruiste en un sens, sinon dans le sens ordinaire du mot, et nous devons l'entendre en ce sens pour voir comment l'altruisme conscient procède à l'altruisme inconscient." Au stade élémentaire, celui de la division cellulaire spontanée, l'altruisme et l'égoïsme sont encore, selon Herbert SPENCER, inséparables : la cellule mère se "sacrifie" certes, mais elle "devient" aussi les nouvelles cellules. Les deux principes ne s'opposent concrètement qu'à partir du moment où le dévouement parental s'exerce sur une "individualité autre", reconnaissable comme telle. Le thème de cette individualité traverse toute une partie de la biologie et particulièrement la sociobiologie, comme si l'individualisme généralisé de la civilisation occidentale ne se séparait pas d'une recherche de comportements individuels dans la vie naturelle. Après quoi, la complexité croissante de l'une des tendances  répond directement à la complexité croissante de l'autre. Altruisme et égoïsme sont deux manifestations symétriques de l'égoïsme de l'espèce, qui contrôle la forme et l'intensité de leur expression. "De même, écrit toujours Herbert SPENCER, qu'il y a eu un progrès graduel de l'altruisme inconscient des parents à l'altruisme conscient du genre le plus élevé, il y a eu progrès graduel de l'altruisme dans la famille à l'altruisme social". Ernst HAECKEL (1834-1919), grand inspirateur du darwinisme social, défend des propositions voisines, quoique moins élaborées, dans Les énigmes de l'univers, de 1903. Même si aujourd'hui, les mécanismes invoqués pour soutenir cette conception paraissent simplistes, et même si dans les premières décennies du XXe siècle, le débat sur l'altruisme s'efface, le fond de l'argumentation de nombreux auteurs en sociobiologie reste le même. 

    

         John Burdon Sanderson HALDANE (1892-1964) (The causes of evolution, 1932), dans le développement de la nouvelle discipline de la génétique des populations, suppute que les gènes de l'altruisme ont quelque chance de se multiplier dans une espèce vivant en petits groupes d'individus étroitement apparentés. Inversement, les supports de l'égoïsme seraient favorisés par les brassages internes d'une vaste société. Au cours des années 1960, dans le mouvement du développement des modélisations statistiques de la génétique des populations, de nombreux biologistes, argumentent dans ce sens. John Maynard SMITH (1920-2004) montre une vaste gamme de possibilités nouvelles en suggérant que les comportements altruistes pourraient se répandre à la faveur de phases successives d'isolement et de métissage des populations d'une espèce : cette sélection, dite "interdémique" possède l'avantage de se calculer non plus en fonction de la pression exercée par un environnement immuable, mais en concevant d'une manière plus vraisemblable, des changements plus ou moins cycliques dans le milieu. Différents schémas peuvent alors expliquer la diffusion des traits altruistes. Robert TRIVERS (né en 1943), notamment dans Social evolution de 1985 ou dans Genes in conflict, de 2005, avance une autre éventualité, très différente : celle d'un "altruisme réciproque" entre individus non apparentés, qui aboutit à une augmentation de la valeur sélective chez ceux qui le pratiquent puisqu'ils sont alternativement assistants et assistés.

 

          William Donald HAMILTON (1936-2000) avance en 1964 sa théorie de la "sélection parentale", qui veut couvrir l'ensemble des manifestations naturelles de l'égoïsme, de l'altruisme et de la malveillance. Sa théorie devient l'axe central plus tard de la "nouvelle synthèse sociobiologique" que Edward Osborne WILSON (né en 1929) vulgarise en 1975. Le maître-concept fourni par William HAMILTON est "l'inclusive fitness" (plus ou moins "aptitude globale et "valeur sélective nette") : il entend désigner la capacité propre d'un individu à produire une descendance, plus son concours à l'accroissement de la progéniture issue de sa parentèle, l'unité de mesure étant le gène. Dans son Essai de sociobiologie, L'humaine nature, de 1978, Edward WILSON, dans un chapitre consacré à l'altruisme, effectue la liaison entre les différentes espèces animales (jusqu'à l'homme) dans le comportement qualifié comme tel. "Que l'homme et l'insecte soient capables du sacrifice suprême ne veut pas dire que l'esprit humain et celui de l'insecte - s'il existe - fonctionnent de la même façon. Mais cela signifie qu'une telle impulsion n'a pas besoin d'être qualifiée de divine ou de transcendantale, et cela justifie que nous cherchions une explication biologique plus classique. Il se pose immédiatement aux biologistes un problème fondamental : les héros morts n'ont pas d'enfants. Si le sacrifie de soi entraîne une descendance réduite, les gènes qui sont à l'origine des héros ont toutes chances de disparaître peu à peu de la population. Une interprétation étroite de la sélection naturelle darwinienne aboutirait à cette conclusion : puisque les individus qui ont les gênes responsables de l'égoïsme auront l'avantage sur ceux qui portent des gênes altruistes, on devrait observer aussi, sur plusieurs générations, une tendance des gênes égoïstes à l'emporter, si bien que la population devrait devenir de moins en moins capable de comportements altruistes. Dans ces conditions, comment l'altruisme peut-il se maintenir? Dans le cas des insectes sociaux, il n'y a pas de problème. La sélection naturelle a été élargie à la sélection de parenté. Le termite soldat qui se sacrifie protège le reste de la colonie, y compris la reine et le roi (sic), ses parents. Par conséquent, les frères et les soeurs fertiles du soldat prospèrent, et à travers eux les gènes altruistes sont multipliés par une plus grande production de neveux et de nièces. Il est normal, de se demander si l'aptitude à l'altruisme a aussi évolué chez les êtres humains  par sélection de parenté. Autrement dit, les émotions que nous ressentons, et qui chez des individus exceptionnels peuvent aller jusqu'au sacrifice de soi, proviennent-elles en dernier ressort d'unités héréditaires qui se sont implantés grâce à l'action favorable de parents latéraux durant des centaines ou des milliers de générations?" Conscient des objections qu'une telle argumentation peut soulever, l'auteur poursuit : "Pour prévenir une objection soulevée par de nombreux sociologues, reconnaissons tout d'abord que l'intensité et la forme des actes altruistes ont une origine en grande partie culturelle. L'évolution sociale humaine est, c'est bien évident, plus culturelle que génétique. Il n'en reste pas moins que l'émotion sous-jacente, si manifeste et si puissante chez presque toutes les sociétés humaines, ne peut être attribuée qu'à l'action des gènes. L'hypothèse sociobiologique ne rend donc pas compte des différences qui sont culturelles entre les sociétés, mais elle peut expliquer pourquoi les êtres humaines diffèrent des autres mammifères et pourquoi, de ce point de vue, très particulier, ils ressemblent davantage aux insectes sociaux." L'entomologiste continue en distinguant l'altruisme pur (celui qui lie des parents proches) de l'altruisme impur (qui lie des individus à parenté très éloignée) : "(...) chez les êtres humains, l'altruisme impur a été poussé à des extrêmes fort complexes. La réciprocité entre individus à parenté éloignée ou sans parenté est la clé de la société humaine. Le perfection du contrat social a rompu les anciennes contraintes biologiques imposées par une sélection de parenté très stricte."

 

        Richard DAWKINS (né en 1941), en 1976 (La théorie du gène égoïste) remet en perspective la théorie de l'évolution : l'échelle pertinente à laquelle s'applique la sélection naturelle (ou sélection du plus apte) est celle du gène en qualité de réplicateur, et non l'échelle de l'individu ou de l'espèce.

Ce ne sont pas les individus ou les espèces qui sont sélectionnés en fonction de leur aptitude plus ou moins grande à se reproduire, mais les gènes, unités de base de l'information. Dans cette perspective, les phénomènes d'altruisme entre individus apparentés, qui vont à l'encontre de l'intérêt particulier des individus, aident pourtant à réaliser des copies d'eux-mêmes plus nombreuses dans d'autres organismes à se répliquer. De même, la présence dans le génome de séquences d'ADN qui ne sont d'aucune utilité pour l'organisme est inexplicable dans une vision "classique" de l'évolution, mais s'explique dans la perspective de la théorie du gène égoïste. Il reprend les termes de son argumentation dans Le phénotype étendu en 1982. L'objectif de Richard DAWKINS, dans Le gène égoïste est clairement d'examiner "la biologie de l'égoïsme et de l'altruisme." Il se défend d'effectuer une sorte de conscience morale du gène : celui n'a pas de conscience en soi, mais ses activités tendent à sa reproduction à l'infini dans ce qu'il appelle les machines géniques ou machines à survie (les organismes vivants). l'éthologue, professeur à l'Université d'Oxford, entend montrer que le gène agit suivant une stratégie évolutionnairement stable vérifiable par le comportement qu'il impulse dans ces machines géniques. Dans un va-et-vient parfois un peu lassant - mais qui semble être le propre de ce qu'il veut écrire, un ouvrage de vulgarisation vers le grand public (ce qui était aussi dans son domaine l'ambition de Konrad LORENZ, auquel il se réfère pour démontrer d'ailleurs ses erreurs), entre comportements humains banals où se manifestent soit son égoïsme, soit son altruisme et faits biologiques au niveau de la cellule et du gène, l'auteur veut faire comprendre que les ensembles de gènes n'ont pas un comportement uniquement passif, dans un environnement cellulaire toujours en mouvement. Refusant de se fier uniquement aux phénotypes - c'est-à-dire à la traduction de l'ensemble génétique dans l'environnement, Richard DAWKINS veut tenter de répondre à un certain nombre de questions qui frôlent la philosophie : comment passe-t-on d'une bouillie organique originelle à des ensembles ordonnés, rivaux et actifs au niveau des cellules et quelle est la véritable nature du continuum gène-individu-espèce?. Sans doute le projet est-il très ambitieux, surtout en regard d'une biologie moléculaire qui n'a pas donné loin de là tous les résultats des investigations actuelles. En tout cas, sa théorie a suscité un tel tollé dans le monde scientifique et dans le public en général qu'il doit recourir ensuite à de très longues notes pour préciser ses véritables propos. Dans un dernier chapitre qui reprend ses hypothèses exposées dans Le phénotype étendu (édition française de 1990, la dernière édition aux États-Unis datant de 1989), il écrit : "En résumé, nous avons vu trois raisons pour lesquelles une histoire de la vie en goulot d'étranglement tend à favoriser l'évolution de l'organisme en tant que véhicule discret et unitaire. On peut qualifier respectivement ces trois raisons de "retour à la table à dessin", "tableau de contrôle du cycle" et "uniformité cellulaire". Laquelle a été soulevée en premier, du cycle de vie en goulot d'étranglement ou de l'organisme discret? Il me plait de penser qu'ils ont évolué ensemble. Évidemment, je suppose que le trait essentiel qui caractérise un organisme individuel est qu'il s'agit d'une unité qui commence et finit dans un goulot d'étranglement unicellulaire. Si les cycles de vie prennent la forme d'un matériau vivant en goulot d'étranglement, il semble inévitable qu'ils soient enfermés dans des organismes unitaires et discrets. Et plus ce matériau vivant est enfermé dans des machines à survies discrètes, plus les cellules de ces machines à survie concentreront leurs efforts sur cette catégorie particulière de cellules destinées à convoyer leurs gènes communs pour le goulot d'étranglement jusqu'à la génération suivante. Ces deux phénomènes, les cycles de vie en goulot d'étranglement et les organismes discrets, vont ensemble. A mesure que chacun évolue, il renforce l'autre. Ils se propulsent l'un l'autre, comme ce que ressentent l'un pour l'autre un homme et une femme, au fur et à mesure de l'évolution de leurs sentiments et que se renforce l'attirance qu'ils éprouvent l'un envers l'autre. (...)

(Pour résumer l'idée) "que l'ont peu avoir de la vie au travers du gène égoïste/du phénotype étendu, (je) maintiens qu'il s'agit d'une idée qui s'applique aux choses vivantes partout dans l'univers. L'unité fondamentale, le premier moteur de toute vie, c'est le réplicateur. Un réplicateur est tout ce dont ont fait des copies dans l'univers. Les réplicateurs existent d'abord grâce à de la chance, au mélange hasardeux de particules plus petites. Une fois qu'un réplicateur est né, il est capable de générer un éventail indéfini de copies de lui-même. Aucune procédé de copie n'est toutefois parfait, et la population des réplicateurs en vient à comprendre des variétés qui diffèrent. Certaines de ces variétés s'avèrent avoir perdu le pouvoir de se répliquer et leur espèce cesse d'exister. D'autres peuvent encore se répliquer, mais moins efficacement. Et il arrive que d'autres se retrouvent en possession de nouveaux pouvoirs : elles finissent même par se faire de bien meilleurs réplicateurs que leurs prédécesseurs et que leurs contemporains. Ce sont leurs descendants qui vont dominer la population. Au fur et à mesure que le temps passe, le monde se remplit de réplicateurs puissants et ingénieux. Peu à peu, des moyens de plus en plus compliqués sont découverts pour créer de bons réplicateurs. Les réplicateurs survivent non seulement grâce à leurs propriétés intrinsèques, mais aussi grâce à leurs effets sur le monde. Tout ce qu'il faut, c'est que ces conséquences, aussi tortueuses et indirectes soient-elles, rétroagissent ensuite et affectent le processus de copie du réplicateur. Le succès qu'un réplicateur a dans le monde dépendra du type de monde dont il s'agira - les conditions préalables. Parmi les conditions les plus importantes se trouveront d'autres réplicateurs et leurs effets A l'instar des rameurs anglais et allemands, les réplicateurs qui se font mutuellement du bien vont devenir dominants à condition qu'ils se trouvent en présence l'un de l'autre. A un certain stade de l'évolution de la vie sur terre, cet assemblage de réplicateurs mutuellement compatibles commença à prendre la forme de véhicules discrets - les cellules et plus tard les corps pluricellulaires. Les véhicules qui ont évolué vers un cycle de vie en goulot d'étranglement ont prospéré et sont devenus plus discrets en ressemblants de plus en plus à des véhicules. Ces matériaux vivants emballés en véhicules discrets sont devenus un trait si saillant et si caractéristique que, lorsque les biologistes sont entrés en scène et on commencé à se poser des questions sur la vie, ils se les sont posées surtout au sujet des véhicules - les organismes individuels. ceux-ci sont apparus en premier dans le conscient des biologistes alors que les réplicateurs - à présent connus sous le noms de gènes - furent considérés  comme faisant partie de la machine utilisée par les organisme individuels. Il faut faire un effort mental délibéré pour retourner la biologie dans le bon sens et nous rappeler que les réplicateurs arrivent en premier, aussi bien de par leurs importance que par leur histoire. (...)".

 

         Pour Georges GUILLE-ESCURET, qui s'attache à réfuter de telles argumentations, estime qu'une critique purement technique portant sur l'éventualité de gènes ou de polygènes, associés à un type de comportement altruiste, voire à une attitude altruiste globale, n'est pas décisive : "l'évaluation du nombre de rouages qui séparent la "cause" génétique de l'"effet" comportemental est dans ce débat assez secondaire." Ce qui importe, c'est l'existence d'une telle correspondance. "L'altruisme est un concept produit par une idéologie, il a une valeur indéniable dans notre système de références culturelles (...), mais sa nécessité scientifique ne repose sur aucune preuve, aucun indice exploitable : rien n'indique que l'altruisme ait une signification au regard de la nature. Les modélisations sophistiquées produites à ce jour ne permettent aucunement de conclure qu'il s'agisse d'une loi naturelle, d'un fait biologiquement pertinent, et non pas d'une série artificielle de faits statistiques reconnus à partir d'un ensemble de données hétéroclites. Tout bien considéré, elles nous annoncent seulement que la nature tend - égoïstement, sans doute - à se reproduire elle-même et qu'une population fondamentalement suicidaire a peu de chance d'engendrer un jour une espèce à part entière. Il en faut plus pour transformer un effet obligatoire en cause primordiale."

L'égoïsme ou l'altruisme en biologie est donc à reléguer au rang d'hypothèse inutile. "les sociobiologistes ont transféré purement et simplement une relation psychologique dans un cadre incommensurablement plus large en reconnaissant à celle-ci une omnipotence et la même suprématie qu'ils avaient affirmées dans le premier champ d'application. Moyennant une discrète manipulation, l'axe égoïsme/altruisme se présente comme une réalité métabiologique puisqu'il ne peut plus être disqualifié par aucune détermination biologique (...)".

 

        Sans faire l'impasse sur l'utilisation du terme d'altruisme dans les sciences de l'évolution, Jacques GERVET l'estime valide dans de strictes conditions.

Mais, comme pour tout modèle d'ailleurs, le choix le plus risqué concerne son application à un processus biologique concret : "une telle application postule en effet que sont remplies les conditions de validité qui définissent l'usage correct du terme. L'utilisation est alors formellement parfaite. Il ne s'ensuit pas pourtant qu'elle soit à l'abri de toute dérive, car elle entraîne aisément un certain nombre de connotations, liées à l'utilisation du même terme par une psychologie de sens commun qui lui donne une valeur moralisante. L'étude historique montre que de telles connotations ont pu orienter fortement les débats sur l'évolution."

Le spécialiste en éthologie examine l'établissement du caractère altruiste dans le cadre de la théorie synthétique de l'évolution. Ceci peut comporter deux étapes :

- une étape purement formelle, celle de l'élaboration d'un modèle de sélection qui s'est développé largement depuis Ronald Aylmer FISHER (1890-1962). A chaque trait identifiable (et opposé à un trait alternatif) est associé une valeur de la fitness, mesurée par la contribution qu'il apporte à la production de descendance au sein de la population considérée. la conséquences du principe général précédemment posé est qu'entre deux traits opposés, celui qui a la fitness la plus forte tend progressivement à envahir la population ;

- une étape qui prête davantage à interprétation consiste à distinguer un trait de comportement particulier, définir quel est le trait alternatif et apprécier la composante de fitness que chacun peut apporter à son porteur. Le modèle fishérien peut alors s'appliquer si une relation bi-univoque existe entre la présence du trait et la présence du gène correspondant. On peut alors s'attendre, dans ce cas, à ce que seuls subsistent les traits apportant la plus grande fitness

La part d'arbitraire qui existe dans une telle application du modèle tient à ce qu'il n'est guère possible de déterminer s'il existe une telle relation bi-univoque : deux lignées qui ont coexisté dans la nature au cours d'un processus évolutif ont même toutes chances d'avoir, à chaque génération, différé par plusieurs caractères. Le fait est sans conséquence, au regard du modèle, si les variantes ne se lient pas génétiquement à celles que l'on peut étudier. Mais il en va autrement dans le cas inverse, c'est-à-dire dans les cas de pléitropie (Action d'un gène sur plusieurs caractères apparemment indépendants). Et c'est la troisième condition nécessaire pour appliquer un modèle sélectif, que le trait considéré ne constitue pas le simple corrélat d'un trait ayant lui-même valeur sélective.

   Le modèle de HAMILTON, qui considère que, bien que ne favorisant pas la reproduction de son porteur, le trait contribue indirectement à la transmission du gène correspondant en favorisant la reproduction des autres membres de la population qui en sont porteurs, a conduit à généraliser l'emploi du terme de comportement altruiste, en même temps qu'à l'intégrer dans le modèle général de la théorie synthétique. Il a pour difficulté que quand on veut appliquer le modèle à un problème biologique particulier est qu'on est rarement assuré à priori que toutes les conditions logiques sont effectivement remplies. Jacques GERVET pense que l'application de ce modèle à la vie sociale des Insectes est possible, même si en définitive d'autres modèles peuvent peut-être mieux être utilisé. Mais, en revanche, l'appliquer à l'espèce humaine comporte de sérieux risques. " (...) l'absence de traits de comportements clairement rattachés à un réglage génétique, l'existence d'une transmission culturelle d'une génération à l'autre... suffisent pour exclure l'utilisation, en un sens rigoureux, du concept d'altruisme (...)".  Pour conclure, Jacques GERVET estime que le terme d'altruisme recouvre deux contenus sémantiquement bien distincts, dont un seul a valeur scientifique :

- Un concept, qui ne prend sens qu'à partir d'hypothèses strictes délimitant son champ d'application : dans le cas d'un trait de comportement génétiquement réglé, son caractère altruiste désigne le fait qu'il aide à la reproduction d'un autre individu au détriment de celle de son porteur. Paradoxale au regard des modèles les plus classiques de la sélection naturelle, l'apparition d'un tel trait implique des mécanismes sélectifs nouveaux.

- une notion de psychologie de sens commun, à valeur moralisante, désignant une tendance à "aider" les autres. Toute identification de la notion au concept implique des hypothèses très lourdes à la fois sur l'origine (génétique) du trait de comportement altruiste, et sur la nature de l'aide considérée (aide à la reproduction). Ces hypothèses n'étant sans doute pas fondées, il est illégitime de confondre les deux acceptions dès lors qu'on veut expliquer l'origine du trait de comportement considéré.

 

Georges GUILLE-ESCURET et Jacques GERVET, articles Altruisme, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Edward O WILSON, L'humaine nature, Essai de sociobiologie, Stock,/Monde ouvert, 1979.  Richard DAWKINS, Le Gène égoïste, Odile Jacob, 2003.

 

                         BIOLOGUS

 

Relu le 30 avril 2020

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16 octobre 2010 6 16 /10 /octobre /2010 06:20

              Il existe des livres clés pour comprendre à la fois le monde et l'évolution des idées et L'homme neuronal, de Jean-Pierre CHANGEUX, chercheur dans plusieurs domaines de la biologie, de la structure et de la fonction des protéines, au développement précoce du système nerveux, publié en 1983, en fait partie.

Il fait le tour des nouvelles acquisitions de connaissances qui ont continué (et se sont même accéléré depuis), qui ont donné naissance à un nouveau corpus nommé neurosciences. Destiné à un public en majorité étudiant mais ouvert à un très large public - certains chapitres trop techniques pour certains peuvent dans une certaine mesure survolés, l'ouvrage assez copieux, abondamment pourvu de figures, peut servir d'introduction aux connaissances actuelles en biologie. Il donne en tout cas une vision assez impressionnante des nouvelles connaissances, dont le même auteur effectue en 2008, une nouvelle synthèse dans Du Vrai, du Beau, du Bien. Si l'on veut comparer les deux ouvrages - en mettant de côté le renouvellement des connaissances scientifiques - ce dernier donne une plus grande place aux interprétations philosophiques de l'auteur, induites selon lui par ces nouvelles connaissances. Aussi, c'est comme cela, sans forcément entrer dans une polémique sur la place des sciences biologiques au sens large dans la constitution d'une nouvelle vision de la vie en société ou sur la place de l'homme dans l'univers, que peut se lire L'homme neuronal.                                                                                                                                Pendant toute sa carrière scientifique, Jean-Pierre CHANGEUX est fidèle à une conception moniste du cerveau de l'homme, du niveau moléculaire au niveau cognitif. Il est convaincu que la sélection est à la base de processus vitaux plutôt que l'instruction, et que le cerveau a une véritable activité, qu'il ne se borne pas à répondre aux incitations de l'environnement. Ce point de vue l'oppose à des philosophes comme RICOEUR, qui soulignent entre autres toujours le danger d'une perception de l'homme trop dépendante de l'acquisition récente d'un type de connaissances scientifiques (chose sans doute inévitable, mais dont il importe d'être très conscient et critique...). 

 

 

            Foisonnant, mais moins touffus que l'ouvrage de 2008, L'homme neuronal est une très bonne introduction à ce qui est aujourd'hui regroupé sous le terme de neurosciences, bien plus donc que Du Vrai, du Beau, du Bien, qui entre dans des considérations philosophiques importantes et sans doute nécessaires.

L'auteur examine ce qu'on appelle l'organe de l'âme, de l'Égypte ancienne à la Belle Époque, survol historique des différentes recherches qui fondent la connaissance scientifique, qui se dégage de considérations spirituelles et qui situent le cerveau dans une perspective strictement matérialiste. Le biologiste entre ensuite dans le détail des "pièces détachées", des substrats, qui, assemblés d'une certaine manière, permettent le fonctionnement du cerveau. Dans les chapitres suivants (Les esprits animaux, Passage à l'acte, Les objets mentaux....), il s'agit de comprendre, par de multiples expériences qui mettent en jeu l'électricité cérébrale, non seulement comment se forment les représentations de l'extérieur de l'organisme, mais également, carrément, la conscience. Ses explications dans Les aspects génétiques, qui seront amplement développés plus tard dans le livre de 2008, permettent de concevoir comment se transmettent, de l'appareil génétique aux cellules nerveuses, les modèles de comportements, à travers des expérience notamment sur les embryons humains. C'est ce qui amène l'auteur à l'hypothèse de l'Épigenèse, ou comment l'assemblage du cerveau se stabilise de génération en génération, sous l'effet des modifications environnementales. A l'époque de la rédaction du livre, les données expérimentales concernant ce processus sont minces; Ce qui ne l'empêche pas de proposer comme hypothèse une Anthropogénie, un schéma biologique de transformation du cerveau des primates, tout en soulignant que le mécanismes génétiques qui sont intervenus dans la poussée évolutive qui va de l'Homo habilis à l'Homo sapiens sapiens resteront vraisemblablement longtemps hors d'atteinte. 

 

          A travers des expériences de régénération de cellules du cerveau dans le cas de traitement de maladies "organiques", Jean-Pierre CHANGEUX se propose d'examiner "la relation d'interaction réciproque qui s'établit chez l'homme entre le social et le cérébral" et termine son livre sur une note inquiète à propos de liens dégradés entre l'homme et son environnement. Ces liens dégradés sont-ils en train de dévaster le cerveau humain? S'il prend comme fait marquant l'utilisation de plus en plus fréquente de tranquillisants par les hommes pour continuer tout simplement à vivre et à se supporter, nous pouvons deviner que son propos est plus vaste. Ceci est confirmé à la lecture de Du Vrai, du Beau, du Bien. Si les lecteurs qui se sont précipités sur ce dernier livre ont le sentiment de se perdre un peu dans la richesse des réflexions d'ordre historique, biologique, moral, philosophique... que le praticien et le théoricien des neurosciences y expose, abordant la notion de neuroculture par exemple, nous ne pouvons que conseiller de lire d'abord L'homme neuronal pour s'ancrer dans des connaissances sur le cerveau.

      

          C'est la la nature de la conscience que Jean-Pierre CHANGEUX explore en fin de compte. Vers la fin du dernier ouvrage, nous pouvons lire les différentes étapes de réflexion et d'expérimentation (au niveau des structures cellulaires du cerveau) qui lui permettent d'effectuer une modélisation des fonctions cognitives.

Notons particulièrement à une de ces étapes "l'architecture de base de l'organisme formel proposé repose sur deux principes :

- La distinction de deux niveaux d'organisation : un niveau de base sensori-moteur et un niveau supérieur (...) où se situe un générateur de diversité encodé par des groupes de neurones-règles dont l'activité varie alternativement d'un groupe à l'autre ;

- L'intervention de neurones de récompense - ou de renforcement positif ou négatif - dans la sélection de la règle qui s'accorde avec le signal reçu du monde extérieur (donné par exemple par l'expérimentateur)."  

Par la suite un modèle "plausible des bases neuro-anatomiques de l'espace de travail conscient (...) a pu être proposé. Celui-ce se définit comme un espace de simulation, supramodal, d'actions virtuelles, où s'évaluent buts, intentions, programmes d'action, etc, en référence à l'interaction avec le monde extérieur, les dispositions innées, le soi et l'histoire individuelle, les normes morales et les conventions sociales internalisées sous force de traces de mémoire à long terme."

L'hypothèse fondamentale de ce modèle "est que les neurones pyramidaux du cortex cérébral, qui possèdent des axones longs et sont susceptibles de relier entre elles des aires corticales distinctes et même des hémisphères cérébraux, souvent de manière réciproque, constituent la base neurale principale de l'espace de travail conscient." Jusqu'à la fin du livre, le biologiste abonde en références et de précisions, et veut montrer son attachement à une méthode scientifique stricte, confrontant constamment théories et hypothèses, dans un domaine où les "intrusions religieuses" sont légions. "Tout modèle connexionniste réaliste qui prend en compte le nombre immense de neurones cérébraux et de leurs interconnexions se heurte très rapidement à une explosion combinatoire (qui, soit dit en passant peut-être maîtrisée grâce aux outils informatiques et aux modèles mathématiques mis en place). Il existe des dispositifs cérébraux qui "encodent" cette combinatoire et sont chez l'homme acquis par l'apprentissage. D'où la propriété de "règle épigénétique" qui se construit à la suite de raisonnements, calculs, jugements, etc, et évite d'innombrables et inopérants essais et erreurs, restreignant le nombre de choix possibles dans l'espace de travail conscient. Les conséquences sont importantes en mathématique, en linguistique, en esthétique, en éthique. On peut concevoir la sélection et la mise en mémoire d'une "règle efficace" comme la sélection d'une distribution de connexions, d'états concertés d'ensembles de neurones, transmissibles de manière épigénétique, au niveau du groupe social par un mécanisme d'imitation ou de récompense partagée. C'est évidemment, une donnée de première importance pour qui s'intéresse, comme c'est mon cas, aux relations entre neurosciences et sciences humaines. ce qui nous ramène aux thèmes du vrai, du bien et du beau que nous avons suivis tout au long de cet ouvrage..."

Jean-Pierre CHANGEUX, dans la dernière ligne droite de son copieux ouvrage, examine les fonctionnements très différents à la base d'une neuroesthétique, d'une neuroéthique et des représentations scientifiques. Dans sa conclusion, le chercheur s'appuie sur un texte de René CASSIN de 1972 sur les bénéfices à long terme des découvertes scientifiques, rejoignant en cela toute la démarche des Encyclopédistes du XVIIIe siècle.

 

   L'éditeur présente ces deux livres de la manière suivante : 

- Pour Du Vrai, du beau, du bien : "J'ai écrit ce livre à partir de la matière de mes trente années d'enseignement au Collège de France. J'y traite aussi bien de la culture et de l'art que de la vie en société, de l'éthique et de la signification de la mort : aussi bien des langues et de l'écriture que des bases neurales et moléculaires de la mémoire et de l'apprentissage. Ce livre est une fresque qui rassemble quantité de données diverses, de discussions et d'hypothèses variées. Il ancre le matériau de la science contemporaine dans l'histoire de toutes ces disciplines que sont la neurologie, l'éthologie, la biologie de l'évolution, la biologie du développement, l'étude de la conscience ou encore la psychologie expérimentale et la génomie. Ce livre, enfin, essaie de montrer qu'il nous revient d'inciter sans relâche le cerveau des hommes à inventer un futur qui permette à l'humanité d'accéder à une vie plus solidaire et plus heureuses." J.-P. C.

- Pour L'homme neuronal : ""Quelle chimère est-ce donc que l'homme?, demandait Pascal. Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, que prodige!" Qu'a-t-il donc dans la tête, cet Homo qui s'attribue sans vergogne l'épithète de sapiens? Les sciences du système nerveux nous permettent aujourd'hui de mieux comprendre ce "chaos" et ce "prodige". Elles ont en effet connu, au cours des vingt dernières années, une expansion aussi décisive que celle de la physique au début du siècle, ou de la biologie moléculaire dans les années 50. Un nouveau monde se dessine et le moment parait opportun d'ouvrir ce champ du savoir à un public plus large que celui des spécialistes. Telle est l'ambition de cette somme magistrale qui voudrait faire partager à ses lecteurs l'enthousiasme qui anime les chercheurs."

 

 

        Ces deux ouvrages sont parmi les seuls en France qui font un point solide sur les neurosciences, en tant que connaissances et en tant que nouvelle (?) approche philosophique. 

       Jean-Pierre CHANGEUX (né en 1936), neurobiologiste français, professeur honoraire au Collège de France et à l'Institut Pasteur, a écrit également plusieurs autres ouvrages : Matière à penser (avec Alain CONNES, Odile Jacob, 1989) ; Raison et plaisir (Odile Jacob, 1994) ; Ce qui nous fait penser (avec Paul RICOEUR, Odile Jacob, 1998) ; L'Homme de vérité (Odile Jacob, 2002) ; Le cerveau et l'art (De Vive Voix, 2010) ; Fondements naturels de l'éthique (Odile Jacob, 1993) ; Les passions de l'âme (Odile Jacob, 2006)... A noter aussi, sous sa direction, Gènes et culture (Odile Jacob, 2003) et La Vérité dans les sciences (Odile Jacob, 2003)....

 

Jean-Pierre CHANGEUX, L'homme neuronal, Librairie Arthème Fayard, 1983, collection Pluriel, 379 pages ; Du Vrai, du Beau, du Bien, Editions Odile Jacob, 2008, 539 pages.

 

Relu le 4 mars 2020

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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 12:21

          De nombreuses études, décrites par Farzaneh PAHLAVAN, depuis la parution du compte-rendu des travaux de Patricia JACOBS et de ses collègues (BRUNTON et MELVILLE) en 1965, tentent de déterminer le fondement génétique de l'agression dans la présence d'un chromosome Y (pour l'homme) ou X (pour la femme) supplémentaire dans le patrimoine génétique. Rappelons simplement ici que l'être humain possède 46 chromosomes dont deux (X et Y) déterminent le sexe de l'individu (XY pour l'homme, XX pour la femme).

Pour la plupart des chercheurs qui se sont intéressés à cette approche, les hommes semblent être plus agressifs que les femmes ; la présence de ce chromosome Y supplémentaire les amène donc à penser qu'il y aurait un potentiel d'agression plus important chez les hommes présentant le syndrome XYY. De la même manière, il existe des hypothèses concernant le chromosome supplémentaire X chez les femmes (XXX), qui les rendraient plus agressives.

          Patricia JACOBS et ses collègues présentent donc un rapport sur leurs observations en milieu carcéral et leur rapport a suscité par la suite un nombre assez considérable d'études, aux résultats d'ailleurs contradictoires.

C'est surtout dans les milieux d'établissements fermés (prisons ou hôpitaux psychiatriques...) que ces études sont réalisées et de nombreux auteurs ont surtout relevé des déficiences d'ordre intellectuel et que ce sont ces déficiences qui seraient plus liées à l'incidence plus élevées d'actes criminels. Un examen psychologique plus poussé confirme que l'agression mesurée chez la population XYY ne diffère pas de celle évaluée chez la population XY (surtout en 1976, par WITKIN, MEDNICK, SHULSINGER, BAKKESTROM, CHRISTIANSEN, GOODENOUGH, HIRSCHORN, LUNDSTEEN, OWEN, PHILIP, RUBIN et STOCKING). Depuis la fin des années 1970, l'intérêt porté sur ce syndrome a largement diminué. Néanmoins, le sujet reste d'actualité. Des anomalies, relevées d'ailleurs par les chercheurs précédemment cités; au niveau des activités biochimiques ont pu être signalées chez les individus étudiés. Ces anomalies peuvent intervenir au niveau du contrôle de l'expression de l'agression. B. BIOULAC, M. BENEZECH, R. RENAUD et B. NOEL ont constaté en 1978 une baisse du taux du neurotransmetteur "sérotonine" chez la population XYY mâle. Lorsque le taux est normal la probabilité d'agression semble diminuer.

     D'après d'autres études, les femmes ayant un caryotype XO seraient plus agressives que celles caractérisées par un caryotype XXX ou XX. 

               Heino MEYER-BAHLURG, faisant le tour des différentes expériences réalisées en milieu homme comme en milieu femme en 1981 conclue qu'il n'y a aucune démonstration évidente prouvant l'influence des anomalies de ces chromosomes sur l'augmentation ou la diminution de l'agression, sauf cas extrêmes relativement marginaux.

            Une autre hypothèse sur le chromosome X concerne les hommes caractérisés par un surnombre de chromosome X (XXY). Mais les études révèlent plutôt une certaine insuffisance mentale, ce qui explique qu'ils se trouvent dans des institutions spécialisées.

 

           Les débats sont d'autant plus vifs et confus que l'on s'éloigne des milieux scientifiques à l'oeuvre dans ses études, pour apparaître dans le grand public, tant le mythe du sur-mâle semble répandu.

Il n'est pas d'ailleurs étonnant que des débats actuels mettent plutôt en avant l'agressivité "génétique" des femmes plutôt que celle des hommes, vu les problèmes existentiels des hommes (devant la masculinité ou la paternité...) et la dévalorisation relative, du moins dans certaines parties de l'Occident, de la condition masculine. En bref, résume Jacques GERVET, à propos des résultats bruts - et à supposer que les nombreux biais d'ordre méthodologique n'aient pas pesé trop lourd -, on peut dire qu'ils ont été retrouvé dans de nombreux pays : dans un ensemble de prisons de sécurité, le taux de XYY atteignait 3% de la population, alors qu'il ne dépasse pas 0,1% dans le reste de la population. A propos de ces biais méthodologiques, il faut pointer les méthodes statistiques utilisées : quelles chances comparatives de retrouver les individus XY ou XYY en prison?... La seule façon d'apprécier complètement l'impact d'un tel caryotype serait l'étude longitudinale suivie d'échantillons XY et XYY choisis au hasard. Une telle étude n'a jamais été faite, mais le résultat le plus net dans les différences entre les deux types d'individus semblent être que ceux possédant le caryotype XYY sont de taille plutôt grande et souvent précocement chauve... D'autres différences sont citées et cette diversité d'indices, relevés parmi de nombreuses études qui recherchent bien entendu autre chose indique que la polysomie (augmentation accidentelle du nombre des chromosomes) peut introduire un déséquilibre qui peut réduire les capacités d'adaptation d'un organisme. 

 

               Pour ne prendre qu'une étude parmi celles qui continuent d'alimenter la littérature scientifique sur les liens entre ces aspects génétiques et l'agressivité (la recherche du chromosome du crime semble encore active dans des buts thérapeutiques de prévention de la violence), celle de Alina RAIS, professeur adjoint de psychiatrie de l'Université de Toledo aux Etats-Unis, aux résultats publiés en 2007, est instructive. Il s'agit d'une étude de cas, celle d'un patient âgé de 8 ans, admis en raison de l'augmentation des comportements agressifs et de l'hyperactivité à l'origine de dégâts matériels, et remis après étude aux soins ambulatoires. Il est intéressant de rapporter en intégralité la discussion qu'en fait l'auteur, qui étend son analyse à l'ensemble de nombreux cas précédents. 

"Le polymorphisme clinique du syndrome XYY est bien connu (T. KNECHT, aspects biologique de la délinquance et des agressions, Schweiz Med Wochensh, 1993 et Diego MUNEZ et collaborateurs, Polymorphisme clinique du syndrome XYY, Un Esp Petditr, 1992 - il s'agit bien entendu d'une traduction des titres des ouvrages en anglais). Il y a une grande variation de la clinique, de la nature physique et du comportement. La présence d'une dysfonction cérébrale minime en raison de lésions cérébrales acquises au début et la THADA ont fait pensé à des risques élevés de criminalité.

SCHIAVI et ses collaborateurs (en 1984, Anomalies des chromosomes sexuels, hormones et d'agressivité) ont réalisé une double étude (placebo et sujets XYY) dans un ensemble de 4 591 hommes de grande taille nés à Copenhague. Dossiers sociaux, entretiens individuels et testes projectifs ne mettent pas en évidence chez les hommes présentant l'anomalie génétique des tendances particulièrement agressives. Les hommes XYY présentaient des concentrations plus élevées de testostérone et d'hormone lutéisante (LH) et FSH (hormone folliculo-stimulante) que ceux du groupe témoin apparié : une corrélation forte entre niveau plasmatique de testostérone et gravité des condamnations pénales a été observée. Toutefois, les relations entre le niveau de testostérone et le comportement criminel n'est pas reflété dans les mesures d'agression provenant de l'entretien psychologique et des testes projectifs. Il n'y a aucune preuve que la testostérone spécifique soit un facteur de médiation dans le comportement criminel des hommes XYY.

H. HUNTER (XYY mâles : Quelques aspects cliniques et psychiatriques découlant d'une enquête sur 1 811 hommes dans les hôpitaux pour handicapés mentaux, 1977) a enquêté dans 18 hôpitaux et trouvé 12 hommes avec 47 caryotypes XYY. Les résultats psychologiques, physiques et sociaux ont été étudiés dans des groupes appariés pour le QI (Quotient Intellectuel) et le poids. Les conclusions principales psychiatriques indiquent une intelligence diminuée, un retard dans le développement des caractères sexuels secondaires et un mauvais contrôle émotionnel qui conduisent à des capacités insuffisantes d'adaptation sociale. Une des caractéristiques les plus surprenantes étaient des réponses négatives à des régulateurs d'humeur. Une de nos hypothèses était que la combinaison de plusieurs médicaments dans le cas étudié avait probablement un effet thérapeutique négatif et la prescription de moins de médicaments a eu de meilleurs résultats. Cette étude de cas, à notre avis, enseigne clairement  la complexité des interactions entre les anomalies génétiques et l'environnement."

 

                 Malgré la recherche régulière de méthodes de contrôle génétique de population présentant des risques supérieurs d'agression, l'écart entre la somme des moyens mobilisés dans les différents travaux et les résultats obtenus en terme de prescription reste énorme. La recherche de l'effet des surplus des chromosomes sur les comportements abouti à des impasses qui devraient amener à faire d'autres investissements - en termes d'efforts intellectuels et de moyens déployés - plus sur les conditions psycho-sociales de l'apparition des agressions... Nous ne manquerons pas de compléter ce constat par une interrogation sur les motivations des différents acteurs qui semblent s'obstiner dans cette voie.

 

Alina RAIS, Centre de santé Ruppert, 3120, avenue Glendale, Toledo, Ohio 43165, Etats-Unis, Prieuré Lodge Edication Ltd, 2007. Jacques GERVET, Agression/Agressivité, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Farzaneh PAHLAVAN, Les conduites agressives, Armand colin, 2002.

 

                                                                                                                                                                ETHUS

 

Relu le 5 mars 2020

 

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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 08:59

                   Cette oeuvre (relativement courte) du professeur de neurophysiologie à la Faculté de Médecine de Strasbourg Pierre KARLI (né en 1926), fait partie des ouvrages, entre exposé scientifique rigoureux et vulgarisation exigeante (en direction de spécialistes d'autres disciplines) de travaux par ailleurs extrêmement techniques, ayant une influence certaine sur les conceptions des relations entre biologie et agressivité.

Écrite et diffusée aux débuts des années 1980, elle apporte un éclairage précis à la fois sur la manière dont les biologistes extrapolent les résultats de leurs expériences, des animaux à l'homme (dans un domaine où il serait réellement difficile d'en faire directement sur l'homme...) et sur l'état des connaissances possibles sur les processus physiologiques de l'agressivité (même si l'auteur précisément ne préfère pas utiliser ce terme, à connotation facilement orientable). 

                              

      Divisée en deux parties presque égales, La neurobiologie des comportements : sa problématique et ses problèmes et Les mécanismes généraux mis en jeu dans les comportements d'agression, cette oeuvre commence par un Avant-propos et est dotée d'une très courte Conclusion suivie d'une Bibliographie.

 

       Dans son Avant-propos, Pierre KARLI écrit que "dès lors qu'un spécialiste de neurobiologie des comportements rédige un ouvrage à l'intention des psychiatres, et qu'il est lui-même médecin, il est clair qu'il estime avoir quelque chose à dire sur les fondements biologiques de certains comportements humains. Or, les données concrètes dont il dispose pour illustrer et argumenter son propos proviennent presque exclusivement d'expériences effectuées sur l'animal. Dans ces conditions, deux questions se posent d'emblée : les données obtenues chez l'animal nous aident-elles vraiment à mieux comprendre certains aspects du comportement humain ; et si tel est effectivement le cas, les tentatives d'extrapoler des données de l'animal à l'homme répondent-elles toujours au souci d'objectivité la plus parfaite qui doit être la caractéristique première de toute démarche scientifique?"

Le neurophysiologiste ne prétend pas à l'objectivité parfaite (existe-t-elle d'ailleurs?) et il est essentiel que le spécialiste soit conscient de ses choix et de ses intentions et qu'il les explicite. Dans la perspective qu'il se fixe d'ailleurs, il entend analyser un comportement d'agression "comme l'expression, comme la projection vers l'extérieur, de l'activité d'un substrat nerveux spécifiquement responsable de son déclenchement et de son déroulement" ; et non pas comme une partie intégrante du dialogue que l'individu conduit avec son environnement, en fonction du vécu et des motivations qui lui sont propres. En réalité, l'étude des comportements d'agression et des mécanismes cérébraux qui les sous-tendent, doit nécessairement s'inscrire dans le cadre d'une conception plus globale du Comportement et des relations entre Cerveau et Comportement." Dans la première partie, il s'agit d'expliciter le cadre de cette étude.

 

              Cette première partie se compose de quatre chapitres, sur les relations entre cerveau et comportement, les problèmes posés par l'extrapolation de l'animal à l'homme, les facteurs de motivation et les mécanismes qu'ils mettent en jeu et quelques aspects des comportements d'agression importants à souligner.

          Sur les relations entre cerveau et comportement, après avoir signalé que la démarche du travail scientifique (partir de la plus petite partie pour parvenir à se faire une idée de l'ensemble) est inverse de la présentation de ce travail (donner une vue d'ensemble avant d'aborder les aspects de chaque élément), ce qui ne doit pas faire penser que l'auteur cherche à exposer des a-priori généraux pour seulement les justifier dans le détail.

Pierre KARLI insiste sur le caractère réciproque, et non pas unidirectionnel, de ces relations. "Le cerveau est certes le générateur des comportements, des événements d'une histoire individuelle, mais il est lui-même le fruit du comportement, du dialogue avec l'environnement. En effet, le cerveau humain a été modelé tout au long de l'histoire biologique, évolutive, de l'espèce, qui l'a progressivement doté d'une bonne part de ses moyens d'expression et d'action ; et les modalités de fonctionnement du cerveau individuel subissent les influences structurantes de l'environnement socioculturel qui fournit au cerveau une bonne part de ses motifs d'action, qui dépassent largement, chez l'Homme, les besoins biologiques élémentaires." 

  On peut distinguer dans ce "dialogue" trois étapes successives : la phylogenèse du cerveau humain, l'ontogenèse du cerveau individuel et la constitution des traces mnésiques du vécu individuel.

"Même si beaucoup d'aspects de l'évolution biologique et surtout de ses mécanismes restent assez largement controversés, il n'est pas douteux qu'en ce qui concerne le cerveau, ce soient les contraintes du dialogue avec l'environnement qui constituent le moteur essentiel de l'évolution. A cet égard, il faut rappeler que la sélection porte sur des organismes entiers et sur l'ensemble du patrimoine génétique dont ils sont l'expression, et non pas sur tel ou tel gène individuel", rappel utile en direction de certaines recherches qui voudraient isoler un gène de l'agressivité!  Rappel aussi en direction d'une certaine sociobiologie qui discutent de "gènes égoïstes"... L'évolution concerne notamment le cortex cérébral (développement de gnosies et de praxies de plus en plus complexes). Elle détermine une latéralisation de plus en plus marquée de certaines fonctions (jusqu'à une dissymétrie fonctionnelle plus poussée des hémisphère cérébraux), permettant sans doute une progression plus rapide et plus marquée d'une pensée analytique, logique et abstraite d'une part et d'une pensée plus globale, plus intuitive et plus chargée d'émotions, d'autre part. Enfin, la part prise dans les fonctions motrices de l'organisme par le système pyramidal (constitué par le faisceau pyramidal ou faisceau cortico-spinal avec toutes ses origines corticales, tant prérolandiques que postrolandiques) s'accroît. Avec pour conséquence un contrôle direct de la machinerie motrice (court-circuitage possible des contraintes de programmes pré-cablés) et la possibilité de remaniements de la distribution des neurones. 

Des expériences sur les Rats - privation de certaines stimulations, influence des paramètres auditifs et olfactifs... - ont permis de repérer les interactions avec l'environnement, notamment dans le fonctionnement effectif du système septo-hippocampique. La manière dont évolue les populations des neurones dans telle ou telle partie du cerveau est directement liée aux variations dans l'environnement. 

Le fonctionnement cérébral est largement modulé par le vécu individuel. Certaines expériences indiquent bien que certains comportements sociaux (chez la Souris par exemple) génétiquement préprogrammés requièrent l'influence structurante d'une expérience sociale pour s'exprimer normalement, dans des conditions de cycle veille-sommeil bien précises. Pierre KARLI attire l'attention sur le fait que "dans les recherches de neurobiologie des comportements, les contraintes de la démarche analytique conduisent le plus souvent à comparer entre eux des groupes d'animaux rendus aussi homogènes qui possible, chaque animal étant en quelque sorte désinséré de son vécu individuel". Par ailleurs, les convergences et les divergences de comportements animal et humain sont souvent obscurcies par la distinction insuffisante entre "les moyens d'action dont dispose un organisme grâce à son répertoire comportemental et les motifs d'action qui en déterminent la mise en oeuvre."

                    Les extrapolations de l'animal à l'Homme sont "difficiles et hasardeuses, si l'on met l'accent sur telle ou telle des composantes du répertoire comportemental", notamment en isolant les composantes du comportement agressif de celles qui interviennent dans les autres types de comportement. La neurobiologie ne peut que déterminer ce qui est possible à un organisme mais peut difficilement aller au-delà. C'est un travail sur des virtualités qui s'expriment surtout en fonction de l'état de l'environnement. Un travail aussi sur la probabilité que, face à un signal donné ou à une situation donnée, l'organisme utilise telle ou telle virtualité de son répertoire comportemental. Les facteurs de motivation, dans cette perspective possèdent une très grande importance. "...il est bien évident que la nature de ces facteurs, qui déterminent la probabilité de déclenchement d'un comportement, est étroitement liée à la fonction qu'assure ce comportement en vue d'une fin biologique ou psychobiologique : survie de l'individu (en particulier maintien de l'homéostasie du milieu intérieur, et préservation de l'intégrité physique de l'organisme) ; survie de l'espèce (les individus doivent se reproduire et conduire leur progéniture jusqu'au stade d'une vie autonome) ; réalisation et préservation d'une sorte d'homéostasie relationnelle et affective, grâce aux échanges socio-affectifs qui, à la fois, répondent à un besoin fondamental d'expression et d'interaction et participent largement au maintien d'un certain équilibre d'ordre hédonique".

                      L'efficacité des facteurs de motivation dépendent beaucoup de l'intensité des fluctuations qu'ils introduisent dans le milieu intérieur, que ce soit dans la mise en oeuvre de comportements de recherche et d'ingestion de nourriture ou d'eau, sexuel ou maternel... Pour nombre de comportements sociaux, par ailleurs, les incitations provenant de l'environnement et la signification qui leur est conférée par référence à l'expérience passée, jouent un rôle prépondérant. L'étude des divers types de comportements spécifiques (faim, soif, pulsion sexuelle) peuvent mettre en évidence la mise en jeu d'interactions complexes entre l'hypothalamus latéral et les structures mésencéphaliques du cerveau. Le rôle du système limbique dans la genèse des états affectifs est par ailleurs bien mis en relief. "C'est dans le domaine des comportements socio-affectifs que les lésions limbiques provoquent les changements les plus profonds et les plus durables". Ce système limbique intervient essentiellement dans deux ensembles de processus étroitement complémentaires : les processus grâce auxquels des éléments cognitifs et surtout un contenu affectif spécifique sont associés aux données objectives de l'information sensorielle présente, par référence à l'expérience passée, au vécu individuel et les processus grâce auxquels le cerveau enregistre des "succès" ou des "échecs", lorsqu'il confronte les résultats effectivement obtenus avec ceux qui étaient anticipés lors de la programmation de la réponse comportementale. 

                            Si l'auteur s'étend longuement sur les acquis scientifiques à propos des comportements en général, c'est pour bien montrer que l'organisme réagit aux événements, agit sur l'environnement, d'une manière globale, suivant un déterminisme singulièrement complexe. "La possibilité de déclenchement d'un comportement d'agression face à une situation donnée dépend d'au moins quatre types de facteurs, en plus de ceux qui tiennent à l'état physiologique du moment :

- ceux liés au développement ontologique ;

- ceux qui correspondent à certains aspects de la situation présente ;

- ceux qui découlent de l'expérience passée dans des situations analogues ;

- ceux qui tiennent au comportement de "l'adversaire".

  Pour indiquer combien cette combinaison est complexe, Pierre KARLI relate par exemple l'expérience effectuée sur des Souris : des différences d'origine génétique (sélection progressive de souches agressives et de souches peu agressives) peuvent être masquées, voire inversées, si l'on donne aux animaux agressifs l'expérience répétée de la "défaite" et aux animaux peu agressifs l'expérience répétée de la "victoire". 

 

              Dans la deuxième grande partie sur Les mécanismes cérébraux mis en jeu dans les comportements d'agression, l'auteur examine la Perception de la relation individuelle à une situation potentiellement agressogène et le Choix d'une stratégie comportementale adaptée à la situation. D'emblée, Pierre KARLI indique au début de cette partie qu' "étant donné le nombre et la diversité des facteurs qui participent au déterminisme des comportements d'agression, il ne peut être question - surtout chez les Mammifères les plus évolués, et singulièrement chez l'Homme - de rechercher un quelconque "centre" ou "substrat nerveux" dont l'activation, par un stimulus "déclencheur", se projetterait vers l'extérieur sous la forme de l'un ou l'autre de ces comportements". 

 

               Dans La Perception de la relation individuelle à une situation potentiellement agressogène est étudiée d'abord à travers un cas concret : le comportement d'agression interspécifique Rat-Souris. Ces deux espèces possèdent des aptitudes différentes, notamment sous le regard des capacités olfactives qui jouent toujours un très grand rôle. Le caractère nouveau des odeurs détectées est primordial : c'est bien la familiarité qui constitue en fin de compte le facteur le plus important pour réduire la probabilité de l'agression. Des expériences ont été menées pour savoir jusqu'où irait l'habitude d'agression chez les uns ou chez les autres. Le réactions internes et externes observées montrent que l'on va de réactions émotives à des réactions plus automatiques au fur et à mesure des rencontres... Interviennent de manière égale en ligne de compte dans ces comportements (tueurs) des données objectives de l'observation sensorielles, le niveau de vigilance et la signification de l'observation, suivant les expériences antérieures de l'animal. 

Le Contrôle nerveux de l'attention, de l'excitabilité et de la réactivité émotionnelle est le sujet d'expériences d'ablation de différentes zones du cerveau : bulbes olfactifs, septum, hypothalamus ventro-médian, noyaux du raphé, amygdale et hippocampe pour ne nommer que les zones les plus pertinentes dans la mise en oeuvre des comportements étudiés. Par exemple, "le rôle joué par l'amygdale et par l'hippocampe dans la genèse des réactions émotionnelles est à la fois très particulier et fondamental, puisque ces structures sont profondément impliquées dans les processus grâce auxquels une signification est associée à l'information sensorielle, par référence aux traces laissées par l'expérience passée, de même que dans les processus grâce auxquels cette signification peut être modulée sous l'effet des conséquences qui découlent du comportement. Étant donné que les facteurs expérientiels interviennent largement dans le déterminisme de la probabilité de déclenchement d'un comportement d'agression, il convient de traiter à part le rôle joué par l'amygdale toutes les fois que, face à une situation potentiellement agressogène, il est fait référence à l'expérience passée, au vécu individuel."

Après s'être étendu assez fortement sur les références faites au vécu individuel dans les comportements d'agression, Pierre KARLI examine le rôle joué par des facteurs humoraux. 

 

                Le Choix d'une stratégie comportementale adaptée à la situation, compte tenu des facteurs et des fonctionnements exposés auparavant, est bien du ressort de chaque organisme, pour agir sur une situation pour la modifier "ou plus précisément pour modifier la façon dont elle est perçue ; ou, plus généralement encore, pour atteindre l'objectif que la perception et l'appréciation d'une situation laissent anticiper."

Il s'agit donc, suivant l'espèce considérée, de niveaux différents d'intégration, d'organisation et d'adaptation. Ces niveaux sont définis par la nature des informations qui prévalent dans la genèse et dans la conduite de l'action, et par le type d'élaboration dont ces informations font l'objet. "En ce qui concerne la nature des informations qui prévaut à un moment donné, il peut y avoir prédominance des contraintes internes à l'organisme ou, au contraire, réceptivité prédominante à l'égard des incitations en provenance de l'environnement. Pour ce qui est du type d'élaboration dont ces informations font l'objet, on peut distinguer - en particulier - les trois niveaux suivants :

- Mise en jeu de liaisons qui sont, dans une très large mesure, génétiquement préprogrammées (pré-câblées). Le déterminisme est rigide, et les références à l'expérience passée sont peu importantes, voire inexistantes. Les réponses sont plus ou moins complexes, mais toujours de type réflexe, quasi-automatique, stéréotypé. Ce sont les contraintes internes qui prévalent, qu'il s'agisse des ajustements posturaux ou du maintien de la constance du milieux intérieur.

- Les liaisons entre les "entrées" et les "sorties" ont un caractère beaucoup plus diachronique, car de nombreuses références sont faites au vécu individuel. Les réponses sont plus nuancées, plus personnalisées, et elles visent plus particulièrement à maintenir une certaine homéostasie relationnelle et affective.

- Les informations (...) font l'objet d'une élaboration cognitive plus ou moins poussée, les expériences affectives jouant un rôle "dynamogène" important. cette élaboration cognitive, qui se nourrit aux sources du vécu individuel et de l'apprentissage social, caractérise la vie mentale qui est le propre de l'Homme et qui comporte la pensée réflexive et la communication verbale."

 "Pour qu'un organisme vivant s'insère dans son milieu biologique (...) il faut :

- non seulement qu'à chaque niveau d'intégration et d'organisation les différentes "opérations" (...) se soient normalement développées et fonctionnent de façon normale ;

- mais encore que les passages, les glissements, d'un niveau à l'autre (...) s'effectuent de façon aisée."

"Dès qu'à un niveau donné les différentes opérations ne se déroulent pas de façon aisée (...) les réponses sont souvent exagérément asservie aux informations qui prévalent à un niveau moins élaboré d'intégration et d'organisation. (...) Dès lors qu'intervient l'élaboration cognitive qui caractérise la vie mentale de l'Homme, c'est le contexte socio-culturel (...) qui fournit les repères. Le degré d'adaptation se définit par le degré d'intégration dans ce système socio-culturel. Il se crée ainsi de nouvelles contraintes ; mais, en même temps, se développe une certaine liberté par rapport aux contraintes biologiques. L'Homme peut non seulement inscrire son destin individuel dans le cours de l'histoire de son espèce, mais il peut - pour la première fois dans l'histoire évolutive - en "changer le cours", pour le meilleur comme - hélas! - pour le pire."

Dans ces dynamismes, les processus d'activation, les processus de commutation et les processus de renforcement - qui correspondent à chaque fois à la mise en jeu de parties du cerveau, de circuits intérieurs, d'hormones et de populations de neurones différents - jouent à chaque instant. Les données expérimentales "font clairement apparaître le rôle majeur qui revient à la mise en jeu des systèmes de renforcement dans la genèse et dans l'évolution des états de motivation qui sous-tendent les comportements d'agression."

 

                 Nous reproduisons ici la Conclusion de Pierre KARLI dont l'esprit se retrouve également dans plusieurs de ses autres ouvrages (L'homme agressif, 1987 ; Le cerveau et la liberté, 1995 ;  Violences et vie sociale, 2002 ; Les racines de la violence, 2002, tous ouvrages parus aux Editions Odile Jacob).

 "Qu'il s'agisse des mécanismes cérébraux qui concourent à la perception de la relation individuelle à une situation potentiellement agressogène ou de ceux qui sont impliqués dans le choix d'une stratégie comportementale adaptée, nombreux sont ceux à propos desquels il n'y a aucune raison de penser que le cerveau humain diffère de façon essentielle du cerveau de tout autre Mammifère. Mais il aura été question, à plusieurs reprises, de la "valeur instrumentale" du comportement, c'est-à-dire du fait que le répertoire comportemental dote l'organisme vivant de moyens d'action qui lui sont nécessaires pour obtenir ce qu'il recherche et pour éviter ce à quoi il cherche à échapper. Or, c'est précisément à cet égard qu'il faut souligner une différence essentielle par laquelle l'Homme se distingue de l'animal. Chez ce dernier, ce qui doit être recherché comme ce qui doit être évité correspond pour l'essentiel à des impératifs biologiques innés, génétiquement pré-programmés. Chez l'Homme, l'éventail des besoins - et surtout des "désirs" - s'est singulièrement élargi. Ce qui "vaut d'être recherché" comme ce à quoi il "vaut mieux échapper" ne découle plus seulement des besoins biologiques fondamentaux, mais largement de "systèmes de valeurs" qui fournissent nombre de motivations spécifiquement humaines. Il est banal de dire que l'univers humain est fait de significations. Non pas que le cerveau de l'animal n'associe pas, lui aussi, une certaine signification à tel stimulus ou à telle situation, mais cette signification reste étroitement liée à la satisfaction des besoins proprement biologiques. Chez l'Homme, une histoire culturelle est venue se greffer sur l'histoire biologique de l'espèce, et de nombreuses significations sont tirées du monde des idées et s'attachent aux symboles qui y renvoient. Or, nous savons la force souvent redoutable que recèlent les idées, selon la façon dont elles sont maniées ou manipulées. (...) Qu'on permette à un biologiste de dire qu'à ses yeux, aucune fatalité d'ordre biologique ne saurait jamais être tenue pour responsable de ce que des Hommes se servent de certaines idées pour asservir et avilir d'autres Hommes, et de ce que des idées, potentiellement génératrices de promotion individuelle et de progrès collectif, deviennent des dogmes défendus avec intolérance et fanatisme, devenant par là même potentiellement - ou même effectivement - génératrices des pires déferlements de violence."

 

Pierre KARLI, Neurobiologie des comportements d'agression, PUF, collection Nodules, 1982, 90 pages.

A noter que l'on peut lire de façon complémentaire - c'est-à-dire au même niveau de complexité technique - la contribution de Pierre KARLI dans La recherche en neurobiologie, Editions du Seuil/La recherche, 1977.

 

Relu le 6 mars 2020

 

 

 

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