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24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 15:58

   Le physicien et chimiste français, spécialiste de l'énergie atomique Jean Frédéric JOLIOT, dit Frédéric JOLIOT-CURIE, est également une figure du pacifisme.

   Ayant joué un rôle majeur comme Haut Commissaire dans les débuts de l'exploitation atomique en France dans l'immédiat après Seconde Guerre Mondiale, directeur du centre national de la recherche scientifique (CNRS) de 1944 à 1946, Prix Nobel de chimie 1935, il participe au mouvement pacifiste international en lançant notamment en 1950, l'Appel de Stockholm visant l'interdiction de la bombe atomique.

 

Scientifique de premier plan dans les années 1930

    Frédéric JOLIOT et Irène CURIE travaillent ensemble à partir de 1929 à l'Institut du radium. L'effet de projection de protons (un des constituants fondamentaux de la matière), qu'ils mettent en évidence au début de 1932 est une étape majeure vers la découverte du neutron (autre constituant fondamental) par James CHADWICK en février 1932. Au cours des années suivantes, les découvertes en laboratoire se succèdent, qui aiguillonnent vers la production de radioactivité artificielle. Leur Prix Nobel de 1935 consacre leurs travaux de synthèse de nouveaux éléments radioactifs. JOLIOT se consacre à la construction du premier cyclotron français et entreprend la construction du Laboratoire de synthèse atomique, spécialisé pour la production de nouveaux éléments radioactifs pour leurs applications biologiques et physico-chimiques. Les chercheurs français sont stimulés par la preuve de la fission de l'uranium apportée en janvier 1939 par Otto HAHN et Fritz STRASSMANN. Plusieurs équipes de chercheurs en Europe et aux États-unis se mettent en quête des conditions pour provoquer une réaction en chaîne. L'équipe de JOLIOT dépose le 30 octobre un pli cacheté à l'Académie des sciences sur la possibilité de produire des réactions nucléaires en chaîne illimitée.

Trois brevets déposés milieu 1939 attirent l'attention de DALADIER, Président du Conseil, alors que la France est en guerre avec l'Allemagne, qui décide de classer secret défense notamment le brevet intellectuel de la bombe atomique (brevet n°3). Il met l'équipe de JOLIOT au service du ministère de l'armement de Raoul DAUTRY en novembre 1939. JOLIOT fait jouer ses relations pour entrer en possession de l'ensemble du stock mondial d'eau lourde (185 kilos environ répartis en 26 bidons) et organise pour l'État français un contrat d'approvisionnement en uranium avec l'Union minière du Haut Katanga via les actionnaires majoritairement belges. En juin 1940, des membres de l'équipe, à parenté juive, étant menacé par l'invasion allemande, JOLIOT les envoie en Angleterre pour mettre les découvertes hors de portée, avec le stock d'eau lourde, étant donné que rares sont alors les personnes à comprendre la portée de ces recherches et de ces matériaux. JOLIOT lui-même reste en France.

 

Résistance et discrétion pendant l'Occupation allemande.

     JOLIOT refuse de signer l'ordre de reprise du travail début août 1940 des chercheurs restés en France, malgré la demande directe du général Enrich SCHUMANN et malgré les efforts pour l'en convaincre par l'entremise d'un physicien allemand francophone, Wolfgang GENTNER, qui avait auparavant, en 1933, obtenu une bourse de l'université de Francfort pour travailler à l'Institut du radium. Après que cette bourse ait été supprimée par... le régime nazi, Marie CURIE avait réussit à lui obtenir une nouvelle bourse pour qu'il puisse rester à Paris. Au terme des discussions, un accord se fait pour la remise en route du Laboratoire avec des chercheurs allemands, sous le contrôle de GENTNER, travaillant à la mise en fonctionnement du cyclotron et sur des recherches de physiques nucléaires générales sans visée militaire.

    Selon Pierre BIQUARD (Frédéric Joliot-Curie et l'énergie atomique, L'Harmattan, 2003, réédition du livre de 1961), scientifique et ami de JOLIOT et sympathisant communiste, le savant français figurait dans le comité du Front national universitaire fondé à l'appel du Parti Communiste clandestin en juin 1941 et il aurait remis à Pierre VILLON, responsable du Front national, son adhésion au PCF, adhésion qui ne fut rendue publique qu'à la fin août 1944. Mais selon Pierre VILLON, ce dernier n'aurait reçu l'adhésion de JOLIOT qu'en avril 1944, au moment où celui-ci passait dans la clandestinité. En novembre 1942 déjà, VILLON avait proposé à JOLIOT la présidence d'un comité directeur du Front national.

   il prend part en août 1944 à l'insurrection de Paris contre l'occupation allemande (inventeur d'une sorte de cocktail Molotov "Joliot-Curie", composé de trois éléments faciles à trouver à l'époque, cocktail facile à utiliser contre les chars allemands). Le Front national le délègue à l'Assemblée consultative provisoire, où il ne siège que jusqu'en février 1945, à cause de ses autres activités.

 

Directeur du CNRS, puis activiste pacifiste

    Directeur du CNRS d'août 1944 à février 1946, il participe en 1945 à la fondation du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), dont il est nommé Haut  Commissaire par le général de GAULLE. En 1948, il supervise la construction du premier réacteur nucléaire français, la pile Zoé.

   En avril 1950, il est révoqué de son poste de Haut Commissaire du CEA par le président du Conseil Georges BIDAULT sans explications, mais probablement en raison de sa forte implication dans la diffusion de l'Appel de Stockholm et de ses sympathies envers le PCF (mal vu des Américains en pleine guerre froide). Entre autres, il déclare au cours d'un meeting d'avril 1950 : "Les savants communistes et progressistes ne donneront pas une miette de leur savoir pour la bombe atomique".

Membre du PCF depuis 1942, membre du Comité central en 1956, il apparait souvent lors des meetings publics. Président du Conseil mondial de la paix de 1949 à 1958, il lance en 1950 l'Appel de Stockholm visant l'interdiction de la bombe atomique. Il fait ensuite partie des signataires du manifeste Russel-Enstein.

   L'Appel de Stockholm, pétition contre l'armement nucléaire, lancée par le Mouvement mondial des partisans de la paix et par Frédéric JOLIOT-CURIE le 19 mars 1950, est le point de départ d'une vaste campagne, alors que débute en juin la guerre de Corée, point culminant de la guerre froide. Cette campagne rencontre un véritable succès populaire, recueillant officiellement 15 millions de signatures en France, et consolidant du coup la place hégémonique du PCF dans le paysage pacifiste de ce pays, mais ne se traduit pas en une organisation de masse durable. Son contenu est bref :

"Appel

Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations.

Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction.

Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.

Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel."

 

Une place importante à la fois dans la recherche nucléaire française et dans le pacifisme contre la Bombe...

   On peut penser qu'avec ce savant on atteint une pleine duplicité dans l'attitude de la mouvance communiste. Mettre la Bombe hors la loi est-il compatible avec la position même du Grand Frère (PCUS) qui fait participer la "patrie du communisme" à la course aux armements nucléaires?

En fait, dans le paysage pacifiste français, la mouvance communiste s'insurge d'abord contre le "pacifisme tarte-à-la-crème qui se déchaîne depuis Hiroshima". Là, le PCF peut s'appuyer sur une opinion publique chez qui ce déchaînement n'a pas atteint son but. Bientôt, en misant sur une divergence entre Paris, Londres et Washington, le PCF croit pouvoir obtenir du gouvernement français l'engagement de ne pas entreprendre la fabrication de l'arme atomique afin de faire de la France le héraut du refus des blocs, susceptible de prendre la tête d'une campagne pour l'interdiction de l'atome militaire. En septembre 1947, trois ans avant l'Appel de Stockholm, France d'abord formule l'exigence de l'heure : "La bombe atomique doit être mise hors-la-loi". Un Front commun avec les socialistes semblent un temps se dessiner, mais la dynamique de la guerre froide, jointe au climat social à l'intérieur de la France (grèves importantes, agitations en métropole et dans les colonies) l'emporte. Et dans l'appareil où Charles TILLON est évincé, alors qu'il avait été chargé de le former, de l'organisation de masse devant orchestrer les campagnes pacifistes au profit de Laurent CASANOVA qui a plus la confiance du Parti, la confiance entre socialistes et communistes se délite.

JOLIOT-CURIE, dans ce contexte, met les points sur les i, lors d'un déjeuner de la presse américaine le 5 janvier 1949 : un chercheur communiste ne saurait participer à un programme nucléaire militaire d'une puissance étrangère quelle qu'elle soit. Le bureau politique du PCF même, embarrassé par cette position, semble alors rappeler que l'URSS n'est pas une puissance étrangère comme une autre. Il existerait pour la classe ouvrière un patriotisme soviétique extraterritorialisé. On mesure la tension qui peut exister chez le savant entre sa fidélité au communisme et sa volonté de promouvoir avant tout les applications civiles de l'énergie atomique. Dans les rhétoriques déployées en France, bien plus qu'ailleurs, il y a bien un fossé de plus en plus large entre ceux qui estiment que toute attaque antisoviétique est un symptôme de l'agressivité militaire occidentale, donc américaine et ceux qui pensent pouvoir tenir bon, avec le mot d'ordre d'abolition complète de l'atome militaire... Il y a aussi un flottement dans les rangs communistes même (qui se lit dans les pages de L'Humanité) et beaucoup trouve à l'Appel de Stockholm le ton d'une trouvaille publicitaire, alors même que l'Union Soviétique cherche à faire reconnaitre son statut de puissance nucléaire... Si les signatures affluent, l'ambiguïté même des porteurs de l'Appel fait qu'il est pratiquement sans lendemain... L'illusion que par cet Appel, par ailleurs, toute la mouvance communiste pourrait rejoindre la défense d'un monde sans armes atomiques est vite balayée. Et nombre de sympathisants, de compagnons de route du PCF, sans compter que l'on entre dans une période d'exclusions des rangs du Parti, s'en détournent. La guerre d'Indochine achève d'ailleurs de diviser le mouvement pacifiste. L'offensive idéologique de la mouvance pacifiste communiste vers les chrétiens subit d'ailleurs le même sort. Et le journal Témoignage Chrétien porte un coup sensible au PCF, en partie précisément en mettant en relief cette grande duplicité (présente à la fois sur la Bombe et sur la Paix en Indochine).

Dans ce contexte, il n'est pas étonnant que la figure de Frédéric JOLIOT-CURIE, une fois le feu d'artifice de l'Appel de Stockholm éteint, n'ait plus guère de place dans le paysage pacifiste français.

Et ce, d'autant plus que le mouvement Paix et Liberté, créé dès 1951, répond, avec de grands moyens lui aussi à la propagande diffusée par le PCF. Ce mouvement, en réponse même à l'Appel de Stockholm, fondé par Jean-Paul DAVID, député-maire radical de Mantes et secrétaire général du RGR, dispose d'un apport de fonds américain considérable. Paix et Liberté fait partie de ces organisations anticommunistes qui se propagent alors sur le continent. L'organisation obtient le soutien de René PLEVEN, président du Conseil ainsi que de nombreux hommes politiques de l'époque. L'existence de cette organisation s'arrête en 1956, en raison... du dégel alors des relations internationales.

 

Frédéric JOLIOT-CURIE, La Constitution de la matière et la radioactivité artificielle (après de nombreux ouvrages traitant des radio-éléments), 1937 ; Un plan USA de mainmise sur la science, 1953 ; Cinq années de lutte pour la paix, 1954 ; La Paix, le désarmement et la coopération internationale, 1959 ; Oeuvres scientifiques complètes de Frédéric et Irène Joliot-Curie, 1961.

Michel PINAULT, Frédéric Joliot-Curie, Odile Jacob, 2000.

Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

 

 

 

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 08:36

   Vo Nguyen GIAP est un général et homme politique vietnamien communiste. Chef de l'Armée populaire vietnamienne pendant la guerre du Viet Nam, il est le seul chef militaire ayant vaincu à la fois l'armée française, l'armée américaine et l'armée khmer rouge. Il a combattu également l'armée japonaise (août 1944)

Il contribue à faire de son pays la première puissance militaire du Sud-Est asiatique.

Le général Vo Nguyen GIAP est entré dans l'histoire militaire et les études militaires et stratégiques de son vivant. Admiré par ses amis et ennemis, dont le général français Raoul SALAN et le général américain William WESTMORELAND. Autodidacte et militant sur le terrain, il n'a suivi les cours d'aucune académie militaire.

 

 

Communiste et stratège militaire

     Participant à des manifestations nationalistes en 1930, il est emprisonné à Poulo-Condor durant plus de deux ans. Puis, enseignant en histoire dans un lycée, il rejoint le Parti Communiste vietnamien (1934). Il collabore alors avec Pham Von DONG dans le cadre de publications de propagande et publie un livre sur la question paysanne (en collaboration avec Truon Chinh) saisit par les autorités coloniales. En 1939, il se rend en Chine où il rencontre Hô Chi Minh. Deux ans plus tard, le Viet-minh est créé. Durant la guerre, GIAP forme le noyau de ce qui deviendra l'armée populaire du Viet-nam.

Après la proclamation de l'indépendance à Hanoï par Hô Chi Minh en 1945, GIAP est brièvement ministre de l'Intérieur, mais les hostilités commencent bientôt avec la volonté française de reprendre pied en Indochine. Il devient ministre de la Défense en 1946.

Après l'échec du soulèvement de Hanoï (décembre 1946), il abandonne les villes et les voies de communication, sauf à entretenir la guérilla urbaine pour fixer des forces adverses, et concentre ses efforts sur les campagnes. Ce n'est qu'en mai 1949, considérant que le "guérillaisme" n'est pas une fin en soi, qu'il se sent assez fort pour combiner guérilla et guerre mobile, et remporte un succès important à Cao-Bang qui lui permet d'organiser dans le Nord du pays une base solide faite de positions éparpillées souvent souterraines et peu vulnérables à l'aviation. Il y organise une école de cadres. L'armée vietnamienne, efficacement soutenue par l'URSS et la Chine populaire, consiste en milice pratiquant cette guérilla, troupes provinciales assurant les liaisons et unités régulières.

De manière générale, après la réoccupation française du Viet-nam, GIAP se réfugie le long de la frontière chinoise, au Viet Bac, et entame une guerre de partisans fondée sur un patient travail de mobilisation politique. Jusqu'en 1949, les forces contre-insurrectionnelles accrochent rarement le Viet-minh, et GIAP parvient à détruire le réseau de postes fortifiés français le long de la frontière. Cependant, la bataille pour gagner la sympathie et le soutien de la population continue.

La guerre prend une nouvelle dimension avec l'arrivée du général de LATTRE DE TASSIGNY (1950) comme commandant en chef des forces françaises. Les troupes du Viet-minh sont battues lorsqu'elles tentent, en 1951, d'investir le delta du fleuve Rouge. Ce qu'il envisage alors comme la troisième phase de sa stratégie, la conquête du sol échoue donc.  GIAP se retire et revient à la tactique de guérilla, tout en créant les conditions militaires pour un éventuel choc frontal, améliorant progressivement le niveau des armements et la capacité logistique.

La bataille de Diên Biên Phû, destinée à entrainer les forces du Viet-minh dans le piège du choc frontal, est, après bien des hésitations, acceptée par les forces communistes. Compte tenu des capacités logistiques du Viet-minh, de son artillerie et du moral extrêmement élevé des troupes, Diên Biên Phû, rapidement privé d'un terrain d'aviation et encerclé, se termine en désastre pour les troupes commandées par le général de CASTRIES (1954). GIAP a pensé cette offensive dès octobre 1952 et cette bataille, au cours de laquelle il dissimule habilement à l'aviation adverse l'acheminement à travers la jungle de matériel lourd, en est l'aboutissement, après bien des tassements sur le terrain.

Après l'indépendance du Viêt-Nam, partagé en deux le long du 17ème parallèle, GIAP devient ministre de la Défense de la République du Viet-Nam du Nord. A partir de 1965, l'armée du VietNam du Nord sert de soutien au Front National de Libération (FNL) qui lutte pour chasser le gouvernement pro-occidental du VietNam du Sud et ses alliés américains. Les méthodes sont à peu près les mêmes que dans la guerre contre les Français. GIAP reste le stratège de cette nouvelle guerre, même s'il laisse un rôle de plus en plus important aux généraux qu'il avait formés, dont Van Tien Dung qui s'empare de SaÏgon.  Il paraît en effet en perte de vitesse en 1971 et en 1975 - le commandant en chef est Van Tien Dung qui dirige la campagne, provoquant la chute de la capitale du VietNam du Sud. GIAP cesse d'être ministre de la Défense en 1980 et se retire du Politburo en 1982, mais occupe une place très prestigieuse au Viet-Nam.

 

Une oeuvre axée sur la guérilla populaire

  Les écrits militaires du général GIAP paraissent moins originaux que ceux de Mao Zedong. Cependant, en tant qu'organisateur et logisticien, il peut être considéré à la fois comme un remarquable militaire et un symbole de ce qu'une nation, sous la direction d'un noyau organisé et convaincu, peut accomplir à condition d'être convenablement motivée. De surcroît, au delà- de la violence armée, il ne perd jamais de vue, comme tous les "marxistes-léninistes", le but ultime de la stratégie militaire.  (BLIN et CHALIAND).

En bon marxiste, il estime que la guerre est la continuation par les armes de la lutte politique, sociale, culturelle et économique contre les colonisateurs, au premier chef français, et prône toujours une stratégie du temps et de l'espace destinée à lasser l'adversaire.

 

Vo Nguyen GIAP, Guerre du peuple, armée du peuple, Paris, Librairie François Maspéro, collection Cahiers Libres, 1966 ; Guerre de libération, Éditions sociales, Paris, 1970 ; Guerre du peuple contre guerre aéro-navale, Éditions en langues étrangères, Hanoï, 1975 ; Mémoires 1946-1954, en trois tomes, Éditions Anako, 2003-2004.

Peter MACDONALD, Giap - The Victor in Vietnam, New-York, 1996.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. André CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988.

 

P.S. Comme d'habitude dans la transcription des noms asiatiques en français, les orthographes peuvent varier d'un ouvrage à l'autre.... et les claviers ne rendent pas justice de leurs subtilités.

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19 janvier 2019 6 19 /01 /janvier /2019 11:02

    Robert JOSPIN est un enseignant et un militant socialiste, pacifiste et libertaire français. Secrétaire général adjoint des Unions chrétiennes de jeunes gens dans les années 1930, son pacifisme intégral le place dans la mouvance de la Ligue de pensée française de René CHÂTEAU et du journal Germinal pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il rejoint après la guerre, après avoir été exclu de la SFIO à la Libération, les milieux pacifistes, pour, dans les années 1960 participer à la fondation de l'Union Pacifiste de France.

    Il fait partie de ces socialistes qui, traumatisés par la Grande Guerre, sont devenus des pacifistes inconditionnels, au point d'accepter pendant longtemps le régime de Vichy, ce qui ne l'empêche pas, ensuite, d'aider les résistants (Michel TAUBMANN, voir le vrai roman de Dominique Strauss-Khan, Éditions du Moment, 2011). Il se trouve constamment pris entre ce pacifisme intégral et une adhésion aux idéaux socialistes (tendance planiste). Sans compter l'ambiance générale dans une grande partie de l'intelligentsia française  qui fait préférer le fascisme au communisme, tombant souvent dans les pièges de la propagande nazie justificatrice du Grand Reich.

Son anticommunisme guide beaucoup ses choix politiques jusqu'à la fin de sa vie politique.

 

Première guerre mondiale, le traumatisme de la guerre

    Juste après avoir été mis au travail à treize ans, lors de la Première guerre mondiale, les Allemands entrent à Saint-Quentin où il réside. Sous occupation, l'activité industrielle est à l'arrêt et il doit trouver des petits boulots pour aider sa famille. Évacué par les Allemands vers la Belgique lorsque l'offensive du général NIVELLE est déclenchée en 1917, il est confronté aux soldats morts au bord du chemin, aux corps mutilés et sanglants, aux horreurs de la guerre. Ce souvenir ne le quittera jamais. En 1918, sous l'influence d'une foi renaissance et précisément d'un pasteur, il décide de devenir pasteur.

Protestantisme, socialisme, pacifisme libertaire

   Tenté un moment par le pastorat protestant, Robert JOSPIN se consacre aux Unions chrétiennes des jeunes gens, organisation de jeunesse protestante.

Les UCJG, apparus dans les années 1850 dans les régions protestantes, sont le produit du Réveil protestant et du Piétisme. Centrées d'abord sur les domaines intellectuels (bibliothèques, cours du soir, théâtre), elles investissent le domaine du plein air (camping, scoutisme, randonnée) à partir du début du XXe siècle. Elles s'insèrent au niveau mondial dans le mouvement des YMCA. En 1909, l'Alliance nationale accueille pour la première fois des réfugiés et apportent pendant la Grande Guerre confort et réconfort aux soldats alliés. En 1939, avec d'autres mouvements de jeunesse protestants, elles fondent la Cimade (Comité InterMouvement d'Aide aux Évacués).

Adhérant en 1924 à la SFIO (tendance planiste de Georges ALBERTINI), il se rapproche ensuite du courant pacifiste dont le leader est Paul FAURE. Anticommuniste, il est candidat (malheureux) aux élections législatives de 1936.

Avant même d'adhérer à la SFIO, il croise André GIDE et de sa rencontre avec Victor MÉRIC et Roger MONDIN dans ces années 1920 naît sa collaboration à la presse libertaire : La Patrie humaine, Le Réfractaire, Le Libertaire... Il côtoie Hans RYNER. Il rédige l'article Sécurité pour l'Encyclopédie anarchiste initiée par Sébastien FAURE, entre 1925 et 1934.

Dans les années 1930, il est actif aux côtés de Victor MÉRIC, Roger MONCLIN, Jeanne HUMBERT, René DUMONT, Claude JAMET, au sein de la Ligue Internationale des combattants de la paix (créée en 1931) dont le mot d'ordre est "Non à toutes les guerres". En 1939, il en devient secrétaire général. Orateur de talent, il multiplie les conférences (4 à 5 par semaine) et les articles dans La Patrie humaine, qui déclare "la guerre à la guerre". S'affirme clairement cette conviction qui ne le quitte jamais que la paix est un objectif absolu. Grâce à ses orateurs, la LICP sait se faire entendre, notamment par l'usage des moyens modernes, y compris radiophoniques. Elle sait aussi recourir à des formes de désobéissance civile, notamment lors des exercices de défense passive qu'elle juge empreint (comme le PCF d'ailleurs) de visées bellicistes. La LICP se prévaut du patronage prestigieux de personnalités comme Albert EINSTEIN, Stefan ZWEIG et Georges DUHAMEL, sans compter Romain ROLLAND, même si les événements mettent ensuite à mal la possibilité d'une pareille cohabitation.

 

Difficiles années de la Seconde Guerre mondiale...

   Son pacifisme intégral le place dans la mouvance de la Ligue de pensée française de René CHÂTEAU et du journal Germinal.

La Ligue de pensée française est un organisation néo-pacifiste qui fonctionne ouvertement avec l'autorisation des services allemands. Hostille à Marcel DÉAT, elle est proche de Pierre LAVAL. Elle attire ceux qui sont rebutés par l'alignement systématique du Rassemblement national populaire sur le parti national-socialiste allemand. Elle ne défend pas l'idéologie fasciste mais soutient la politique de Pierre LAVAL, qui trouve toujours le soin de se ménager quelques appuis parmi les anciens socialistes pacifistes dans ses combats contre l'amiral DARLAN et contre l'entourage maurrassien du maréchal PÉTAIN. C'est entre autres à travers le LICP que Pierre LAVAL entretien des liens avec la mouvance pacifiste. Le régime de Vichy ne répugne pas à puiser dans ce vivier des compétences pour conforter son pouvoir. 

En 1942, pour avoir aidé des résistants, Robert JOSPIN subit une perquisition suivie d'une courte arrestation, sans suite, mais comme beaucoup d'intellectuels français à cette époque, il est très surveillés par les services allemands.

En avril 1944, l'ambassade d'Allemagne lance une nouvelle publication, Germinal (qui porte le bandeau Hebdomadaire de la pensée socialiste française), destinée à fédérer certains "collaborateurs de gauche". Presque tous ses rédacteurs sont des enseignants et d'anciens membres de la SFIO passés par le pacifisme. Cette publication ne dure que quinze numéros et il ne semble pas que Robert JOSPIN ait donné d'articles à ce journal (mais l'information reste à vérifier...). Il s'en éloigne de toute façon assez vite.

 

Une difficile vie politique et la fondation de l'Union Pacifiste de France

    Exclu de la SFIO quelques semaines après la Libération, il rejoint le Parti socialiste démocratique de Paul FAURE, lui aussi exclu, qui s'efforce de rassembler les exclus socialistes. En 1948, il prend position contre le colonialisme dans la presse libertaire.

Il renoue franchement avec les milieux pacifistes et, en 1951, participe à la fondation de la revue du Comité national de résistance à la guerre et à l'oppression (CNRGO), La Voie de la Paix (avec Félicien CHALLAYE, Émile BAUCHET...), laquelle accueille et soutien, plusieurs années durant, l'ancien déporté Paul RASSINIER, futur "père" du négationnisme français. En 1961, il est parmi les fondateurs de l'Union Pacifiste de France, partisan du désarmement unilatéral et de l'objection de conscience.

Réintégré en 1955 à la SFIO, au moment de la guerre d'Algérie, il soutien une politique de maintien de la présence française (contrairement à son fils, Lionel JOSPIN, qui d'ailleurs n'adhère que peu à ses vues générales). Au Congrès fédéral de février 1956, il devient secrétaire-adjoint de la fédération de Seine-et-Marne (secrétaire en 1958 et 1959), et est candidat socialiste SFIO aux élections législatives dans l'Indre.

Sur le plan professionnel, en 1950, il est directeur d'une école spécialisée qui s'occupe de la jeunesse délinquante, poste qu'il occupe jusqu'à sa retraire en 1966.

 En 1965, toujours très anticommuniste, il quitte la SFIO lorsqu'elle celle-ci appelle à voter François MITTERRAND aux élections présidentielles. En 1978, il adhère au Parti socialiste démocrate, mais en démissionne en janvier 1985, lorsque ce dernier fusionne avec le Parti social-démocrate, l'un des composantes de l'UDF.

En définitive, il dépense plus ses énergies au combat pacifiste, malgré une certaine dispersion, qu'à une carrière politique.

Ses nombreux écrits sont surtout des articles des différents journaux auquel il a collaboré, sans compter les multiples pétitions et appels...

 

Robert JOSPIN, La Question coloniale, Défense de l'homme, n°1, octobre 1948 ; Article Sécurité, dans Encyclopédie anarchiste, texte intégral dans le site encyclopedie-anarchiste.org.

Jean-Pierre BIONDI, La mêlée des pacifistes : 1914-1945,  La Grande Dérive, Maisonneuve et Larose, 2000. Yves SANTAMARIA, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

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17 janvier 2019 4 17 /01 /janvier /2019 10:45

   Le sociologue français Alain TOURAINE centre ses recherches sur l'action sociale et les nouveaux mouvements sociaux. Directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS), depuis 1958, il participe à la fondation de la revue Sociologie du travail.

    Après des études à l'École normale supérieure en 1945, il cherche à fuir le monde clos universitaire français, et part en voyages en Hongrie, en Yougoslavie avant de vivre l'expérience de la vie de mineur à Valenciennes (1947-1948). Cet engagement l'oriente vers une réflexion sur l'industrie, le travail et la conscience ouvrière. Influencé par les recherches de Georges FRIEDMANN (notamment Les problèmes du machinisme industriel), il retourne à l'École normale pour y passer son agrégation d'histoire (1950). Il intègre alors cette même année le Centre d'études sociologiques dirigé par les deux Georges FRIEDMANN et GURVITCH. Séjournant aux États-Unis (Harvard) et au Chili (son attachement à l'Amérique latine est l'occasion plus tard de projets de recherches), il approfondit ses connaissances en sociologie. Il quitte le CNRS pour l'École des Études en Sciences Sociales où il donne la mesure de son travail de recherche.

De sa thèse de doctorat "Sociologie de l'action" (1964) et de sa thèse complémentaire "La conscience ouvrière" (1966), à son oeuvre maitresse Production de la société (1973), il tire des éléments pour son étude des mouvements sociaux et met en place les cadres de sa méthode d'intervention sociologique. Il se livre également à une analyse complémentaire de la modernité.

Constamment, il se place dans la condition de baigner dans le monde qu'il étudie sans s'enfermer dans l'académisme universitaire. Notamment, en 1981, il se rend en Pologne pour étudier de près le mouvement Solidarnosc. Il reste engagé politiquement, par exemple en 1989, où il signe avec René DUMONT, Gilles PERRAULT et Harlem DÉSIR, un manifeste pour une laïcité (Politis, 9 novembre), en pleine affaire des élèves voilées et du foulard "islamique". Membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence, il est membre par ailleurs du comité d'orientation scientifique de l'association A gauche, en Europe, fondée par Michel ROCARD et Dominique STRAUSS-KAHN.

   Bien que proche de Talcott PARSONS à ses débits, il ne s'inscrit pas dans la perspective fonctionnaliste. Il s'oppose tout autant au structuro-marxisme de Louis ALTHUSSER. Les grands auteurs qui pensent le travail influencent grandement sa pensée : Karl MARX bien sûr, Georges FRIEDMANN directement (notamment par l'ouvrage les problèmes humains du machinisme industriel), mais aussi GURVITCH et PARSONS, sans compter l'influence de Max WEBER et d'Émile DURKHIEM qui lui permet de ne pas tomber dans l'économisme. Également, il s'inspire des travaux de Jean-Paul SARTRE et de Claude LÉVI-STRAUSS.

 

L'actionnalisme

    Produit des travaux d'Alain TOURAINE et de ses collaborateurs au fil des ans, l'actionnalisme n'est pas une théorie générale (au sens parsonien), qui serait opposable par exemple à la théorie marxiste, mais plutôt une démarche sociologique visant à mettre le sociologue en position d'entreprendre des analyses. Si la théorie générale reste un objectif, on assiste ouvrage après ouvrage à une lente maturation : il n'y a donc pas d'exposé systématique à y rechercher. Dans sa pensée évolutive, l'auteur et son équipe opèrent quelquefois des glissements de sens des concepts utilisés d'un ouvrage à l'autre. On a pu écrire que sa pensée était d'un abord difficile, surtout si l'on recherche une vision globale. La pensée d'Alain TOURAINE (certains aiment bien utilisé le mot tourainienne ; on a pu lire ce que nous pensons de l'abus des ismes...) repose sur six ou sept concepts fondamentaux étroitement reliés, et quelques autres d'importance secondaire aux liens plus distendus. Le lecteur retrouve au fil des ouvrages ces concepts : l'historicité, le système d'action historique, les rapports de classes, le système institutionnel, l'organisation sociale et les mouvements sociaux, auxquels s'ajoute ultérieurement le Sujet.

   Attaché donc au Centre d'Études Sociologiques, Alain TOURAINE fait ses premières armes en sociologie industrielle (sous la direction de Georges FRIEDMANN) et publie  L'évolution du du travail ouvrier aux usines Renault (1955). il établit les trois grandes phases A, B et C de l'évolution professionnelle; amplement décrites dans le chapitre 19 sur la Sociologie du travail. il crée en 1958 le Laboratoire de Sociologie Industrielle à l'École Pratique des Hautes Études, et co-fonde également la revue Sociologie du travail (1959). Le concept de travail est donc au coeur de ses premiers travaux théoriques tels que Sociologie de l'action et c'est celui-ci qui fonde la notion centrale de l'ouvrage, à savoir celle de sujet historique. Le sujet historique définit un rapport de la société (travailleur collectif) à elle-même, c'est-à-dire une capacité de cette société à se saisir de son propre travail et de ses résultats pour donner un sens à son action historique : certaines sociétés construisent des cathédrales, d'autres s'engagent dans le développement de la production, d'autres enfin misent sur le progrès technique. Il s'agit donc à chaque fois d'une orientation que se donne la société à partir de l'usage du surplus de travail.

Dans le même ouvrage, la notion de situation du travail occupe bonne place. Il en est de même pour celle de conscience ouvrière, avec des distinctions entre conscience fière, conscience soumise, conscience constituante (1965). La conscience ouvrière est le titre de l'ouvrage suivant Sociologie de l'action. Le travail, la conscience ouvrière et le mouvement ouvrier sont au centre de ces ouvrages : "Le travail est la condition historique de l'homme, c'est-à-dire l'expérience significative, ni naturelle, ni métasociale, à partir de laquelle peuvent se comprendre les oeuvres de civilisation et les formes d'organisation sociale" (1965). C'est le travail qui est le fondement des concepts de sujet historique et d'action historique et c'est lui qui conduit à la méthode dénommée actionnalisme.

   Des travaux fondés sur l'analyse du travail (au sens large, et non au sens de procès de travail) conduisent à l'analyse de la conscience ouvrière et débouchent sur celle du mouvement ouvrier, et plus généralement sur l'étude des mouvements sociaux. Cette trajectoire de sa pensée est consacrée par la transformation du Laboratoire de sociologie industrielle en Centre d'Étude des mouvements sociaux (CEMS) en 1970, l'analyse quittant nettement les murs de l'entreprise pour s'attaquer à la société en général. Les mouvements sociaux qui ont éclaté dès le printemps de 1968 dans nombre de pays européens ou dans les minorités nord-américaines induisent ce changement d'appellation. C'est l'époque de nombreuses publications d'application de la démarche actionnaliste, sur le Mai français (1968), la société post-industrielle (1969), les États-Unis (1972), le Chili (1973), les mouvements sociaux urbains... C'est aussi une période d'accouchement théorique avec Production de la Société (1973) et Pour la sociologie (1974).

 

L'intervention sociologique

    Pour la sociologie amorce un tournant dans la démarche actionnaliste et plus particulièrement dans le rapport du sociologue à son objet scientifique. Dans le souci de ne pas être asservi par les catégories dominantes de la pratique, Alain TOURAINE prône l'intervention sociologique. "Engagé dans le mouvement, ou dit-il, mais aussi dégagé de son organisation" (1974). Ainsi l'intervention sociologique est l'outil de distanciation du sociologue par rapport à son objet qui lui permet de dépasser l'adhésion à l'une ou à l'autre des représentations et idéologies des parties en présence. Par cette distanciation, le sociologue va se faire accoucheur du sens caché de l'action historique, voire plus encore, si l'on prend à la lettre cette affirmation : "Le but de la sociologie est d'activer la société, de faire voir ses mouvements, de contribuer à leur formation, de détruire tout ce qui impose une unité substantative : valeur ou pouvoir, à une collectivité". Et ailleurs : "On ne peut jamais dire qu'un sociologue observe un mouvement social ; car celui-ci, concept et non pratique, ne peut pas être constitué complètement sans l'intervention du sociologue" (1974).

A partir du milieu des années 1970, on assiste à une certain infléchissement de la pensée actionnaliste : l'intervention sociologique prend le pas sur l'action historique, elle-même fondée sur le travail (PORTIS, 1990). L'analyse des mouvements sociaux quitte la stricte observance du cadre théorique établi dans Production de la société. Alain TOURAINE et son équipe (F. DUBET, Z. HEGEDUS, M. WIEVORKA...) étudient les luttes étudiantes (1978), le mouvement anti-nucléaire (1980), les luttes occitanes (1981), "Solidarité" (1982), le mouvement ouvrier (1984), le mouvement des femmes... La nouvelle méthode sociologique employée justifie l'abandon du Centre d'études des mouvements sociaux et la création en 1981-1982 du Centre d'action et d'intervention sociologique (CADIS). La publique de l'ouvrage le plus théorique, Le retour de l'acteur (1984) consacre cet infléchissement de la pensée actionnaliste confirmée par Critique de la modernité (1992). (Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL)

 

Alain TOURAINE, L'évolution du travail ouvrier des usines Renault, 1955 ; Sociologie de l'action, 1965 ; La conscience ouvrière, 1966 ; La société post-industrielle, 1969 ; Production de la société, 1973 ; Pour la sociologie, 1974 ; Le mouvement ouvrier, 1984 ; Le retour de l'action, 1984 ; Critique de la modernité, 1992 ; Sociologia, 1998 ; Un nouveau paradigme : pour comprendre le monde d'aujourd'hui, 2005 ; La fin des sociétés, 2013. la grande majorité de son travail est publié aux Éditions du Seuil, puis chez Fayard à partir de 1984. Un certain nombre de ses ouvrages est disponible sur le site de l'université du Québec à Chicoutimi (classiques.uqac.ca)

Alain TOURAINE, Avec Michel WIEVIORKA et François DUBET, Le mouvement ouvrier, Fayard, 1984.

Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 08:17

  Homme politique français, Marcel CACHIN est un parlementaire socialiste, puis communiste de 1914 à 1958, directeur du journal L'Humanité de 1918 à son décès. C'est à ces deux derniers titres qu'il a une influence certaine et longue, n'étant pas pacifiste lui-même, sur le paysage pacifiste français. Notamment du fait que le PCF a des positions souvent tranchées, mais également variables, sur la politique militaire, l'armement et la guerre, et qu'il a une emprise après la seconde guerre mondiale sur ce paysage, par l'intermédiaire du Mouvement de la paix. Il joue un rôle important dans le Mouvement breton.

Un dirigeant de premier plan de la mouvance communiste

   Député de 1914 à 1932, il se rallie à la politique nationale pendant la Première Guerre Mondiale et soutient donc la guerre. Il est envoyé en mission en Italie, puis une première fois en Russie en 1917. Durant l'été 1920, il effectue avec Ludovic-Oscar FROSSARD un voyage en Russie soviétique, l'un et l'autre en reviennent conquis par le nouveau régime.

Il est l'un des artisans de la scission de la SFIO lors du Congrès de Tours, durant lequel la majorité approuve la révolution d'Octobre et le soutien des bolchéviks. Il est l'un des fondateurs du Parti Communiste Français, qui adhère à la IIIeme Internationale.

En janvier 1923, il dénonce l'occupation de la Ruhr ordonnée par le gouvernement de Raymond POINCARÉ afin de contraindre l'Allemagne à accélérer les paiements des indemnités imposées par le Traité de Versailles. Il faut rappeler que, dès le début de la prise de connaissances des décisions de ce traité, L'Humanité les critique, pas tant en ce qui concerne d'abord la lourdeur des sanctions contre l'Allemagne que contre le fait qu'il "assume l'hégémonie complète du capitalisme anglo-saxon (...), élimine la concurrence la plus redoutable (...) (et) grâce à leur possession de toutes les matières premières, grâce à leur empire colonial devenu colossal, les citoyens de langue anglaise dominent à cette heure l'univers entier" (juin 1919). le Traité de Versailles n'est en fait dans ses colonnes que très peu mentionné...

Lui et d'autres communistes français organisent cette année 1923, d'importants meetings, notamment dans les villes de Francfort et Stuttgart. Inculpé pour "attentat contre la sûreté extérieure et intérieure de l'État", son immunité parlementaire est levée et il est emprisonné. Il reçoit en février une lettre de soutien de Grogori ZINOVIEV, le président de l'Internationale communiste, qui lui exprime ses "plus aimables salutations" et celle des "camarades Lénine, Trotsky et Boukharine". Il est finalement innocenté en mai par le Sénat et libéré. Élu délégué en 1928 au VIe Congrès de l'Internationale communiste, il est élu à son comité exécutif et prend part à la décision d'une journée internationale contre la guerre, le 1er août 1929. Le gouvernement saisit cette occasion pour frapper le PCF et pour s'attaquer aux finances de L'Humanité. CACHIN réplique en créant des comités de défense du journal, véritable réseau de diffuseurs militants.

Au tournant des années 1930, bien que député et membre du bureau politique, il n'est plus en odeur de sainteté pour les tenants de la politique soviétique. Trop unitaire pour ceux-ci, et réaliste envers la politique "classe contre classe", qui a contribué au désastre électoral de 1928. Mais contrairement au futur collaborateur Jacques DORIOT, à Henri SELLIER ou à Renaud JEAN, il continue de rester ficèle au Parti et à la ligne stalinienne.

En 1936, il est l'un des pilliers du Front Populaire. Refusant de désavouer le pacte germano-soviétique et suivant la ligne du Parti, il est déchu de ses mandats en 1940, dans la fournée des mesures de répression du gouvernement contre la mouvance communiste.

Pendant l'Occupation, confronté à la question des premiers otages à la suite des attentats perpétrés contre les soldats allemands, il rédige une lettre dans laquelle il condamne les attentats individuels contre l'armée allemande. Des extraits de cette lettre sont repris par le Parti ouvrier et paysans français, parti composé d'anciens élus du Parti communiste français dans un but de propagande pour la Collaboration. Mais il n'est pas inquiété à la Libération pour cet écrit.

Pendant la guerre, il se retire en Bretagne, y est arrêté en septembre 1941 et amené à la prison de la santé à Paris. Il y est libéré le mois suivant, à la suite probable de la lettre qu'il rédige condamnant les attentats. Surveillé, menacé après être retourné en Bretagne, il est "exfiltré" en août 1942 par une équipe spéciale du Parti communiste, amené en Région Parisienne où il mène une existence clandestine dans des pavillons. Après la Libération, il reprend ses activités jusqu'à sa mort.

Directeur de l'Humanité (1918-1958), membre du bureau politique du PCF (1923-1958) et sénateur (1935), puis député de la Seine (1946) et enfin député doyen de l'Assemblée nationale, participant à de nombreuses élections présidentielles,  il pèse sur l'évolution du paysage politique français, mais surtout dans le sens des revendications bretonnes (langue bretonne, entre autres). Il participe notamment à la refondation des "Bretons émancipés" qui deviennent l'Union des sociétés bretonnes d'Ile-de-France (USBIF). Il garde cette orientation même lorsque le PCF s'éloigne des aspirations régionalistes.

 

Une action qui pèse sur la mouvance pacifiste

    De ses positions, d'ailleurs à cette époque semblable à celle de la SFIO, pacifistes volet défensistes, dès le début de 1914, qui chargent l'Allemagne de la plus grande responsabilité dans le déclenchement de la guerre, qui la chargent également en 1918, et même après la signature du Traité de Versailles de 1919, de cette responsabilité, Marcel CACHIN ne figurent pas parmi les "vrais" pacifistes qui défendront la paix. C'est plutôt le wilsonisme qui constitue sa cible, surtout dès qu'en 1917, la nouvelle Russie soviétique conclu une paix séparée avec l'Allemagne. Dès la conclusion de cette paix séparée, il dénonce et ce jusqu'à la fin du conflit la collusion entre Berlin et Moscou.

Ce n'est que dans les années 1920 qu'il change de ton par rapport à Moscou, s'alignant de plus en plus sur les lignes soviétiques, et depuis cette période, il n'en dévie pas, malgré les nombreux débats. Au Congrès d'Amsterdam d'août 1932, par exemple, il valorise son ordre du jour : "Rassemblement anti-Genève" (anti-SDN), Rassemblement anti-socialiste", même s'il est conscient du caractère délétère pour les positions électorales du PCF de la politique soviétique classe contre classe. C'est qu'il défend de bout en bout la révolution bolchévique, dans un climat, rappelons-le, où les puissances occidentales, de la fin de la première guerre mondiale jusqu'à la fin des années 1920, cherchent à l'abattre, politiquement, militairement, idéologiquement... C'est le sens de presque toutes ses adresses au gouvernement français... Il demeure extrêmement vigilant sur cela, même s'il est obligé parfois de suivre les voies sinueuses de la diplomatie soviétique. A partir de l'été 1934, il milite dans le sens d'une approbation de STALINE de la politique française, à renfort d'affiches, tout en s'efforçant de ne pas couper les ponts avec tous les pacifistes (notamment par rapport à l'activité du CVIA), même ceux qui défendent l'action de la SDN.

Il est toutefois de plus en plus difficile de camoufler ce suivisme derrière le façade d'un pacifisme tonitruant. Les tiraillements entre les différentes tonalités des discours dans L'Humanité, pris dans des "débats" qui animent alors la direction soviétique elle-même. Marcel CACHIN, à cause d'un certain fidélisme, rend difficile la tâche de nombreux militants de la paix, surtout ceux qui sont membres du PCF et des organisations "frères". Au fur et à mesure qu'on approche de la Seconde guerre mondiale, notamment à partir de la guerre d'Espagne et du Front Populaire, les positions de Marcel CACHIN sont celles d'un leader qui doit concilier des positions pas très conciliables, gardien de l'unité d'un Parti et de son journal. Il ne peut empêcher d'ailleurs l'expression de ces militants, expression qui lui est reprochée en ricochet en quelque sorte par les tenants d'une ligne plus audacieuse sur la guerre et la paix, qu'elle soit détachée enfin de l'emprise de la diplomatie soviétique ou au contraire qu'elle suive bien plus la logique du "Grand frère"....

Cela se reflète dans les colonnes de L'Humanité avant la guerre, cela se reflète également après la guerre... Longtemps après les événements, l'étau idéologique du pacte germano-soviétique (1939) puis de sa dénonciation (1941) sur les esprits, le marque sans doute jusqu'à la fin, entre accusations de collabo-pacifisme puis d'attentisme devant les événements. Il se trouve en fait au coeur des contradictions de la mouvance politique sur les questions de la guerre et de la paix...

Marcel CACHIN, Carnets (qui couvrent de 1906 à jusqu'à sa mort), CNRS Éditions, 1993, Présentation de Denis PESCHANSKI et de René RÉMOND.

Yves SANTAMARIA, le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005.

 

 

  

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15 décembre 2018 6 15 /12 /décembre /2018 11:00

      Péret BENJAMIN est un écrivain surréaliste français, également connu sous les pseudonyme de Satyremont, Peralda et Peralta. Il est généralement principalement représenté pour sa poésie des plus singulières : virtuosité de l'écriture automatique, luxuriance baroque des images (relancées indéfiniment par un emploi unique de la proposition relative), humour burlesque désacralisateur, audace transgressive. Sa poésie s'inscrit dans le surréalisme du plus haut vol, sous le signe ascendant de l'abondance, de la liberté...

      Mais cette présentation ne rend pas justice à son engagement militant pacifiste et communiste, de tendance trotkyste, participant aux nombreux soubresauts des courants critiques au stalinisme, notamment au sein de la IVe Internationale. Toute sa vie en fait est tendue dans ce combat pour un réel socialisme, révolutionnaire permanent et intransigeant. Comme pour de nombreux surréalistes qui le cotoient (dans la conflictualité le plus souvent), les présentations officielles mettent peu en avant le contexte de leurs activités, souvent très à gauche sur l'échiquier politique, collant pour les critiquer et les combattre, dans la mesure de leurs voyages fréquents, aux évolutions de l'Union Soviétique. il faut d'ailleurs le plus souvent plonger dans leurs contributions aux multiples feuilles plus ou moins révolutionnaires et dans les mémoires des survivants pour reconstituer leur véritable itinéraire.

   Benjamin PERET situe lui-même le début de son propre itinéraire à la guerre de 1914, "ce qui a tout facilité!", formule qui pour un biographe comme Guy PRÉVAN, "fournit la double-clé de l'état d'esprit qui conduit l'auteur de Mort aux vaches et au champ d'honneur à assumer, parallèlement (et non conjointement)  son aventure de poète, une activité révolutionnaire qui jamais ne se démentit." Il faut ajouter que, perpétuellement, il se trouve dans ses difficultés pécuniaires constantes qui l'oblige à travailler, dans n'importe quel journal, comme correcteur.

   Alors que sa mère le fait engager, devançant l'appel, comme infirmier au cours de la Première Guerre mondiale, il participe à la guerre en 1917 au 1er régiment de cuirassiers à Salonique puis en Lorraine. Il en sort son antimilitarisme virulent, qu'il exhibe volontiers dans les cercles littéraires où les surréalistes se produisent. Dès 1920, il rencontre, par l'entremise de sa mère, André BRETON et de fil en aiguille fréquente Robert DESNOS, heureux de participer à l'effervescence parisienne, alors qu'il a le sentiment d'être bloqué à Nantes. L'écriture d'un ouvrage basé sur une contrepèterie, Les Rouilles enragées, diffusé en 1928 et saisi presque tout de suite, n'est qu'un résultat d'une vie assez mouvementée, marquée à distance et parfois avec un certain décalage dans le temps, par les luttes internes du Parti communiste de l'URSS, où toutes les oppositions à STALINE, tour à tour, sont pratiquement laminées, politiquement et physiquement. TROTSKY notamment, suite à son éviction définitive en 1927, devient le point de référence (de ses critiques du bureaucratisme soviétique à ses doutes sur le marxisme lui-même vers la fin de sa vie) de nombreux communistes, français notamment, notoires surréalistes compris, dans des débats au sein d'une Opposition de gauche qui s'active autant en Europe qu'en Amérique Latine (mais dont les échos ne parviennent pas à l'opinion publique en général) (TROTSKY se réfugie au Mexique), dont Benjamin PERET suit la destinée de minorités en minorités... Au Brésil, en Espagne, au Mexique, dans les années trente et quarante, il est en butte à la répression et à des difficultés matérielles. Jusqu'à sa mort, Benjamin PERET est le seul surréaliste resté fidèle à André BRETON (décédé plus tard, en 1966).

Dans sa démarche, depuis la fin de la seconde guerre mondiale et des persécutions nazies et collaborationnistes (en France tout au moins, car la répression subsiste en URSS et en Amérique Latine), il reste dans les eaux politiques et littéraires de l'utopie révolutionnaire, explorant aussi bien la numérologie, les mythes précolombiens que l'érotisme ou l'inconscient... et les perspectives politiques communistes, vues d'une (extrême) minorité d'extrême gauche.

    L'essentiel de son travail d'écrivain, beaucoup plus disponible aujourd'hui qu'à l'époque de leur publication, est partagé entre une partie politique et une partie purement littéraire, cette dernière étant bien plus connue que la première. Ses oeuvres poétiques et ses oeuvres politiques sont publiés dans les années 1980 par l'Association des Amis de Benjamin Péret (14, rue d'Orchampt, Paris, 18ème) fondée en 1963 pour défendre la mémoire du poète et militant révolutionnaire, dans ses Oeuvres Complètes en 7 tomes (Librairie José Corti). Il faut signaler que malgré cette oeuvre prolifique, la majeure partie de son énergie d'écrivain est orientée vers son travail de correcteur, dans divers journaux. Les textes politiques sont rassemblés dans le tome 5 de cette publication d'ensemble, ainsi que dans le tome 7.

 

Benjamin PERET, (partie politique) La parole est à Péret, Éditions surréalistes, 1943 ; Le Déshonneur des poètes, Mexico, Poésie et Révolution, Paris, K. éditeur, 1945 ; Le Manifeste des exégètes, Mexico, Editorial Revolucion, septembre 1946, brochure publiée sous le pseudonyme de Peralta ; Lettre ouverte au Parti Communiste Internationaliste, secteur française de la IVème Internationale, Paris, 10 juin 1947 ; Les Tâches du prolétariat face aux deux blocs, Imprimerie Union, décembre 1949, signé "Union Ouvrière Internationale ; Le Déshonneur des poètes, Jean-Jacques Pauvert, collection Liberté, 1965 ; Le Syndicat contre la révolution, réédition de "La révolution et les syndicats" (série d'articles publiés dans Le Libertaire, juin-septembre 1952) ; Pour un second Manifeste communiste (avec Grandizo MUNIS), Edition Losfeld, 1965 ; (partie plus poétique), Le passager du trasatlantique, Sans pareil, 1921 ; Les Couilles enragées, 1926, réédité après saisie policière, sous le titres Les Rouilles encagées, Éric Losfeld, 1954 ; Le Grand Jeu, Gallimard, 1928 ; Je ne mange pas de ce pain là, 1936, réédition par Syllpese en 2010 ; Anthologie de l'amour sublime, 1956, Réédité chez Gallimard en 1988 ; La Commune des Palmarès, 1956, réédition Syllepse, 1999 ; Anthologie des mythes et contes populaires d'Amérique, 1960, Réédition par Albin Michel en 1989. André BRETON et Benjamin PÉRET, Correspondance 1920-1956, présentée et éditée par Gérard ROCHE, Gallimard, 2017.

Guy PRÉVAN, Péret Benjamin, révolutionnaire permanent, éditions Syllepse, 1999.

L'Association des Amis de Benjamin Péret publie depuis 2014 une feuille d'information, Trois cerises et une sardine (titre aussi d'un ensemble de textes publié par Syllepse en 1999). www.benjamin-peret.org

 

 

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14 décembre 2018 5 14 /12 /décembre /2018 13:05

   Edgar NAHOUM, dit Edgar MORIN est un sociologue et philosophe français plus connu pour ses travaux en ces matières que pour sa activité pacifiste. Il s'agit pour lui de penser la complexité pour entreprendre des changements politiques, économiques et sociaux.

 

Pacifisme et Résistance

   Se qualifiant d'incroyant radical, Edgar MORIN, d'origine séfarade effectue son premier acte politique pendant la guerre d'Espagne, en 1936, en intégrant une organisation libertaire, "Solidarité internationale antifasciste. En 1938, il rejoint les rangs du Parti frontiste, petite formation de la gauche pacifiste et antifasciste et y milite parallèlement à ses études en histoire, en géographie et en droit.

Il entre, après sa licence de droit en 1942, au sein des "forces unies de la jeunesse patriotique, élément de la Résistance communiste. Il intègre ensuite le mouvement de Michel CAILLIAU, le MRPGD (Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés). En 1943, il est commandant dans les Forces Françaises combattante, homologué comme lieutenant. Son mouvement fusionne avec celui de François MITTERRAND, qui devient le MNPGD (Mouvement Nationale des Prisonniers de Guerre et Déportés). Il adopte alors le pseudonyme de MORIN, qu'il garde par la suite. Il devient en 1945 attaché à l'état-major de la 1ere armée française en Allemagne, puis chef du bureau "Propagande" au Gouvernement militaire français (1946).

C'est que contrairement à beaucoup de pacifistes poreux par rapport à la propagande allemande et du coup attentiste sur la suite des événements tout au long de la guerre, Edgar MORIN, doté d'une solide culture historique, rejoint la résistance communiste. Il n'est alors pas représentatif de l'évolution de l'ensemble des pacifistes français.

A la Libération, il écrit L'An zéro de l'Allemagne où il dresse l'état des lieux de l'Allemagne, insistant sur l"état mental du peuple vaincu, en état de "sommanbulisme", en proie à la faim et aux rumeurs. Son livre arrive au moment du tournant communiste, où après la stigmatisation de la culpabilité allemande, STALINE déclare qu'HITLER passe et que le peuple allemand reste.

Membre du Parti Communiste Français depuis 1941, il s'en éloigne à partir de 1949 et en est exclu à son grand regret en 1951, pour avoir écrit un article dans le journal France Observateur.

   Edgar MORIN, même lorsqu'il entame sa "carrière" de sociologue en entrant au Centre d'études sociologiques (CNRS) dirigé par Georges FRIEDMAN en 1950 (avec l'appui de Maurice MERLEAU-PONTY, de Vladimir JANKÉLÉVITCH et de Pierre GEORGE), continue de militer, fidèle à ses convictions pacifiste et antifasciste, contre les guerres, notamment d'Algérie. En 1955, il est l'un des quatre animateurs du Comité contre la guerre d'Algérie. Mais contrairement à ses amis, SARTRE, DEBORD ou BRETON, il ne signe pas la "Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie", dit "Manifeste des 121", publié en septembre 1960 dans le journal Vérité-Liberté. L'urgence étant d'éviter l'installation d'une dictature en Algérie et en France, il lance, avec Claude LEFORT, Maurice MERLEAU-PONTY et Roland BARTHES, un appel pour l'urgence de négociations.

Edgar MORIN est membre dans les années 2000 du comité de parrainage de la Coordination française pour la décennie de la culture de paix et de non-violence. Intéressé par la non-violence, il apprécie le bouddhisme, religion sans dieu.

 

Une "carrière" de sociologue de premier plan

   Edgar MORIN conduit en 1965 une étude transdisciplinaire, au sein d'une vaste recherche de la DGRST, sur une commune de Bretagne, dont il publie les résultats dans La Métamorphose de Plodémat (1967), l'un des premiers essais d'etnologie dans la société française contemporaine. Il s'intéresse très vite aux pratiques culturelles, encore émergentes et mal considérées par les intellectuels d'alors : L'esprit du Temps (1960), La Rumeur d'Orléans (1969). Il cofonde la revue Arguments en 1956 et dirige le Centre d'études des communications de masse (CECMAS) de 1973 à 1989, qui publie des recherches sur la télévision, la chanson, dans la revue Communications.

Durant les années 1960, il part près de deux ans en Amérique Latine où il enseigne à la Faculté latino-américaine des Sciences sociales de Santiago au Chili. En 1969, il est invité à l'Institut Salk de San Diego où il retrouve Jacques MONOD et conçoit les fondements de la pensée complexe et de ce qui deviendra sa Méthode.

Aujourd'hui directeur de recherche émérite au CNRS, il est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde. Son travail exerce une forte influence sur la réflexion contemporaine, avec l'exigence de la démarche transdiciplinaire, notamment dans le monde  méditerranéen et en Amérique Latine, ainsi qu'en Chine, Corée et Japon. Il a fondé et préside l'Association pour la Pensée Complexe (APC).

 

Une pensée complexe qui relie

   Si la première formulation de la pensée complexe ne date que de 1982, dans le livre Science avec conscience, Edgar MORIN utilise le terme reliance pour indiquer le besoin de relier ce qui a été séparé, morcelé, détaillé, compartimenté, classé... en disciplines parfois antagonistes et écoles rivales de pensée.

Dans son livre La tête bien faite. Repenser la réforme. Réformer la pensée, publié en 1999 aux Éditions du Seuil, il expose les principes d'une pensée reliante, abondamment commentés et développés d'ailleurs, dans le site du Mouvement pour la Pensée complexe (mcxapc.org) :

- le principe systémique ou roganisationnel. l'idée systémique est à l'opposé de l'idée reductionniste car "le tout est plus que la somme des parties". Les émergences, qualités ou propriétés nouvelles apparaissent dans l'organisation d'un nouveau produit que les composantes ne possédaient pas. "le tout est moins que la somme des parties" également cas certaines qualités des composants sont inhibées par l'organisation de l'ensemble.

- le principe hologrammatique. Chaque cellule est une partie d'un tout - l'organisme global - mais le tout est lui-même dans la partie : la totalité du patrimoine génétique est présente dans chaque cellule individuelle ; la société est présente dans chaque individu-citoyen, en tant que tout, à travers son langage, sa culture, ses normes...

- le principe de boucle rétro-active. "L'effet agit sur la cause" referme le processus de causalité de linéarité ouverte "la cause agit sur l'effet". Comme dans un système autonome de chauffage où le thermostat régule le fonctionnement. Comme l'homéostasie des organismes vivants.

- le principe de boucle récursive. C'est une boucle génératrice dans laquelle les produits et les effets sont eux-mêmes producteurs et causateurs de ce qui les produit. Chaque être vivant est produit et producteur dans le système de reproduction. Les individus produisent la société dans et par leurs interactions, et la société, en tant que tout émergeant, produit l'humanité des individus en leur apportant le langage et la culture.

- le principe d'autonomie/dépendance (auto-éco-organisation). Les (choses) vivantes sont des (systèmes) auto-organisateurs qui sans cesse d'auto-produisent et par là-même dépensent de l'énergie pour entretenir leur autonomie et doivent donc puiser de l'énergie dans leur milieu dont elles dépendent pour être autonomes.

- le principe dialogique. Ce (principe) unit deux notions devant s'exclure l'une l'autre, mais qui sont indissociables en une même réalité. La dialogique "ordre/désordre/organisation" dès la naissance de l'Univers. Les particules physiques comme une dialogique (onde et corpuscule). La dialogique (individu/société/espèce) présente en chaque être humain.

- le principe de réintroduction du connaissant dans toute connaissance. (Tout objet-machine, tout objet-processus inventés contient du "sujet" qui les a conçus). De la perception à la théorie scientifique, toute connaissance est une reconstruction/traduction pour un esprit/cerveau dans une culture et un temps donnés.

   

Intégrer le social-historique et la vie quotidienne.

   Comme beaucoup d'autres auteurs contemporains, dont ceux, chacun à leur manière, issus de l'École de Francfort, dont Pierre BOURDIEU ou ALTHUSSER, Edgar MORIN tente de trouver une méthodologie pour pallier aux défauts de nombreuses théories, qui parlent de conflits en sous-estimant les coopérations, les sociabilités et les consensus ou inversement comme de celles qui discutent du système social ou des structures sociales en omettant les pratiques quotidiennes ou encore comme celles qui traitent de l'imaginaire et des réalités...

Pour Edgar MORIN, "les théories sociologiques n'arrivent pas à concevoir l'unité des antagonismes ni l'antagonisme dans l'unité. Les unes ne voient que l'unité du système social, les autres ne voient que les antagonismes ; pour les premières les antagonismes sont secondaires, pour les secondes l'unité n'est que de façade ou masque. Or ce qu'il nous faut, c'est une pensée capable de concevoir la société, non seulement comme unitas multiplex - unité/multiplicité -, mais aussi comme union de l'unité et de la désunité." Il propose, pour ne pas retomber sous l'emprise du principe de disjonction/simplification et échapper à la relation linéaire mutilante, de recourir à la circularité.

C'est d'ailleurs parce que les uns font l'impasse sur les antagonismes et les autres sur les coopérations, que beaucoup ne "voient" les conflits que lorsqu'ils s'expriment de manière ouverte et surtout de manière violentes. Or, le conflit préexiste toujours à son expression, et il existe au sein même de la société, qui, si elle existe, est faite de coopérations multiples plus ou moins bien vécues.

 

Un nouvel encyclopédisme

     Jean-Louis Le MOIGNE décrit bien cette entreprise, qui a notre sympathie, notre propre projet rejoignant à bien des égards notre démarche à propos du conflit. "Pour qui lit cette oeuvre, écrit-il, sans chercher d'abord à vérifier si elle appartient ou non à son propre pré carré disciplinaire, la réponse est" qu'elle relève spontanément en même temps à la science, à la philosophie, à l'épistémologie et à l'essai politique. "En témoignent les nombreux scientifiques (sciences douces - les sciences humaines - et sciences dures, faisant appel aux mathématiques), philosophes, épistémologues, politologues et essayistes, qui par le monde, se tiennent concernés par la pensée d'Edgar Morin. Cette audience, dans son envergure, est relativement récente." Outre les prévenances rattachées à ses activités pacifistes et ses sympathies communistes, "pendant longtemps, en effet, les spécialistes "disciplinés" (...) ont assuré qu'il existe un "site favorable d'où l'on puisse préjuger a priori de la justesse d'une pensée (...) un tribunal suprême pour juger de la clairvoyance ou de l'intelligence". Ceux-là entendent difficilement l'appel d'Edgar Morin "à manifester dans les domaines de la vie intellectuelle, sociale et politique l'attention aux données, la critique des sources, la pertinence du diagnostic, l'adéquation de la théorisation, la prudence là où l'information fait défaut, la hardiesse là où il faut se dresser contre le courant...", bref, " de vivre pleinement ce que signifie le mot recherche dans le jeu incertain de la vérité et de l'erreur".

"Ce que signifie le mort recherche?" La question et la réponse complexe, qui est de "vivre pleinement la question", révèle peut-être dans sa vocation fondatrice l'entreprise d'Edgar Morin. "En 1951, à trente ans, écrit-il dans ses "Papiers d'identité", j'ai la chance d'entrer au CNRS, où je deviens institutionnellement ce que j'étais psychologiquement : "chercheur"... Un chercheur qui veut prendre conscience de l'irréductible complexité de toute réalité, physique, biologique, humaine, sociale, politique. Un chercheur qui sait qu'une science privée de réflexion et qu'une philosophie purement spéculative sont insuffisantes. (...) mutilées et mutilantes".

Entreprise de recherche, et donc de production de connaissance : reconnaître les brèches et construire des arches, qui, transformant le paysage, inciteront sans cesse à reconnaître d'autres failles qui appelleront d'autres jonctions. Entreprise de recherche, pionnière plus que singulière, celle du chercheur explorateur qui sait que la "science avec conscience est aventure infinie". En relisant vingt après, en 1984, une réédition de la collection des 28 numéros de la revue Argument (...) André Burguière disait de ce dernier qu'il lui apparaissait à la fois comme un homme de la Renaissance et un homme des Lumières (...)."

   Ses ouvrages sont beaucoup lus de par le monde, il en existe des traductions en 28 langues, dans 42 pays.

 

Edgar MORIN, L'An zéro de l'Alemagne, éditions de la Cité Universelle, 1946 ; L'Homme et la mort, Éditions Corrêa, 1951, Nouvelle édition Le Seuil en 1976 ; Le Cinéma ou l'homme imaginaire, Éditions de Minuit, 1956 ; Mai 68, La Brèche, avec Claude LEFORT et Cornelius CASTORIADIS, Fayard, 1968, Réédition en 1988 aux Éditions Complexe ; La Rumeur d'Orléans, Le Seuil, 1969, Réédition en 1999, chez Points ; Le Paradigme perdu : la nature humaine, Le Seuil, 1973, Réédition en 1979 chez Points ; La Méthode, en 6 tomes, de 1977 à 2004, chez Le Seuil à chaque fois, Réédition de chaque tome ensuite chez Points ; Pour sortir du XXe siècle, Nathan, 1981, Nouvelle édition augmentée en 2004 dans la collection Points ; Science avec conscience, Fayard, 1982 (réédition en 1990 chez Points) ; De la nature de l'URSS, Fayard, 1983 ; Sociologie, Fayard 1984 (réédition en 1994 Le Seuil collection Points ; Penser l'Europe, Gallimard, 1987 ; Introduction à la pensée complexe, Le Seuil, 1990 ; Une politique de civilisation (avec Sami NAÏR), Arléa, 1995 ; L'intelligence de la complexité (avec Jean-Louis LE MOIGNE), Édition L'Harmattan, 1999 ; Culture et Barbarie européennes, Bayard, 2005 ; Pour et contre Marx, Temps Présent, 2010 ; Penser global - L'Humain et son univers, Robert Laffont, 2015 ; Écologiser l'Homme, Lemieux Editeur, 2016 ; Où est passé le peuple de gauche?,  Éditions de l'Aube, 2017.

Jean-Louis Le MOIGNE, Edgar Morin, Encyclopedia Universalis, 2014. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

 

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8 décembre 2018 6 08 /12 /décembre /2018 08:59

   Thomas Jonathan JACKSON, dit Stonewall (mur de pierre) JACKSON est un général de l'armée américaine rangé du côté de la Confédération lors de la guerre de Sécession.

Considéré comme le meilleur stratège sudiste après Robert E. LEE, il connait un itinéraire semblable à celui des principaux acteurs nordistes et sudistes de la guerre civile américaine.

 

Une carrière interrompue pendant la guerre

   Après un passage à l'académie militaire de West Point en 1846, JACKSON sert dans l'artillerie et participe à la guerre du Mexique, puis démissionne ensuite de l'armée pour enseigner dans une école militaire privée (1852). Il reprend du service dès le début de la guerre de Sécession, en 1861, comme colonel dans l'armée de Virginie, et accède au rang de général peu après la bataille de Bull Run du 21 juillet 1861 (où il acquis son surnom). Il se distingue l'année suivante lors de la campagne de la Shenandoah (Virginie) au cours de laquelle il remporte une série de victoires à Kernstown, Winchester, Cross Keys et Port Republic. Avec sa petite armée (environ 15 000 hommes), il pratique avec succès une tactique fondée sur la mobilité et la rapidité du mouvement. Il marque le pas lors des batailles des Sept Jours avant de se reprendre pour la seconde bataille de Bull Run (30 août 1862). Après avoir participé à la bataille de Fredericksburg (13 décembre), il réussit sa meilleure campagne à Chancellorsville (début mai 1863), aux côtés de LEE. Étant parvenu à envelopper l'ennemi grâce à une manoeuvre de débordement ambitieuse, il est accidentellement touché par un de ses hommes (comme tant d'autres soldats...) alors qu'il effectue des reconnaissances après la bataille. Il meurt des suites de ses blessures une semaine plus tard. Sa perte constitue un sérieux handicap pour les armées confédérées. (BLIN et CHALIAND)

    JACKSON est une des figures les plus connues de la guerre de Sécession. Très pointilleux sur la discipline militaire, il fait preuve de son côté d'une autonomie dans le combat, allant jusqu'à refuser d'obéir à certains ordres qu'il juge mauvais (lors de la guerre du Mexique). Le général LEE lui fait entièrement confiance dans les opérations militaires, lui donnant des ordres volontairement peu détaillés (surtout sous forme d'objectifs), pour lui permettre d'agir au mieux. C'est cette capacité d'initiative qui fait défaut sur le champ de bataille après sa mort.

 

Un esprit indépendant et une vocation d'enseignant.

   Alors que tout concourt à faire de lui un militaire de carrière, il manifeste un esprit d'indépendance qui cadre mal avec l'esprit de discipline. Même s'il est félicité pour avoir désobéit à un ordre (devant le chateau de Xhatulpetec) qu'il juge mauvais et que cela lui vaut un promotion au rang de major, il préfère quitter l'armée pour se consacrer à l'enseignement... de philosophie et d'artillerie à l'académie militaire de Viriginie à Lexington. A des moments de libre, il se consacre à l'animation de classes pour des élèves noirs, ce qui, entre autres, car il est hostile vraisemblablement à l'esclavage, même si prédomine chez lui l'esprit aristocratique d'ordonancement d'un ordre "voulu par Dieu", lui vaut une certaine popularité chez les Afro-Américains. Même s'il est contraint par les autorités à afficher un soutien à l'anti-abolitionnisme, et s'il obéit à l'appel de défendre le Sud contre le Nord, il n'en demeure pas, et d'ailleurs ce n'est pas le seul officier de sa génération dans ce cas, hostile à l'esclavagisme. Sa mort prématurée empêche bien évidemment d'avoir une idée précise de ce qu'il aurait pu faire après la guerre de Sécession.

   Sa veuve, connue sous le nom de "veuve de la Confédération" publie deux livres sur la vie de son mari, livres qui fournissent la matière principale des nombreuses biographies qui lui ont été consacré, avec bien entendu, toutes les notes d'état-major inhérente à la bureaucratie militaire.

 

 

John BOWERS, Stonewald Jackson, Portrait of a soldier, New York, 1989. George HENDERSEN, Stonewald Jackson and the American Civil War, Londres, 1898. Frank VANDIVER, Mighly Stonewald, New York, 1957. James ROBERTSON, Stonewald Jackson, Macmillan Pub, 1997. McPherson, La guerre de Sécession, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991 (traduction du livre en anglais Battle City of Freedom, Oxford University Press, 1988).

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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27 novembre 2018 2 27 /11 /novembre /2018 09:39

   Le général américain Robert Edward LEE s'illustre d'abord comme commandant de l'armée de Viriginie du Nord, puis comme général en chef des armées des États Confédérés. Il est considéré par de nombreux historiens comme le meilleur soldat qu'aient produit les États-Unis.

 

Une carrière militaire brillante

   Sa carrière militaire est proche de celle de son grand rival, Ulysses GRANT. Diplomé comme lui de l'académie militaire de West Point, il participe à la guerre du Mexique comme chef d'état-major vant de prendre la direction de West Point, puis celle du 2ème régiment de cavalerie. En 1852, il quitte l'armée qu'il réintègre sept ans plus tard pour écraver l'insurrection anti-esclavagiste menée par John Brown à Harper's Ferry (Viriginie occidentale).

Bien qu'il soit contre la sécession des États du Sud et bien que le président LINCOLN lui offre de diriger l'armée de l'Union, il se rallie aux forces confédérées lorsque éclate la guerre. Tour à tour commandant de l'armée confédérée de Virginie (qu'il baptise armée de la Virginie du nord) et commandant en chef de l'armée confédérée il est le conseiller principal du président de la Confédération, Jefferson DAVIS. Il concentre ses efforts autour de la Viriginie, qui est à la fois son pays natal et un lieu stratégique où se trouvent réunies au sud et au nord, les deux capitales, Richmond et Washington.

En état d'infériorité numérique et géographiquement isolé, LEE semble être logiquement contraint à adopter une posture stratégique défensive. A la surprise de ses adversaires, il opte pour la stratégie inverse., étant persuadé qu'une défaire de l'Union sur son propre terrain serait psychologiquement dévastatrice et amènerait les autorités à négocier un traité de paix. A la suite d'une série de victoires près de sa capitale, il fait renforcer les fortications  autour de Richmond et envoie Tomas "Stonewald" JACKSON sur la vallée de la Shenandoah afin d'obliger l'Union à disperser ses forces. Une fois la Shenandoah investie, il fait revenir, par le train, une parties des forces de JACKSON et remporte la (deuxième) bataille de Bull Run, au sud de Washington (août 1862). La stratégie de LEE semble sur le point de réussir? LINCOLN retirerait ses troupes aux abords de Richmond. LEE allait affronter directement son adversaire pour cette bataille décisive qu'il recherche depuis le début des hostilités. Toutefois, face à MCLALLAN, à la bataille d'Antietam, dans le Maryland, il ne peut forcer la victoire lors d'un combat particulièrement meurtrier. Il se replie sur Fredericksburg où il remporte une première victoire, en décembre, et puis une seconde, magistrale, à Chancellorsville, au mois de mai 1863, qui lui permet de préparer une nouvelle campagne vers le nord. Mais à Gettysburg, le 3 juillet 1863, la guerre prend un tournant décisif en faveur de l'Union. LEE y perd plus d'un tiers de ses troupes. Au même moment, la Confédération perd la bataille de Vicksburg et le contrôle du Mississippi.

A partir de ce moment, LEE doit mener une guerre défensive face à GRANT. Il manifeste beaucoup de talent durant toute cette campagne où il sait anticiper chacun des mouvements de son adversaire. Cependant, il est en état d'infériorité numérique et, pris en tenaille, par GRANT et SHERMAN, il ne peut que retarder la défaire finale de la Confédération.

    Robert E. LEE est un maître tacticien doté d'une pugnacité hors du commun et d'un sens aigu du commandement. Sa technique des sièges et des fortifications est inégalable. Nénamoins, en terme de stratégie globale et de logistique, il est inférieur à GRANT. Doté d'une santé médiocre, il meurt peu après la guerre. (BLIN et CHALIAND)

 

Fidélité et allégeance

    Comme beaucoup d'élèves de West Point, LEE est aux prises du dilemme d'engagement envers les Etats-Unis et de fidélité envers la famille et son état natal de Virginie. Comme beaucoup également, maints officiers sortis de cette académie militaire sont hostiles à la Sécession mais choisiront en majorité à suivre les orientations de leur État d'origine. Pour LEE, ce choix est guidé notamment par le fait qu'il est, avant cette guerre qualifiée après coup de civile, commandant des armées de Virginie ; comme beaucoup de ses camarades, il choisit de rejoindre et de mener les forces confédérées. Ce dilemme reste toujours présent dans son esprit : aussitôt après la défaite des États du Sud, il demande le renouvellement de son serment d'allégeance aux Etats-Unis d'Amérique et même sa réintégration dans l'armée, chose qui ne se fait pas car (ce qu'on découvre en... 1970!) sa demande s'égare dans les méandres de la bureaucratie militaire...

Après la guerre, il apporte son soutien au programme de reconstruction du Sud proposé par le président Andrew JOHNSON, mais il s'oppose au droit de vote des anciens esclaves sous le motif qu'ils ne sont pas suffisamment éduqués pour voter intelligemment, étant ainsi la proie des candidats démagogiques. Il s'oppose néanmoins à toute violence contre ces anciens esclaves et contre les autorités fédérales, qui se manifestent longuement au Sud sous différentes formes. Il tente sans succès de faire construire des établissements publics scolaires pour les enfants noirs. Jusqu'à sa mort, il reste populaire au Sud, et le devient même au Nord.

Sa mort prématurée ne lui permet pas d'écrire ou de faire écrire ses Mémoires. C'est à partir de ces rapports nombreux familiers à l'institution militaire du haut en bas de l'échelle des officiers, ainsi que sur des témoignages directs, que de nombreux biographes s'essaient à établir son portrait et à expliquer sa carrière militaire et politique.

 

Vincent BERNARD, Robert E.Lee, la légende sudiste, Paris, 2014. Alfred BURNE, Lee, Grant and Sherman, a Study in Leadership in the 1864-1865 Campaign, New York, 1939. Douglas FREEMAN, Robert E. Lee, a biography, en quatre volumes, Éditions Scribner, New York, 1935. J.F.C. FULLER, Grant and Lee, a study in Personality and Generalship, Bloomington, 1957. Robert BLOUNT Jr, Robert Lee, Penguin Putman, 2003. Alain SANDERS, Robert Lee, Pardès, collection Qui suis-je?, 2015.

Arnand BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016.

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24 novembre 2018 6 24 /11 /novembre /2018 14:37

      Général américain, William Tecumseh SHERMAN est, après Ulysses GRANT, le plus illustre des commandants d'armée ayant combattu pour l'Union pendant la guerre de Sécession. Militaire, homme d'affaires, enseignant et écrivain, il se trouve après cette guerre au centre des guerres indiennes bien connues grâce à son témoignage direct dans ses Mémoires. Liddel HART estime qu'il est le "premier général moderne", utilisant les ressources nouvelles issues de l'industrialisation pour la guerre et connu pour la dureté de sa politique de terre brûlée et la guerre totale qu'il mène contre les États confédérés.

 

Une carrière militaire de premier plan

   Il est comme GRANT et beaucoup d'officiers qui le combattront plus tard, élève à l'Académie de West Point, promotion 1840. A la fin de ses études, il sert au 3ème régiment d'artillerie, et passe une quinzaine d'années dans l'armée américaine avant de donner sa démission pour se lancer dans les affaires. Il réintègre l'armée peu après le début de la guerre de Sécession, mais il connait des débuts difficiles jusqu'à ce qu'il soit distingué par GRANT, lors de la bataille de Siloh, en avril 1862. Durant l'été de la même année, commandant le district du Tennessee Ouest, il doit lutter contre les tactiques de guérilla de ses adversaires, et il n'hésite pas à s'attaquer aux populations civiles pour punir le harcèlement subi par ses troupes. Ensuite, il prend part, aux côtés de GRANT, à la campagne de Vicksburg, qui marque une tournant décisif dans la guerre, au profit de l'Union.

SHERMAN est alors chargé par GRANT de prendre la direction des opérations sur le front occidental. C'est là qu'il mène la campagne, marquée par sa fameuse "marche vers la mer", qui établit sa réputation de tacticien à la fois audacieuse et impitoyable. Après s'être assuré le contrôle du Tennessee par la prise de Chattanooga, en novembre 1863, il entreprend d'investir la ville d'Atlanta, en Georgie. Véritable centre de gravité économique, industriel et militaire, Atlanta possède d'importants dépôts de munitions en constitue un point de ralliement pour toutes les lignes de chemin de fer de la région qui sont devenues les principales lignes de communication des Confédérés. SHERMAN comprend l'impact psychologique qu'une telle perte pourrait exercer sur l'ensemble de la population de la Confédération. Alors qu'il a pratiqué jusque-là une tactique de guerre reposant sur le mouvement et l'esquive, il tente un assaut frontal à Kenesaw Mountain (27 juin 1864) au cours duquel il subit un revers important. Malgré cet échec, il reprend sa marche vers Atlanta. Il commence par s'attaquer aux lignes de chemin de fer ennemis, puis, par une manoeuvre audacieuse au sud de la ville, il parvient à forcer la décision et à investir Atlanta, le 2 septembre. C'est ensuite la traversée de la Georgie jusqu'à Savannah, sur la côte atlantique, au cours de laquelle il emploie son armée à détruire tout ce qui se trouve sur son passage, afin d'anéantir la volonté populaire de son adversaire. Coupé de ses lignes de communication et se ravitaillant sur le terrain, il parvient à atteindre la côte en l'espace de quelques semaines, concentrant ses efforts sur la destruction des lignes de chemin de fer et veillant à laisser l'armée adverse dans le doute permanent quant à sa destination finale. Comme il l'a prévu, cette action a un effet démoralisateur plus puissant qu'aucune de ses victoires préalables. Ayant rétabli ses lignes de communication - par voie maritime - en arrivant à Savannah, il peut ensuite effectuer sa remontée vers le nord, passant Columbia et Goldsboro, avant de se diriger vers Petersburg, où l'attend GRANT. Pris en tenaille par GRANT, SHERMAN et SHERIDAN, Robert E. LEE est contraint de se rendre, le 9 avril 1865 à Appomattox. Après la guerre, SHERMAN accède aux plus hautes fonctions au sein de l'armée américaine dont il est le commandant en chef pendant 14 ans. (BLIN et CHALIAND)

Le bilan de son action militaire ne peut se mesurer uniquement en termes d'acquisition de la victoire. Cette guerre totale comporte bien des escès et accroit inutilement les souffrances des populations civiles ; elle attise des haines qui sont à peine éteintes, et contribue à faire du conflit entre Nord et Sud une guerre moderne (André KASPI). Le fait même, dans le déroulement des opérations, qu'il ravitaille son armée sur le terrain, occasionne des pillages "légaux", SHERMAN contribue à faire de la guerre de Sécession un point de départ de nouveaux conflits, plutôt que le point d'orgue de la lutte officielle contre l'esclavagisme. On peut comparer l'effet de ces spoliations-destructions aux effets des guerres napoléoniennes en Europe, réalisées une génération plus tôt en Europe (sur maints plans, économiques, sociaux, idéologiques...).

Sa carrière est essentiellement militaire ; il refuse de s'engager en politique.

 

Des Mémoires-références.

   A l'image des Mémoires de GRANT, ses Mémoires, publiés en 1875 constituent un des témoignages directs les plus connus à la fois sur la guerre de Sécession et sur les guerres indiennes. Par ailleurs, c'est le premier général à publier ainsi ses Mémoires, très connues bien plus que son Autobiographie, 1828-1861, connue surtout des spécialistes, non publiée, conservée par l'Ohio Historical Society. A noter que ses Mémoires, éditées plusieurs fois, et avec des modifications à chaque fois, de son fait ou, parfois contre sa volonté, comportent des variations parfois importantes.

La plus propice de ces éditions à des fins d'étude est celle de la Library of America de 1990, éditée par Charles ROYSTER. Cette version contient le texte complet de l'édition de SHERMAN de 1886, ainsi que des annotations, un commentaire sur le texte, et une chronologie détaillée de sa vie? Il y manque cependant l'important matériel biographique des éditions de Johnson et Blaine de 1891.

Comme nombre de ses "collègues", bien qu'il finisse par désapprouver l'esclavage, SHERMAN n'est pas un abolitionniste avant la guerre? Il ne croit pas à "l'égalité du nègre". Ses campagnes militaires de 1864 et 1865 permettent de libérer de nombreux esclaves qui l'accueillent comme un "Moïse" qui se joignent à sa marche à travers la Géorgie et les Caroline par dizaine de milliers. Considérant plus leur présence comme un "problème" que comme un "apport", SHERMAN s'occupe du sort de ces réfugiés, leur accordant des terres. Il décrit dans ses mémoires les pressions politiques afin d'encourager la fuite des esclaves, en partie pour éviter que les esclaves ne soient appelés à servir dans l'armée adverse. Dans ces mêmes Mémoires, il exprime ses idées sur la guerre en général, cruelle en elle-même et qu'on ne peut adoucir, et le primat du réalisme passe avant toutes considérations humanitaires, même si dans certaines conditions, qui n'entravent pas les opérations militaires, il puisse s'organiser envers les populations civiles les éléments de la reconstruction future, qui de toute façon passe par le rétablissement de la légalité des États-Unis et la répression impitoyable de toute "rebellion".

 

 

William Tecumseh SHERMAN, Memoirs of general W.T. Sherman, Paperbach, 2013 ; Library of America, 1990. Une recension de l'édition de 1875, publiée à l'origine dans la Revue des deux monde, tome 14, 1876, est disponible sur wikisource.

Alfred BORN, Lee, Grant and Sherman : A study in Leadership in the 1864-1865 Campaign, New York, 1939. LIDDEL HART, Sherman, Realist, American, New York, 1958.

Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016

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