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14 décembre 2018 5 14 /12 /décembre /2018 13:05

   Edgar NAHOUM, dit Edgar MORIN est un sociologue et philosophe français plus connu pour ses travaux en ces matières que pour sa activité pacifiste. Il s'agit pour lui de penser la complexité pour entreprendre des changements politiques, économiques et sociaux.

 

Pacifisme et Résistance

   Se qualifiant d'incroyant radical, Edgar MORIN, d'origine séfarade effectue son premier acte politique pendant la guerre d'Espagne, en 1936, en intégrant une organisation libertaire, "Solidarité internationale antifasciste. En 1938, il rejoint les rangs du Parti frontiste, petite formation de la gauche pacifiste et antifasciste et y milite parallèlement à ses études en histoire, en géographie et en droit.

Il entre, après sa licence de droit en 1942, au sein des "forces unies de la jeunesse patriotique, élément de la Résistance communiste. Il intègre ensuite le mouvement de Michel CAILLIAU, le MRPGD (Mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés). En 1943, il est commandant dans les Forces Françaises combattante, homologué comme lieutenant. Son mouvement fusionne avec celui de François MITTERRAND, qui devient le MNPGD (Mouvement Nationale des Prisonniers de Guerre et Déportés). Il adopte alors le pseudonyme de MORIN, qu'il garde par la suite. Il devient en 1945 attaché à l'état-major de la 1ere armée française en Allemagne, puis chef du bureau "Propagande" au Gouvernement militaire français (1946).

C'est que contrairement à beaucoup de pacifistes poreux par rapport à la propagande allemande et du coup attentiste sur la suite des événements tout au long de la guerre, Edgar MORIN, doté d'une solide culture historique, rejoint la résistance communiste. Il n'est alors pas représentatif de l'évolution de l'ensemble des pacifistes français.

A la Libération, il écrit L'An zéro de l'Allemagne où il dresse l'état des lieux de l'Allemagne, insistant sur l"état mental du peuple vaincu, en état de "sommanbulisme", en proie à la faim et aux rumeurs. Son livre arrive au moment du tournant communiste, où après la stigmatisation de la culpabilité allemande, STALINE déclare qu'HITLER passe et que le peuple allemand reste.

Membre du Parti Communiste Français depuis 1941, il s'en éloigne à partir de 1949 et en est exclu à son grand regret en 1951, pour avoir écrit un article dans le journal France Observateur.

   Edgar MORIN, même lorsqu'il entame sa "carrière" de sociologue en entrant au Centre d'études sociologiques (CNRS) dirigé par Georges FRIEDMAN en 1950 (avec l'appui de Maurice MERLEAU-PONTY, de Vladimir JANKÉLÉVITCH et de Pierre GEORGE), continue de militer, fidèle à ses convictions pacifiste et antifasciste, contre les guerres, notamment d'Algérie. En 1955, il est l'un des quatre animateurs du Comité contre la guerre d'Algérie. Mais contrairement à ses amis, SARTRE, DEBORD ou BRETON, il ne signe pas la "Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie", dit "Manifeste des 121", publié en septembre 1960 dans le journal Vérité-Liberté. L'urgence étant d'éviter l'installation d'une dictature en Algérie et en France, il lance, avec Claude LEFORT, Maurice MERLEAU-PONTY et Roland BARTHES, un appel pour l'urgence de négociations.

Edgar MORIN est membre dans les années 2000 du comité de parrainage de la Coordination française pour la décennie de la culture de paix et de non-violence. Intéressé par la non-violence, il apprécie le bouddhisme, religion sans dieu.

 

Une "carrière" de sociologue de premier plan

   Edgar MORIN conduit en 1965 une étude transdisciplinaire, au sein d'une vaste recherche de la DGRST, sur une commune de Bretagne, dont il publie les résultats dans La Métamorphose de Plodémat (1967), l'un des premiers essais d'etnologie dans la société française contemporaine. Il s'intéresse très vite aux pratiques culturelles, encore émergentes et mal considérées par les intellectuels d'alors : L'esprit du Temps (1960), La Rumeur d'Orléans (1969). Il cofonde la revue Arguments en 1956 et dirige le Centre d'études des communications de masse (CECMAS) de 1973 à 1989, qui publie des recherches sur la télévision, la chanson, dans la revue Communications.

Durant les années 1960, il part près de deux ans en Amérique Latine où il enseigne à la Faculté latino-américaine des Sciences sociales de Santiago au Chili. En 1969, il est invité à l'Institut Salk de San Diego où il retrouve Jacques MONOD et conçoit les fondements de la pensée complexe et de ce qui deviendra sa Méthode.

Aujourd'hui directeur de recherche émérite au CNRS, il est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde. Son travail exerce une forte influence sur la réflexion contemporaine, avec l'exigence de la démarche transdiciplinaire, notamment dans le monde  méditerranéen et en Amérique Latine, ainsi qu'en Chine, Corée et Japon. Il a fondé et préside l'Association pour la Pensée Complexe (APC).

 

Une pensée complexe qui relie

   Si la première formulation de la pensée complexe ne date que de 1982, dans le livre Science avec conscience, Edgar MORIN utilise le terme reliance pour indiquer le besoin de relier ce qui a été séparé, morcelé, détaillé, compartimenté, classé... en disciplines parfois antagonistes et écoles rivales de pensée.

Dans son livre La tête bien faite. Repenser la réforme. Réformer la pensée, publié en 1999 aux Éditions du Seuil, il expose les principes d'une pensée reliante, abondamment commentés et développés d'ailleurs, dans le site du Mouvement pour la Pensée complexe (mcxapc.org) :

- le principe systémique ou roganisationnel. l'idée systémique est à l'opposé de l'idée reductionniste car "le tout est plus que la somme des parties". Les émergences, qualités ou propriétés nouvelles apparaissent dans l'organisation d'un nouveau produit que les composantes ne possédaient pas. "le tout est moins que la somme des parties" également cas certaines qualités des composants sont inhibées par l'organisation de l'ensemble.

- le principe hologrammatique. Chaque cellule est une partie d'un tout - l'organisme global - mais le tout est lui-même dans la partie : la totalité du patrimoine génétique est présente dans chaque cellule individuelle ; la société est présente dans chaque individu-citoyen, en tant que tout, à travers son langage, sa culture, ses normes...

- le principe de boucle rétro-active. "L'effet agit sur la cause" referme le processus de causalité de linéarité ouverte "la cause agit sur l'effet". Comme dans un système autonome de chauffage où le thermostat régule le fonctionnement. Comme l'homéostasie des organismes vivants.

- le principe de boucle récursive. C'est une boucle génératrice dans laquelle les produits et les effets sont eux-mêmes producteurs et causateurs de ce qui les produit. Chaque être vivant est produit et producteur dans le système de reproduction. Les individus produisent la société dans et par leurs interactions, et la société, en tant que tout émergeant, produit l'humanité des individus en leur apportant le langage et la culture.

- le principe d'autonomie/dépendance (auto-éco-organisation). Les (choses) vivantes sont des (systèmes) auto-organisateurs qui sans cesse d'auto-produisent et par là-même dépensent de l'énergie pour entretenir leur autonomie et doivent donc puiser de l'énergie dans leur milieu dont elles dépendent pour être autonomes.

- le principe dialogique. Ce (principe) unit deux notions devant s'exclure l'une l'autre, mais qui sont indissociables en une même réalité. La dialogique "ordre/désordre/organisation" dès la naissance de l'Univers. Les particules physiques comme une dialogique (onde et corpuscule). La dialogique (individu/société/espèce) présente en chaque être humain.

- le principe de réintroduction du connaissant dans toute connaissance. (Tout objet-machine, tout objet-processus inventés contient du "sujet" qui les a conçus). De la perception à la théorie scientifique, toute connaissance est une reconstruction/traduction pour un esprit/cerveau dans une culture et un temps donnés.

   

Intégrer le social-historique et la vie quotidienne.

   Comme beaucoup d'autres auteurs contemporains, dont ceux, chacun à leur manière, issus de l'École de Francfort, dont Pierre BOURDIEU ou ALTHUSSER, Edgar MORIN tente de trouver une méthodologie pour pallier aux défauts de nombreuses théories, qui parlent de conflits en sous-estimant les coopérations, les sociabilités et les consensus ou inversement comme de celles qui discutent du système social ou des structures sociales en omettant les pratiques quotidiennes ou encore comme celles qui traitent de l'imaginaire et des réalités...

Pour Edgar MORIN, "les théories sociologiques n'arrivent pas à concevoir l'unité des antagonismes ni l'antagonisme dans l'unité. Les unes ne voient que l'unité du système social, les autres ne voient que les antagonismes ; pour les premières les antagonismes sont secondaires, pour les secondes l'unité n'est que de façade ou masque. Or ce qu'il nous faut, c'est une pensée capable de concevoir la société, non seulement comme unitas multiplex - unité/multiplicité -, mais aussi comme union de l'unité et de la désunité." Il propose, pour ne pas retomber sous l'emprise du principe de disjonction/simplification et échapper à la relation linéaire mutilante, de recourir à la circularité.

C'est d'ailleurs parce que les uns font l'impasse sur les antagonismes et les autres sur les coopérations, que beaucoup ne "voient" les conflits que lorsqu'ils s'expriment de manière ouverte et surtout de manière violentes. Or, le conflit préexiste toujours à son expression, et il existe au sein même de la société, qui, si elle existe, est faite de coopérations multiples plus ou moins bien vécues.

 

Un nouvel encyclopédisme

     Jean-Louis Le MOIGNE décrit bien cette entreprise, qui a notre sympathie, notre propre projet rejoignant à bien des égards notre démarche à propos du conflit. "Pour qui lit cette oeuvre, écrit-il, sans chercher d'abord à vérifier si elle appartient ou non à son propre pré carré disciplinaire, la réponse est" qu'elle relève spontanément en même temps à la science, à la philosophie, à l'épistémologie et à l'essai politique. "En témoignent les nombreux scientifiques (sciences douces - les sciences humaines - et sciences dures, faisant appel aux mathématiques), philosophes, épistémologues, politologues et essayistes, qui par le monde, se tiennent concernés par la pensée d'Edgar Morin. Cette audience, dans son envergure, est relativement récente." Outre les prévenances rattachées à ses activités pacifistes et ses sympathies communistes, "pendant longtemps, en effet, les spécialistes "disciplinés" (...) ont assuré qu'il existe un "site favorable d'où l'on puisse préjuger a priori de la justesse d'une pensée (...) un tribunal suprême pour juger de la clairvoyance ou de l'intelligence". Ceux-là entendent difficilement l'appel d'Edgar Morin "à manifester dans les domaines de la vie intellectuelle, sociale et politique l'attention aux données, la critique des sources, la pertinence du diagnostic, l'adéquation de la théorisation, la prudence là où l'information fait défaut, la hardiesse là où il faut se dresser contre le courant...", bref, " de vivre pleinement ce que signifie le mot recherche dans le jeu incertain de la vérité et de l'erreur".

"Ce que signifie le mort recherche?" La question et la réponse complexe, qui est de "vivre pleinement la question", révèle peut-être dans sa vocation fondatrice l'entreprise d'Edgar Morin. "En 1951, à trente ans, écrit-il dans ses "Papiers d'identité", j'ai la chance d'entrer au CNRS, où je deviens institutionnellement ce que j'étais psychologiquement : "chercheur"... Un chercheur qui veut prendre conscience de l'irréductible complexité de toute réalité, physique, biologique, humaine, sociale, politique. Un chercheur qui sait qu'une science privée de réflexion et qu'une philosophie purement spéculative sont insuffisantes. (...) mutilées et mutilantes".

Entreprise de recherche, et donc de production de connaissance : reconnaître les brèches et construire des arches, qui, transformant le paysage, inciteront sans cesse à reconnaître d'autres failles qui appelleront d'autres jonctions. Entreprise de recherche, pionnière plus que singulière, celle du chercheur explorateur qui sait que la "science avec conscience est aventure infinie". En relisant vingt après, en 1984, une réédition de la collection des 28 numéros de la revue Argument (...) André Burguière disait de ce dernier qu'il lui apparaissait à la fois comme un homme de la Renaissance et un homme des Lumières (...)."

   Ses ouvrages sont beaucoup lus de par le monde, il en existe des traductions en 28 langues, dans 42 pays.

 

Edgar MORIN, L'An zéro de l'Alemagne, éditions de la Cité Universelle, 1946 ; L'Homme et la mort, Éditions Corrêa, 1951, Nouvelle édition Le Seuil en 1976 ; Le Cinéma ou l'homme imaginaire, Éditions de Minuit, 1956 ; Mai 68, La Brèche, avec Claude LEFORT et Cornelius CASTORIADIS, Fayard, 1968, Réédition en 1988 aux Éditions Complexe ; La Rumeur d'Orléans, Le Seuil, 1969, Réédition en 1999, chez Points ; Le Paradigme perdu : la nature humaine, Le Seuil, 1973, Réédition en 1979 chez Points ; La Méthode, en 6 tomes, de 1977 à 2004, chez Le Seuil à chaque fois, Réédition de chaque tome ensuite chez Points ; Pour sortir du XXe siècle, Nathan, 1981, Nouvelle édition augmentée en 2004 dans la collection Points ; Science avec conscience, Fayard, 1982 (réédition en 1990 chez Points) ; De la nature de l'URSS, Fayard, 1983 ; Sociologie, Fayard 1984 (réédition en 1994 Le Seuil collection Points ; Penser l'Europe, Gallimard, 1987 ; Introduction à la pensée complexe, Le Seuil, 1990 ; Une politique de civilisation (avec Sami NAÏR), Arléa, 1995 ; L'intelligence de la complexité (avec Jean-Louis LE MOIGNE), Édition L'Harmattan, 1999 ; Culture et Barbarie européennes, Bayard, 2005 ; Pour et contre Marx, Temps Présent, 2010 ; Penser global - L'Humain et son univers, Robert Laffont, 2015 ; Écologiser l'Homme, Lemieux Editeur, 2016 ; Où est passé le peuple de gauche?,  Éditions de l'Aube, 2017.

Jean-Louis Le MOIGNE, Edgar Morin, Encyclopedia Universalis, 2014. Yves SANTAMARIA, Le pacifisme, une passion française, Armand Colin, 2005. Jean-Pierre DURAND et Robert WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot, 2002.

 

 

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