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25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 16:20

         Les fondateurs du marxisme, Karl MARX (1818-1883) et Friedrich ENGELS (1820-1895), introduisent plusieurs révolutions dans la "science économique" par une critique en règle de l'économie politique, et cela au moins de deux manières : ils changent de point de vue, des entrepreneurs et des sociétés capitalistes aux travailleurs eux-mêmes, et d'autre part, ils introduisent la manière de penser de l'économie dans un système global, qui comprend tous les secteurs de la société.

Ils assignent à toute guerre des causes économiques, voire exclusivement économiques, ces guerres provoquant eux-mêmes des phénomènes économiques. Friedrich ENGELS précise, dans Le rôle de la violence dans l'histoire, qu'elle est déterminée par l'état économique. Karl MARX, dans Les luttes de classe en France, comme en plusieurs endroits dans Le Capital, considère les guerres, non pas seulement dans leurs aspects inter-étatiques mais aussi dans leurs fondements dans l'infrastructure économique et sociale. Les antagonismes de classe sont à l'origine non seulement de la lutte des classes, qui peut être armée, des guerres dites civiles donc, mais également des guerres entre États.

Le capitalisme, selon une formule maintenant célèbre porte la guerre, comme la nuée porte l'orage. Mais dans l'oeuvre de ces deux "pères fondateurs", il n'existe pas d'analyse complète des guerres en tant que facteur économique et de l'économie en tant que facteur des guerres. La guerre est beaucoup plus analysée dans ses aspects stratégiques et tactiques - problématique de guerres entre classes - que dans ses aspects économiques. Ces deux auteurs écrivent avant les deux guerres mondiales et avant que la guerre soit définitivement une affaire de production militaire. Les complexes militaro-industriels dont discutent leurs successeurs n'existent pas encore à proprement parler.

 

         Rosa LUXEMBOURG (1871-1919) insiste (Cours d'économie politique - 1906 ; L'accumulation de capital - 1911) par contre sur le besoin qu'a l'économie capitaliste de territoires qui sont étrangers au mode de production capitaliste, pour écouler ses produits "invendables" sur le marché intérieur, faute pour l'immense majorité des consommateurs potentiels, les prolétaires, d'avoir les moyens de les acheter. Les États capitalistes entrent donc en guerre pour la possession des colonies et le système capitaliste lui-même s'écroulera dans cette lutte sans merci. Sans cette extension, le capitalisme est condamné par la baisse de son taux de profit. L'impérialisme apparait donc comme un développement, quasiment un achèvement, du capitalisme.

           Karl KAUTSKY(1854-1938), dans par exemple Der imperialismus de 1914, va plus loin contre la tendance à ne voir dans les rivalités impérialistes, l'agressivité des grandes puissances et leur rivalité en matière d'armement que leur militarisme : il ne retient que le mouvement de concentration capitaliste en monopoles et plus encore la rationalisation mondiale de l'économie capitaliste soumise aux trusts industriels et bancaires, et abouti à la notion d'ultra-impérialisme.

           BOUKHARINE (1888-1938), notamment dans L'économie mondiale et l'impérialisme, de 1915, analyse le capitalisme de guerre.

        Leurs thèmes sont repris beaucoup plus par les tendances libertaires et pacifistes que par la mouvance marxiste. Et dans la mouvance marxiste, c'est surtout la composante "austro-hongroise", qui donne naissance par ailleurs à l'École de Francfort par la suite, qui donne des éléments plus développés sur les relations entre économie et guerre. Karl August WITTFOGEL (1896-1988), Fritz STERNBERG (1895-1963) et Henryk GROSSMANN (1881-1950) écrivent beaucoup sur ces aspects. Par exemple, Fritz STERNBERG analyse des aspects économiques de l'impérialisme dans Der Imperialism de 1926, dans L'armée et la révolution industrielle de 1959 ou dans Le conflit du siècle et Socialisme à l'épreuve de l'histoire de 1960.

 

         LÉNINE (1870-1924) se concentre surtout sur la notion d'impérialisme et c'est son livre, L'impérialisme, stade suprême du capitalisme de 1916, qui est le point de départ de l'essentiel de la pensée marxiste sur la guerre. Il reprend les thèses exposées par l'essayiste anglais Johnson Atkinson HOBSON (1858-1940) dans son livre Imperialism de 1902. Ce dernier, à travers la description du mouvement impérialiste de la fin du XIXe siècle, montre comment des minorités cherchaient dans les conquêtes la possibilité de réaliser des surprofits. LÉNINE pense que ce ne sont pas seulement des minorités qui opèrent ainsi, mais le capitalisme tout entier lui-même. Celui-ci parvient à son stade suprême, la phase monopolistique. L'exportation de capitaux implique la possession de zones d'influence d'impérialismes qui entrent inévitablement en conflit armé. "L'impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s'est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l'exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s'est achevé le partage  de tout le territoire du globe entre les grands pays capitalistes."

           Ce concept d'impérialisme est ensuite à la base de la doctrine soviétique, notamment sous l'impulsion de JDANOV (1896-1948). Il est beaucoup plus question alors de concepts stratégiques que de problématiques économiques. 

 

          Le renouvellement théorique du marxisme initié dans les années 1950-1960, en Europe et aux États-Unis, est l'occasion de revenir à des analyses économiques de cet impérialisme. Ce renouvellement théorique, qui s'effectue contre le mouvement communiste officiel et en dehors également de la mouvance socialiste hostile à la notion d'impérialisme, prend pour point de départ la mondialisation du capital à travers la dépendance en inégal développement, la concentration oligopolistique de la production, la centralisation financière et l'hégémonie d'État. L'impulsion de cette réflexion vient d'ailleurs des États-Unis où des économistes comme Paul SEWEEZY (1910-2004), Paul A. BARAN (1909-1964), Harry MAGDOFF (1913-2006) et d'autres tirent la leçon de la grande dépression trouvant une issue dans l'industrie d'armement et les destructions de la deuxième guerre mondiale. Les travaux notamment dans la revue Monthly Review, fondée en 1949, s'illustrent par la tentation d'interpréter l'impérialisme comme consubstantiel au mode de production capitaliste. L'envolée des dépenses militaires américaines suscitent de très nombreuses études sur l'origine, le fonctionnement et les effets de l'existence du complexe militaro-industriel.

 

            Aujourd'hui, l'approche de l'impérialisme mêle les aspects stratégiques aux aspects économiques de l'impérialisme. Dans des travaux théoriques portant sur l'ensemble de l'évolution capitaliste, Ernest MANDEL (1923-1995), sans s'attacher à un catéchisme marxiste qu'il estime éloigné de la méthode de Karl MARX, décortique les différents éléments de la production des richesse comme de leur répartition, en tenant fortement compte de la place des dépenses militaires structurelles. A la suite des travaux de Samir AMIN (né en 1931) sur l'impérialisme (L'accumulation à l'échelle mondiale, 1970) ou de Charles Albert MICHALET (1938-2007) sur le capitalisme mondial (le capitalisme mondial, 1976), de nombreuses études insistent sur l'internationalisation des économies et la formation d'un système de l'économie mondiale, à l'intérieur duquel les rivalités étatiques s'expriment toujours. La militarisation de l'économie constitue un thème récurrent de ce genre d'études. 

 

Gérard BENSUSSAN et Georges LABICA, Dictionnaire critique du marxisme, PUF collection Quadrige, 1999. Armelle LE BRAS-CHOPARD, La guerre, Théories et idéologies, Montchrestien, 1994.

 

                                                                                                                                             ECONOMIUS

 

Relu le 2 janvier 2019

 

 

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