Cet article figure dans toute une série "Idéologie", aussi est-il intéressant de voir aussi ceux écrits antérieurement (vers 2016), en s'aidant de l'habituelle fenêtre de recherches.
Avant d'aborder ce qu'est la méthode politique, ou le matérialisme dialectique de Karl MARX, Jean-Pierre DURAND veut faire dans son étude sur sa sociologie un retour sur ce qui n'est pas la connaissance scientifique. Même si nous préférons de loin, au lieu d'une sorte de dénigrement de l'idéologie, la concevoir justement comme un ensemble d'idées d'où partent présuppositions et questionnements sur la réalité, que ces idées soient fausses ou bonnes... il faut, pour comprendre ce qu'est l'idéologie chez MARX, procéder autrement. A commencer par la naissance de la notion d'idéologie.
Le terme "idéologie" a été forgé par Destroit de TRACY (1754-1836) et ses amis qui entendaient constituer une "science des idées", mais sa signification a peu à peu dérivé jusqu'à contenir une connotation péjorative. Dans la démarche critique de MARX er d'ENGELS, l'idéologie n'est plus la "génétique des idées", mais devient objet de l'analyse elle-même lorsqu'il s'agit d'étudier les représentations caractéristiques d'une époque et d'une société. MARX cherche à fonder une théorie des représentations sociales. "L'idéologie est alors le système des idées, des représentations, qui domine l'esprit d'un homme ou d'un groupe social" (ALTHUSSER, Positions sociales, éditions sociales, 1976). D'où par exemple, son étude de l'idéologie allemande, pour caractériser les idées des philosophes allemands du début du XIXe siècle.
Dans cette perspective, il existe, à l'inverse de la doxa de médias, d'ailleurs peu soucieux des inégalités sociales et à la recherche d'effets d'effrois rétrospectifs par rapport à des "puissances communistes", il existe autant une idéologie ouvrière qu'une idéologie patronale, une idéologie impérialiste américaine qu'une idéologie autoritaire russe...
Une grande partie des oeuvres de jeunesse de MARX porte sur l'idéologie et sur la puissance des idées dans le mouvement historique. Selon ANSART (Idéologies, conflits et pouvoir, PUF, 1977), "Pour Marx, l'analyse des idéologies est beaucoup plus qu'un domaine privilégié du matérialisme historique, elle constitue la véritable introduction à la connaissance scientifique des formations sociales. Plutôt que de démonter patiemment les contradictions économiques et de suivre, par voie de déduction, l'émergence ds systèmes intellectuels, il s'attarde à recomposer et à analyser l'imaginaire collectif, ainsi qu'à utiliser les idéologies comme des symptômes privilégiés des contradictions sociales. Mais insatisfait de sa démarche, MARX n'utilise plus ce terme après 1852 et lui préfère celui de fétichisme qui donnera lieu au fameux développement du Capital sur le "caractère fétiche de la marchandise et son secret"." Dans le Tome 1, MARX cherche à dissiper le nuage mystique qui voile la nature sociale des échange entre capital et travail. La critique du fétichisme de la marchandise est bien la poursuite dans un champ plus restreint, mais plus important stratégiquement, du même objet : la genèse ou la production de représentations sociales qui rendent compte de façon imparfaite ou erronée du mouvement du réel.
La problématique de l'idéologie dominante
L'idéologie "serait donc, pour l'essentiel, une théorie de la méconnaissance ou de l'illusion, l'envers d'une théorie de la connaissance (BALIBAR, La philosophie de Marx, La Découverte, 1993). Pourtant, écrit encore Jean-Pierre DURAND, l'idéologie s'impose à l'individu et au groupe social : c'est une puissance de l'idéologie qui a préoccupé MARX très tôt avec la volonté d'en comprendre le fonctionnement et l'émergence. IL en trouve l'explication dans les rapports de domination qui correspondent aux rapports d'exploitation d'une classe par une autre.
Pour l'écrire plus crûment, les classes sociales dominantes imposent aux autres classes sa vision des choses et du monde, tout en l'adoptant, en partie, comme la réalité elle-même. Bien que MARX ne l'écrivent pas lui-même, on peut penser qu'elle relève aussi, cette vision, d'une ignorance réelle du fonctionnement de la société et du monde. Seulement, cette "fausseté" arrange bien les classes dominantes, à l'image de ces groupes religieux qui prennent comme dogmes dans les textes fondateurs de leur propre religion, les passages qui les arrangent...
Dans L'idéologie allemande, on peut lire : "Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l'un dans l'autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante".
De la "fausse conscience" au relativisme
Si l'idéologie est l'expression de la domination, le concept d'idéologie devient d'un usage difficile car il conduit à deux thèses opposées : ou bien l'idéologie signifie l'illusion, la représentation erronée (celle de la classe dominante qui a érigé ses représentations particulières en valeurs universelles), ou bien la tentative de transformation de la classe dominée en classe dominante produit une autre idéologie (plus "vraie" parce qu'elle est porteuse d'histoire) et la diversité des idéologies conduit au relativisme.
Depuis MARX, les deux théories ont eu leurs adeptes. Georg LUKACS (Histoire et conscience de classe, Minuit, 1960) et Joseph GABEL (La fausse conscience, Minuit, 1962) ont vu dans l'idéologie la "fausse conscience", tandis que Raymond ARON (Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, 1967) y découvrait la "conscience fausse" ou la "représentation fausse". A l'opposé; l'idéologie prolétarienne est pensée comme vraie à partir des conditions matérielles du prolétariat dans le capitalisme et de son rôle universel dans la révolution (LUKACS). Cette conception de l'idéologie prolétarienne prend ses racines dans les écrits de MARX qui à la fois font de toute classe révolutionnaire le vecteur de l'universalité et mettent en garde contre le caractère momentané de cette universalité. Pour éviter le relativisme dû à cette diversité des idéologies et des représentations du réel, un certain marxisme a opposé l'idéologie à la science et plus particulièrement l'idéologie bourgeoise (erronée et trompeuse) à la science prolétarienne (vraie et libératrice), ou bien a fait de la science bourgeoise une sorte d'idéologie (BOGDANOV, La science, l'art et la classe ouvrière, Maspéro, 1977 (1904-1918) ; LECOURT, Lyssenko, Histoire réelle d'une "science prolétarienne", Maspéro, 1976).
Par ailleurs, le communisme faisant disparaitre l'antagonisme de classes, il met fin à l'idéologie en tant que manifestation de la domination d'une classe? ET ce d'autant plus que l'universalité est réalisés : en général. "le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaitre que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l'homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu'elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l'aspect que le jour où s'y manifestera l'oeuvre d'hommes librement associés agissant consciemment et maîtres de leur mouvement social" (Le Capital, tom 1). Non seulement, on trouve dans cette citation le rôle de la raison dans la mise en oeuvre du communisme, mais les rapports sociaux deviendront transparents. Henri LEFEBVRE insiste lui aussi sur les rapports entre le caractère mystique de la marchandise (son fétichisme) et l'opacité des rapports sociaux dans le capitalisme pour faire de la praxis révolutionnaire la condition du rétablissement de la transparence (Socilogie de Marx, PUF, 1966). Ainsi raison et transparence s'opposent à idéologie et opacité.
L'idéologie "interpelle les individus en sujets"
L'État, en tant qu'appareil de domination d'une classe sur les autres, occupe une place privilégiée dans la production et la diffusion de l'idéologie. En effet, l'État étant la forme "dans laquelle se résume toute la société civile d'une époque, il s'ensuit que toutes les institutions communes passent pas l'intermédiaire de l'État et reçoivent une forme politique." Il faut entendre par là l'école, de la maternelle à l'université, le discours dominant des médias (presse et cinéma, télévision), et aussi toutes ces institutions publiques ou semi-publiques, qui diffusent la même musique, même à doses homéopathiques, de la poste aux timbres... sans oublier les institutions religieuses à l'origine ou relais d'un discours dominant sur la société, sur l'homme, la nature... "De là l'illusion que la loi repose sur la volonté et, qui mieux est, sur une volonté libre, détachée de sa base concrète" (L'idéologie allemande). C'est Louis ALTHUSSER qui a le mieux montré la fonction idéologique de l'État à travers sa thèses sur les appareils idéologiques d'État (Positons, Éditions sociales, 1976 - Pour Marx, Maspéro, 1973). Il questionné à nouveau la définition de l'idéologie, non pas seulement du point de vue de la domination, mais du fonctionnement. Pour cet auteur, "l'idéologie est une représentation du rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d'existence". C'est-à-dire que ce n'est pas leurs conditions réelle d'existence qu'ils se représentent dans l'idéologie, mais que c'est le rapport à ces conditions d'existence qui leur est représenté. Autrement dit, les hommes trouvent dans l'idéologie des représentations toutes faites, déjà constituées, de leur rapport au monde réel. Or ces représentations, en tant que constructions imaginaires, sont déformées et acceptées comme vraies. ALTHUSSER, comme KOFMAN (Camera obscura. De l'idéologie, Galilée, 1973), estiment que dans l'idéologie se réfracte, avec toutes les déformations inéluctables à la la domination, une certaine image erronée de cette même domination et du monde réel.
Si l'image est fausse, en raison même du travail de l'imaginaire, pourquoi les hommes y adhèrent-ils? Selon l'argumentation de Louis ALTHUSSER, "l'idéologie interpelle des "individus et sujets" : "Nous suggérons alors que l'idéologie "agit" ou "fonctionne" de telle sorte qu'elle "recrute" des sujets parmi les individus (elle les recrute tous) ou "transforme" les individus en sujets (elle les transforme tous) par cette opération très précise que nous appelons l'interpellation, qu'on peut se représenter sur le type même de la plus banale interpellation policière (ou non) de tous les jours : Hé, vous là-bas! (1976). Dans l'interpellation, les individus se reconnaissent comme sujets. Jouant sur la double acception du terme "sujet" (d'abord une subjectivité libre, un centre d'initiatives et un responsable de ses acte), Louis ALTHUSSER considère que l'individu concret interpellé en sujet l'est principalement pour être assujetti (deuxième sens du terme "sujet" qui signifie soumis à une autorité extérieure, donc dénué de toute liberté, sauf d'accepter librement sa soumission). Le sujet n'est pas à proprement parler assujetti à l'idéologie, mais au Sujet avec un grand S qui sera Dieu dans la religion, le Devoir dans la morale, le Droit dans la société, la Réussite à l'école, etc. Ce sujet domine l'idéologie et en organise les moindres détails de fonctionnement, y compris pour favoriser l'interpellation et l'assujettissement ; ce qui fait dire qu'il n'y a pas d'idéologie sans pratique (prière, procès, salle de classe...).
A l'assujettissement des sujets au Sujet succèdent leur reconnaissance mutuelle, la reconnaissance des sujets entre eux (les fidèles, les condamnés, les écoliers...), puis la reconnaissance du sujet par lui-même : le sujet se reconnait comme sujet du Sujet. Alors cette triple reconnaissance universelle et de garantie absolue, les sujets "marchent", ils "marchent tout seuls" dans l'immense majorité des cas, à l'exception des "mauvais sujets" qui provoquent à l'occasion l'intervention de tel ou tel détachement de l'appareil (répressif) de l'État. Mais l'immense majorité des (bons) sujets marchent bien "tout seuls", c'est-à-dire à l'idéologie (dont les formes concrètes sont réalisées dans les appareils idéologiques d'État, dits AIE). Ils s'insèrent dans les pratiques, gouvernées par les rituels des AIE. Ils "reconnaissent" l'état des choses existant, que "c'est bien vrai qu'il en est ainsi et pas autrement", qu'il faut obéir à Dieu, à sa conscience, au curé, à de Gaule, au patron, à l'ingénieur, qu'il faut "aimer son prochain comme soit-même, etc. Leur conduite concrète, matérielle, n'est que l'inscription dans la vie de l'admirable mot de leur prière : Ainsi soit-il!)"
Cette théorie de l'idéologie a été largement débattue : simpliste ou mécaniste pour les uns, "vraie" pour les autres parce qu'elle incorpore la conscience de l'individu-sujet ou bien parce qu'elle emprunte implicitement aux travaux de FREUD et de LACAN (jusqu'à la forme du langage utilisé...). La problématique du fonctionnement des idéologies ne répond pas aux interrogations relatives à leur constitution ou à leur production sociale. Si la thèse marxienne de la domination vaut pour expliquer ce nuage mystique qu'est l'idéologie, les médiations qui la rendent opérationnelle à tout instant et en tout lieu de l'existence des hommes constituent un vaste champ scientifique à peine élaboré. (Jean-Pierre DURAND)
Idéologie et aliénation
Comme le concept d'idéologie, le concept d'aliénation subit des fluctuations dans l'oeuvre de MARX, dès les Manuscrits de 1844. Son ses le plus strict est celui utilisé dans Le Capital quand il s'agit de montrer que le résultat du travail de l'ouvrier lui est étranger en raison de la séparation de l'ouvrier de ses moyens de travail qui le contraint à l'échange salarial. Il lui est étranger (aliéné) puisqu'il ne peut plus en disposer. La force de travail étant payée à sa valeur, que la valeur du travail fourni soit supérieure à la valeur d'échange de la force de travail n'a pas d'importance : la survaleur ou plus-value reste propriété du capitaliste.
La caractéristique essentielle qui fonde l'aliénation du rapport entre capitaliste et ouvrier réside dans le fait que l'ouvrier est chaque jour contraint d'aller vendre sa force de travail, car il ne dispose pas des moyens de travail objectifs (les moyens de travail) et subjectifs (les moyens de subsistance) qu'il trouve toujours face à lui chez le capitaliste. C'est donc la thèse de l'exploitation inscrite dans les travaux de maturité de MARX qui fonde scientifiquement le concept d'aliénation déjà présent dans les oeuvres de jeunesse. A noter que nombre d'auteurs refusent d'entendre parler de distinction franche entre ces deux types d'oeuvres de MARX et préfère discuter de la critique économico-sociale du capitalisme telle qu'elle figure notamment dans Le Capital, même si les premiers thèmes abordés par le fondateur du marxisme sont encore tout imprégnés de la pensée d'HEGEL (pour la philosophie), puis de RICARDO et SMITH (pour l'économie).
Deux renversements dialectiques
Jean-Pierre DURAND écrit qu'après avoir défini l'aliénation et de dessaisissement du travail de l'ouvrier, MARX procède à un premier renversement dialectique en montrant que, nécessairement, si le produit du travail est l'aliénation, la production elle-même est l'aliénation en acte. Autrement dit, tout comme l'idéologie n'était pas le résultat de la domination mais lui était inhérente, l'aliénation n'est pas seulement le produit du travail, elle est intrinsèque au processus productif, c'est-à-dire à l'acte de travail lui)même dans le capitalisme. Alors, il peut soutenir que l'acte de travail est "extérieur à l'ouvrier, que le travail dans lequel l'homme s'aliène est un travail de sacrifice de soi, de mortification. Enfin, le caractère extérieur à l'ouvrier du travail apparait dans le fait qu'il n'est pas son bien propre, mais celui d'un autre, qu'il ne lui appartient pas, que dans le travail, l'ouvrier ne s'appartient pas lui-même, mais appartient à un autre" (Manuscrits de 1844).
Dire que "l'ouvrier appartient à un autre", c'est décrire le servage ou l'esclavagisme et non le capitalisme. En 1844, MARX n'avait pas encore distingué la force de travail de l'ouvrier : le capitaliste n'achète pas le travailleur, mais l'usage de la force de travail de l'ouvrier durant un temps défini. Quoi qu'il en soit, nous sommes ainsi passés de l'aliénation de la chose à l'aliénation de soi. En effet, il le processus de production ou l'acte de travail dans le capitalisme aliène la chose (le résultat du travail), il aliène aussi le support de la force de travail (l'ouvrier) qui ne peut construire librement son oeuvre puisqu'il ne dispose pas des moyens de travail.
MARX opère ensuite un second renversement en passant du travail aliéné, nécessaire à la vie physiologique de l'homme, à l'aliénation de l'homme à l'égard du genre humain : le travail aliéné rend l'homme étranger à la nature (puisque son produit lui est confisqué) et le rend étranger à lui-même pour la même raison. Alors "la vie elle-même n'apparait que comme moyen de subsistance". Une telle conclusion conduit à rapprocher l'existence humaine de la vie animale : "Tandis que le travail aliéné arrache à l'homme l'objet de sa production, il lui arrache sa vie génétique, sa véritable objectivité générique et il transforme l'avantage que l'homme a sur l'animal (l'élaboration de son oeuvre) en ce désavantage que son corps non organique, la nature, lui est dérobé".
Cette analyse philosophico-économique pourrait-on dire est une analyse qui pousse au bout l'édifice intellectuel de MARX, et n'est pas toujours partagée, ni prolongée ensuite, par les marxistes successeurs. Mais de son vivant, elle peut être partagée par nombre de penseurs de son entourage.
De l'aliénation à la jouissance
Le régime de la propriété privée des moyens de production entraine d'autres formes d'aliénation (bien plus explorées par ses successeurs), cette fois dans la consommation : la création de nouveaux besoins ou l'appel à la jouissance constituent la dernière signification du concept d'aliénation que les critiques de la "société de consommation" et de l'"embourgeoisement de la classe ouvrière" ont repris dans les années 1960. La dimension est ici plus morale qu'économique. Il reste que celle-ci évoquée dans les Manuscrits de 1844 contient en germe tous les développements du capitalisme du XXe siècle, avec le rôle stratégique de la publicité dans la constitution des besoins et l'excitation des désirs.
D'une certaine manière, ce passage (dans les Manuscrits de 1844) invalide aussi les conséquences avancées dans Le Capital à propos de l'appauvrissement de la classe ouvrière dans le processus de création de la plus-value relative. En effet, l'allégorie du palais et de la chaumière, c'est-à-dire le maintien de leur inégalité, peut conduire non pas à la révolte, mais tout aussi bien à la satisfaction des individus des classes sociales les moins favorisées, chaque famille possédant de nos jours plus de biens qu'hier. Si la domination trace la voie au travail aliéné, l'aliénation peut s'accommoder de la domination quand la majorité des besoins issus de la propriété sont satisfaits (voir les travaux de HABER - L'aliénation. Vie sociale et expérience de dépossession, PUF, Actuel Marx, 2007 - et RENAULT, Reconnaissance, conflit, domination, CNRS Éditions, 2017 et l'ensemble du numéro d'Actuel Marx de mai 2006). C'est bien à cet ouatage ou feutrage des rapports de classes et d'exploitation que conduit le travail aliéné, en particulier lorsque l'idéologie contribue à en voiler la nature. D'où une sorte d'aliénation de "second niveau".
Jean-Pierre DURAND se fonde sur l'évolution historique du XXe siècle, mais n'oublie pas, je présume, qu'il s'agit là sans doute d'une évolution toute relative. N'oublions pas les écarts immenses persistants de richesses dans le monde entre classes sociales, même s'il peut y avoir des améliorations notables de niveau de vie (les luttes ouvrières plus importantes en fait que du temps de MARX y sont pour quelque chose...). N'oublions pas non plus cette chasse effrénée de la force de travail la moins coûteuse, proche de celle des bénéficiaires (des classes dominantes) du servage et de l'esclavage d'antant, qui constitue encore un des moteurs du capitalisme actuel (voir les conditions de la mondialisation)
Jean-Pierre DURAND, La sociologie de Marx, La Découverte, collection Repères, 2018.