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9 août 2017 3 09 /08 /août /2017 12:46

      Le philosophe prussien, d'origine autrichienne, fondateur de la phénoménologie, a une influence majeure sur l'ensemble de la philosophie du XXème siècle. Certains le considère, comme Gérard GRANEL, comme le plus grand philosophe apparu depuis les Grecs, mais entre les partisans et les détracteurs de la philosophie qu'il fonde, les opinions demeurent "partagées". Son oeuvre va toutefois bien au-delà de son contenu propre, dotée d'une signification générale et d'une portée historique profondes. Sans doute parce qu'elle reprend en en tirant les conclusions des plus abouties, des philosophies qui des Grecs à DESCARTES, de KANT à HEGEL, recherchent le sens de l'histoire et la vérité du monde, du point de vue des sujets qui réalisent cette recherche. A cela s'ajoute que les pensées des philosophes les plus divers s'alimentent du produit de la transcription des archives de ses oeuvres, conservées à l'Institut supérieur de philosophie de l'Université catholique de Louvain, qui n'est toujours pas actuellement achevée. 

   Pour Gérard GRANEL, "ce projet husserlien en vue d'une capacité de l'humanité par rapport à la question de l'être a été repris, mais en dehors de la phénoménologie, par Heidegger. Et la postérité heideggérienne, dans l'entrecroisement habituel de l'incompréhension partenaire et de la fidélité parricide, bref cette succession elle-même "grecque", entièrement tragique, est sans doute la seule qui compte. Mais ce n'est certes pas la seule qui se soit manifestée dans la vie publique de l'esprit, c'est-à-dire dans la culture et dans l'Université. Nombreux, ou plutôt innombrables, sont les philosophes qui doivent à Husserl d'avoir trouvé le moyen et la forme, le chemin et le langage pour pouvoir être philosophe entre la Première Guerre mondiale et les dix années qui ont suivi la Seconde. Cela va de Max Scheler (Le Formalisme dans l'éthique, 1916) à Maurice Merleau-Ponty en passant par Engen Fink, Ludwig Langgrebe, Roman Ingarden, Emmanuel Levinas, le premier Sartre, sans parler des étudiants de philosophie qui ont lu Husserl tour à tour de 1930 à 1955, comme on a lu Hegel de 1805 à 1835. Puis Husserl a traversé cette sorte de purgatoire, ou plutôt d'imperceptible effacement, qui affecte comme on sait (mais à un moment et pour une durée qu'on ne sait pas) les plus grandes oeuvres. Ce temps de retombée et d'isolement relatif signifiait seulement que s'affûtait le tranchant d'une nouvelle lecture de la phénoménologie, loin de toute appartenance d'école et de toute réfutation militante, une lecture qui cherche maintenant, dans le démantèlement de son tombeau moderne, pieusement et exactement le contour de cette pensée "grecque". 

    Jacques ENGLISH explique que si HUSSERL a une réputation d'auteur difficile, c'est qu'il le mérite pleinement. "Non seulement parce que le vocabulaire souvent technique qu'il emploie, fondé sur les multiples possibilités de préfixations et de suffixations qui sont propres à l'allemand, et rendu très riche aussi par les nombreuses variétés étymologiques auxquelles il recourt, germaniques, mais presque autant, grecques, latines, et même françaises, est, dans la plupart des cas, impossible à rendre tel quel, avec toutes ses diverses nuances, dans une autres langue. Mais aussi parce que ce vocabulaire a beaucoup évolué au fil des années, car le fondateur de la phénoménologie n'a jamais renoncé tout au long de sa carrière, à employer des termes nouveaux pour mieux exprimer sa pensée à chaque fois qu'il lui faisait franchir un seuil, de sorte qu'il ne faut jamais oublier de prendre en considération, pour bien la comprendre, l'émergence de chacun de ces différents registres de vocables qui ont marqué à tant de reprises, dans sa manière même de s'exprimer, un réapprofondissement essentiel." Il déploie de plus en plus largement dans son oeuvre une problématique générale de fonctionnement de l'intentionnalité, qu'il rend par des strates d'écriture superposées, entrelacées, ceci avec l'aide de ses traducteurs, qui ont d'une certaine manière des responsabilités importantes dans la réception d'une oeuvre compliquée. L'évolution de la pensée de HUSSERL "s'est manifestée beaucoup moins par une suite saccadées de réarrangements inattendus sur des types d'attitude qu'il aurait d'abord entièrement rejetés que par des cycles réguliers de réinvolution dans les intervalle mêmes de ses propres séries d'analyses antérieures, trop peu ouvertes encore lorsqu'il les avait amorcées, et redescendues ainsi depuis, du dedans, pour être soumises à autant de réexamens, mais pour continuer aussi à mieux mettre par là en place un même modèle général d'ordonnance entre les deux groupes de facteurs, phénoménologiques et ontologiques, entrant ensemble, sur ses versant opposés, dans le fonctionnement de la corrélation que constitue l'intentionnalité, ainsi que la tâche lui en avait été léguée par ces deux oeuvres exemplaires que furent pour lui, dès le départ, et que restèrent jusqu'à la fin, la Psychologie du point de vue empirique de Brentano et la Théorie de la science de Bolzano, même si ni l'une ni l'autre, avec leurs vocabulaires si peu variés, par comparaison, et si peu évolutifs, n'avaient réussi à la mener à bien."

    HUSSERL appartient à un monde en constant développement scientifique et, en logicien qu'il  est, ne cesse, tout en assignant à sa philosophie des attentes bien plus larges que la science mondaine (arquée non sur la volonté de connaitre le monde mais sur l'efficacité d'action sur le monde), d'appliquer la dynamique extensive de ce monde à la constitution d'outils capables de rendre compte à la fois du réel et des conditions dans lesquels le sujet appréhende le réel. Ce qui rend essentielle son oeuvre, c'est la capacité qu'il offre de "précipiter" en quelque sorte les acquis des philosophies qui l'ont précédés tout en les dépassant à la fois dans leurs objectifs et dans leurs méthodes. Il faut opposer parfois HUSSERL à KANT, à HEGEL, à BRENTANO, à DESCARTES... pour le comprendre. Mais il faut surtout comprendre la manière dont il s'approprie leurs résultats pour aller beaucoup plus loin qu'eux, tout en ne niant absolument pas leurs apports. Si HUSSERL tente de refondre la philosophie comme science rigoureuse, son projet ne fait pas forcément l'unanimité, à commencer par son point de départ. Si le fait qu'il soit en premier mathématicien et logicien - le parallèle avec DESCARTES est intéressant à faire - le guide dans sa manière de faire et de renouveler profondément la philosophie, frappé par les rapports entre la logique et les mathématiques, le mathématicien Gottlob FREGE, le fondateur de la logique moderne (et l'un des pères de la philosophie analytique, critique âprement sa pensée et l'accuse de psychologisme. Mais à la manière de DESCARTES, HUSSERL cherche à refonder la totalité des sciences à partir d'une expérience indubitable. Sa réflexion l'amène à développer les trois grands principes de la phénoménologie transcendantale : l'intentionnalité, la réduction phénoménologique et le sujet transcendantal. 

      De la publication en 1896 de sa Philosophie de l'arithmétique, à les Recherches logiques (1900-1901), en deux tomes, Prolégomènes à la logique pure et Recherche pour la phénoménologie et la théorie de la connaissance, puis à celle de son ouvrage fondamental en 1913, Les Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique (Ideen I), il poursuit une carrière universitaire (Halle, Fribourg...), parfois contrariée, qui l'amène en France pour deux conférences à la Sorbonne, qui donneront les Méditations cartésiennes (1929). Il est en bute aux persécutions antisémites dès 1933 et lorsqu'il meurt en 1938, devant la menace de leur destruction, l'ensemble de ses manuscrits sont évacués à Louvain (Archives Husserl, dont 300 000 feuillets resteraient à dépouiller).

  Outre ses ouvrages principaux précédemment cités, il faut citer Logique formelle et transcendantale (1929) et surtout La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (Krisis, 1936), et Expérience et jugement, édité par son élève LANDGREBE en 1939. C'est d'ailleurs, pour certains, comme Gérard GRANEL, à travers la lecture de Krisis que peut se découvrir l'ampleur de son projet et les motifs qui le poussent à cette réflexion radicale. 

 

Edmund HUSSERL, Recherches logiques, 4 tomes, PUF, collection Epiméthée, 2002 ; La philosophie comme science rigoureuse, PUF, 1954 ; l'idée de la phénoménologie, PUF, 1992 ; Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen I), Gallimard, 1992 ; Méditations cartésiennes, Vrin, 1947, réédition en poche en 1992 ; la crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, Gallimard, 1992. 

On consultera avec profit le texte de Paul RICOEUR, A l'école de la phénoménologie, Vrin, 1986. 

Gérard GRANEL, Husserl, dans Encyclopedia Universalis, 2004 ; Jacques ENGLISH, Huserl, Le vocabulaire des philosophes, Tome IV, Ellipses, 2002.

 

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