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26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 13:07

            Les changements climatiques actuels amènent, malgré bien des obstacles, la communauté internationale, au sens onusien, à réagir, notamment à travers le Protocole de Kyoto de 1997, à maintenant 184 signataires sur les 193 membres de l'ONU. Entré en vigueur en février 2005, ce protocole vise à réduire, entre 2008 et 2012, de 5,2% par rapport au niveau de 1990, les émissions de six gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d'azote et trois substituts des chlorofluorocarbones). S'appuyant sur les rapports du GIEC, ce Protocole introduit dans le droit international un élément-clé qui redistribue les cartes juridiques entre les différents acteurs (tous ne sont pas sujets au sens strict du terme) du droit international : États, grandes entreprises, citoyens, organisations non gouvernementales. Indirectement bien entendu car le Protocole n'engage que des États. Mais sa signature engendre une succession d'actions juridico-politiques, au niveau international, régional, national et local. Du fait même que des États refusent de participer à l'action entreprise contre le réchauffement climatique, d'autres acteurs prennent en quelque sorte la relève, dont des États faisant partie d'États fédéraux comme les États-Unis, des fondations privées, des groupements industriels. Un jeu complexe de traduction de cet impératif de réduction des gaz à effet de serre se répercute au niveau des droits internes, du droit commercial et d'autres droits (de propriété, indirectement, puisque l'on touche au droit de polluer indéfiniment).

 

Conflits entre droits

     Les intérêts divergents entre des droits de l'environnement et des droits industriels et commerciaux, entre l'instance chargée du contrôle de la réalisations des accords de Kyoto et l'Organisation Mondiale du Commerce se traduisent en droit par des distorsions juridiques (de juridiction, par exemple) qui ne vont pas manquer de s'aggraver tant qu'une harmonisation ne sera pas définie entre ce droit nouveau émergent de l'environnement et le droit commercial, et ce d'autant plus que sont impliqués à la fois dans cette affaire des droits publics et des droits privés. 

Cela fait partie en outre, du vaste bras de fer entre acteurs internationaux, publics et privés, et de manière générale entre puissances privées partisanes du libéralisme (ou du néo-libéralisme) et puissances publiques désireuses de reprendre la main dans l'organisation de la vie de la Cité au sens large, étant donné que ces derniers acteurs se trouvent souvent pris entre acteurs régionaux et locaux prenant de l'importance à de nombreux niveaux et acteurs internationaux au devenir encore incertain. Mais il s'agit aussi, profondément, d'une vaste bataille idéologique où les hommes, qu'elles que soient leurs places dans les organisations, étatiques ou non, orientent l'activité pour des objectifs plus ou moins collectifs, plus ou moins à court terme, plus ou moins intéressés (parfois personnellement) par des résultats financiers. C'est ainsi que des fonctionnaires d'orientation libérale peuvent oeuvrer pour des désengagements de l'État et des entrepreneurs vouer leurs firmes ou fondations à des fins collectives à plus long terme. Bien entendu, les structures étatiques peuvent être plus ou moins centralisées et invasives dans les domaines économiques ou la sphère privative, mais il semble bien que c'est dénaturer l'État que d'en faire un instrument directement au service d'une poignée d'entreprises temporairement les plus rentables... Singulièrement, dans le domaine des changements climatiques, la traduction des péripéties de cette bataille en termes juridiques structurent l'action sociale dans le sens d'une détérioration ou d'une amélioration de la situation, avec un enjeu capital, celui de la destinée à terme des conditions de vie sur la planète...

 

       Mireille DELMAS-MARTY explique quelques aspects juridiques concernant ce changement climatique. Déjà, pendant la négociation de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les États se partagèrent en plusieurs groupes qui ne recoupaient pas la division traditionnelle Nord-Sud, mais illustraient la place des intérêts particuliers et sectoriels (Boisson de CHAZOURNES, Le droit international au chevet de la lutte contre le réchauffement planétaire : éléments d'un régime, dans L'évolution du droit international, Mélanges, Hubert Thierry Pedone, 1998). L'originalité de ce texte, ouvert à la signature lors du sommet de Rio (1992) et entré en vigueur en 1994, est "précisément de combiner un objectif commun et des pratiques différenciées dans l'espace et le temps. L'objectif est de stabiliser "les concentrations de GES dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique" et d'atteindre ce niveau "dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s'adapter naturellement, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre de manière durable". En revanche la "spécificité des priorités nationales et régionales" et le principe des responsabilités "communes mais différenciées" conduisent à répartir les États en plusieurs catégories. Certains engagements sont communs à tous, comme l'obligation pour les États de soumettre régulièrement des informations détaillées en vue de ramener les émissions anthropiques au niveau de 1990, mais d'autres ne pèsent que sur les pays industrialisés, qu'il s'agisse du régime de réduction des émissions ou de l'obligation de fournir des ressources financières et de faciliter le transfert de technologies.

Malgré la souplesse du dispositif, le débat fut particulièrement difficile sur les moyens d'assurer le respect d'obligations comprises comme des limites à la souveraineté nationale. La réponse est à peine esquissée dans la convention-cadre car la négociation qui s'était engagée à Rio devait tourner court après qu'un système d'éco-taxes, proposé par la Commission européenne, eut été refusé par les États-Unis et le Japon. Quant à la création d'un marché de droits d'émission, avec la mise en place des systèmes de permis négociables, elle était souhaitée par certains pays et par des représentants du système privé, mais ne fut pas décidée."

Le Protocole de Kyoto, aboutissement de négociations dures, est un premier instrument , à la fois juridique et économique, "dont l'objectif est de réduire les coûts en permettant aux pollueurs pour lesquels les mesures anti-pollution sont coûteuses d'acheter des permis de polluer à ceux pour lesquels les mesures reviennent à moindre coût. Pour y parvenir, le mécanisme consiste à définir les quantités d'émission autorisées pour 2008-2012, selon des quotas fixés à chaque pays par référence à ses émissions en 1990. L'Accord organise ainsi une distribution gratuite de permis d'émission qui seront ensuite transférables à d'autres pollueurs. En ce sens, il crée un "marché des permis", où se négocient ces transferts.

A vocation mondiale, cet instrument reste de nature interétatique, et non supra-étatique, ce qui veut dire que rien ne permet de l'imposer, dès lors qu'il est rejeté par un certain nombre de grands pays, à commencer par les États-Unis ; en d'autres termes, face à un problème global, la réponse juridique reste avant tout attachée au droit national. Si l'on peut craindre que le droit se révèle ainsi inadapté aux questions posées, il ne faut pas renoncer pour autant à rechercher les conditions dans lesquelles il pourrait devenir adaptable." 

 

Un droit inadapté

    Suivant cette vision plutôt optimiste, la professeur au Collège de France (chaire d'Études juridiques comparatives et internationalisation du droit) développe les élément qui font du nouveau droit un droit inadapté et un droit adaptable....

      Ce qui fait l'inadaptation de ce droit réside dans "la contradiction entre des systèmes de droit qui restent pour l'essentiel identifiés à l'État et des changements climatiques qui manifestent leurs effets à une échelle globale." Il résulte que le dispositif juridique traditionnel est inadapté à l'objet. L'on a déjà constaté cette même inadaptation dans le domaine du désarmement et des constructions pour la paix. 

"Le dispositif juridique semble inadapté car le droit international lui-même, soumis à ratification et affaibli par l'absence de mécanisme de sanction, reste fondé sur un principe de souveraineté, synonyme de l'indépendance des États, alors que nous constatons en matière de changements climatiques, comme en bien d'autres domaines, de fortes interdépendances. C'est pourquoi les textes fondateurs que sont la convention-cadre et le protocole de Kyoto n'ont pas apporté de solution claire pour l'avenir dans les pays en développement. C'est aussi pourquoi ils sont restés impuissants lorsque le États-Unis, bien qu'ils fussent précurseurs en matière de marché des permis aient été à l'origine de la proposition (destiné à éviter l'éco-taxe), se sont retirés du processus."

Du coup, le relais est pris par des ensembles régionaux, notamment l'Union Européenne, et des organismes mondiaux comme le Chicago Climate Exchange (CCX), qui regroupe des acteurs économiques des États-Unis, du Canada et du Mexique qui s'engagent, d'ici à la fin 2006, à réduire leurs émissions de GES de 4% au-dessous de la moyenne de leurs émissions de base de la période 1998-2001. C'est, dans le cadre de la mondialisation, l'apparition de normes transnationales d'origine privée qui frappe le plus dans ce relais. Il en résulte une "superposition de différents ensembles normatifs (nationales, transnationaux, internationaux régionaux et mondiaux)" qui a "des effets perturbateurs sur les ordres juridiques nationaux et sur les ordres régionaux, comme l'ordre communautaire, encore en construction, sans leur substituer un véritable ordre juridique mondial."

C'est une situation "désarticulée", caractérisée par la fragmentation, l'incohérence et l'instabilité du champ juridique. "La fragmentation tient d'abord à la discontinuité de la chaîne hiérarchique verticale entre droit national et droit mondiale. (...) Le phénomène est renforcé par l'absence de cohérence entre les divers instruments internationaux, qui ne sont pas hiérarchisés entre eux et restent largement autonomes les uns par rapport aux autres (droit à l'environnement, droit du commerce, droit du développement, droit de la propriété intellectuelle), relevant en outre d'institutions différentes (ONU, OMC, OMPI). S'ajoute encore une forte instabilité normative, car l'évolution juridique dépend non seulement du contenu du protocole de Kyoto, réparti en plusieurs phases, mais du rythme des ratifications et plus largement des vitesses d'évaluation propres à chaque ensemble normatif. Ainsi l'évolution dans le cadre de l'Union européenne apparait plus tardive, mais plus rapide, que dans le cadre de l'ONU, tandis qu'au plan mondial le droit du commerce progresse plus vite et de façon plus efficace que le droit de l'environnement.".

 

Un droit adaptable

      Ce droit est sans doute par ailleurs adaptable. La création "d'un instrument supranational, directement contraignant pour tous les États, reste au stade actuel politiquement inacceptable. En revanche les principes conçus à l'échelle mondiale peuvent être progressivement appliqués dans les différents États, par ajustements et réajustements, si l'on réussit à ordonner les interactions, verticales et horizontales, entre les différents dispositifs juridiques, tout en ménageant des marges d'appréciation et des temps d'adaptation."

"Les interactions verticales peuvent être renforcées par le droit international régional comme on l'a vu en Europe (...). Mais la transposition implique des ajustements, par exemple, quant à l'interprétation du principe de précautions, appelant la reconnaissance d'une "marge communautaire d'appréciation". De même que la transposition du dispositif de Kyoto en droit national soulève des difficultés quant à la nature juridique des quotas d'émission. On sait que ce dispositif organise une distribution gratuite de permis d'émission qui seront ensuite transférables à d'autres pollueurs. Par là même il cré un "marché des permis", où se négocient les quotas d'émission. Plutôt que de créer, comme on l'a dit parfois, un "droit de polluer", il s'agit d'encadrer le droit de produire des gaz à effet de serre au titre d'une activité économique déterminée. Il faut donc résoudre la contradiction de départ, opposant l'air, qui demeure une "chose commune", non appropriable, et les quotas d'émission qui peuvent être vendus. La solution proposée en droit français est de les qualifier de "biens incorporels", définis sur le modèle des actions ou des parts sociales, comme une créance contre le marché, avec cette spécificité que la créance devient une dette quand le quota est dépassé. (...)".

La question des interactions horizontales est plus difficile à résoudre "en l'absence de hiérarchie entre le droit de l'environnement et d'autres ensembles normatifs, comme le droit du commerce, pour s'en tenir à l'exemple le plus sensible." Une hiérarchie de fait risque de s'instaurer en faveur du commerce, il existe un ensemble de conflits entre les dispositions adoptées à Kyoto et ceux de l'Organisation Mondiale du Commerce, entre les normes commerciales et les quelques 200 accords multilatéraux à vocation mondiale sur l'environnement. "Si l'ordre du marché reconnait la nécessité de protéger l'environnement, et si le droit de l'environnement intègre l'outil économique, cette dialectique appellerait une synthèse pour éviter, si chaque juge tranche au coup par coup, de substituer un gouvernement des juges à l'absence de gouvernement mondial. Pour construire la synthèse, il ne suffira pas de favoriser l'inter-normativité entre droit du commerce et droit de l'environnement, ni la co-régulation entre les différentes institutions compétentes ; encore faudra-t-il réintroduire une dimension politique en précisant les contours et le régime juridique de la notion de "biens communs de l'humanité" ou de "biens collectifs globaux". S'il est vrai que les risques écologiques sont des phénomènes globaux par la force des choses, il n'en est pas moins vrai que c'est au nom d'idées exprimant des valeurs (solidarité dans l'espace et le temps, ou liberté d'entreprendre et de commercer) que l'on trancher les conflits. Seule la référence aux valeurs et leur pondération pourraient fonder, au croisement des différents ensembles normatifs, la légitimité des choix. Il est donc indispensable, pour réintroduire cette légitimité, de relier globalisation et universalisme des valeurs. (DELMAS-MARTY, Les forces imaginantes du droit - Le relatif et l'universel, Seuil, 2004 ; Le pluralisme ordonné, Seuil, 2006)."

 

         Les prochaines conférences internationales sur le climat mettent le Protocole de Kyoto à la croisée des chemins. D'un côté, le renouvellement de ce protocole après la fin de la première période d'engagement en 2012 est incertain. De l'autre côté, un nouveau traité climatique rassemblant l'ensemble des États du monde doit être négocié d'ici 2015 pour entrer en vigueur en 2020. La répartition de ces cibles entre les différents groupes de pays - pays industrialisés, pays en voie de développement, pays en transition, relève de considérations éthiques, pragmatiques et juridiques.

Sébastien WEISSENBERGER évoque différents aspects de justice climatique (VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Débats et Perspectives 2012). On peut trouver dans cette revue un suivi serré des questions juridiques liés aux changements climatiques.

 

Mireille DELMAS-MARTY, Le changement climatique : quelques aspects juridiques, dans L'Homme face au climat, Sous la direction de Edouard BARD, Symposium annuel du Collège de France, Odile Jacob, 2006.

 

JURIDICUS

 

Relu le 4 juin 2021

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25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 06:46

      Climatologue américain, également ornithologue, professeur à l'Université Stanford (à partir de 1992), rédacteur de centaines de notes scientifiques, de rapports et d'ouvrages sur la question du changement climatique, Stephen SCHNEIDER est l'un des premiers scientifiques à alerter le monde sur la manière dont les émissions de gaz à effet de serre produits par l'homme menacent le climat de la Terre. Membre fondateur du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC) en 1988, il est un des spécialistes de cette structure qui partage avec l'ancien vice-président Al GORE le Prix Nobel de la paix en 2007, pour leur travail d'éducation du public sur le changement climatiques. 

    Il se lance dès les années 1970 dans la climatologie en raison de son engagement en faveur des causes environnementales et du faible nombre de scientifiques menant des recherches expérimentales dans ce domaine. Dans ses ouvrages scientifiques (ce qui est bien rapporté exemple par exemple dans son ouvrage Encyclopedia of Climate and Weather, Oxford University Press, 1996), il analyse les répercussions des particules générées par les activités industriellles et domestiques sur le climat et met au met au point des modèles mathématiques afin de prévoir les retombées éventuelles du réchauffement de la planète. Il étudie également les aspects économiques des politiques climatiques.

    Un grand nombre de ses ouvrages vulgarise les questions climatiques auprès d'un large public. Il participe également au lancement du projet climatique au National Center for Atmospheric Research à Boulder, dans le Colorado, ainsi qu'à la création du périodique Climatic Change, dont il demeure le rédacteur en chef jusqu'à sa mort. 

      Parmi ses ouvrages les plus marquants, citons Global Waening (1989) ;  Où va le climat? Que connaissons-nous du changement climatique? (1996) ; La terre menacée, un laboratoire à risques (Laboratory Earth : the Planetary Gamble We Can(t Afford to Lose, 1997), Editions Hachette, 1999 ; Climate Change Policy : A Survey, 2002 ; Scientists debate Gaia : the next century, MIT Press, 2004 ; Défendre le climat, un sport de combat, National Geographic, 2011 (Science as a Contact Sport, 2009). Il est aussi l'auteur de The Patient from Hell (2005), récit de sa victoire contre une forme rare de lymphome non hodkinien (forme de cancer).

 

       Dans Défendre le climat, un sport de combat, il relate son travail de recherche et de sensibilisation du public. Il y expose les différents enjeux du climat sur la scène politique et les progrès scientifiques accomplis dans la connaissance du réchauffement climatique. Une lutte de trente cinq ans, pour faire admettre la véracité scientifique sur l'existence d'abord, puis sur les causes et les conséquences de ce réchauffement, contre une opinion du monde scientifique mitigée au départ, contre une opinion publique réticente à admettre ses responsabilités et contre les différents lobbies industriels directement concernés par les émissions de gaz à effet de serre. Il raconte ses batailles contre les différentes déformations des communications scientifiques sur le sujet, rattachées à la difficulté à communiquer des informations relativement complexes, obstacles à la formation et à l'exécution de politiques environnementales efficaces.

Une grande étape pour lui de la prise de conscience sur la planète Terre, "alors que le réchauffement planétaire multipliait les signaux avant-coureurs de ses foudres" est l'avertissement brutal de l'ouragan Katrina de 2005. "Vivement critiqué pour sa gestion de la crise, le gouvernement Bush accumula les faux pas, tandis que le monde exigeait de ses dirigeants qu'ils passent à l'action. La quatrième réunion du GIEC allait faire état d'un bilan toujours plus alarmant que les scientifiques tenaient à porter à la connaissance du public contre une farouche opposition. Malgré la campagne d'Al Gore et le retentissement de son film Une vérité qui dérange, il faudrait attendre un changement de gouvernement pour que les États-Unis prennent le taureau par les cornes."

Sur la guerre des médias, il écrit que "la stratégie de désinformation reste un grand classique dans l'arène du changement climatique. Au fil des années, mes collègues et moi-même avons appris à parer les attaques et à démentir les fausses informations et les interprétations tendancieuses financées par les lobbies et par les grande entreprises, ainsi qu'à affronter bien d'autres violations de l'éthique journalistique. Et les choses n'ont fait qu'empirer." 

Dans le dernier chapitre : Pourquoi tirer le signal d'alarme, nous pouvons lire : "Pendant toutes les années retracées dans ce livre, j'ai sillonné le monde du Groenland au Japon en passant par la Nouvelle-Zélande. J'ai donné des dizaines de conférences et d'interviews, j'ai assisté à des conseils tribaux, discuté avec les chefs religieux, témoigné devant les politiques, participé à des forums sur la gouvernance de la planète, à des réunions au sommet, à des conférences universitaires, des évaluations scientifiques, des tables rondes avec les chefs d'entreprise et je me suis entretenu à huis clos avec les décideurs et les industriels. Jamais nous n'avons entrevu de solution miracle au changement climatique - seulement des pis-aller. Deux grands défis nous occupent aujourd'hui. Tout d'abord, protéger les ressources de la planète pour la postérité. Ensuite trouver des solutions pour venir en ide aux premiers touchés par les impacts du réchauffement planétaire et gérer les politiques climatiques aussi bien nationales qu'internationales."

 

 

Stephen H. SCHNEIDER, Défendre le climat, un sport de combat, National Geographic, 2011.

Hanne COOK, article Schneider Stephen H, dans Encyclopedia Universalis, 2013.

 

Relu le 5 juin 2021

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21 août 2013 3 21 /08 /août /2013 09:30

          Parmi la vague de fims de fiction (Le jour d'après par exemple) et de documentaires consacrés aux bouleversements climatiques actuels, l'un des premiers à faire date, Une vérité qui dérange, sorti aux Etats-Unis en 2006, donne la tonalité générale.

Entre ton responsabilisant (voire moralisateur), un certain catastrophisme volontairement affiché pour faire prendre conscience de l'urgence de la situation, présentation de données scientifiques en provenance d'une recherche encore hésitante, et contestation en provenance des lobbys pétroliers qui avancent masquée sous la signature de scientifiques plus ou moins directement appointés, ces documentaires (surtout ces documentaires), qui relèvent d'un genre docu-fiction ou fiction documentaire au statut parfois indéfini, se veulent un appel à l'action contre des pratiques, énergétiques notamment, qui changent le visage de la planète, et pas forcément, à terme, en faveur de l'espèce humaine telle que nous la connaissons.

           Le documentaire américain engagé, en pleine résurrection depuis les années 2000, relayé ou précédé d'autres européens ou d'ailleurs, se concentre beaucoup sur les changements climatiques, par ailleurs enjeu crucial de conflits mettant aux prises scientifiques indépendants, entreprises énergétiques et opinion publique, par l'intermédiaire de la presse écrite, audio-visuelle ou électronique. 

 

          Le réalisateur américain, tout au long d'une heure trente quatre minutes, s'est contenté de capter l'une des conférences de l'ex vice-président Al GORE. Si on trouve ici ou là des éléments bibliographiques narrés par l'homme politique lui-même, le gros du film consiste en un grand cours magistral, avec forces documents filmiques, graphiques... Cette conférence se situait dans une campagne multi-média de sensibilisation sur le réchauffement climatique. Al GORE soutient de bout en bout les démonstrations du film et on peut dire qu'il "porte" le documentaire à lui tout seul. Mise en scène, mise en spectacle, effets dramatiques, introductions des différents documents, il fait tout cela, soutenant réellement l'attention du spectateur de bout en bout dans un exercice de pédagogie qui parfois donne à certaines données scientifiques une portée qu'elles n'ont pas elles-mêmes. Aux critiques nombreuses sur des faits qui y sont relatés, Al GORE lui-même répond plus tard, mais on peut dire pour paraphraser une formule maintes fois utilisée que la réalité dépasse aujourd'hui la docu-fiction. Une réactualisation, des années plus tard, donnerait sans doute au documentaire une plus grande gravité. 

 

        La vérité qui dérange (A Inconvenient Truth) est également le titre d'un manuel d'Al GORE qui atteint la première place des bestsellers du New York Times (du 2 juillet au 13 août 2006) et qui se maintient encore pendant de nombreux mois sur la liste. Le film lui-même fut présenté en avant-première en 2006 au Festival du film de Sundance, puis au Festival de Cannes 2006. il se classe en troisième position des plus grands succès au box-office en matière de documentaire, derrière Farenheit 9/11 et La Marche de l'empereur, et devant Bowling for Columbine. En ce sens, l'objectif de sensibilisation au problème du réchauffement climatique a été atteint. Le film peut d'ailleurs utilement introduire à des débats sur le réchauffement climatique. Toujours est-il, comme pour l'ensemble des documentaires, faut-il le présenter comme un premier outil introductif à cette problématique, et non s'y arrêter. Et de plus, comme écrit auparavant, la réalité dépasse la docu-fiction...

 

      Produit par la Paramount Pictures, le film est disponible en DVD et peut être obtenu au site www.climatecrisis.net. 

 

D'autres documentaires sur la question

    Parmi les autres documentaires consacrés aux changements climatiques, nous pouvons citer, entre autres :

- Home (2009, réalisation de Yann ARTHUS-BERTRAND, production par Luc BESSON), de 120 minutes (90 dans une version courte), sur le lien entre l'Homme et la Terre, diffusé gratuitement sur Internet (après notamment une présentation en plein air au Champ de Mars à Paris et une diffusion sur la chaîne de télévision France 2). Il montre l'état de la Terre vue du ciel, la pression que l'homme fait subir à l'environnement et les conséquences sur le climat. 

- Le syndrome du Titanic, réalisé en 2008 par Nicolat HULOT et Jean-Albert LIÈVRE, suivant le livre éponyme de Nicolas HULOT sorti en 2004. Produit par Mandarin Cinéma, Studio 37, Mars films, WLP et TF1 Films Production, il est sorti en octobre 2009. Il développe les thèmes récurrents autour de l'évolution de l'environnement et de l'érosion de la biodiversité.

- Climat en crise, de 50 minutes, présenté par Robert T. WALSON, directeur du GIEC pendant 6 années,  décrit les prévision du super-calculateur Earth simulator pour répondre aux questions de l'aridification des terres, des ressources alimentaires planétaires, des vagues de chaleur dans les zones tempérées, des phénomènes météorologiques extrêmes, des équilibres éconologiques et des menaces inattendues, de l'habitat planétaire et des réfugiés de l'environnement sinistré et des solutions envisagées. Il prend pour paramètre principal l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère. (www.cnes.fr).

- 2012 : Time For Change, long métrage de 85 minutes de 2010, du réalisateur brésilien Joao AMORIN, basé en partie sur les livres de Daniel PINCHBECK. il présente une alternative radicalement positive à la catastrophe apocalyptique, à l'aide de témoignages, entre autres, de David LYNCH, STING, Buckminster FULLER et Bernard LIETAR... (www.2012timeforchange.com)

- La 11ème heure, le dernier rivage, sorti en 2007, des réalisatrices américaines Nadia CONNERS et Leila CONNERS PETERSON, produit par Leonardo DICAPRIO. Il montre l'état de l'environnement et de la biodiversité au début du XXIe siècle et les méfaits de l'homme sur ces derniers. Nous le recommandons pour la diversité des rencontres (une cinquantaine) avec des scientifiques, connus ou pas du publics et leaders politiques réputés dans leur domaine de compétences et impliquées dans l'action contre le réchauffement climatique.

- L'odyssée climatique du Souther Star, série de 4x52 minutes réalisé par Thierry ROBERT (produite par Paco FERNANDEZ, Injam Production avec la participation de Planète Thalassa), à l'occasion de l'Année Polaire Internationale. Premier navigateur français à avoir traversé l'Océan Glacial Articque à la voile, Olivier PITRAS nous montre les effets sur place des changements liés au réchauffement climatique. (www.films&documentaires.com)...

 

Davis GUGGENHEIM, Une vérité qui dérange, Paramount Pictures, 2006.

 

FILMUS

 

Relu le 8 juin 2021

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3 août 2013 6 03 /08 /août /2013 08:14

    L'expression Changement climatique ne signifie pas seulement changement de climat mais également passage d'un système de climat à un autre. Le système climatique est caractérisé par la permanence d'un cycle d'évolutions de tempétature, d'humidité dans l'air, de pression et de circulation des masses planétaires d'eau et d'air, avec l'existence d'un certain nombre d'espèces vivantes, végétales ou animales, qui en tirent les conditions de vie  et qui en influent l'évolution.

   L'espèce humaine s'y caractérise par une influence bien plus importante que pour les autres espèces. Par l'utilisation d'énergie, d'abord du feu (destruction de forêts, incendies volontaires ou involontaires), puis des énergies fossiles (par rejet de masses de gaz carbonique dans l'air, dans des quantités très variables de civilisation à civilisation), mais également certainement par les énergies renouvelables (rétention par exemple de masses "artificielles" d'eau). Si le système climatique n'est pas encore complètement connu, même par les sciences qui l'étudient, les corrélations entre l'industrialisation et le réchauffement planétaire sont établies.

 Il s'agit ici de savoir comment ces changements climatiques qui s'accélèrent actuellement (fonte des glaciers de montagne ou des pôles, accroissement de la force des phénomènes locaux de réajustement climatique - entre zones chaudes et zones froides, entre zones de basse pression et de haute pression, etc...) influent sur les conflits, qu'ils soient d'ordre interpersonnels ou collectifs. Par exemple, conflits inter-personnels dont la tonalité, mais pas forcément l'objet, varient souvent avec des paramètres purement physiques de température et de pression, conflits collectifs par le déplacement de zones de présence des ressources naturelles (énergie, minerai), par le déplacement des zones de circulation terrestre ou/et maritime...

 

     Qui dit changement climatique dit changement des condition de vie, donc variation de l'adaptation aux conditions du climat. Donc influence directe sur les relations entre les, différentes espèces. Les changements de climat influent sur l'évolution des espèces. Mais pas seulement, il s'agit de périodes transitoires, avec des phénomènes particulièrement violents, avant l'établissement d'un nouveau système de climat : par conséquent, comme nous le voyons actuellement, accélération d'extinctions ou de naissances d'espèces, multiplications de courants marins brusques, de phénomènes atmosphériques violents, ruptures des cycles saisonniers, ce qui induit déplacements plus amples et plus fréquents de populations, destructions fréquentes de la faune et de la flore. Comme dans maints phénomènes physiques, le système écologique tout entier de la planète subit des crises de plus en plus grandes,  de plus en plus graves, de plus en plus fréquentes, jusqu'à un pic méconnu, avant de se stabiliser, dans un nouveau climat, un nouvel équilibre des espèces, un nouveau système d'évolution des espèces, une nouvelle répartition des terres et des mers, un nouveau cycle de température et de pression, une réorganisation de la géographie toute entière...

    Ce changement climatique ne provient pas toujours seulement des espèces qui vivent sur la planète. Notre planète vit dans un système solaire, dans une galaxie, dans un amas où quantités d'événements peuvent se produire. Des objets plus ou moins gros (des nuage de poussières aux comètes) qui viennent dans l'environnement spatial immédiat ou percutent la planète, des variations dans l'activité du soleil, des crises volcaniques influent également le climat, généralement sur des décennies ou des siècles. Mais la rapidité à laquelle le changement actuel de climat se déroule ne laisse que peu de doutes, une fois toutes les mesures possibles effectuées. L'industrialisation de l'ensemble de la planète, avec des systèmes économiques particulièrement énergivores et qui remaniene en profondeur la composition de l'air, des terres et de l'eau, semble bien responsable de l'actuel réchauffement planétaire. Le réchauffement climatique, même s'il est important et porteur de modifications profondes n'empêcherait pas l'espèce humaine de s'adapter, si un élément de plus nalourdissait par les menaces : la pollution (chlmique, biochimique, radioactive) généralisée de l'air, des terres et de l'eau affaiblissent ces capacités d'adaptation.

 

     Depuis un peu moins de 12 000 ans, notre planète est entrée dans une période Interglaciaire de l'Holocène, et rien de dit que le changement climatique actuel ne pourrait pas y mettre fin, dans le sens d'un climat généralement plus chaud et plus humide ou plus froid et plus sec... Nous n'avons pas suffisamment de connaissances et d'expériences sur les changements climatiques pour prévoir les conséquences de l'industrialisation intensive. 

Ce qui est de plus en plus certain en revanche, c'est que l'activité humaine a depuis très longtemps une influence importante sur le climat. Mais il ne s'agit pas seulement de l'activité humaine : toutes les espèces animales opèrent une influence sur le relief et la flore. Par là, elles exercent une influence sur le Climat. Peu d'études sont consacrées à cette influence, non par manque d'intérêt, mais tout simplement parce qu'une étude de ce genre porte sur de longues durées par nature difficile à suivre... Il faut en tout cas en finir avec le mythe d'une nature sauvage qui serait une sorte de paradis avant l'arrivée de l'espèce humaine. De manière constante et répétée les modifications de l'environnement font partie de la réalité physique. Sauf dans les isolats (zones montagneuses ou îles), tout événènement, toute migration d'espèces animales, toute modifications du rapport de forces entre espèces (notamment entre prédateurs et proies), ce fameux équilibre de la nature qui a sans doute autant de réalité que l'équilibre en économie, a une répercussion sur l'ensemble du système écologique, donc du climat.

        Les études nombreuses et variées de paléoécologie reposent, écrit Yanni GUNNEL "sur le constat suivant : les conditions de vie des organismes biologiques sont déterminés par des conjonctions de paramètres simples comme la température, l'humidité, le pH (niveau d'acidité) et il n'y a pas de raison de supposer qu'il en ait été autrement dans le passé. Le postulat est donc celui d'un équilibre entre les organismes et une fourchette de conditions environnementales. Il permet d'établir des corrélations entre tel assemblage d'espèces et telle conjonction de conditions paléothermiques, paléo-édaphiques et paléohydrologiques." Cette démarche suppose que l'écophysiologie des espèces étudiées n'a pas évolué au cours d'une période de référence. Difficile de discuter des situations d'il y a des centaines de milliers d'années. En revanche, "cela semble valable pour l'ensemble de l'Holocène, voire la majeure partie du Quaternaire pour la plupart des espèces, mais la plasticité génétique des espèces à cycle de vie court (oiseaus, petits mammifères, insectes, graminées, virus) rend ces dernières écologiquement plus adamtables que les espèces à cyle de vie long. (...)". Dans ce que l'on peut appeler une longue co-évolution de l'homme et de la nature, la recherche sur les environnements du passé nous apprend déjà un certain nombre de choses :

- dans ces milieux que l'on croit naturels... le feu constitue depuis des millénaires un instrument de gestion des habitats et de la faune. "Il a fallu longtemps avant que les naturalistes ne réalisent que l'impact de l'homme sur des écosystèmes réputés vierges étant beaucoup plus ancien qu'il n'y paraissait. La distorsion qui a longtemps masqué ce phénomène provient pour beaucoup de l'histoire et de l'idéologie coloniales (nous pensons, quant à nous que cela remonte à plus loin et que cela est beaucoup plus profond : dans la définition de ce qu'est la nature...). Dans le cadre de la colonisation, les ingénieurs et naturalistes occidentaux découvrant les écosystèmes de la zone intertropicale ont abordé les milieux naturels de ces régions sans posséder les décodeurs nécessaires qui auraient permis de passer du registre de la mission civilisatrice et du développement au registre d'une recherche scientifique débarrassée de préjugés scientifiques et moraux. Or, les progrès de la recherche paléoenvironnementale nous montrent que, depuis au moins 100 000 ans, c'est l'homme qui a choisi pour la nature la trajectoire qu'elle doit suivre, y compris sur les continents que les Eruopéens de la première mondialisation ont cru découvrir dans un état de virginité relative. Ces 100 000 ans sont certainement d'ailleurs une sous-estimation, car l'archéologie trouve des traces d'utilisation du feu associées à Homo erectus autour de 1,5 millions d'années (...)" Bien avant l'arrivée des Européens en Amérique ou en Afrique, le paysage n'a plus rien de naturel. Des techniques dans la manière d'utiliser le feu, les dégâts involontaires causés par les incendies accidentels avaient déjà modifiés profondément les ensembles forrestiers et hydrauliques. 

- L'homme défricheur a aussi créé intentionnellement ou non, des écosystèmes entièrement nouveaux.

- La grande extinction pléistocène d'Amérique du Nord n'a pas d'équivalent dans les millénaires antérieurs.

- La domestication des espèces surmultiplie l'impact des activités humaines sur l'envieonnement, il y a environ 10 000 ans.

- "Parce qu'elle impose des dynamiques et des temporalités réglées par les nécessités économiques plus que par la rythmicité des perturbations naturelles, l'agriculture a changé les règles du jeu écologique d'une manière beaucoup plus profonde qu'on le l'imagine parfois". 

 

     L'industrialisation des activités humaines - il ne s'agit plus de l'utilisation partielle de techniques plus ou moins efficaces, mais de l'utilisation systématique et répétée de techniques de plus en plus dévoreuses d'énergie, notamment fossile - accentue leurs effets sur l'environnement, jusqu'à l'affecter dans les ressources mêmes utilisées par l''espèce humaine. 

   Après les divers cris d'alarme, comme celui de Fairfield OSBORN, président de la société zoologique de New York (La planète au pillage, Payot, 1949), qui se multiplent dans les années 1960, en même temps que les critiques sur la société de consommation de masse, la multiplication des phénomènes atmosphériques (que ce soit sur la composition de l'air ou ses mouvements autour de la planète), provoque l'émoi de l'ensemble de la communauté scientifique. Ainsi, le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat créé en 1988, à la demande du G7, par deux organismes de l'ONU (l'Organisation Météorologique Mondiale et le Programme des Nations Unies pour l'Environnement), a pour mandat d'évaluer, sans parti pris, de manière indépendante, tant vis-à-vis des Etats que des sociétés privées , et de manière méthodique, claire et objective, les informations scientifiques, techniques et socio-économiques disponibles en rapport avec la question du changement de climat. Il s'agit tout d'abord d'établir, rapports après rapports, dont le dernier (le quatrième) date de 2007, et le prochain est attendu pour 2014, une corrélation entre les activités humaines et les changements climatiques et de proposer des mesures pour inverser la tendance. Rapport après rapport, ses analyses, d'abord prudentes et ponctuées d'interrogations fondamentales, deviennent de plus en plus alarmistes, au fur et à mesure que se constatent de manière flagrante, surtout depuis le début des années 2010, des effets de plus en plus dévasteurs, spectaculaires ou non, du réchauffement climatique. On en est d'ailleurs au point que, si ses analyses sont retenues par la majeure partie de la communauté scientifique, que certains spécialistes (des sciences de la nature) estiment que ses conclusions pèchent parfois par... optimisme!  Ainsi, la fonte des glaciers du Pôle Nord s'avère beaucoup plus rapide que prévu (et même à certains endroits permanente) et l'extinction des espèces vivantes, comme de leur déplacement d'un continent à un autre, s'accélère de manière bien plus importante que décrite. Pour en rester à ses rapports, très combattus par des milieux industriels (notamment dans le domaine des énergies fossiles) qui veulent empêcher jusqu'à toute influence de considérations environnementales sur leurs activités, ils établissent un certain nombre de faits, qui dans le temps, sont reconnus par des fractions de plus en plus large de scientifiques, d'hommes politiques et des opinions publiques. 

    Nous pouvons lire dans le point 6 des "Conclusions robustes et incertitudes clés" :

"Dans le présent rapport (de 2007) (...), on entend par conclusion robuste en matière de changements climatiques toute conclusion qui reste valable pour un large éventail de démarches, de méthodes, de modèles et d'hypothèses et qui devrait généralement le rester malgré les incertitudes. Quand aux incertituds clés, ce sont des incertitudes qui, une fois levées, peuvent donner lieu à des conclusions robustes. Les conclusions robustes n'englobent pas l'ensemble des conclusions essentielles du quatrième Rapport d'évaluation, dont certaines peuvent être pertinentes pour l'élaboration des politiques même si elles sont liées à d'importantes incertitudes." Suit une liste de "conclusions robustes et des incertitudes clés", non exhaustive.

Conclusions robustes : "Le réchauffement du système climatique est sans équivoque. On note déjà, à l'échelle du globe, une hausse des températures moyennes de l'atmosphère et de l'océan, une fonte massive de la neige et de la glace et une élévation du niveau moyen de la mer. Sur tous les continents et dans certains océans, nombre de systèmes naturels sont perturbés par des changements climatiques régionaux. Les modifications observées de nombreux systèmes physiques et biologiques concordent avec ce réchauffement. Sous l'effet de l'absorption du CO2 (Gaz carbonique) anthropique depuis 1750, l'acidité des couches superficielles de l'océan a augmenté. Les émissions anthropiques annuelles totales de GES (Gaz à Effets de Serrer), pondérées en fonction de leur potentiel de réchauffement global sur 100 ans, se sont accrues de 70% entre 1970 et 2004. Sous l'effet de ces émissions, les valeurs de la concentration de N2O (Protoxyde d'azote ou Oxyde nitrique) dans l'atmosphère sont actuellement bien supérieures aux valeurs préindustrielles couvrant plusieurs milliers d'années, et celles de la concentration de CH4 (Méthane) et de CO2 excèdent aujourd'hui largement l'intervalle de variations naturelles pour les 650 000 dernières années. L'essentiel du réchauffement général moyen constaté depuis 50 ans est très probablement attribuable à l'augmentation de concentration des GES anthropiques. Il est en outre probable qu'en moyenne, tous les continents, à l'exception de l'Antartique, ont subi les effets d'un réchauffement anthropique (due à l'activité humaine) marqué. Il est probable que le réclauffement anthropique survenu depuis trente ans a joué un rôle notable à l'échelle du globe dans l'évolution observée de nombreux systèmes physiques et biologiques."

Incertitudes clés : "Les données relatives au climat restent insuffisantes dans certaines régions. De plus, les données et les études concernant les changements observés dans les systèmes naturels et aménagés sont très inégalement réparties d'une région à l'autre et sont particulièrement peu abondantes dans les pays en développement. La variabilité des phénomènes extrêmes, comme la sécheresse, les cyclones tropicaux, les températures extrêmes ou la fréquence et l'intensité des précipitations, est plus difficile à analyser et à surveiller que les moyennes climatiques, car cela nécessite de longues séries chronologiques de données à haute résolution spatiale et temporelle. Il est difficile de déceler les effets des changements climatiques sur les systèmes humains et certains systèmes naturels en raison de l'adaptation et des facteurs non climatiques. La simulation des vairation de températures observées et leur attribution à des causes naturelles ou humaines à des échelles inférieures à l'échelle continentale soulèvent toujours des difficultés. A ces échelles, il est en effet malaisé de discerner l'influence du réchauffement anthropique sur les systèmes physiques et biologiques en raison de facteurs tels que les changements d'affectation des terres ou la pollution. Des incertitudes clés subsistent quant à l'ampleur des émissions de CO2 dues aux changements d'affectation des terres et à celle des émissions de CH4 provenant de diverses sources."

Dans les coclusions robustes concernant les "éléments moteurs" et les "projections concernant l'évolution future du climat", nous pouvons lire :

"Vu les politiques d'atténuation des effets des changements climatiques et les pratiques de développement durable déjà en place, les émissions mondiales de GES continueront d'augmenter au cours des prochaines décennies. Un réchauffement d'environs 0,2° Celsius par décennie au cours des vingt prochaines années est anticipé dans plusieurs scénarios d'émissions SRES. la poursuite des émissions de GES au rythme actuel ou à un rythme plus élevé devrait accentuer le réchauffement et modifier profondément le système climatique au XXIe siècle. Il est très probable que ces changements seront plus importants que ceux observés pendant le XXe siècle. Tous les scénarios prévoient que le réchauffement sera plus marqué sur les terres émergées que dans les océans voisins et qu'il sera particulièrement sensible aux latitudes élevées de l'hémisphère Nord. Le réchauffement tend à freiner le piégeage du CO2 atmosphérique par les écosystèmes terrestres et les océans, ce qui a pour conséquence d'augmenter la part des émissions anthropiques qui reste dans l'atmosphère. Même si les émissions de gaz à effet de serre diminuaient suffisamment pour stabiliser la concentration de ces gaz, le réchauffement anthropique et l'élevation du niveau de la mer se poursuivraient pendant des siècles en raison des échelles de temps propres aux processus et aux rétroactions climatiques. Il est très improbable que la sensibilité du climat à l'équilibre soit inférieure à 1,5°C. Il est probable que certains systèmes, secteurs et régions seront plus durement touchés que d'autres par l'évolution du climat. Au nombre de ces systèmes et secteurs figurent certains écosystèmes (toundra, forêt boréale et régions montagneuses, écosystèmes de type méditerranéen, mangroves, marais salants, récifs coralliens et biome des glaces de mer), les basses terres littorales, les ressources en eau dans les zones tropicales et subtropicales sèches et dans les zones tributaire de la fonte de la neige de et la glace, l'agriculture aux basses latitudes et l'état sanitaire des populations disposant d'une faible capacité d'adaptation. Les régions concernés sont l'Arctique, l'Afrique, les petites îles et les grands deltas asiatiques et africains. Dans les autres régions du globe, mêmes prospères, des segments particuliers de la population, tout comme certaines zones et activités, risquent d'être gravement menacées."

 

Yanni GUNNELL, Ecologie et société, Armand Colin, 2009 ; GIEC, Bilan 2007 des changements climatiques, Rapport de synthèse des changements climatiques (site du GIEC).

 

BIOLOGUS

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7 octobre 2011 5 07 /10 /octobre /2011 07:42

      Ce livre de 1948 écrit par le naturaliste Henry Fairfield OSBORN, Jr (1887-1969), longtemps président de la New York Zoogical Society (aujourdh'ui Wilfide Conservation Society, l'une des plus importante ONG internationales de protection de la nature), s'avère prémonitoire de l'ensemble des problèmes planétaires, même s'il ne connaissait pas bien entendu le problème climatique auquel nous devons faire face aujourd'hui. Réquisitoire sans appel qui suscite à sa sortie un vif intérêt aux États-Unis, il montre que l"humanité est en train "de suivre une voie qui risque de rendre un jour ou l'autre notre bonne vieille terre aussi morte que la lune. Il contient la démonstration évidente qu'une dégradation continue de la nature menace la survie même de l'humanité."

              Sur un ton volontiers alarmiste, l'auteur entend donner, comme il l'écrit dans son Introduction au mot nature la signification la plus étendue. "Au sens large, il se réfère au schéma général de l'univers. Au sens étroit, il ne désigne plus que le caractère d'un individu, ou encore les impulsions ou forces inhérentes par lesquelles son caractère se trouve déterminé ou contrôlé. La nature représente en réalité la somme totale des conditions et principes qui influencent ou plus exactement conditionnent l'existence de tout ce qui a vie, y compris l'homme lui-même. Le but de ce livre n'est pas seulement d'établir le bien-fondé de cette définition, mais encore et surtout de montrer que, si nous continuons à faire fi de la nature et de ses principes, les jours de notre civilisation sont dès maintenant comptés."

Comme il l'indique lui-même, "le présent ouvrage se divise en deux parties. La première tend à montrer que, malgré les extraordinaires réalisations mentales auxquelles est due sa civilisation moderne et si complexe, l'homme a été dans le passé, est encore et continuera toujours à être une simple pièce sur le grand échiquier de la nature. La seconde partie de ce livre s'efforce de montrer les ravages que pendant les derniers siècles l'homme a fait subir à la face de la terre et la vitesse toujours plus grande avec laquelle il continue à détruire les sources mêmes de sa vie. C'est là cette autre "guerre mondiale" silencieuse et mortelle à laquelle je faisais allusion (au début de l'Introduction). C'est elle qui engendre des conflits comme les deux premières guerres mondiales et, si rien n'est fait pour y porter remède, son résultat final ne saurait manquer de se traduire par une misère générale comme jamais encore l'humanité n'en a connue, avec menace finale pour son existence même."

 

      Le livre se divise donc en 10 chapitres, répartis également entre ces deux parties, intitulées La planète et Le pillage.

   Dans cette première partie, l'auteur effectue d'abord (premier chapitre) des vues d'ensemble : Sommes-nous le résultat final d'un si vaste système? ; Une armée d'invasion qui grossit tous les jours ; Une petite planète parmi des millions de nébuleuses spirales ; Peut-il exister ailleurs d'autres êtres humaines? ; L'homme "civilisé" constitue un pour cent seulement de la vie de l'espèce ; Les hommes primitifs ont longtemps été en tout petit nombre...

Il décrit Les années obscures mais décisives... (chapitre II) : Les temps passés sont en réalité toujours avec nous ; Le point de différenciation dans l'évolution ; Tendances et instincts héréditaires ; Comment il faut entendre "la survivance du plus apte" ; L'homme représente un type animal non spécialisé mais "généralisé" ; Par sa spécialisation ultérieure il devient un force mondiale nouvelle. 

On peut résumer ces deux chapitres de la manière suivante : Tous les bébés sont semblables, ce sont les enfants de la Terre : tous les jours et dans tous les pays ils arrivent sans arrêt en nombre toujours croissant, marée quotidienne. La venue au monde d'une telle armée de nouveaux-né vient jour après jour augmenter la masse vivante du milieu où chacun vient de faire son apparition. la force de ce milieu sera leur force ; sa faiblesses sera leur faiblesse. Entre 1830 et 1900, la population mondiale a doublé pour atteindre 1,6 milliards de personnes. En 1940, les deux milliards étaient largement dépassés et depuis lors le chiffre continue à monter : dans cent ans la population mondiale peut dépasser de beaucoup les trois milliards. Cet excès de peuplement due à la perpétuelle augmentation de leur nombre risque de ne pouvoir être résolu de façon compatible avec notre idéal d'humanité. Le nombre de nos semblables augmente sans arrêt, avec la famine comme conséquence ; même après les guerres les plus terribles il en reste encore de trop vivants. Même en prenant 1,6 milliards d'hectare pour représenter la surface de terre considérée comme convenable pour la culture, nous ne trouvons que trois quarts d'hectare environ par tête. Pourtant on compte en général que pour produire le minimum d'aliment nécessaire à un être humain, il faut au moins un hectare de terre de moyenne productivité. Il y a synchronisme perceptible ente l'accélération du commerce et celle de la reproduction humaine. Nous le voyons conquérir un continent puis dans l'espace de moins d'un siècle en transformer une bonne partie en solitudes désolées et inutilisables, après quoi il lui faut se déplacer pour trouver de nouvelles terres encore vierges. Mais où aller désormais? Aujourd'hui, sauf quelques rares et insignifiantes exceptions il n'y a plus nulle part de terres nouvelles. Jamais encore de toute mémoire humaine il n'en avait été ainsi. La plus cruelle, la plus meurtrière des guerres mondiales vient juste de prendre fin. A propos de cette combativité, il convient de préciser que la guerre telle que l'homme la pratique est un phénomène unique dans toute la nature, c'est-à-dire que parmi les populations animales les plus développés de notre planète il n'y a pas d'exemples de pareilles destructions à l'intérieur d'une même espèce. Pourtant les antipathies entre races ou nations, l'idée qu'il existerait des races supérieures et inférieures, n'ont aucun fondement biologique. Que peut-il bien y avoir dans l'ascendance de l'homme, quelles tendances héréditaires a donc l'être humain qui puissent rendre compte de pareils forfaits? La triste vérité est que pendant un passé infiniment long l'homme a été un prédateur, un chasseur, un carnivore et partant un tueur. très tôt l'homme est devenu un chasseur alors que ses plus proches parents dans le monde animal, physiologiquement les plus semblables à lui, restaient végétariens. Il convient en outre de remarquer que le nombre de carnivores, de ceux qui vivent de la mort des autres, reste infime par rapport aux grandes populations animales parmi lesquelles ils ne forment qu'une très petite minorité. On estime que le nombre de carnivores ne devrait pas dépasser un pour cent de la population animale.

Dans le chapitre III, l'auteur aborde Une nouvelle force géologique : l'homme : La Terre surpeuplée sous l'augmentation explosive du nombre des humains ; La planète semble rapetisser presque à vue d'oeil ; Disponibilités réelles en bonnes terres productives ; La distribution générale des grandes masses humaines ; Est-il possible d'arriver à un état d'équilibre?

Au chapitre IV, La vie engendre la vie, le zoologue expose l'interdépendance générale de tous les êtres vivants et les Destructions dues à l'érosion ; L'homme a tendance à détruire les sources mêmes de la vie ; Importance et signification de la vie animale.

Le chapitre V décrit Les flatteries de la science : La Terre n'est pas une mécanique ; Illusions qu'on se fait sur le pouvoir de "la science" ; Le sol lui-même est un milieu vivant ; Fonctions des êtres vivants qui l'habitent ; Relations entre la santé du sol et celle des animaux, y compris l'homme ; En quoi consistent au juste les "nouvelles" maladies? 

On peut résumer les trois chapitres précédents de la manière suivante : Que l'homme ait hérité de la terre, c'est là un fait accompli, mais en tant qu'héritier, il n'a tenu aucun compte des paroles du doux Nazaréen : "Bienheureux les humbles, car la terre sera leur héritage". L'homme a maintenant détruit une bonne partie de son héritage. Il a jusqu'ici manqué à se reconnaître comme un enfant du sol sur lequel il vit. Dans cette grand machine qu'est la nature chaque pièce dépend de toutes les autres. Retirez-en l'une des plus importantes et c'est toute la machine qui va s'arrêter. Là est le principe essentiel de cette science récente, la "conservation". Le sol productif doit être considéré comme une matière vivante parce que peuplé en nombre infini par de minuscules végétaux vivants, les bactéries, et de tout aussi petits animalcules, les protozoaires. Sans ce double peuplement un sol ne peut être que mort et stérile. Le ver de terre est le plus connu de tous ces petits auxiliaires du cultivateur mais il s'en faut de beaucoup qu'il en soit le plus important. L'homme ne saurait donc pratiquement créer du sol productif qu'à titre d'expérience et en quantité très limitée. La nature met de trois à dix siècles pour produire un seul pouce d'épaisseur de sol productif. Ce qui peut avoir ainsi demandé un millier d'années pour se faire peut se trouver enlevé et détruit en une seule année, parfois même un seul jour comme on en a vu des exemples. Trop de gens ont encore l'idée que les terres devenues stériles par suite de l'abus qui en a été fait peuvent retrouver leur ancienne fertilité grâce aux engrais chimiques. Les engrais sont des suppléments et rien de plus. La richesse et la productivité du sol ne peuvent se maintenir que par la restitution de toutes la matière organique qui ne provient. Or il existe un courant continu de matière organique vers les villes où elle se trouve consommée et ses résidus détruits sans jamais faire retour aux sols dont elle a tiré son origine. Par là nous tendons à détruire le cercle où s'exprime l'unité organique du processus de la production naturelle. La question se pose donc de savoir si le jour viendra où nous aurons définitivement brisé ce cercle.

  Dans la deuxième partie, l'auteur fait le tour des dommages causés par l'homme en Asie jadis et aujourd'hui (chapitre VI), dans les pays méditerranéens et l'Afrique (chapitre VII), en Russie (chapitre VIII), en Europe, en Angleterre et en Australie (chapitre IX) et dans le Nouveau Monde (chapitre X). 

Les sous-titres de ces chapitres caractérisent bien les éléments abordés. Pour l'Asie : Le mal a commencé depuis trop longtemps ; Origines du mauvais usage de la terre par l'homme ; Disparition des premières civilisations ; Le problème des peuples en Asie ; La tragédie de l'Inde et de la Chine. Pour les pays méditerranéens et l'Afrique : La nature n'a pas de chèque en blanc pour le désir du profit ; La Grèce, terre désolée d'une ancienne splendeur ; Que vaut le récent prêt international? ; Coup d'oeil sur la Turquie, la Palestine et l'Égypte ; L'Afrique : influence des Empires et des colonisateurs ; L'érosion, dit un Premier ministre, est un problème plus important que la politique. Pour la Russie : Sa vie repose toute entière sur le Triangle des Terres centrales ; Pour la plus grande partie, le reste du pays est improductif ; Les rapports entre le Gouvernement Soviétique et la terre ; Effets de la guerre sur un sol déjà surmené ; Les méthodes soviétiques comparées aux méthodes américaines. Pour l'Europe, l'Angleterre et l'Australie : Les coutumes et le climat ont une bonne influence : le désir du profit une mauvaise ; L'Europe aidée par son climat et ses traditions ; Histoire des Marais Pontius ; Les Anglais délibèrent sur l'état de leurs terres ; Six générations ont suffi pour mettre à mal l'Australie et la Nouvelle-Zélande ; Néfastes conséquences de l'industrie pastorale et de l'introduction des lapins. Pour le Nouveau Monde : Désormais il ne mérite plus d'être qualifié de "nouveau" ; un présage bien alarmant : la chute de l'Empire des Mayas ; Le Mexique engagé dans une terrible bataille pour sa propre survivance ; Couper, brûler, planter, détruire et aller recommencer un peu plus loin ; Caractères physiques et climatiques de l'Amérique du Sud ; La grande illusion : les États-Unis peuvent nourrir le monde entier ; La soit-disant conquête du continent Nord-Américain ; La dernière et triple menace contre les forêts, la terre et les eaux ; Responsabilités morales et sociales de la propriété ; Les États-Unis sont encore sur la pente descendante.

L'abus que l'homme fait de la terre est très ancien, il remonte à des milliers d'années. On peut le lire dans les désespérants spectacles de ruines enterrées sous les sables, dans d'immenses étendues de pierres nues jadis recouvertes d'un sol fertile. La tendance des hommes à se concentrer remonte à la plus haute antiquité ; c'est là une des causes majeures du long et constant dommage que la race humaine inflige à la terre qui la porte. Les terres épuisées de l'Inde ne sauraient nourrir cette population toujours plus pressée et pourtant son accroissement immodéré se poursuit sans arrêt. Partout se fait jour le désir d'acquérir toutes les choses dont disposent les Européens. Il en résulte que les indigènes ont tendance à exploiter leur terre comme une mine pour en tirer le plus d'argent possible. Un autre facteur de détérioration des terres a été le système de taxation imposé par les puissance européennes désormais maîtresses de l'Afrique. Arrivons-en aux États-Unis, le pays de la grande illusion, "le pays qui peut à lui seul nourrir le monde". L'histoire de cette nation en ce qui concerne l'abus des forêts, des animaux sauvages et des ressources en eau est bien la plus violente et la plus destructrice dans toute l'histoire de la civilisation. La forêt primitive a été réduite au point de ne plus couvrir que 7% du territoire au lieu de 40%. Savamment appuyées par leurs représentants au Congrès, les manoeuvres de puissants éleveurs ont un effet marqué sur la conservation des dernières réserves forestières encore existantes. Les pertes que nous subissons du fait de l'érosion continue ont de quoi faire trembler : chaque année entre cinq et six milliards de tonnes. Le service de la Conservation des sols n'existe que depuis 1935, non pas tant grâce à la stratégie du gouvernement que parce que le grand public avait été frappé d'épouvante par la révolte de la nature contre l'homme, mise en évidence par l'incident du "Bol de poussière" le 12 mai de l'année précédente.

 

  Dans sa conclusion, Henry Fairfield OSBORN, Jr, écrit qu'il est une chose étonnante de voir combien il est rare de trouver une seule personne bien au fat de la destruction accélérée que nous infligeons sans arrêt aux source même de notre vie. Par ailleurs, les rares esprits qui s'en rendent compte ne voient pas en général le lien indivisible entre ce fatal processus  et les exigences irrésistibles d'une population humaine sans cesse en augmentation. Il semble n'y avoir guère d'espoir en l'avenir si nous ne décidons pas à accepter la conception suivant laquelle l'homme est, comme tous les autres êtres vivants, partie intégrante d'un vaste ensemble biologique. La terre aujourd'hui appartient à l'homme et par là se trouve posé le problème de savoir quelles obligations peuvent accompagner cette possession sans limites. La propriété privée des ressources naturelles d'un pays ne se justifie sur le plan moral que si ces ressources sont exploitées par leur propriétaire de façon conforme à l'intérêt général de la nation. Il n'y a rien de révolutionnaire dans l'idée que les ressources renouvelables appartiennent en réalité à toute la nation et que l'usage fait de la terre doit être partie intégrante d'un plan d'ensemble bien coordonné. L'action du gouvernement, en dernière analyse, repose avant tout sur l'opinion publique. Le fait que plus de 55% de la population américaine vit dans les villes a pour conséquence inévitable une indifférence marquée pour la terre et la façon dont sont traités les ressources naturelles du pays. Il est aussi probable que le plus puissant soporifique dont soit imbibée l'opinion publique vient de la croyance aujourd'hui inconsciemment partagées par nous tous suivant laquelle les miracles de la technologie moderne peuvent suffire à résoudre n'importe quelle difficulté. Seul un grand effort de la nation toute entière peut donner pour l'avenir des garanties suffisantes. Il n'y faut rien de moins qu'une complète coopération du gouvernement et de toute l'industrie, appuyée par la pression unanime de l'opinion publique. Un programme doit être enseigné dans toutes les écoles de façon à ce que les générations à venir puissent dès leur enfance se rendre compte de la situation exacte de ce qui est la base même de toute vie, un enseignement de la conservation. De même les cours d'économie politique, travaux publics, sociologie, etc, prendraient une vie nouvelle si l'on y faisait figurer les considérations bien comprises sur les relations de l'homme avec le milieu physique dans lequel il est appelé à vivre. Une seule solution est possible : l'homme doit reconnaître la nécessité où il se trouve de collaborer avec la nature.

 

   On trouve dans ce livre le schéma-type de nombreux plaidoyers pour une politique publique environnementale vigoureuse depuis lors. Mais ce n'est dans récemment, vers la fin des années 1980, à un moment où les esprits ne sont plus obnubilés par la menace d'une confrontation Est-Ouest, avec également l'accélération des changements climatiques, qu'un mouvement vigoureux va dans ce sens. Quelques autres ouvrages-cris d'alarme sont publiés par le naturaliste dans les années 1950 et 1960 notamment (ainsi Our Crowded Plante. Essays ont the Pressures of Population, 1962) qui actualisent et précisent les données et les propositions de son livre de 1948. 

 

Henry Fairfiel OSBORN, Jr, Our Plundered planet, Boston, Little, Brown and Co, 1948 ; La planète au pillage, traduction de l'américain par Maurice PLANIOL, Payot, 1949 ; réédition à Actes Sud, collection Babel, 2008, même traducteur, Préface de Pierre RABBI, 2008, 214 pages.

 

Relu le 31 août 2020

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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 13:36

       Ce n'est que récemment que l'ensemble des études biologiques quitte le modèle dominant de la culture sur boite de Pétri pour la recherche des moyens de lutte contre les micro-organismes responsables des maladies, pour entrer dans une problématique d'écologie microbienne. Aussi, si nous connaissons bien ces micro-organismes étudiés depuis plus d'un siècle (les premières descriptions sont dues à Charles SÉDILLOT en 1878, un mois avant PASTEUR), si leur classification suivant leur constitution, leur morphologie, leur cycle de vie, leur mode d'action dans les organismes complexes des plantes, des animaux et des hommes est devenue très raffinée, nous avons encore beaucoup de recherches à effectuer sur leurs interactions dans l'eau, dans la terre et dans les organismes vivants, sur leur évolution perpétuelle, évolution d'ailleurs souvent maintenant accélérée par l'action des hommes pour se défendre contre leurs activités néfastes. Poussées par la nécessité de comprendre les dynamismes de la dégradation de l'environnement, autant que par les limites de l'action des antibiotiques, les disciplines biologiques autour de l'écologie microbienne se développent, avec une certaine difficulté due aux cloisonnements entre spécialités médicales.            

        Comme l'écrivent les responsables du réseau Microtrop, "la microbiologie est l'une des sciences biologiques qui a le plus évolué au cours des 20 dernières années. Cette évolution, due au développement rapide des outils de la biologie moléculaire, a permis la naissance de l'écologie microbienne, devenue aujourd'hui l'un des domaines clés de l'écologie moderne. Les outils moléculaires permettent aux microbiologistes de franchir le stade de l'étude du micro-organisme isolé, pour passer à l'analyse des communautés microbiennes dans leur environnement naturel. Cela demande une double compétence d'écologiste et de microbiologiste, mais seule une approche globale, interdisciplinaire, et systémique des communautés microbiennes permettra d'aborder la complexité des problématiques environnementales (réhabilitation des milieux dégradés, durabilité des agro-systèmes, dépollution, bio-remédiation, connaissance et exploitation des milieux extrêmes, etc.). Une telle approche de l'écologie microbienne nécessite cependant la maîtrise de connaissances à la fois théoriques et pratiques qui ne sont pas ou peu enseignées dans les cursus universitaires, particulièrement en Afrique (...)". Réseau voulant favorisant les échanges scientifiques sur les microorganismes entre le Nord et le Sud, Microtrop doit faire face également à une certaine lenteur de la progression de cette jeune discipline dans les pays les plus avantagés sur le plan de la recherche...

 

       Les micro-organismes ont été les premières formes de vie à se développer sur Terre, il y a environ 3,4 à 3,7 milliards d'années. Le transfert horizontal de gènes, de pair avec un haut taux de mutation et de nombreux moyens de la variation génétique, permettent aux micro-organismes d'évoluer rapidement, de survivre dans des environnements nouveaux, de répondre à des stress environnementaux (changements constants du relief, changement de la composition de l'air, de la terre et de l'eau, changement de conditions de température et de pression, de luminosité aussi...) comme aux multiples agressions de la part de leurs concurrents. De manière récente, cette évolution rapide est importante, on le constate dans la médecine, car elle conduit à l'apparition de "super-microbes" - des bactéries (la plupart pathogènes) rapidement devenues résistantes aux antibiotiques modernes.

L'apparition des végétaux et des animaux complexes ont sans doute accéléré la compétition entre micro-organismes, celle des activités humaines de prévention et de soins aux maladies, l'ont accéléré davantage : la multiplication des terrains de lutte ont sans doute accru dans de notables proportions la variété des micro-organismes et ont complexifié leurs interactions, surtout par l'introduction dans ces terrains de lutte de nouveaux micro-organismes (dans le domaine médical et vétérinaire). Déjà le vaste mouvement de domestication avait orienté de nombreuses batailles entre ces micro-organismes. 

 

Des luttes microscopiques

      Raymond VILAIN décrit sous une forme vulgarisée ces luttes microscopique : "L'écologie microbienne est la science qui étude tous les microbes présents sur un biotope et les facteurs d'équilibre. Le biotope, c'est vous ou moi à partir du moment où nous sommes vivants. L'équilibre définit la bonne santé vis-à-vis-vis de ces petites bêtes. Connaître les facteurs de cette paix provisoire nous intéresse. Nous pourrons éviter la guerre et, si nous sommes obligés de l'affronter, préparer une bonne paix. Nous offrons aux microbes deux territoires étendus : la peau et les muqueuses. Le tube digestif a l'originalité d'être ouvert aux deux bouts. Tunnel chaud et humide, il est plutôt surpeuplé. Les autres biotopes muqueux sont en impasse : trachée, urètre, vagin. Les défenses sont bien organisées mais, au moins pour les muqueuses génitales, le tourisme est dangereux. Il ne faut pas que la simple découverte d'un microbe lors d'un examen bactériologique déclenche une panique chez le porteur. Nous sommes normalement habités par des microbes, partout où les conditions de vie sont bonnes ou simplement acceptables. Pour que nous nous inquiétions, il est nécessaire que le germe soit pris en flagrant délit et reconnu coupable. Les microbes forment en effet une interface grouillante qui sépare normalement notre corps du monde extérieur. Location, métayage, squattérisation, effraction sont les différents statuts de notre relations journalière avec eux." Ce début de description ne va sans doute pas assez loin : nous sommes en fait formés en partie de toute cette "faune", dans les vaisseaux comme dans les tissus. Les bactéries, virus et compagnie se livrent à des interactions conflictuelles (qui peuvent être coopératives sous forme de parasitages) incessantes autant à la surface qu'à l'intérieur de ces vaisseaux et de ces tissus, dans des modalités égoïstes (les microbes ne nous connaissent pas réellement...) et à courtes distances qui selon les cas bénéficient ou nuisent à notre intégrité physique. "Les bactéries, organismes unicellulaires, ont été les premiers habitants de notre planète. Elles ont laissé leurs traces dans les roches primitives (d'où nous pouvant les extraire, sous formes dégradées, leurs descendants plus ou moins directs). Elles vivaient et se multipliaient en se coupant en deux. (...) Cette donation-partage peut se faire à grande vitesse ou s'arrêter pour de longues périodes. Nourries dans la soupe primitive de l'Univers, elles fabriquaient de l'oxygène à titre de déchet. La quantité de ce gaz-ordure devenant de plus en plus importante, il leur fallut s'organiser pour survivre. Certaines, irréductibles, vivant là où l'oxygène ne pouvait pénétrer, continuèrent le régime qui leur réussissait (anaérobies). Les autres évoluèrent. Certaines se convertirent complètement et devinrent dépendantes de cet oxygène-déchet, élevé à la hauteur de principe vital (aérobies). Beaucoup se décidèrent à vivre selon les deux modes, appréciant l'oxygène lorsqu'il y en a, mais pouvant s'en passer. Lorsque les animaux apparurent, un nouveau destin s'offrit. Les microbes virent les reptiles sortir prudemment des mers de l'ère secondaire".

Là, l'auteur fait un très grand raccourcit évolutionniste, qui peut empêcher de comprendre que c'est le résultat de l'évolution de ces micro-organismes qui produit des êtres vivants plus complexes. "Volontaires ou embarqués malgré eux, certains microbes tentèrent leur chance. Délaissant l'humus ombreux sous les fougères arborescentes, les feuilles et les arbres destinés à devenir du super ou de l'ordinaire (là, nous trouvons que l'auteur force dans la vulgarisation, mais peu importe!), les mousses battues par les flots, ils suivirent ces véhicules amphibies. Des options s'offrent pour cette croisière : la surface écailleuse ou les profondeurs digestives (ce choix n'en est pas vraiment un, puisque tout dépend des multiples contacts entre micro-organismes et de leurs caractéristiques attirances-répulsions...), le pont promenade ou les soutes encombrées. Seuls les aérobies vraies ou anaérobies facultatifs pouvaient survivre au-dehors. Tous, mais surtout les anaréobies, choisirent l'obscurité chaude, nutritive et pestilentielle des tripes (pestilentielle, c'est vite dit, pour reprendre même ton humoristique!). Devenus parasites, incapables ou presque de retourner à leur patrie d'origine, ils passèrent d'un animal à l'autre au gré de l'évolution, de leurs appétences particulières et des catastrophes naturelles. Ils préféraient l'abondante fourrure des grands signes mais n'hésitèrent pas à coloniser un modèle moins velu, bipède à temps plein, l'homme. (...) L'enfant naît stérile. Il est rapidement contaminé par les microbes (l'auteur parle là des microbes extérieurs, car son corps abonde déjà de micro-organismes...) dès le début de sa sortie par les voies naturelles. (...). En réalité, il n'accepte pas n'importe quel microbe de l'environnement (pour poursuivre sur le même ton, grâce à qui? aux micro-organismes déjà là...). La bouche, office d'immigration le plus tolérant qui soit, doit être placé sous haute surveillance.(...) Sur la peau, mise à l'air, recouverte de la layette ou culottée par les couches, s'installe dans la majorité des cas une flore paisible (pas si paisible que ça d'ailleurs!) dont les éléments viennent des espèces parentales et ancillaires (et alors, les parents ne transmettent qu'une flore paisible!). Les bactériologistes ont étudié ce peuplement progressif et sélectif en surveillant les enfants nés par césarienne et soustraits aux contaminations extérieures par une bulle. Nous avons notre flore microbienne personnelle exactement comme nos empreintes digitales. (...).

 

Des processus complexes mettant en jeu des micro-organismes toujours en mouvement...

Pour aller voir de près ces populations qui s'interposent entre la lame du bistouri et le corps humain et dont nous avons bien du mal à nous débarrasser provisoirement (il s'agit, l'auteur a bien raison, d'une lutte perpétuelle et sans fin...), réduisons-nous un instant à l'échelle de la bactérie et inscrivons-nous pour un circuit du grand tourisme cutané.

La visite commence par le front. Le paysage est assez semblable aux steppes de l'Asie centrale, plus ou moins desséchées. La terre craquèle sous le soleil. De larges écailles de kératine se forment et se détachent. De minuscules roseaux, le duvet, émergent de-ci, de-là. une manne providentielle suinte le long de la tige et s'étale autour : le sébum. De petits puits, oasis en réduction, parsèment le terrain. Un geyser de sueur jaillit de temps à autre avec moins de régularité que le célèbre Old Faithful de Yellowstone. Sueur et sébum forment un limon dans lequel nous patinons si le front est exposé au soleil. Mais nous sommes venus voir les bêtes, comme au Kenya. Elles sont groupées en petites colonies autour des points d'eau. D'autres sont accrochées aux écailles de kératine que le vent emporte. Le guide nous montre des billes rondes et des bâtonnets, plus ou moins garnis de protubérances mobiles et changeantes. certains microbes s'accrochent comme des calamars. Les billes sont des staphylocoques dits blancs par opposition à d'autres, dorés. Ces staphylocoques blancs sont habituellement inoffensifs. Ils sont dépourvus de mâchoires agressives (comprenez que leur équipement enzymatique est sans danger pour les cellules vivantes). Les bâtonnets sont de débonnaires bacilles, parfois impliqués dans un conflit juvénile : l'acné. (....) Si nous campons sur place, nous pouvons constater que ces quelques tribus (deux millions de germes au centimètre carré) se nourrissent paisiblement, se reproduisent rapidement, mais que leur nombre reste remarquablement stable. Les plus hardis des touristes profitent de l'arrêt pour faire un peu de spéléologie. Ils descendent encordés dans les entonnoirs des glandes sudoripares et pitonnent le long des poils. Ils peuvent voir les cavernicoles groupés en petit nombre le long du poil et au fond des creux, à l'abri de la douche et du savon. Après les ouragans hygiéniques (...) ils envoient quelques uns des leurs repeupler la surface un moment déserte. Nous longeons ensuite une épaisse forêt, les cheveux. Nous ne nous y aventurerons pas, surtout s'il s'agit d'un de ces appendices capillaires de type mérovingien dont la résurgence a permis le retour des poux. Grouille dans les futaies une flore composite nombreuse et féroce. Elle résiste bien aux nouveaux shampooings de plus en plus parfumés et vitaminés mais de moins en moins antiseptiques. Nous allons directement à l'aisselle en traversant le thorax, savane herbeuse chez l'homme où paissent de nombreux troupeaux. La traversée de l'aisselle comble les touristes les plus blasés. dans cette forêt tropicale luxuriante, sous les pluies torrentielles et fréquentes, de nombreuses espèces (....) s'accrochent aux branches (...) patrouillent dans les marais. (...) Le grand tour continue par la visite du cratère géant, l'omblic. Peu d'animaux aux alentours de cette décharge privée géante où sédimentent les poussières champêtres et urbaines, les débris textiles les plus divers et quelques résidus alimentaires à l'abri des orages salvateurs. (L'auteur rend bien la multitude de micro-organismes nécrophages, se nourrissant de multiples débris naturels ou artificiels qui peuplent la peau...) (...) Nous traversons avec un grand frisson le désert de la soif : l'ongle. Rien n'y pousse. Rien n'y vit (Là, l'auteur exagère un peu!). Une grande corniche nous amène au-dessous des gorges du Tarn, je veux dire le périnée. Passent sans s'accrocher des hordes sauvages accompagnant les selles. Retournant à notre point de départ après cette visite au mètre carré et quelque chose de surface cutanée, le guide nous explique que les microbes que nous avons vu sont des résidents. Ils naissent, se nourrissent et se reproduisent sur place. Leur nombre, leurs espèces sont remarquablement fixes pour un individu donné, à un endroit précis, sous un microclimat stable. Cet équilibre est assuré par les qualités du sébum et de la sueur, nourritures pour les uns, poisons pour les autres, et par la présence même des habitants qui luttent pour conserver leur territoire. Cet équilibre démographique presque parfait (relativement...) et ce peuplement ethniquement homogène ne sont pas dus qu'au contrôle rigoureux des naissances. La lutte contre les envahisseurs est continuelle et sans merci. Il n'y a pas plus raciste que les germes résidents (l'auteur risque avec cette prose de tomber dans l'anthropomorphisme mais il indique par là la forte spécificité par rapport au milieu de nombreux micro-organismes...). Les microbes venus par les multiples contacts de la vie quotidienne ne sauraient s'éterniser là où ils ont été parachutés. Ils disparaissent en quelques heures. Mais ce temps est suffisant pour que la main ainsi contaminée aille dans une capable partie de ping-pong hospitalier contaminer quelque crudité, tétine de biberon ou aiguille à injection intramusculaire. Nous élevons nos propres envahisseurs du territoire cutané. A la jonction des muqueuses et de la peau des narines vivent des staphylocoques dorés, dotés d'enzymes à la gloutonnerie bien connue. Ils sont responsables des furoncles, des septicémies, des panaris, de l'infection au début de l'évolution des brûlures, de la très grande majorité des infections post-opératoires. De leur gîte narinaire, ils défilent sur toute l'aire cutanée en colonies si nombreuses qu'il y en a toujours une, quel que soit l'endroit où se produit la plaie. Certains d'entre nous élèvent plus de staphylocoques dorés que d'autres. S'ils sont pâtissiers, ils peuvent, en déposant ces chiots dans une crème anglaise, envoyer une noce à l'hôpital, les enfants d'une cantine scolaire en vacances forcées (c'est parfois digne de Stephen King, cette prose (voir son livre, Le fléau)....). Mais en dehors de conditions bien particulières, ces staphylocoques ne font que passer. (...) Les streptocoques vivant dans la gorge, les germes (...) des selles rejoignent ces touristes sans avoir, eux non plus, la possibilité de s'installer à demeure. La connaissance de l'écologie microbienne est indispensable, aussi bien à celui qui s'occupe d'hygiène alimentaire qu'au chirurgien ou au fabricant de déodorant. (...)". Ce texte montre bien la cascade d'événements entre le pullulement de certains micro-organismes en terrain favorable, les conséquences macroscopiques, les répercutions à l'échelle d'un organisme tout entier d'une multitude de combats microscopiques.

 

     Dans cette lutte, la biologie a bien identifié les différents acteurs, "amis" ou "ennemis" de l'organisme complexe qu'est un humain, a identifier nombre de ces cascades d'événements, souvent en faisant des sauts entre la présence de bactéries, virus et compagnie et l'effet de cette présence sous forme de maladie à des stades particuliers. Sans pour l'instant avoir le tableau complet des différents champs de bataille. L'objectif des études d'écologie microbienne est de parvenir à dresser la cartographie et le déroulement de ces batailles, en tenant compte de l'évolution qu'elles provoquent chez les acteurs mêmes, car c'est souvent au niveau génétique que cela se passe. Ils ont à élucider la nature, la fréquence et les lieux d'interactions entre plusieurs agents microbiens, pathogènes ou non pour l'homme. La chaîne d'évènements du niveau microscopique au niveau de la structure entière d'un individu n'est ni directe ni forcément aboutie : du niveau des relations entre microbes, entre virus, entre microbes et virus, entre cellules structurelles d'un part et cellules circulantes d'autre part et ces derniers, au niveau du système immunitaire jusqu'au niveau de chacun des organes éventuellement atteints, puis du niveau de chacun des organes à l'ensemble de la structurelle corporelle, il existe des batailles qui restent à un seul niveau comme d'autres qui mettent en jeu tout l'organisme. Longtemps l'ingénierie médicale s'est attaquée aux relations entre agents pathogènes et circuits défensifs. Maintenant, il s'agit de comprendre comment s'organise l'écologie microbienne. C'est d'abord au niveau microscopique que se situent les premières batailles, d'où l'importance de l'enjeu de telles recherches. 

 

Des batailles et des évolutions complexes...

   C'est ce que rappelle Philippe SANSONETTI dans une "leçon inaugurale" de 2008 au Collège de France. L'auteur titulaire de la chaire de microbiologie et maladies infectieuses traite alors des microbes et les hommes, de la guerre et de la paix aux surfaces muqueuses. Plusieurs points doivent demeurer à l'esprit lorsque l'on traite des batailles microscopiques :

- L'homme évolue dans un monde microbien : bactéries, virus, virus de bactéries (les bactériophages), levures et champignons. Citons aussi les parasites mono et multicellulaires, même s'ils n'entrent pas dans la définition des microbes stricto sensu car ils sont une cause majeures d'infection. 

- Dès que les êtres vivants sont devenus multicellulaires, ils ont dû socialiser avec les microbes, premiers occupants de la planète, et établir avec eux un état de commensalisme, voire de symbiose. Les êtres multicellulaires modèles, comme le vers Caenohabditis et la mouche Drosophilia, ont un mIcrobiote commensal - c'est le terme désormais utilisé pour définir la flore microbienne résidente - et sont sensibles à des pathogènes. Les systèmes gouvernant la gestion de cette interface, qui sont nés de l'adaptation de mécanismes parmi les plus fondamentaux du développement, ont été remarquablement conservés au cours de l'évolution, de l'insecte aux primates supérieurs. La co-évolution homme-microbes ne s'est pas résumée à la reconnaissance et à l'éradication des pathogènes ; elle a aussi mené à la tolérance des microbiotes commensaux. La veille microbiologique de notre organisme est permanente.

- A côté des maladies infectieuses aiguës, on observe des colonisations chroniques ne donnant lieu à des complications significatives que dans un pourcentage limité de cas. Ainsi, dans les régions pauvres de la planète, la bactérie Helicobacter pylori, un pathogène gastrique, peut coloniser la population dès le plus jeune âge, mais elle ne donnera lieu à des complications (ulcère gastroduodénal, cancer de l'estomac) que chez une fraction limitée des individus. Faut-il la décrire comme un commensal violant la frontière, ou comme un pathogène furtif assurant sa survie prolongée? Faut-il invoquer la susceptibilité variable des individus en fonction de leur bagage génétique, ou des facteurs environnementaux? Probablement les quatre à la fois, ce qui souligne que la recherche dans le domaine des maladies infectieuses doit être multidisciplinaire.

- Pour compliquer ce schéma, certaines pathologies comme les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin (la maladie de Crohn par exemple) reflètent une mauvaises gestion de l'interface avec notre microbiote commensal. L'analyse génétique de ces maladies commence à nous fournir des gènes candidats, qui sont autant de pistes orientant vers la nature moléculaire et cellulaire de cette interface. Va-t-il falloir revoir nos concepts et définitions des maladies infectieuses? Susceptibilité génétique à des organismes de l'environnement habituellement non pathogènes, infections opportunistes des sujets immunodéprimés, infections pluri-microbiennes : les postulats de Koch souffrent des exceptions. Les voies de la co-évolution hôte-microbe restent souvent impénétrables, et seule une perspective évolutionniste fondée sur une vision de pression sélective mutuelle a un sens.

- "Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements", écrivait déjà Charles Darwin. "L'évolution procède comme un bricoleur qui pendant des millions et des millions d'années, ruminerait lentement son oeuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d'ajuster, de transformer, de créer", écrit François Jacob dans Le Jeu des possibles. Sans cette lecture, on ne peut comprendre comment s'est développée notre interface avec les microbes : par exemple comment une voie gouvernant le développement dorso-ventral de la mouche a pu devenir une voie de perception des microorganismes jusque chez les mammifères ; ou encore, comme un flagelle bactérien a pu se transformer en un appareil de sécrétion de toxines, ou vice versa. 

- Au fond, l'homme est un hybride primate-microbes. Nous hébergeons dix fois plus de bactéries que nous ne possédons de cellules somatiques et germinales. Le tractus intestinal héberge l'essentiel de ce microbiote, atteignant le chiffre astronomique de 10 puissance 14 bactéries (cent mille milliards). L'extrapolation des résultats d'identification moléculaire indique que nous hébergeons de 15 à 30 000 espèces différentes. On peut donc considérer que la séquence du génome humain ne sera complète tant que l'on ne disposera pas de celle de son microbiome, soit probablement un pool de gènes 100 fois supérieur au génome humain. C'est une gageure, car le microbiote varie d'un individu à l'autre, d'une région à l'autre, d'un site anatomique à l'autre.

- Simplifions... Le microbiote intestinal comporte deux grands groupes : les firmicutes, bactéries à Gram positif anaérobies, et les bacteroidetes, bactéries à Gram négatif anaérobies. Les protéobactéries qui nous sont les plus familières, comme Escherichia coli, sont en fait ultraminoritaires - au moins à l'homéostasie, car dans les situations pathologiques, comme les maladies inflammatoires de l'intestin, les équilibres sont rompus et les bacteroidetes disparaissent au profit de pratéobactéries. Qui est l'oeuf, qui est la poule? Est-ce la maladie inflammatoire qui cause le déséquilibre microbiote, ou le déséquilibre qui cause la maladie inflammatoire?

- Essayons de simplifier. Le microbiote intestinal a une activité métabolique globale équivalente à celle d'un organe comme le foie. Cet organe surnuméraire a de nombreuses fonctions. Il mai tient un effet de barrière contre les microorganismes allogènes, éventuellement pathogènes. Il assure l'homéostasie de la barrière épithéliale intestinale en stimulant sa restitution en cas d'altération, mais assure aussi le développement et le maintien du système immunitaire muqueux ainsi que du réseau vasculaire sous-épithélial. Il joue un rôle clé dans la nutrition et le métabolisme : hydrolyse et fermentation des polysides complexes, biosynthèse de vitamines, production d'acides gras à chaînes légères qui représentent une source nutritionnelle majeure pour l'épythélium, détoxification des xénobiotiques alimentaires. Il ne s'agit donc plus de commensalisme au sens générique du terme, mais bien d'une symbiose.

- Mêmes si les pathogènes sont minoritaires dans cet environnement microbien, leur impact est majeur. Dans Destin des Maladies infectieuses, (dans les années 1930) Charles Nicolle se demande si l'on peut tirer une ligne définissant d'un côté les bonnes bactéries - le microbiote - et d'un autre les mauvaises, celles qui sont pathogènes?

- Émile Roux écrivait que "la virulence  d'un microbe (pathogène) (ce qui fait sa spécificité) est son aptitude à vivre dans l'organisme des êtres supérieurs et d'y secréter des poisons". Charles Nicolle, à la suite des travaux de Louis Pasteur et de ses élèves concluait qu'"il y a donc de bonnes raisons de penser que la virulence est liée à un support matériel. Ne la voyons-nous subir parfois des variations brusques auxquelles on peut donner légitimement le sens et de nom de "mutations", et ces variations subites se traduire, en dehors de l'adaptation à un être nouveau, par l'acquisition de propriétés pathogènes nouvelles vis-à-vis de l'espèce animales qu'elle (la bactérie pathogène) infecte ordinairement?

- Presque concurremment, Frederick Griffith découvre à Londres la transformation chez le pneumocoque, permettant la démonstration du principe transformant de Griffith - capable de restaurer l'expression de sa capsule, donc sa virulence, à une souche a-capsulée de pneumocoque - était détruit par l'enzyme DNase. Cette expérience prouvait que le support matériel de la virulence étant l'acide désoxyribonucléinque (ADN) qui "accessoirement" devenait LE support de l'hérédité.

- On découvre rapidement que certains facteurs clés de la virulence, comme la toxine diphtérique, sont codés par des éléments génétiques mobiles comme le bactériophage bêta. Puis survient, dans les années 1950, la révolution moléculaire : André Lwoff, Jacques Monod, François Jacob, Elie Wolmann et bien d'autres forgent les concepts et les outils qui vont permettre de faire se rejoindre, sinon Escherichia coli et éléphant, au moins Escherichia coli et microorganismes pathogènes.

- Stanley Falkow eut alors l'intuition que cette génétique moléculaire naissante allait permettre de déchiffrer le pouvoir pathogène des microbes, dans Infectious Multiple Dru Resistance, de 1975. 

- Que nous ont appris la génétique moléculaire, puis la génomique des pathogènes? Escherichia coli s'est avéré dès le début constituer un excellent modèle. Cette même espèce comporte en effet des isolats commensaux et des isolats pathogènes, ces derniers pouvant se décomposer en plusieurs pathovars intestinaux, urinaires, septicémiques, responsables de méningites. Il est vite apparu qu'au delà des propriétés métaboliques et antIgéniques souvent prises en défaut, chacun de ces pathovars a une signature génétique complexe correspondant à l'accrétion génomique d'éléments ; certains sont mobiles, les bactériophages et les phagiques ; d'autres sont fixés dans le chromosome mais probablement d'origine phagique : les "ilots de pathogénicité". Cette pathogénicité s'est construite par sauts quantiques, sous oublier la "touche finale" de mose de l'ensemble de ce dispositif sous le contrôle d'une stricte hiérarchie de régulations répondant aux conditions environnementales. Les séquençages et les analyses pngénomiques ont parfaitement confirmé ce concept, traduisant l'existence de flux constants de gènes.

- Des questions persistent : quelle est l'origine de ces gènes étrangers? Ce modèle est-il vrai pour l'ensemble des pathogènes? La réponde simple est "souvent mais pas toujours". Les organismes modèles sont des objets idéaux de recherche à condition de savoir en sortir. Enfin, les virus ont-ils subi une évolution génomique similaire? Oui, sans doute, pour les grands virus ADN comme les Pox et les Herpes, qui ont acquis des gènes de leurs partenaires cellulaires leur servant essentiellement à leurrer notre système immunitaire. C'est moins clair pour les virus ARN, où les recombinaisons intra-espèce et la piètre fidélité de l'ARN polymérase contribuent à générer la diversité nécessaire à l'adaptation aux hôtes et aux sauts d'espèces. 

- Revenons au coeur du paradoxe du commensalisme et de la pathogénicité qui sont gérés par les mêmes systèmes de surveillance immunologiques. Les commensaux intestinaux établissent un subtil dialogue moléculaire avec l'épytélhium à travers le filtre du mucus de surface, sur lequel ils sont établis en biofilms complexes. Ils sont maintenus à distance respectable par un gradient de facteurs antimicrobiens épythéliaux, et perçus en proximité et densité par l'échantillonnage permanent de molécules propres au monde procaryote. Ce dialogue moléculaire résulte, via l'analyse et le filtrage épithélial de ces signaux, en une situation tolérogène pour le microbiote. Des mécanismes sans doute très proches président à la tolérance des autres microbiotes, particulièrement le microbiote cutané.

- Les pathogènes disposent eux d'un arsenal de facteurs de virulence leur permettant d'accéder aux surfaces de l'hôte, d'y adhérer, éventuellement de les envahir, d'y injecter grâce à des systèmes dédiés des toxines qui vont assurer la subversion de la barrière épithéliale et de ses système de défense immunitaire. L'ensemble de ces effets est perçu par l'hôte comme un signal de danger, d'un seuil d'alerte dépassé : d'où une réponse immunitaire innée inflammatoire microbicide, mais aussi destructrice, largement responsable des symptômes et lésions de la maladie.

 

Philippe SANSONETTI, Des microbes et des hommes, Guerre et paix aux surfaces muqueuses, Leçon inaugurale du Collège de France, 20 novembre 2008. Raymond VILAIN, "jeux de mains", Arthaud, 1987 ; Réseau Microtrop.

 

Relu le 1 septembre 2020

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4 octobre 2011 2 04 /10 /octobre /2011 14:22

       Un des initiateurs en France de l'écologie politique dans les années 1970, René DUMONT ne cesse d'écrire, depuis ses ouvrages d'agronomie jusqu'à ses oeuvres politiques, en étroite relation avec la pratique professionnelle et la situation sur le terrain, que ce soit dans son pays ou dans le "tiers-monde".

D'abord pacifiste intégral et favorable à l'agriculture promue par le régime de Vichy, il s'engage progressivement en faveur du développement des peuples du tiers-monde, de la paix dans le monde et pour un développement contrôlé (démographie, énergie, protection des sols) et équitable.

      Ses oeuvres se répartissent en une multitude d'analyses et propositions en agriculture, des thèses écologiques et sur le développement, des écrits-prises de position sur les guerres en cours. Il étudie d'abord la culture du riz en Asie (La culture du ris dans le delta du Tonkin, 1935) et y découvre l'exploitation coloniale. Il s'enthousiasme ensuite pour l'agriculture moderne (Les leçons de l'agriculture américaine, 1949) et plus encore pour les révolutions agraires (Révolution dans les campagnes chinoises, 1957). Il est persuadé ensuite du double échec du développement à l'occidentale et de ses imitations socialistes (Développement et socialisme, 1969). il dénonce pendant longtemps dans le public et les instances internationales, les erreurs de développement, notamment dans les régions les plus pauvres (L'Afrique noire est mal partie, 1962) sans pour autant être bien entendu par les responsables politiques et économiques.

il conclue, à l'unité indissoluble qui fonde l'écologie politique - un rapport sain entre les hommes, un rapport sain entre l'humanité et la terre (Paysans écrasés, terres menacées, 1978) et rompt avec le socialisme étatiste et productiviste (Finis les lendemains qui chantent, 1983-1985, avec Charlotte PAQUET). Il mène toujours un combat incessant contre les crimes du néo-colonialisme en Afrique (Pour l'Afrique, j'accuse, 1986) et, en même temps, souligne les aspects positifs (réforme agraire, priorité aux petites entreprises) du développement de Taïwan (Taïwan, le prix de la réussite). Il garde dans tous ses écrits ultérieurs la même pensée écologique, bien exposée dans son premier livre pleinement écologique, l'Utopie et la mort, écrit en 1973. Sur un certain nombre de sujets, notamment la guerre, son ton se fait même plus véhément et imprécateur à l'approche de la fin du siècle (Cette guerre nous déshonore, 1992 ; Famine, le retour, 1997). 

 

    Toute une série d'ouvrages permet de suivre l'évolution de son travail d'agronome, de son approche novatrice, pluri-disiciplinaire, dans son premier ouvrage, La culture du riz dans le Delta du Tonkin, de tous ses textes lorsqu'il enseigne de 1935 à 1974 (Institut national agronomique Paris-Grognon, agriculture comparée), de sa défense du corporatisme agricole (1940-1945) aux travaux dans le cadre de la Reconstruction sur Le problème agricole français. Esquisse d'un plan d'orientation et d'équipement, jusqu'à ses études sur les différentes expériences et programmes agricoles aux États-Unis et dans le Tiers-Monde. Il part d'une approche très technique très vite empreinte de considérations politiques (prise de conscience précoce des méfaits du colonialisme) et indique par là, que jusqu'à des domaines où il semble surtout question de machines, d'engrais et de finances, les conflits sociaux sont toujours présents dont les processus de portée longue, économique.

 

L'Afrique noire est mal partie

     C'est la réalité sur le terrain qui le pousse à considérer la nécessité de changer radicalement la manière de cultiver, de se nourrir, de vivre. Les traits saillants d'une telle critique sont très présents dans L'Afrique noire est mal partie. 

Refusant une sorte de fatalisme et de malédiction induite par l'existence de climats et de sols contrastés, il défend l'idée que l'Afrique noire n'est pas maudite., que l'Occident possède une responsabilité directe dans ses difficultés économiques actuelles (esclavage et colonisation). Constatant que l'indépendance, ce n'est pas toujours la décolonisation, il dénonce la marche forcée vers un type de développement à l'occidentale, privant par exemple par la scolarisation massive, les terres de main d'oeuvre indispensable. Prenant appui sur beaucoup d'exemples concrets puisés dans différents pays, il indique les obstacles à de véritables progrès agricoles. Pour se développer, l'Afrique doit repenser son école, ses cadres, sa structure... et se mettre au travail. René DUMONT indique les deux grands écueils pour l'Afrique : la sud-américanisation et le socialisme aventuré pour aborder de manière ample le problème alimentaire mondial. Il prône la solidarité internationale, faute de quoi la famine mondiale pourrait intervenir vers 1980... Dans l'édition revue et corrigée de son livre en 1973, il écrit : "En 1973, il n'est plus possible de se leurrer. Sauf transformations fondamentales (aide étrangère à l'équipement fortement accrue, plus désintéressées ; et surtout efforts internes de bien plus grande ampleur...), il faudra peut-être un siècle pour vraiment venir à bout du sous-développement africain, qui sera sans doute le plus difficile à vaincre de tous. Car l'Afrique part de bien plus bas que l'Amérique Latine - sauf dans ses montagnes andines - et même que l'Asie. Si la situation de cette dernière est rendue plus diffcile par le surpeuplement, elle part d'un niveau de civilisation générale et agricole bien plus avancé. Elle se trouve donc, en Chine par exemple, en état d'aborder avec un certain succès la Révolution industrielle ; surtout parce qu'elle freine rapidement sa dangereuses explosion démographique. L'Afrique, elle, démarre à un niveau très inférieur. Mais si les plus pessimistes avaient raison (et les faits sont en train de leur donner raison), le Tiers monde courrait bientôt aux plus graves disettes, sinon aux famines généralisées. L'Humanité est donc parvenue à une véritable croisée des chemins. Si nous prolongeons les types d'interventions en cours, dont l'efficience est absolument insuffisante, le Tiers Monde, bientôt affamé, poserait à la génération qui nous suivra le plus redoutable des problèmes. Le fait que nous aurions eu alors raison, pour la seconde fois, ne serait pas pour nous une consolation suffisante. A Meister estime que l'aide internationale à l'Afrique "risque de diminuer dans le proche avenir" et il parle du "mythe de l'aide étrangère désintéressé". Nous nous sommes donc efforcés de montrer, dans l'étude  sur la menace de famine rappelée en introduction, que, pour la première fois dans l'histoire, les nations riches ont le plus strict intérêt à se montrer beaucoup plus généreuses. Cela ne réduirait nullement leur expansion, tout au contraire. Tandis que si la famine montait chez les pauvres, qui sont de plus en plus avertis, pendant que les gaspillages se multiplieraient dans le camp des nantis; les risques d'explosions, capables de mener à un suicide atomique mondial, augmenteraient dangereusement. Nous sommes tous acculés à revoir entièrement notre conception du monde, nos manières de penser et surtout d'agir, simplement si nous désirons la survie de l'espèce humaine. D'abord en limitant sa prolifération, à la mesure de ses subsistances. Même l'Afrique dépeuplée devra proportionner la multiplication de ses habitants à celle de ses ressources. Ces dernières doivent largement surpasser la première, si l'objectif d'une humanité heureuse reçoit enfin la priorité sur celui d'une humanité trop nombreuses. C'est pourquoi cette Afrique, dont il était inévitable que le départ hésite, non seulement peut mais doit partir très vite. Si elle mettait un siècle pour rattraper son retard, nous en pâtirions. Il nous faut donc, tous tant que nous sommes, chacun à notre poste, nous dépêcher de remplir toutes les conditions qui faciliteraient ce départ; car nous y avons le plus strict intérêt. Avis aux jeunes qui préfèrent vivre, suivant le titre de Tibo Mende, "Un monde possible". Il leur faudra le reconquérir."

 

    Dans tous ses ouvrages qui traitent des différentes voies de développement (Economies agricoles dans le monde, 1954 - Cuba, socialisme et développement, 1964 - Cuba est-il socialiste?, 1970 - Sovkhos, kolkhoz, ou la problématique communiste, 1964 - Chine, la révolution culturale, 1976...) se déploie toujours ce même souci d'analyse objective et de dénonciation des travers. Dans ce dernier ouvrage qui étudie les éléments "les plus neufs et les plus originaux" de la révolution chinoise; il met en relief, malgré de nombreux échecs, la réussite de la maîtrise de la démographie, maîtrise qui n'est sans doute pas pour rien dans l'actuelle position économique de la Chine. Il ne la présente pas comme un modèle pour tous - il en dénonce les retards et les inégalités (notamment les privilèges dont bénéficient toujours les collectivités urbaines par rapport aux communautés rurales), mais comme le long parcours depuis 1949, de politiques opiniâtres. 

 

Une attitude distante par rapport au monde politique

    Toujours à distance du monde politique, depuis ses déboires du fait de son attitude pendant le régime de Vichy, conscient des responsabilités provenant de sa grande connaissance de ce qu'il estime être les problèmes les plus importants du monde, il multiplie, dès 1974 (année de sa retraite professionnelle) les initiatives (dont la plus marquante est sa candidature à l'élection présidentielle, suivie de la fondation de la première organisation d'envergure nationale, le Mouvement écologique) et les écrits en faveur d'un autre développement : L'utopie ou la mort, 1973 - Seule une écologie socialiste, 1977 - Un monde intolérable : le libéralisme en question, 1988 - Mes combats. Dans quinze ans les dès seront jetés, 1989...

 Dans L'utopie ou la mort figure l'ensemble de sa problématique qu'il développe par la suite : l'annonce de la fin d'une civilisation, la dénonciation de la société de gaspillage, la responsabilité des pays riches, les révoltes inévitables dans les pays dominés, la mobilisation générale de survie dans les pays riches, le choix entre injustice et survie et la nécessité d'hommes et de pouvoirs nouveaux.  Ce sont de véritables transitions vers des socialismes de survie qu'il prône. Il lie la possibilité de cette survie de l'humanité à l'émergence du socialisme. 

 

   Même si ses ouvrages restent marqués par l'époque où ils sont écrits, il possèdent encore une force de conviction démonstrative qui influence de nos jours une grande partie du mouvement d'écologie politique. Mais bien plus, dans la foulée du Rapport du club de Rome de 1972, il fait partie de ces intellectuels et praticiens qui changent les données de la perception sur l'environnement : les cinq tendances fondamentales, industrialisation accélérée, croissance rapide de la population, très large étendue de la malnutrition, épuisement des ressources naturelles non renouvelables, dégradation de l'environnement constituent toujours les problèmes les plus dramatiques de l'humanité. C'est en tout cas ce que pense maintenant une très large part de la population des pays riches et de l'intelligentsia politique et scientifique, même si l'une des cinq tendances, la surpopulation, est en passe d'être maîtrisée. Les oeuvres de René DUMONT sont considérés comme faisant partie des bases de l'altermondialisme (membre fondateur d'Attac), et leurs influences dépassent largement les frontières politiques. 

 

René DUMONT, L'Afrique noire est mal partie, Seuil, 1962, 1973 ; Chine, la Révolution culturale, Seuil, 1976 ; L'utopie ou la mort, Seuil, 1974.

J-P. BESSET, René Dumont, une vie saisie par l'écologie, Stock, 1992.

 

Relu le 2 septembre 2020

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30 septembre 2011 5 30 /09 /septembre /2011 17:08

      Dans nombre d'études scientifiques ou plutôt surtout de vulgarisations scientifiques, dans maints documentaires sur la nature ou le monde animalier comme souvent dans la vie courante, nous entendons discuter de l'équilibre de la nature et des menées néfastes de l'humanité qui la déséquilibre de plus en plus. Or, comme en économie ou en politique, l'équilibre n'est jamais atteint, n'existe pas, et constitue soit un discours idéologiquement orienté, soit un objectif tout-à-fait théorique.

    La recherche de l'équilibre entre l'offre et la demande en économie, sans fin et sans doute impossible, comme celle de l'équilibre de quiétude de la nature semblent bien correspondre à la recherche d'un état utopique, d'ailleurs mal défini, parfois nostalgique dans le deuxième cas. Depuis l'élaboration des théories de l'évolution, pourtant, c'est bien l'instabilité qui semble être la règle et les mesures des déséquilibres dynamiques qui permettent comprendre comment les êtres vivants et la nature vivent. Un retour à un "équilibre naturel" semble bien impossible, puisque de toute manière, sans même l'intervention humaine (objet de tous les anathèmes), la terre tremble, bouge et se retourne, les volcans dénaturent à jamais les paysages, les eaux des océans et des lacs ravinent les reliefs, lentement ou brutalement, suivant les époques. La notion d'équilibre écologique revient pourtant sans cesse dans les discours et il importe de savoir ce qu'elle est réellement et comment celle-ci, en retour, oriente les diverses politiques d'aménagement des cadres de vie. Comment aussi, en se plaçant dans la perspective de continuels déséquilibres, naissent, vivent et meurent les constituants de la nature, comme on l'envisage de plus en plus.

 

      L'approche des questions écologiques restent marquées par un certain nombre de notions apparues tout au début de l'histoire des études scientifiques sur la nature. Lesquelles sont générées par des préoccupations économiques dans l'ensemble, mâtinées de considérations morales, voire moralisantes.

Comme l'écrit Jean-Paul DELÉAGE, qui fait partir cette approche des problèmes démographiques : "la démographie des populations animales intéresse depuis toujours les naturalistes, qui y ont souvent vu des modèles des dynamiques démographiques humaines." Cela remonte très loin, puisqu'il s'agit de tous les processus de domestication des animaux au service des hommes. "Le véritable initiateur de la démographie est Thomas R Malthus, qui développe dans son Essai sur le principe de population, la contradiction entre croissance géométrique du nombre des hommes et progression arithmétique des ressources. Plus d'un siècle durant, le paradigme malthusien restera le modèle indépassable de toutes les études de démographie animale. La première expression  mathématique de ce modèle est due à Pierre-François Verhulst, en 1838 sous la forme de la courbe logistique. Ignorée de ses contemporains, la courbe de Verhulst n'est redécouverte que vers 1920 par Raymond Pearl, à l'occasion d'études statistiques de la population américaine. Pearl est ainsi à l'origine des premiers travaux d'écologie mathématique de l'entre-deux-guerres, période qualifiée "d'âge d'or" de l'écologie théorique. Ce n'est pas le moindre paradoxe de l'abstraction mathématique que de tenter de répondre à des problèmes très concrets. Il s'agit pour W-R Thomson d'élucider les lois de pullulation des insectes et d'évolution de leurs prédateurs (1922). Alfred J. Lokta et Vito Volterra, ont eux aussi des préoccupations pratiques. Volterra, par exemple, cherche une interprétation analytique des variations de stocks de poissons de l'Adriatique nord pendant le Première Guerre mondiale. Le formalisme de ces représentations est directement inspiré de schémas conceptuels issus d'autres domaines scientifiques, en particulier ceux des oscillateurs couplés empruntés à la mécanique et ceux des équilibres, inspirés de la chimie. Ces modèles suscitent beaucoup de réticences chez les naturalistes qui examinent la réalité vivante trop complexe pour se plier à l'abstraction mathématique. Cette abstraction a pourtant permis de révéler des relations dans la nature que jamais la simple accumulation de faits empiriques n'aurait permis de découvrir. Elle a suscité, de proche en proche, de nouveaux modèles, comme ceux de A-J. Nicholson et V-A. Bailey, ou d'ingénieux protocoles expérimentaux, reproduisant au laboratoire des cas simples de compétition, comme ceux de G. F. Gause."   

   Plus tard, toujours en suivant Jean-Paul DELÉAGE, "la forme initiale des équations de Lokta-Volterra simplifiait à l'extrême les situations écologiques réelles. Confrontées à l'expérience, elles trouvent leur forme canonique dès les années trente. Ces modèles théoriques sont omniprésents dans les recherches de toute une génération d'écologistes. Ils offrent un cadre d'interprétation utile de leurs observations  jusqu'aux années soixante. C'est alors que la convergence des travaux d'un écologiste rompu aux mathématiques, Robert MacArthur, et de ceux d'un biogéographe et taxinomiste expérimenté, Edward O. Wilson, chantre de la sociobiologie, relance la recherche écologique dans le cadre d'un paradigme nouveau, la théorie de l'équilibre dynamique. L'âge d'or de l'écologie théorique correspondait à l'affirmation de l'autonomie de l'écologie par rapport à la biogéographie et à la théorie de l'évolution. L'écologie mathématique proclamait alors son indépendance dans le champ du savoir. Sous l'impulsion de Robert MacArthur, la nouvelle écologie affirme, tout au contraire, son ambition de réintégrer, à l'intérieur d'une nouvelle synthèse, les approches qui s'étaient naguère diversifiées. Les modèles anciens ne sont pas abandonnés, mais repris au sein d'une théorie englobant biogéographie, évolution et écologie. Les perceptions du temps et de l'espace sont réorganisées au sein d'une pensée qui met l'accent sur la diversité des organismes et sur la régulation de cette diversité dans des milieux hétérogènes et changeants ou, au contraire, stables. "D'un coup, commente le biogéographe Jacques Blondel, la théorie de l'équilibre dynamique constitue une nouvelle orthodoxie, conformant l'affirmation de Kuhn selon laquelle la science progresse davantage par étapes importantes suivies de pauses, que par accumulation progressive de petites trouvailles." (Biogéographie et écologie, Masson, 1979) Avec la nouvelle théorie sont élargies des notions anciennes comme celle de niche et de succession, ou identifiées, à l'intérieur d'une même communauté, diverses stratégies démographiques. Ces dernières interfèrent avec les mécanismes de sélection naturelle (...) selon les divers modes de reproduction et d'allocation de l'énergie disponible adoptés par chaque espèce. Cette nouvelle vague d'écologistes a reposé les grandes questions de l'évolution et de la répartition des êtres vivants à la surface de notre Terre. Son étoile pâlit déjà lorsque Robert May relance les discussions fondamentales à partir de considérations inespérées de la physique non linéaire et des mathématiques du chaos. Une des conséquences les plus marquantes de cette nouvelle révolution est l'émergence de descriptions de la nature qui ne séparent plus le vivant de l'inerte. La non-linéarité est à l'origine d'une étonnante diversité de comportements des modèles qui rapproche ces derniers des réalités vivantes qu'ils prétendent décrire."

 

    Cette théorie de l'équilibre dynamique présentée par Robert  MACARTHUR et Edward WILSON (1969) constitue un modèle qui suppose que la richesse spécifique instantanée sur une île est la résultante d'un équilibre entre un taux de colonisation et un taux d'extinction. La richesse en espèces d'une île sera élevée si le taux de colonisation est élevé et si le taux d'extinction est faible. Une ile sera pauvre en espèces si le taux de colonisation est faible et si le taux d'extinction est élevé. Cela bien entendu, avec toute la gamme de situations intermédiaires. Le taux de colonisation diffère du taux d'immigration dans la mesure où seule une partie des espèces arrive à s'installer. Les ressources étant limitées, plus le nombre d'espèces déjà présentes sur un île est élevé, plus le taux de colonisation diminue. Le fait que les niches écologiques disponibles deviennent de plus en plus rares ne favorise pas l'installation de nouveaux arrivants. Symétriquement, l'évolution du taux d'extinction devrait être une fonction croissante du nombre d'espèces total sur l'île. Plus les espèces sont nombreuses, plus les interactions compétitives augmentent et provoquent une augmentation des taux d'extinction. L'intersection des deux courbes obtenues (il s'agit bien entendu d'un modèle très mathématisé) défini la richesse en espèces à l'équilibre, c'est-à-dire l'équilibre entre taux de colonisation et taux d'extinction. Le modèle prédit que si deux îles sont soumises au même taux d'immigration, le taux d'extinction sera plus important sur la plus petite et qu'en conséquence, le nombre d'espèces sera moindre sur l'ile de petite taille. Le modèle prédit aussi que plus une île est éloignée, comme elle est soumise à un taux d'immigration moindre, le taux de colonisation sera inférieur. A surface égale, l'équilibre de ces taux de colonisation différentiels avec un taux d'extinction similaire implique une moindre richesses sur les îles éloignées. le modèle suppose donc que le taux d'extinction dépend de la surface de l'île et que le taux d'immigration est lié à l'isolement de l'île. Pour valider un tel modèle, il faut que les observations indiquent : 

- moins d'espèces sur une île (ou milieu assimilé, isolat favorisé par des frontières géographiques tels que montagnes ou grandes étendues d'eau) que sur un milieu similaire non-insularisé ;

- fréquentes extinctions ;

- fréquentes arrivées de nouveaux immigrants ;

- stabilité relative du nombre d'espèces ;

- phénomènes de sursaturation, c'est-à-dire un grand nombre d'espèces en fin de colonisation, suivi d'une diminution et d'un retour à l'équilibre.

  Ce modèle fait l'objet depuis sa diffusion d'une très abondante littérature et est à l'origine d'un nouvel élan de la biogéographie qui perdure de nos jours. Si ce modèle suscite tant de recherches et de discussion, c'est aussi parce qu'il présente des simplifications majeures. Comme pour tout modèle scientifique, c'est l'observation qui module sa validité, et des difficultés existent pour reproduire ses conditions de fonctionnement... Ce qui alimente bien entendu les controverses et amènent à se poser la question de la possibilité d'un tel équilibre, notamment :

- A surface égale, les îles sont loin d'être comparables les unes aux autres. Le gradient d'altitude, la diversité des habitants, leurs niveaux de complexité et de productivité, conditionnent aussi le nombre d'espèces qui peuvent occuper une île...

- Le modèle est fondé uniquement sur le nombre d'espèces, sans tenir compte des différences de densité. Il semble en effet logique que la résistance qu'une espèce offre à un nouvel immigrant doit être proportionnelle à sa densité et que le modèle devrait en tenir compte...

- Il place toutes les espèces sur le même pied alors que leur écologie, leur aptitude à la dispersion... sont différentes et qu'elles n'ont pas toutes les mêmes chances de réussir la colonisation, ni les mêmes risques d'extinction...

- Le modèle ne tient pas compte des possibilités d'adaptation (syndrome d'insularité...) des espèces qui tendent justement à s'opposer au renouvellement permanent des faunes et des flores...

Le grand point faible de la théorie réside dans la contradiction entre la dynamique supposée par la théorie de l'équilibre dynamique et la réaction des biocénoses traduites par les manifestations du syndrôme d'insularité. Gros point de difficultés également, si cette formule permet de calculer la richesse spécifique pour les années passées, le problème est qu'elle ne tient pas compte des processus évolutifs. 

 

     Les insuffisances et les lacunes de la théorie de l'équilibre dynamique laissent place à d'autres modélisations fondées, à l'inverse, sur la prédominance des déséquilibres. Ainsi, la théorie du Patch Dynamics Concepts, vers la fin des années 1970 et encore plus depuis les années 1990, est de plus en plus utilisée pour comprendre, décrire ou prévoir la dynamique des populations et des écosystèmes après une perturbation (naturelle ou non). Cette théorie éclaire en particulier les stratégies de reproduction, dispersion et compétition chez des espèces et des biocénoses. Historiquement apparue avec l'écologie du paysage issue elle-même de la biogéographie, elle met l'accent sur l'importance et la succession de stades ou de communautés d'espèces dans l'équilibre climatique théorique des communautés et des habitats, et se fonde sur trois notions de bases :

- Dans un paysage donné, chaque cadre spatial constitue une unité écologique fonctionnelle, plus ou moins stable ou isolée, pour un certain temps ;

- La perturbation écologique est la règle ;

- La perturbation écologique est permanente et chaque perturbation est suivie d'autres, provoquant des effets cumulatifs ou compensés, dans une succession écologique.

Cette théorie contribue au développement de l'écologie des perturbations naturelles, notamment dans le domaine de l'étude des réactions des écosystèmes aux incendies de forêt (de plus en plus amples de nos jours) et de leurs conséquences directes et indirectes sur les écosystèmes. Elle permet notamment une meilleure compréhension de l'importance de certains équilibres (prédateurs/proies, herbivores/carnivores, équilibres sylvocynégétiques en forêt cultivée...). Appliquée beaucoup dans les études sur le cycle de l'eau après les systèmes terrestres, cette théorie de dynamique écologique aide à comprendre les perturbations croissantes des écosystèmes. La littérature disponible sur cette théorie est surtout anglo-saxonne ; on peut consulter avec profit l'ouvrage de Nanako SHIGESADA et Kohkichi KAWASAKI : Biological invasions : theory and practice, Oxford University Press, 1997.

 

    La notion d'équilibre renvoie, en ce qui concerne l'équilibre adaptatif d'une population, au néo-darwinisme, sans oublier l'apport très importance de la réflexion sur l'équilibre fluctuant développée notamment par Sewall WRIGHT. Les diverses approches sur les équilibres naturels font appel de façon plus ou moins nette à la sélection naturelle (darwinienne). Il ne faut pas oublier le modèle de formation des espèces élaboré par des paléontologistes américains, N. ELREDGE et S. J. GOULD, à partir d'études sur les Tribolites (Arthropodes) du Primaire (Dévonien) de l'État de New York et appliqué ensuite à l'histoire d'autres groupes d'Invertébrés et de Vertébrés, connu sous le nom de Modèle des équilibres ponctués. Contesté, ce nouveau modèle ne constitue pas une "nouvelle théorie de l'évolution" car il ne propose pas de mécanisme du changement évolutif, mais décrit seulement une modalité possible du processus de spéciation (Charles DEVILLERS).

    Charles DEVILLERS et Yves GUY résument les éléments des modalités de la sélection naturelle, telle qu'elle est développée de nos jours par les auteurs modernes : "De la sélection naturelle (ils) reconnaîtront plusieurs modalités qui peuvent être expliquées en utilisant, pour représenter une espèce, la distribution statistique d'un de ses caractères. Cette distribution peut être résumée par deux paramètres : la moyenne des valeurs, et l'écart-type qui définit l'étalement des mesures, de part et d'autre de la moyenne. De part et d'autre de la moyenne, le nombre des valeurs mesurées va diminuant (courbe en cloche ou de Laplace-Gauss). Partant de cette représentation de la variabilité intraspécifique, quatre modes principaux de sélection peuvent être définis :

- Sélection stabilisante (Schmalhausen, Factors of evolution, Philadelphie, The Blackiston C°, 1949). Une population habitant un environnement uniforme manifeste une hémostase génétique, c'est-à-dire que la fréquence des allèles est stabilisée sous l'influence de la pression de sélection, des taux de mutation, des migrations (flux génique), etc. La valeur de la moyenne pour tel ou tel caractère correspond à ce qu'on peut désigner comme "optimum adaptatif". L'effet possible d'une rupture, légère, d'équilibre dans cette population est annulé par l'intervention de l'une de ces forces, dont la plus importante est la sélection. Celle-ci tend, au cours des générations, à éliminer les déviants extrêmes, à uniformiser la population autour des valeurs moyennes de certains caractères, et donc à contenir la variabilité. La sélection est, dans ce cas, une force conservatrice - la seule reconnue à la sélection naturelle par les opposants du darwinisme. Darwin connaissait ce type de sélection, mais ne lui attachait que peu d'importance, son attention étant tournée vers les processus générateurs du changement. C. H. Waddington (Organizers and genes, Londres, Combridge University Press, 1940) souligne que la stabilisation relève de deux types de sélection. Dans un environnement uniforme, la stabilisation dépend simplement de l'élimination de génotypes aberrants par une sélection normalisante. Comme le milieu n'est, en général, ni uniforme, ni stable, la sélection écartera ces génotypes qui déterminent des systèmes de développement à faible canalisation et qui, sensibles aux perturbations des conditions du développement, auraient tendance à engendrer des phénotypes anormaux. La sélection est alors stabilisante ou canalisante

- Sélection directionnelle (K. Mather, Polymorphism as an outcome of disruptive selection, Evolution, 1955). Si la moyenne de tel caractère ne coïncide pas avec son optimum adaptatif, la sélection éliminera celle des valeurs qui sont les plus éloignées de l'optimum, pour ne retenir que celles qui en sont les plus proches. Il en résultera un glissement progressif de la moyenne vers l'optimum déterminé par les conditions d'environnement. Ce type de sélection, reconnu par Darwin, est une force génératrice de changement et qui doit être l'une des composantes de l'anagenèse.

- Sélection équilibrante (ou balancée) par hétérosis (Dobzhansky, A review of some fundamental concepts and problems of population genetics, Cold Spring Harbor Symposium Quantitative Biology, 1955). Si, pour un couple d'allèles a1-a2, la valeur sélective de l'hétérozygote a1a2 est supérieure à celle des hétérozygotes a1a1-a2a2, la sélection conduit vers un équilibre génétique entre hétérozygotes, favorisés, et hétérozygotes défavorisés mais qui se maintiennent parce qu'à chaque cycle de reproduction de nouveaux homozygotes se forment à partir des parents hétérozygotes (...)

- Sélection diversifiante (Dobzhansky, 1968 ; Disruptive selection, Mather, 1955). Lorsqu'un même caractère présente deux ou plusieurs optimums adaptatifs, la sélection retient les valeurs groupées autour des optimums, éliminant les intermédiaires. La distribution des valeurs du caractère, initialement unimodale, se transforme, dans le temps, en une distribution plurimodale. La population initiale s'est diversifiée, et non pas démantelée comme le suggérait la dénomination de sélection disruptive, inappropriée. Selon Mather (1943, 1953), la sélection diversifiante conduit vers l'alternative polymorphisme ou isolement de sous-populations, le premier terme n'étant pas une étape nécessaire vers le second. Le polymorphisme peut s'établir et se maintenir entre populations (de la même espèce) qui échangent entre elles des gènes, par croisement ou par migration (...). L'isolement, c'est-à-dire la rupture totale du flux, est-il, comme l'admet Mather et comme le confirment les expériences de Gibson et Mather, une issue possible de la  sélection diversifiante? L'enjeu est d'importance car il signifierait qu'un processus d'isolement génétique pourrait s'enclencher sans séparation géographique des populations et se poursuivre dans une spéciation sympatrique de type cladogénétique. Mayr récuse une telle possibilité, puisqu'il n'accepte que la spéciation de type allopatrique. Le problème demeure.

Ces deux types de sélection, équilibrante et diversifiante, ont pour résultat, non point de réduire la diversité génétique, mais au contraire de l'entretenir, par avantage de l'hétérozygote, par partition écologique du milieu... en maintenant un équilibre entre des génotypes. Elles peuvent être qualifiées de sélections balancées (Dobzhansky).

 

   Yanni GUNNEL, dans la réflexion sur la nature comme processus, postulats d'équilibre mais avec des perturbations omniprésentes, se demande d'où provient cette idée d'ordre dans les systèmes naturels. Il voit s'imposer cette idée par la manière même dont les disciplines scientifiques s'établissent : "Dans le même temps que l'anthropologie a forgé le mythe de la société primitive, pour asseoir sa légitimité en tant que discipline et y bâtir en son centre la notion de culture (....) la nature a aussi, dans une certaine mesure, été réinventée par les sciences sociales pour la marginaliser. cela a permis de reléguer les milieux naturels au statut de toile de fond, de cadre, dont les fonctionnements sont censés être répertoriés et connus, et dont on n'a plus lieu de se soucier : l'histoire naturelle étant, postule-t-on, composée de cycles et non d'événements historiques, la nature n'a pas de passé ni de devenir car elle est à l'équilibre. Ce postulat permet de neutraliser la nature : la nature est une affaire classée. Cette vision d'une nature à l'équilibre n'avait d'ailleurs pas été remise en question par Darwin lui-même : malgré les accidents et les luttes incessantes entre espèces et entre individus, ce tumulte n'empêchait pas aux yeux de Darwin un règne de l'ordre et de l'harmonie". Même si l'auteur produit une citation de l'Origine des espèces, il faut tout de même souligner ici que la théorie de l'évolution est une théorie du changement, moins qu'une théorie de l'ordre... "Le progrès des connaissances, poursuit Yanni GUNNEL, en écologie au cours des 30 dernières années environ a débouché sur un renversement méthodologique et conceptuel qui repose sur la proposition suivante : la compréhension des écosystèmes ne gagne pas à graviter autour des notions de cycle, d'équilibre et d'homéostasie. Au contraire, c'est la notion en apparence antinomique de perturbation qui doit, non pas juste être conçue comme le poison inévitable de l'équilibre, mais au contraire se trouver au coeur de la pensée écologique. En effet, au moment de l'effervescence écologique de 1969-1972 (...), le combat semblait, à l'image du contexte de Guerre froide de l'époque, fort simple : la bataille devait se livrer entre une espèce humaine gournande et destructrice d'une part, et ce qui restait d'une nature vierge et innocente, dont les équilibres fragiles avaient été résumés de façon si rationnelle dans les organigrammes écosystémiques d'Eugène Odum (...), d'autre part. Pourtant, vingt ans plus tard, et curieusement dans un contexte de fin de Guerre froide et de retour  à une certaine turbulence politique sur la scène internationale, l'écologie scientifique avait perdu toute notion de ce que "nature vierge" pouvait bien vouloir dire. La nature paraissait soudain moins rationnelle, moins stable, moins harmonieuse (BOTKIN, Discordant Harmonies, Oxford university Press, 1990). Le monde avait-changé, ou bien n'était-ce que la perception du réel qui avait encore franchi une étape historique. Suite aux efforts d'Odum (voir entre autres Ecology and our Endangered Life-Support Systems, Sinauer Associates Inc., Suderland, 1993) pour faire entrer l'écologie dans le champ des systèmes et de la thermodynamique tout en lui conservant sa métaphysique holiste (...), une écologie des systèmes perturbés fait son apparition durant les années 1980. Son originalité vient en partie du fait que, contrairement à l'écologie des 100 années qui l'ont précédée, la recherche menée n'est au départ pas universitaire et donc inféodée à des études courtes suivant des protocoles directifs. Cette recherche n'est pas non plus le fait d'explorateurs, et donc d'observateurs de passage dont la compréhension des états du système observé ne correspond qu'à un arrêt sur image, à une perception instantanée. L'écologie des systèmes perturbés est une écologie appliquée qui émane surtout des retours d'expérience de gestionnaires d'aires naturelles protégées qui ont exercé un suivi à long terme de mosaïques de milieux sur des superficies qui dépassent largement les dimensions de la placette classique (comme Peter S. WHITE) (...). 

 Se définit alors un concept de perturbation, à partir de la formule de PICKETT et WHITE (1985) : Tout événement, relativement discret dans le temps, qui élimine des organismes vivants, modifie un stock de ressources, altère les disponibilités territoriales, ou transforme l'environnement biophysique." C'est une approche systémique qui est proposée. Tout système y est caractérisé par trois propriétés interne :

- une population d'éléments correspondants à des objets dénombrables : atomes, grains de sable, arbres, lapins, interfluves, humains...

- chaque élément possède des attributs, qui peuvent être décrits par les sens ou bien rendus sensibles par des mesures ou des expériences...

- si les attributs sont mesurables, on peut leur assigner une valeur et les soumettre à une analyse quantitative...

"L'état du système est défini lorsque toutes ces propriétés (ou variables d'état) ont une valeur définie. Certains éléments internes au système peuvent toutefois subir une modification de leurs attributs, ce qui affecte l'état du système dans son ensemble. la manière dont s'effectue un changement d'état dans un système thermodynamique s'appelle un processus. Si au cours d'un changement d'état, le processus a tendance à ramener le système à son état initial, alors le processus s'appelle un cycle. Les mécanismes d'homéostasie, cette capacité à maintenir une certaine organisation structurelle et à perdurer en dépit des entrées et des sorties de matière et d'énergie qui les traversent, constituaient une caractéristique majeure des systèmes naturels ouverts dans l'éconologie écosystémique d'Odum. L'homéostasie caractérise la plupart des organismes vivants individuels, mais on a l'occasion d'examiner les abus métaphoriques qui ont consisté à étendre cette vision organiciste à d'autres domaines. Les attributs d'une perturbation sont sa durée, son intensité, son instantanéité et la superficie de son empreinte. Un processus qui affecte le fonctionnement de l'écosystème mais pas sa structure est donc un stress plutôt qu'une perturbation. La notion de perturbation est fondamentale cas elle intègre explicitement la réalité du temps saggital, c'est-à-dire de l'histoire. En effet, s'il n'y a que des équilibres, il n'y a pas de temporalité ; il n'y a que des cycles, sans flèche te temps. Or, le temps réversible, par exemple, de la physique newtonienne, est une absurdité en ce qui concerne la trajectoire des écosystèmes. L'écologie n'est pas une science d'éprouvette. Par conséquent, penser les perturbations oblige à prendre en charge une réflexion sur la temporalité. Dans la mesure où il existe un champ toujours grandissant de techniques pour mesurer le temps et pour connaitre l'histoire longue des écosystèmes, un effort de compréhension des temporalités qui régissent les milieux physiques s'avère être du plus grand intérêt pour savoir comment agir sur les écosystèmes sans détraquer leurs fonctionnements naturels. Les travaux dans ce domaine révèlent que les perturbations ne sont pas des anomalies. Dans un très grand nombre, sinon la totalité, des milieux naturels, la perturbation est une composante normale, car récurrente bien que ne frappant pas nécessairement à chaque fois un même lieu, de la dynamique des systèmes. Évidemment, l'homme éprouve des difficultés à admettre que les écosystèmes puisent leur vitalité dans la perturbation, dans ce que nous percevons comme étant le signe d'un désordre. Mais ceci conduit à un réexamen des postulats d'équilibre dans la nature. ce réexamen est abordé (...) dans une perspective temporelle qui dépasse le pas de temps conventionnel de l'écologie (la décennie ou le siècle) et qui intègre les paléoenvironnements à l'échelle de la dizaine à la centaine de milliers d'années : donc les époques géologiques correspondant à l'Holocène et au Pléistocène."

 

 L'instabilité devient la condition de la diversité biologique : le comportement métastable des systèmes naturels, l'adaptabilité différentielle des espèces aux perturbations, les différentes trajectoires des différents écosystèmes, tout cela devient l'objet d'études d'une nouvelle écologie. Dès lors que la nature n'est plus conçue comme étant stable de toute manière, la tentation peut être grande de considérer les perturbations humaines comme faisant partie d'une histoire obligée de la nature, celle-ci retrouvant de toute façon, à plus ou moins long terme, un état qui peut être qualifié de moins instable. Mais outre le fait que les humains risquent de ne plus faire partie de cette nature retrouvant ses marques, une perception de ce genre possède l'inconvénient de faire apparaitre comme légitime l'exploitation effrénée de la nature, avant que celle-ci entre dans de grands bouleversements. L'activité humaine fait partie effectivement d'une longue lignée d'activités des êtres vivants, mais au lieu que les résultats de cette activité soit étalée sur de nombreux siècles, les effets de l'activité des humains se font ressentir dans des périodes de plus en plus courtes... C'est en prenant en compte à la fois l'évolution multiséculaire des écosystèmes et les changements induits par l'activité humaine que la gestion de l'environnement, en gardant cet environnement viable, que l'homme devient efficace. Le fait même que la nouvelle écologie provienne d'abord des acteurs en recherche de l'efficacité pratique sur de longs espaces-temps, permet un certain optimisme relatif.

 

 

 

Yanni GUNNELL, Écologie et société, Armand Colin, Collection U, sciences humaines et sociales, 2009. Charles DEVILLERS et Yves GUY, Dictionnaire du Darwinisme et de l'Évolution, PUF, 1996. Jean-Paul DELÉAGE, Une histoire de l'écologie, 1991.

 

ETHUS

 

Relu le 30 juillet 2020

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22 septembre 2011 4 22 /09 /septembre /2011 14:47

      La notion de conflit en Écologie recouvre plusieurs réalités qui vont des multiples luttes entre micro-organismes biologiques aux heurts entre populations à propos de la distribution de ressources-clés, dans un environnement changeant. Sérier les différents conflits liés à l'écologie est autre chose que de décrire l'écologie d'un conflit, si tant cela ait un sens. Avant d'aborder ce qui fait la spécificité d'un conflit écologique et pour ne pas céder à une mode ou à une dérive intellectuelle, il convient de comprendre la notion d'Écologie, dont la lente émergence dans le vocabulaire scientifique et dans le vocabulaire courant, dans les sciences naturelles, puis sociales, puis encore socio-politique... dans tout son aspect conflictuel. Au début, c'est dans le développement même des réflexions sur l'évolution qu'elle naît, avec d'abord la botanique géographique.

 

L'Écologie comme science...

     L'écologie, aux sens de Ernst HAECKEL (1834-1919) (1866, selon l'Atlas de biologie de Gunter VOGEL et d'Hartmunt AUGERMANN) est l'étude des interactions qui s'exercent entre êtres vivants et le milieu où ils vivent. Elle concerne toujours des systèmes supra-individuels. On peut l'appréhender sur 3 niveaux :

- Autoécologie : son objet est l'étude des relations entre l'individu et son environnement ; elle est en relation spécialement avec la physiologie et d'autres disciplines comme l'Écophysiologie et l'Écoéthologie.

- Démécologie : son objet est l'étude des relations entre l'environnement et les structures internes de la population, en relation avec la génétique des populations avec laquelle elle forme la biologie des populations, et a des liens étroits avec les sciences appliquées (dégâts dus aux parasites...).

- Synécologie : son objet est l'écosystème ; en passant du qualitatif au quantitatif, grâce à l'analyse systématique moderne, c'est la transition vers une écologie nouvelle, au sens d'Eugène ODUM (1913-2002). L'écosystème regroupe la communauté des êtres vivants (biocénose) et le lieu de vie (biotope) dans leurs dépendances réciproques.

L'action des facteurs abiotiques (lumière, température, eau, sol) est étudiée dans ces sciences naturelles, notamment pour les Végétaux. 

 

Pour les Végétaux comme pour les Animaux, trois effets écologiques sont distingués:

- l'effet directeur (Attirance, Répulsion) ; qui est plus important pour les formes libres, se déplaçant activement que pour les espèces fixées. Les organismes fixés ne réagissent à l'effet d'attirance/expulsion des facteurs écologiques que par les mouvements des cellules isolées (Tropismes positifs ou négatifs). Chez les organismes qui se déplacent librement, cela conduit à des mouvements réactionnels orientés (taxies) pour rechercher des conditions favorables ou éviter les défavorables.

- l'effet modificateur (Modification ou Transformation) ; Cet effet ne concernent que le phénotype mais peuvent avoir une grande importance écologique : la réponse de l'organisme aux conditions du milieu dépend beaucoup de la durée d'action de ces facteurs.

- l'effet limitant influe fortement sur la répartition et les manifestations vitales des individus, que ce soit à grande échelle ou à échelle plus restreinte. Les facteurs biotiques fixent en général seulement la limite des possibilités d'existence (maximale au niveau des prédateurs, minimale au niveau de la prioe-nourriture.

       Un écosystème constitue la base des interactions entre espèces, ces relations allant de la concurrence à la neutralité, en passant par le parasitisme, la prédation, la symbiose, la coopération, la fructification et le commensalisme. Toutes ces relations peuvent être considérées sous l'angle coopération/conflit, à condition expresse de ne pas verser dans un certain anthropomorphisme, et d'exclure, sauf pour une partie du monde animal et l'espèce humaine, toute forme de conscience, la plupart des comportement étant commandée par soit des taxies ou des tropismes.

 

Un manque de clarté persistant sur l'Écologie....

   La diversité des définitions données par HAECKEL n'a pas favorisé, selon Vincent LABEYRIE, la clarté des orientations ni la convergence des recherches.

"Ses premières définitions, étroites et voisines de celle de l'éthologie (...) concernaient le champ d'étude des relations entre les êtres vivants et leur environnement. Elles n'apportaient rien de nouveau, car depuis HIPPOCRATE (490-370 av J.C.), chaque naturaliste sait qu'aucune étude sérieuse des êtres vivants ne peut être efficace si elle néglige le cadre de vie, si elle ignore l'existence des interactions. Ainsi, tout biologiste ou tout naturaliste pouvait faire naturellement de l'écologie ou de l'éthologie. Dans ce contexte, il était possible d'affirmer très tôt : "L'écologie est pour la biologie la science du réel". La première définition de l'écologie par Haeckel ne provoquait aucune rupture conceptuelle avec la position des naturalistes français du XIXe siècle. Il n'y avait par ailleurs aucune contradiction, a priori, entre cette définition et le positivisme ambiant puis Comte lui-même avait recommandé en 1834 de ne pas dissocier l'organisme de son milieu.

Mais Ernst Haeckel  a donné de l'écologie une seconde définition beaucoup plus opérationnelle. Il a repris, dans une perspective évolutive, la notion finaliste de l'économie de la nature utilisée par Linné en 1749 dans la rédaction de la thèse de son élève Isaac J. BIBERG. (...) C. Limoges résume la pensée de Linné : "L'économie de la nature c'est, essentiellement, une conception de l'interaction finalisée des corps naturels ; en vertu de laquelle un équilibre intangible se maintient au cours des âges... Dans cette conception de l'économie de la nature, la proportion se dit de l'équilibre constamment maintenu entre les populations spécifiques. Cette proportion n'est pas vraiment un effet des interactions des phénomènes naturels, mais plutôt le principe qui les régit. (...) Une économie de la nature comprise comme autoreproduction exacte à l'infini implique comme postulat premier une téléologie que l'école linnéenne, loin de récuser, se donne pour tâche ultime d'exhiber." Il est possible que ce finalisme béât des partisans du holisme de l'économie de la nature ait détourné pendant la première moitié du XIXe siècle - et éloigne encore - des naturalistes soucieux de comprendre le fonctionnement de la nature, mais pour lesquels méthode analytique et rigueur scientifique sont indissociables. En effet, les notions de base nécessaires à une étude scientifique du fonctionnement de l'écosphère et des écosystèmes étaient déjà acquises pendant la première moitié du XIXe siècle. (...). H. Nicol trouve des raisons idéologiques à ce retard dans l'utilisation et la définition de la démarche holistique de l'écologie : "L'enseignement des relations de l'homme moderne avec la totalité de son environnement a été bâti sur des charpentes plus adaptées au XVIIIe siècle qu'au XIXe ou au XXe. C'est au contraire, en rupture avec le finalisme créationniste, et dans la perspective darwinienne d'un holisme matérialiste et évolutionniste, que Haeckel a introduit le concept d'écologie comme économie de la nature. Il en avait éprouvé le besoin pour expliquer l'origine des adaptations chez les êtres vivants. Haeckel précise sa position : "Cette science de l'écologie, souvent improprement considérée comme biologie dans un sens étroit, a longtemps formé le principal élément de ce qui est communément considéré comme l'histoire naturelle."".

      Vincent LABEYRIE indique que des remarques très importantes avaient été faites avant DARWIN, par exemple par J-B. LAMARCK, dans les Recherches sur les causes des principaux faits physiques (1793). Il y montrait l'importance des organismes vivants dans la formation des cycles biogéochimiques de circulation de la matière. Comme la définition de l'écologie comme économie de la nature n'a été suivie d'aucun réel travail marquant de Ernst HAECKEL, la confusion est entretenue par la suite. "Parallèlement, le divorce dans les relations entre économie de la nature (écologie) et économie humaine, n'est apparu qu'à la fin de la première moitié du XXe siècle, quand la puissance d'intervention humaine est devenue telle que l'inadéquation des stratégies d'aménagement et de production a atteint des proportions catastrophiques. (...). L'intérêt de la définition de l'écologie comme étude  de l'économie de la nature a été reconnu très lentement. Il a fallu attendre 1935, avec l'introduction du conception d'écosystème par  Arthur George Tansley (1871-1955), pour que l'insertion de la démarche écologique se traduise par l'apparition de concepts complémentaires opérationnels. A travers l'étude holistique de ces systèmes spatiaux naturels, l'unité fonctionnelle de la nature du XVIIIe siècle était retrouvée." Notamment par les travaux de R. L. LINDERMAN en 1941 et de E. ODUM (Fondamentals of ecology - 1953), pour expliquer le fonctionnement des écosystèmes, et en particulier étudier la circulation de l'énergie et de la matière entre les différents compartiments de l'écosphère." La forte demande sociale pour des études d'impact des activités humaines sur l'environnement se traduit par de grandes difficultés d'évaluation, dues précisément aux connaissances encore embryonnaire en écologie. 

La plupart des conflits sur l'utilisation de l'environnement, que l'on pourrait baptiser peut-être un peu rapidement conflits écologiques (cette fois strictement à l'intérieur de l'espèce humaine) se trouve aggravé par cette relative méconnaissance, malgré les progrès très importants réalisés ces derniers temps sous l'effet de l'urgence pour faire face aux changements climatiques accélérés. 

 

Par définition, en suivant toujours Vincent LABEYRIE, "l'approche écologique se situe aux interfaces. Elle se distingue des disciplines scientifiques traditionnelles qui se définissent en isolant l'objet de leur étude. Le fonctionnement (l'économie) de la nature implique des flux qui transcendent les interfaces ; ainsi toute étude écologique exige la mise en relation d'au moins deux entités du système. Étude de fonctionnement des ensembles spatiaux, l'écologie s'intéresse aux relations entre sous-ensembles. Ainsi, il y a une écologie forestière, une écologie lacustre, une écologie prairale..., mais il n'y a pas d'écologie végétale ou d'écologie animale. De telles expressions sont contraires au concept d'écologie comme économie de la nature, puisque l'animal ou le végétal ne peuvent constituer à eux seuls des ensembles isolés. La circulation de la matière implique au moins la présence dans un même système de végétaux pour stocker de l'énergie sous forme de molécules organiques, et de micro-organismes pour précéder à leur minéralisation. Il est même difficile d'envisager une écologie du sol, ce dernier ne constituant pas un écosystème ; en revanche, aucune étude écologique ne peut ignorer les échanges impliquant le sol."

 

L'Écologie comme discipline scientifique des relations entre les hommes et la nature et entre les hommes... Vers l'Écologie politique

      La position privilégiée de l'homme en tant qu'espèce dans l'écosphère, capable d'entreprendre l'exploitation de tous les écosystèmes sans connaissance réelle des conséquences, met en danger la base même de son existence, ce surtout depuis l'ère industrielle. Du coup, l'ensemble des acteurs des sociétés humaines conscient de ce fait (se considérant aussi de cette manière) veut s'opposer de manière de plus en plus ample à des entreprises humaines identifiées comme responsables de bouleversements environnementaux. Ils donnent à leur combat le nom d'écologie politique, dans le même temps où se développe de manière accélérée l'acquisition de connaissances sur l'écologie humaine, au sens d'interaction entre l'activité de l'espèce humaine et l'ensemble de l'environnement. A partir du moment où l'espèce humaine est considérée comme facteur écologique majeur, une philosophie issue de l'écologie se développe, l'écologisme. Ce terme, recouvre, à vrai dire, des courants idéologiquement divergents (sur les moyens d'action et/ou sur les objectifs), dont la plupart, la partie la plus combative en tout cas, refuse d'ailleurs d'être catalogué ainsi.

De toute manière, sous la poussée des effets de plus en plus dévastateurs de l'utilisation anarchique de l'écosystème, est né une écologie politique qui inclut la politique et la gestion de la cité. En ce sens le conflit écologique met aux prises des intérêts particuliers, toujours sur la lancée d'idées d'une époque où ces conséquences n'étaient pas encore perceptibles, à l'intérêt général qui commande une grande prudence dans l'exploitation de la nature et en même temps une refonte globale des relations humaines. 

 

      Jean-Paul DELÉAGE regrette la coupure persistante entre sciences de la nature et sciences humaines, "préjudiciable à la compréhension des nouveaux problèmes posés à nos sociétés." Mais la simple transposition, précise t-il "de concepts écologiques comme capacité de support, niche, stabilité, etc. à l'analyse sociale ne suffit pas à constituer une écologie humaine. Elle risque au contraire d'égarer les recherches dans les impasses d'une écologie gestionnaire qui s'accommoderait des injustices du monde". Nous pensons comme lui que "la rationalité écologique ne peut à elle seule ni fonder la décision politique ni se substituer au calcul économique. En effet, et nous le suivons toujours, "toutes les sociétés historiques ont exploité des ressources et ont entretenu des rapports déterminés avec le monde naturel. "Dans les sociétés contemporaines, poursuit-il, ces rapports sont entrés en crise profonde. L'écologie scientifique, maintenant relayée par l'écologie politique, a l'irremplaçable mérite d'avoir ouvert un large débat  sur cette crise. Ce débat met en cause les modèles de gigantisme et d'uniformisation sociale, les régulations par la valeur d'échange ou la planification autoritaire et finalement la place de l'économie elle-même dans toutes les formations sociales."

"L'écologie pose ainsi une question essentielle, sans y apporter de réponse unique, parce qu'elle-même ne constitue pas une approche unique et simple des énigmes de la nature, parce qu'elle est le produit d'une histoire extrêmement complexe, fécondée par de multiples controverses." Il n'y pas d'autorité définitive scientifique d'un point de vue écologique, et le message écologique est plutôt un message de prudence, comme peuvent le témoigner les multiples dispositions regroupées sous des politiques de précaution.

L'écologie est toujours travaillée par des forces contraires, de l'intérieur. "Ainsi perdure, écrit encore Jean-Paul DELÉAGE, à l'intérieur même de l'écologie le conflit majeur entre une conception réductrice de cette science et sa vocation originelle, animée de la grande idée humboldienne d'un souffle unique donnant vie aux plantes, aux animaux et aux humains. L'écologie nous incite à sortir des oppositions stériles entre réductionnisme et holisme, analyse et synthèse, conflit et coopération. Au-delà du remarquable progrès que constitue l'écologie opérationnelle rendue possible par l'ordinateur (Marcel BOUCHÉ, Écologie opérationnelle assistée par ordinateur, Masson, 1990), l'écologie doit se familiariser avec l'incertitude de l'aléa, que permettent de formaliser les mathématiques du chaos". En fin de compte le défi des problèmes mondiaux de surpopulation, de déficit énergétique, des dangers climatiques... est bien celui de l'émergence d'une nouvelle citoyenneté écologique et planétaire, qui renverse toutes les variantes identitaires connues depuis des millénaires. 

 

Faut-il se replier comme le font beaucoup sur l'Écologie comme discipline scientifique "neutre"?

    Yanni GUNNELL, qui exprime la peine à s'y retrouver dans le foisonnement d'études consacrées à l'écologie, et en se limitant à l'écologie en tant que discipline scientifique propose de distinguer :

- tantôt une science à partie entière, avec des ambitions réductionnistes que l'on retrouve dans toute science. Cette science s'est longtemps contentée d'étudier la nature sans l'homme, ou en tout cas une nature dans laquelle elle postule ne pas avoir détecté d'impacts humains, et donc "vierge". Dans les précis et manuels d'écologie scientifique, une part si large est consacrée aux concepts et à la théorie que parfois on peine à croire que l'écologie est une science naturaliste faite d'observations, d'études de cas et de retours d'expériences vécues au contact de la faune et de la flore. Ce n'est évidement pas dans ce genre de science que nous pouvons trouver trace d'un quelconque type de conflit....

- tantôt une discipline qui fait la synthèse des résultats sectoriels acquis par plusieurs disciplines ; auquel cas elle se confondrait partiellement avec cette autre discipline "carrefour", la géographie. Une géographie, oublieuse de ses origines de visées stratégiques, décidément bien paisible...

- tantôt non une science, mais un domaine informel de recherches pluridisciplinaires. Dans ce cas, l'écologie court le risque de n'être que l'objet de colloques pluridisciplinaires plutôt que de revues spécialisées ou de manuels didactiques, sans parvenir la plupart du temps à proposer un discours cohérent et une visibilité académique distincte ; et sans se forger une légitimité auprès du public. Cette approche renoue cependant avec la tradition de l'écologie anglo-américaine comme discipline extra-académique, incarnée par des sociétés savantes rassemblant elles-mêmes des individus émargeant à des disciiplines variées et à des intérêts socio-économiques, il faut bien le dire, tout aussi variés....

- tantôt une science de l'environnement, qui s'occuperait de recherches sur la nature et ses états multiples, mais aussi de développement humain (appelé aujourd'hui durable...). L'écologie se développe sous la pression d'une demande sociale et cela revient à placer l'écologie dans une position de science applicable, avec des attentes concrètes et des obligations de résultat. Cette science de l'environnement se trouve souvent au coeur des enjeux socio-politiques, donc au coeur de conflits sociaux et culturels.

 

 

 

 

Günter VOGEL et Hartmunt ANGERMANN, Atlas de biologie, La pochothèque, Le livre de poche, 1994. Vincent LABEYRIE, article Ecologie, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Evolution, PUF, 1996. Jean-Paul DELÉAGE, Une histoire de l'écologie, Éditions La Découverte, Points Sciences, 1991. Yanni GUNNELL, Écologie et société, Armand Colin, 2009.

 

ECOLUS

 

Relu le 3 août 2020

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22 novembre 2009 7 22 /11 /novembre /2009 09:34
     Pour se convaincre des dégâts parfois irréversibles que causent les activités guerrières à l'environnement, donc aux hommes en conséquence, il faut lire ce livre de 2005 très documenté du journaliste Claude-Marie VADROT, président de l'association des journalistes-écrivains pour la nature et l'écologie (JNE).
Panorama parfois systématique des paysages et des écosystèmes bouleversés, cet ouvrage se veut un bilan provisoire qui dépasse le bilan à court terme parfois dressé en terme de nombre de morts et de blessés ou en termes économiques, pour examiner les répercussions sur le moyen et le long terme. L'auteur rappelle, en prenant les chiffres de la Croix Rouge, qu'entre 1990 et 2000, il y eut de part le monde 118 conflits armés, la plupart ignorés des médias occidentaux. "Les bilans humains, toujours tragiques, des guerres obscures ou médiatiques qui secouent le monde figureront donc en permanence en filigrane de ce voyage au coeur des écosystèmes et des paysages bouleversés par les multiples formes d'affrontements armés que l'espèce humaine améliore chaque année. Sans oublier les 65 millions de mines anti-personnel qui menacent la vie des populations et la vie sauvage dans 56 pays."
La nature ne tourne décidément pas la page et les milieux naturels demeurent durablement marqués. Forêts, savanes, rivières et montagnes portent les traces de guerres depuis longtemps terminées, comme celle de la Première Guerre Mondiale. Avec les progrès technologique de la guerre, la nature reste blessée voire est détruite irrémédiablement, comme au VietNam, après l'utilisation massive de défoliants par l'armée américaine.

   C'est à un voyage, déprimant à vrai dire que l'auteur nous convie, même si ça et là des lueurs d'espoir apparaissent - notamment dans les no man's land érigés à certaines frontières - dans tous les continents. La région des Grands Lacs, la Somalie, le Soudan et le Tchad, le Liberia et le Sierra Leone, l'Irak, Israël et les Territoires Palestiniens, les Balkans, la Tchétchénie, l'Afghanistan, Haïti, la Colombie sont successivement décrits comme autant de terres dévastées par les guerres. La présentation des caractéristiques géographiques et démographiques de ces contrées permet de bien se faire une idée, sans catastrophisme, de l'ampleur des dégâts. Nous comprenons mieux comment ils sont faits, par les multiples effets collatéraux, destructions d'installation chimiques ou radiologiques et dispersion de matières souvent dangereuses dans le sol ou dans les cours d'eau par exemple, ce qu'on oublie souvent, tellement nous sommes habitués à ne voir que les destructions spectaculaires immédiates.

    Le dernier chapitre aborde la question de la criminalisation de ces dégâts causés à l'environnement, à travers les efforts d'organisations internationales inter-étatiques ou non gouvernementales pour promouvoir l'élaboration d'un véritable code de protection de l'environnement. Depuis la Convention de Genève de 1949 (article 35, alinéas 2 et 3) sur les "moyens de guerre illicites" jusqu'aux dispositions de la Cour pénale internationale créée en 1998, les efforts se heurtent à de puissants intérêts économiques et politiques. Même si depuis 2002, une journée est consacrée dans le monde à "la prévention de l'exploitation de l'environnement en temps de guerre et de conflits armés", défendre l'environnement demeure une tâche particulièrement ardue. Pourtant, la guerre propre n'existe pas et les récents changements climatiques accélérés devraient mieux faire prendre conscience à tous, du citoyen aux États, que l'effet cumulé de ces dégâts pourrait se révéler catastrophique dans les prochaines années.
 
         L'éditeur présente l'ouvrage de la manière suivante :
"118 conflits, 6 millions de morts. Tel est le bilan tragique de la Croix-Rouge internationale pour la seule décennie 1990-2000. Si les guerres, les guérillas, les révolutions marquent les populations, elles touchent aussi durablement les milieux naturels : pollution, destruction de biotopes, extinction d'espèces, maladies accompagnent le cortège funèbre des conséquences d'une guerre. Si, exceptionnellement, la nature sauvage en profite pour reprendre ses droits, la plupart du temps, après la trêve, elle peine à tourner la page... Le crime écologique sévit partout dans le monde. Parce que s'interroger sur les "dégâts collatéraux" qui touchent l'environnement, c'est se préoccuper de l'avenir des hommes, Claude-Marie Vadrot dresse ici un bilan inédit des écosystèmes directement ou indirectement bouleversés par les guerres d'hier et d'aujourd'hui."
 

 

 
     Claude-Marie VADROT (né en 1939), journaliste qui se définit sur son blog (http://horreurecologique.blogspot.com) comme "à la fois spécialiste des pays en proie à des conflits et des questions d'environnement et de protection de la nature", est l'auteur d'autres nombreux ouvrages : Déclaration des droits de la nature (Stock, 1973) ; L'écologie, histoire d'une subversion (Syros, 1977) ; Mort de la Méditerranée (Seuil, 1977) ; Le nucléaire en question (avec la collaboration de Pierre SAMUEL, Entente, 1980) ; Guide de la France verte (Syros, 1985) ; Les nouveaux Russes (Seuil, 1989) ; L'URSS : La roulette russe des nationalismes (1991) ; La place de l'environnement dans les médias (Victoire éditions, 1998) ; Le dictionnaire des Pyrénées (Privat, 1999) ; L'horreur écologique (Delachaux et Niestlé, 2007) ; La Grande surveillance (Seuil, 2007) ; Pensez durable : Economisez (Hachette, 2008)...
 
Claude-Marie VADROT, Guerres et environnement, Panorama des paysages et des écosystèmes bouleversés, Delachaux et Niestlé, 2005, 254 pages
 
 
Complété le 14 octobre 2012
Relu le 25 juillet 2019


  
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