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10 juillet 2021 6 10 /07 /juillet /2021 13:17

   Le révolutionnaire russe Mikhaïl Aleksandrovitch BAKOUNINE, francisé en Michel BAKOUNINE, est reconnu comme le théoricien de l'anarchisme. Le philosophe a particulièrement écrit sur l'État et a posé dans ses écrits les fondements du socialisme libertaire.

   On peut écrire aussi qu'il est un révolutionnaire européen et à l'image de ses idées, il a parcouru le territoire de nombreux États pour en faire la subversion. Grand voyageur, en parti forcé par la répression de nombreuses polices, il occupe une place de premier plan dans le monde ouvrier, de la Première internationale au Congrès de La Haye.

   Aristocrate russe et révolutionnaire de formation hégélienne, Michel BAKOUNINE est le principal adversaire de Karl MARX au sein de la Ière Internationale. Il se pose comme le théoricien du socialisme libertaire opposé à l'autoritarisme marxiste, en défenseur de l'autogestion et de la liberté intérieure des organisations ouvrières. Son sens de l'homme lui fait prévoir les dangers de l'État bureaucratique.

 

Une débordante activité révolutionnaire

    Son activité révolutionnaire répond à un besoin quasi physiologique. Il se sent à l'étroit dans une civilisation qui n'est pas faite à la mesure de son tempérament primitif et brutal. Sa vie se divise en deux périodes, coupées par une longue captivité (de 1849 à 1861).

La première de ces périodes débute avec son arrivée à Berlin, où il poursuit ses études de philosophie commencées à Moscou après qu'il eut démissionné de l'armée. Elle est marquée par son adhésion au mouvement de la gauche hégélienne. Il s'attache surtout à la notion hégélienne de la négativité, qu'il interprète comme la nécessité absolue où se trouve l'humanité de promouvoir son avenir par la destruction totale de l'état des choses existant. Il écrit dans la conclusion de son célèbre essai La Réaction en Allemagne (1842) : "La joie de la destruction est en même temps une joie créatrice".

La seconde période de sa vie se situe après son évasion de Sibérie en 1861. Elle est marquée par son activité proprement anarchiste, tant du point de vue doctrinal que du point de vue de l'action politique.Tenant pour acquise l'idée de la négation totale, BAKOUNINE s'efforce d'explorer les aliénations, c'est-à-dire les multiples oppressions dont l'homme est victime. Dans Dieu et l'État, il écrit que "toute législation, toute autorité et toute influence, privilégiée, patentée, officielle et légale, même sortie du suffrage universel, convaincus qu'elle ne qu'elle ne pourrit jamais tourner qu'au profit d'une minorité dominante et exploitante, contre les intérêts de l'immense majorité asservie. Voilà dans quel sens nous sommes réellement des anarchistes." L'élaboration de la doctrine anarchiste s'accompagne d'une activité conspiratrice qui, si elle n'est pas toujours efficace (c'est le moins qu'on puisse dire), ne manque jamais de pittoresque. En 1868, il fonde l'Alliance internationales de la démocratie socialiste, et à Naples, à l'intérieur même de cette organisation, une société secrète sous le nom de Fraternité internationale, à laquelle il veut donner un rôle de très grande ampleur, la comparant à la Franc-maçonnerie pour la Révolution française. La même année, il adhère à la Ière Internationale, appelée alors Association Internationale des Travailleurs. En 1870, après avoir dirigé une tentative d'émeute communale à Lyon, il cherche refuge en Suisse. S'étant compromis, en 1869, avec le terroriste NETCHAÏEV, il est attaqué violemment par Karl MARX qui, en 1872, au congrès de La Haye, le fait exclure de la Iere Internationale. Mais comme la plupart des fédérations, en particulier, la fédération espagnole, la fédération italienne et la fédération jurassienne, donc les fédérations latines (la fédération française a été interdite après la Commun), demeurent fidèle à BAKOUNINE, MARX se voit contraint de saborder la Première Internationale. En 1874, deux ans avant sa mort à Berne, BAKOUNINE prend encore part aux préparatifs d'une insurrection à Bologne. Mais BAKOUNINE, outre son tempérament anarchiste et sa formation hégélienne, est russe, foncièrement russe. Rien n'est plus probant à ce sujet que son extraordinaire Confession, qui frappe (c'est une adresse au tsar Nicolas Ier) par son goût de la confession publique et du déchirement de soi-même que le roman russe permet d'identifier comme une des caractéristique essentielles de l'âme slave, selon Henri ARVON. (Henri ARVON)

   Il serait intéressant d'analyser cette "âme" russe, et d'abord de circonscrire la population (souvent d'aristocratie) sujette à cette "caractéristique essentielle de l'âme slave, de la relier d'abord certainement à l'éducation orthodoxe (l'Église orthodoxe y a longtemps eu le monopole de l'éducation, surtout de l'instruction primaire...).

 

Une oeuvre tournée entièrement vers l'action

Michel BAKOUNINE, issu d"une ancienne famille d'origine hongroise, a, a surtout subi l'influence juste après 18 ans, s'étant inscrit à l'université de Moscou après avoir refusé une carrière militaire préparée à l'École d'artillerie de Saint-Pétersbourg, de Nokolaï STANKEVITCH, son "créateur". Il y rencontre également Vissarion BELINSKI, sur qui il exerce une grande influence, Alexandre HERZEN et Nicolas OGAREV. Il vit alors en traduisant des philosophes allemands comme FICHTE et HEGEL. C'est par la gauche hégélienne que BAKOUNINE, tout comme MARX et bien d'autres, devient révolutionnaire.

Il devient d'ailleurs bien plus homme d'action, révolutionnaire "professionnel" qu'un homme de cabinet ou un philosophe et même qu'un écrivain. Aussi, il a donné la première place à la lutte, et n'a jamais pris le temps d'écrire une oeuvre. Ses textes sont toujours conçus dans l'urgence, pour répondre aux nécessités politiques du moment. Ils sont écrits au fil de la pensée, et partent au sens propre dans tous les sens, avec énormément de digressions qui prennent finalement plus de place que le propos initial. Et cela n'en fait pas une lecture facile pour le lecteur de nos jours, qui ne connait pas forcément leur contexte. BAKOUNINE n'a pratiquement jamais terminé un texte. Ceux qui ont été publiés ont souvent été remaniés - ajoutez à cela les approximations des traductions... - notamment par James GUILLAUME. Beaucoup d'inédits ont été perdus après son décès. Mais sa pensée politique et philosophique n'en garde pas moins une forte cohérence, notamment parce qu'il n'a pratiquement pas varié dans ses opinions au fil du temps. Il est resté très influencé par la philosophie hégélienne, même si très tôt sont abandonnés les thèmes favoris d'HEGEL. La liberté partagée, l'opposition à l'État, la violence révolutionnaire, l'athéisme radical, le collectivisme, L'égalité des sexes et l'amour libre, la franc-maçonnerie et son rôle... sont des thèmes récurrents de la pensée.

Si des textes, souvent récemment exhumés, montrent des propos controversés, antisémites, d'ailleurs bien moins forcés dans ses textes destinés au grand public, il se fondent dans des polémiques, notamment contre les marxistes. Dans État et Anarchie, publié pour la première fois en russe en 1873, il s'exprime sur l'origine juive de MARX et sur le caractère des Juifs. il faut savoir qu'à cette époque de bouleversements au XIXe siècle des communautés juives en Europe, la littérature abonde de traités contre et pour les Juifs, et il n'est pas étonnant de retrouver des points de vue dans la littérature anarchiste - et d'ailleurs marxiste, - et d'ailleurs dans toute la littérature politique, des commentaires sur la place prise par des Juifs dans l'arène politique et journalistique...

  

Une grande partie de sa pensée politique tourne autour de ces questions :

- La liberté partagée. L'idée centrale chez BAKOUNINE est la liberté, le bien suprême que le révolutionnaire doit rechercher à tout prix. Pour lui, à la différence des penseurs des Lumières et de la Révolution française, la liberté n'est pas une affaire individuelle, mais une question sociale. Dans Dieu et l'État de 1882, il réfute Jean-Jacques ROUSSEAU : le bon sauvage qui aliène sa liberté à partir du moment où il vit en société, n'a jamais existé. Au contraire, c'est le fait social qui créée la liberté.

- Opposition à l'État. L'hostilité de BAKOUNINE et de l'ensemble des anarchistes envers l'État est définitive. Contrairement au communisme de MARX ou de LÉNINE, il ne croit pas qu'il soit possible de se servir de l'État, même temporairement, pour mener à bien la révolution et abolir les classes sociales, et finalement l'État lui-même. Même lorsqu'il s'agit d'un État ouvrier ou d'un gouvernement de savants, comme il l'écrit dans sa polémique avec MAZZINI, l'État ne peut être qu'un système de domination qui crée en permanence élites, privilèges et bureaucratie. Logiquement, BAKOUNINE s'oppose également au patriotisme.

- La violence révolutionnaire. Pour BAKOUNINE, la révolution sociale a un caractère inévitablement violent, et dans sa phase initiale essentiellement destructeur. Il faut se livrer à une pandestruction de tout ce qui existe avant de parvenir au socialisme libertaire. Mais cette violence, il veut la réserver aux positions et aux choses, à l'ensemble des institutions étatiques ainsi qu'à la propriété. Il considère que cela permet d'éviter le massacre des hommes et de devoir recourir à la terreur. La révolution pourra être sanglante et vindicative dans les premiers jours pendant lesquels se fera la justice populaire. Mais elle ne gardera pas ce caractère longtemps. Il faut éviter à tout pris la révolution sanguinaire fondée sur la construction d'un État révolutionnaire puissamment centralisé. Mais si la violence dans le processus révolutionnaire apparait inévitable, elle n'en constitue pas le fondement, et n'est pas souhaitable : "la révolution, c'est la guerre et qui dit guerre dit destruction des hommes et des choses (...)" (voir entre autres, Pierre-Albert TAGUIEFF, Le Sens du progrès : une approche historique et philosophique. Flammarion, 2004).

- Athéisme radical. Son athéisme trouve lui aussi sa base dans la recherche de la liberté pour l'humanité. Elle repose sur une conception matérialiste du monde. Selon lui, l'Homme fait partie d'un univers gouverné par des lois naturelles. Les sociétés et les idées humaines - dont l'idée de Dieu - dépendent des conditions matérielles d'existence de l'Homme.

- Collectivisme. Pour BAKOUNINE, à la différence de certains marxistes, comme LÉNINE et ses successeurs qui préconisent l'intervention d'une avant-garde (le parti...) pour guider la masse populaire sur le chemin de la révolution, l'organisation des révolutionnaires, même si elle est secrète, se donne uniquement le droit de soutenir la révolte, de l'encourager, en favorisant l'auto-organisation à la base. Cette conception n'est pas très différente de celle défendue plus tard par les anarcho-syndicalistes au sein d'organisations de masse. Si les marxistes attribuent au prolétariat le rôle de la seule classes révolutionnaire, lui opposant une paysannerie par essence réactionnaire, BAKOUNINE estime au contraire que seule l'union entre les mondes rural et industriel est riche de potentialités, la révolte anti-étatique de la paysannerie trouve sa complémentarité dans l'esprit de discipline des ouvriers. Il s'oppose également à toute idée de transition, avènement d'un État socialiste temporaire créé en vue d'une société communiste  intégrale, sans classes ni État. (Étatisme et anarchie, 1873).

- Égalité des sexes et amour libre. Pour BAKOUNINE (Dieu et l'État, 1882), il n'y a de liberté pour soi que lorsque tous les êtres humains autour sont également libres. Il s'élève contre le patriarcat et la famille juridique autoritaire. La liberté sexuelle découle naturellement de l'égalité intégrale instaurée entre les hommes et les femmes.

   C'est surtout après la Commune (1871), alors que jusque là, il avait exprimé ses idées dans divers documents programmatiques (pas toujours rendus publics), que BAKOUNINE s'attache à rédiger ses principales contributions théoriques, avec la parution successive de L'Empire knouto-germanique et Étatisme et anarchie (1871-1873). Ce n'est que depuis lors qu'il est considéré comme un des principaux théoriciens du collectivisme anti-étatique. Après avoir été exclu de l'Internationale, il ne croit plus à une possible proche révolution en Europe. Il abandonne toute réelle activité politique pour tenter de s'adonner (sans succès) "aux joies de la vie campagnarde". (Le maitron)

   La postérité de ses idées se réparti chez de nombreux auteurs, chacun reprenant l'une ou l'autre...

 

BAKOUNINE, Oeuvres, P.V. Stock, 1895-1913. La bibliothèque sociologique, en 6 volumes. Les deux premiers ont fait l'objet d'une nouvelle édition en 1983, toujours chez Stock ; Archives Bakounine, publié par Arthur LEHNING (pour le compte de l'Institut international d'Amsterdam) en 1961-1981, en 7 volumes, aux éditions E.J. Brill. Réimpression en 8 volumes reliés sous le titre d'Oeuvres complètes aux éditions Champ libre, le fonds étant repris ensuite par Ivrea, en 1973-1982. Réimpression encore de certains volumes aux éditions Tops/Trinquier en 2003 ; Théorie générale de la Révolution, Les nuits rouges, 2001, réédition en 2008 et 2019 ; Confession, Éditions Rieder,  1932, réédité aux PUF en 1974, avec un avant-propos de Boris SOUVARINE, et par L'Harmattan en 2001 ; De la guerre à la Commune, Anthropos, 1972 ; Dieu et l'État, Éditions Labor, 2006 ; Le sentiment sacré de la révolte, Les nuits rouges, 2004 ; Fédéralisme, socialisme, antithéologisme, L'Âge d'Homme, 1971 ; Catéchisme révolutionnaire, L'Herne, 2009 ; Dans les Griffes de l'Ours!, Lettres de prison et de déportation, Les Nuits rouges, 2010 ; Principes et organisation de la société révolutionnaire, Éditions du Chat ivre, 2013.

Henri ARVON, Bakounine, Encyclopedia Universalis, 2014 ; Bakounine, Éditions Seghers, 1966. Fritz BRUPBACHER, Bakounine ou le Démon de la révolte, Édition du cercle, 1971. Arthur LEHNING, Anarchisme et marxisme dans la révolution russe, Spartacus, 1984.

Le site uqac.ca Les classique en sciences sociales proposent de nombreux textes de et sur BAKOUNINE.

On consultera avec profit le site Internet de Socialisme libertaire (socialisme-libertaire.fr) et celui de Le maitron.

 

 

 

 

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