John Maynard KEYNES (1883-1946), à partir d'une critique des carences théoriques et pratiques des libéralismes, reprend toute la réflexion sur l'économie, tant dans Les conséquences économiques de la paix (1929), le Traité de la monnaie (1930) que dans Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie (1936), pour prendre ses trois ouvrages fondamentaux.
Son analyse économique est d'abord une analyse macro-économique en terme de flux, le cadre préférentiel est l'économie nationale et elle intègre la monnaie dans toutes ses fonctions économiques. L'économie est décrite en heurts de pouvoirs et le marché n'est pas le régulateur de la vie économique. L'économiste britannique s'attaque directement aux causes des crises économiques, à commencer par celle de 1929, première crise industrielle capitaliste d'ampleur mondiale. Constatant que les dépenses publiques peuvent être un remède efficace contre le chômage, il construit un instrument d'analyse économique, le multiplicateur d'investissement, qui est adopté ensuite non seulement par ses continuateurs, mais pratiquement par tous les économistes après lui.
Henri DENIS constate que sa théorie, très mal présentée et interprétée suscite toutes sortes de confusions théoriques, notamment autour du revenu des entrepreneurs. Toujours est-il que l'essentiel pour nous en tout cas ici est que les dépenses d'État, notamment les dépenses militaires ne peuvent plus être ignorées, ou considérées comme extérieur à la marche normale de l'économie.
l s'est même tissé, selon Claude SERFATI, une sorte de légende, par l'utilisation abusive de l'expression "keynésianisme militaire", pour qualifier et justifier un rôle moteur des dépenses militaires dans la croissance des 30 années d'après la seconde guerre mondiale. En fait, John Maynard KEYNES n'est pas préoccupé par elles avant que la guerre n'éclate, l'essentiel du propos du premier ouvrage que nous venons de citer étant plutôt une critique radicale des accords du Traité de Versailles. Dans How to pay for the war? de 1939, il s'agit surtout de savoir comment financer les dépenses militaires et contrecarrer les menaces d'inflation.
Il affirme plus tard "que l'augmentation de la Demande publique en biens militaires résoudra dans un très bref délai le problème du chômage. D'abord par une création directe d'emplois destinés à la production de ces biens, ensuite par l'effet multiplicateur, dont il évalue le coefficient à 2/3. On se trouve bien dans le cadre conceptuel défini dans la théorie générale : une augmentation de l'investissement (suite à la demande de l'État en biens militaires) engendre une augmentation du niveau d'emploi (ainsi que du salaire des travailleurs, contrepartie de l'allongement de la durée de travail) qui engendre à son tour une augmentation du revenu monétaire des consommateurs. Cependant, l'offre globale ne s'élèvera pas du même montant, puisqu'une partie de celle-ci n'est pas destinée aux consommateurs mais à l'État. On a donc un écart entre la demande des consommateurs, déterminée par leur revenu monétaire et l'offre disponible : cet écart est porteur d'inflation, dont Keynes donne une estimation chiffrée (de l'ordre de 20%). Pour empêcher cet écart, ou du moins sa trop grande amplitude, Keynes propose un plan d'épargne obligatoire - appelé ensuite revenu différé - portant intérêt à 2,5% et remboursable "en plusieurs mensualités à une certaine date après la guerre" (Claude SERFATI).
Ce que John Maynard KEYNES tente de définir, c'est un plan pour parer aux conséquences d'une augmentation brutale des dépenses militaires, et non utiliser cette augmentation dans un plan de relance. L'objet d'un débat entre keynésiens est justement de savoir à quelle utilisation économique peuvent être employées les dépenses militaires et tous ne partagent pas l'idée de dépenses militaires comme stimulant de la croissance économique. Si Alvin HANSEN (1887-1975) défend cette dernière idée, reprise ensuite par ADAMS et GOLD, d'autres comme K. K. KURIHARA et Michael KALECKI, la critique à l'intérieur du système keynésien. Les économistes continuateurs, appelés néo-keynésiens, font une évaluation critique d'une théorie, jugée "incomplète" des dépenses publiques, y compris des dépenses militaires. Ainsi Evsey DOMAR (1914-1997) et Joan ROBINSON (1903-1983) regrettent que cette incomplétude nuise à une approche claire du rôle des dépenses militaires. J. K. GALBRAITH (1908-2006) cherche à mieux intégrer au système keynésien les rapports entre les groupes sociaux, dans une perspective institutionnaliste. Ce dernier auteur, dans ses ouvrages sur la crise de 1929, mais aussi sur "l'utilité des guerres", fait la jonction entre l'apport keynésien et l'apport de Joseph Aloys SCHUMPETER (1883-1950).
A la suite des travaux de John Maynard KEYNES, même des libéraux comme Paul SAMUELSON sont obligés d'avoir une analyse macro-économique et d'abandonner toute idée de recherche d'une équilibre "naturel" dans l'économie. De nos jours, même le plus libéral des économistes intègre certains apports keynésiens, notamment lorsqu'il s'agit d'aborder le rôle des dépenses militaires, mais sans doute à cause de la diffusion de ces apports partout, les interprétations sur les relations entre guerre et économie peuvent varier du tout au tout.
Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Seuil, 2001. Claude SERFATI, Production d'armes, croissance et innovation, Economica, 1995. John Maynard KEYNES, Les conséquences économiques de la paix, Gallimard, 2002 (avec Jacques BAINVILLE, Les conséquences politiques de la paix). Henri DENIS, Histoire de la pensée économique, PUF, 1999. J.K. GALBRAITH, La paix indésirable?, Rapport sur l'utilité des guerres, Calmann-Lévy, 1968.
ECONOMIUS
Relu le 4 février 2020