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2 novembre 2011 3 02 /11 /novembre /2011 12:58

         Plusieurs types de capitalismes se succèdent depuis sa lente émergence dans le temps et dans l'espace, et coexistent de plus entre capitalismes dominants et capitalismes dominés. Si de nombreuses études historiques traitent du capitalisme marchand et financier, puis du capitalisme industriel, qui fournit le prototype de bien des définitions de ce système économique (qui n'est pas seulement d'ailleurs qu'un système économique...), indiquant comment, dans des régions différentes, on passe de l'un à l'autre selon des modalités de destruction/expansion, d'autres études tentent de montrer comment existent et coexistent dans le même temps, à l'époque contemporaine par exemple, différents types de capitalisme. Sans compter bien entendu les multiples classifications qui, à l'instar de certaines études marxistes ou libérales, classent ces capitalismes suivant les types de propriétés dominants dans l'un ou dans l'autre, le capitalisme d'État étant la forme la plus achevée d'une conduite étatique de l'économie (si tant elle ait existé...).

 

       D'ailleurs les discours concernant ces capitalismes fluctuent suivant le temps, suivant que la presse de masse, la presse spécialisée ou le monde des économistes, accordent à l'un ou à l'autre sa préférence ou sa perception dominante. Il semble que ces discours ne reflètent pas forcément la réalité du moment et surtout occultent au profit d'un type de capitalisme, l'évolution des autres.

Richard FREEMAN (Single Peaked Versus Diversified Capitalism : The Relation Between Economic Institutions and Outcomes, NBER, Working Paper, n°7556, 2000) rappelle à quel point le discours dominant connaît des évolutions cycliques. L'incitation à imiter une forme ou une autre n'est jamais absente des focalisations momentanées. Cet auteur cite la planification centrale du "New Deal" dans les années 1930, la planification indicative à la française dans les années 1960, la co-détermination à l'allemande dans les années 1970, le modèle japonais à base de kanban et d'implication dans le travail dans les années 1980 et le modèle anglo-saxon dans les années 1990-2000. En fait, depuis les crises financières des années 2000, il semble que le "débat" ait quelque peine à se formuler dans un sens ou dans un autre, tant les thèmes d'une faillite ou d'une inadéquation du capitalisme aux défis mondiaux se multiplient, que ce soit dans le domaine social, purement économique ou écologique.

Il faut donc se méfier, propose Bruno AMABLE (Les cinq capitalismes, Seuil, 2005), qui pense que ce discours repose sur deux erreurs :

- croire qu'il existe une et une seule façon de bien faire les choses en économie, ce qui appliqué aux modèles de capitalisme signifie que tous les pays devraient adopter les mêmes institutions pour être efficace ;

- croire que le changement institutionnel, et donc l'évolution des modèles de capitalisme, répond à une pression concurrentielle qui pousserait les pays à adopter les meilleurs pratiques. En fait, les relations entre institutions et performances économiques sont loin d'être aussi simples que le mythe des "meilleures pratiques" le laisse suppose et le changement institutionnel ne peut en général pas se déduire simplement des différences de performances économique.

Nous aimerions ajouter une troisième erreur, celle de croire que le système le meilleur, soit le meilleur du point de vue de n'importe quel acteur (objectif...) et surtout que celui-ci existe. Ce qui laisse tout de même la place à un autre débat que le choix entre capitalismes existants et la possibilité de penser d'autres systèmes économiques que le capitalisme.

Il est d'ailleurs tout-à-fait remarquable qu'après avoir applaudi la fin d'un système soit-disant socialiste, les commentateurs et les économistes libéraux soient mis devant la perspective d'une faillite possible bien plus cinglante du capitalisme. Et que précisément, cette faillite soit liée à l'absence d'intervention des États dans celui-ci...

 

    Que sont-ce ces différents types actuels de capitalisme? Nous reprenons ici la classification de Bruno AMABLE, en nous efforçons de caractériser les contenus de chacun d'entre eux. Ils diffèrent par les institutions présentes dans les domaines de la concurrence sur les marchés de produits, du marché du travail et la relation d'emploi, de la protection sociale, du système éducatif et du système financier : le capitalisme néolibéral, proche du modèle néo-américain de Michel ALBERT (Capitalisme contre capitalisme, Seuil, 1991) ; le capitalisme européen continental, que l'on peut assimiler au capitalisme rhénan ; le modèle social-démocrate (en vigueur dans certains pays du Nord de l'Europe) ; le capitalisme "méditerranée" ; le capitalisme asiatique...

- Le modèle néolibéral, où la concurrence jour un rôle majeur est devenu surtout depuis les années 1980, une référence pour les économistes, même si tous ne s'accordent pas sur ses conditions de fonctionnement optimum. Sur les marchés des produits, la concurrence rend les firmes plus sensibles aux chocs économiques, qui ne peuvent être entièrement absorbés par des ajustements de prix et impliquent donc des ajustements en quantité. Ce type d'ajustement concerne notamment l'emploi. le maintien de la profitabilité implique donc de pouvoir licencier facilement une main-d'oeuvre devenue excédentaire. La flexibilité de l'emploi permet des réactions rapides aux conditions changeantes du marché. Le développement des marchés financiers, c'est-à-dire un mode de financement plus "liquide" que la finance intermédiée (les banques) contribue aussi à cette exigence des firmes à s'adapter à un environnement compétitif changeant.

- Le modèle européen continental, proche du modèle social-démocrate, se caractérise par une protection de l'emploi plus forte et une protection sociale moins développée. Un système financier centralisé facilite l'élaboration de stratégies à long terme pour les entreprises. Les négociations salariales sont coordonnées et une politique de salaire fondée sur la solidarité est développée, mais à un degré moindre que dans les pays nordiques.

- Le modèle socio-démocrate fonctionne selon des principes qui ne sont pas tous économiques, entendre par là ne sont pas tous fondés sur les exigences des entrepreneurs-propriétaires. Les exigences de flexibilité sont satisfaites à l'aide de mécanismes qui ne reposent pas, ou pas entièrement, sur la régulation marchande. Une forte pression de la concurrence extérieure exige une certaine flexibilité de la main-d'oeuvre, mais celle-ci n'est pas obtenue par des licenciements. La protection des salariés est assurée par un mélange de protection légale de l'emploi modérée mais réelle, et par un haut niveau de protection sociale. Cette protection des travailleurs agit comme une incitation à investir dans la formation et plus généralement dans tous les éléments qui valorisent la relation d'emploi. La compétitivité des firmes repose  alors en partie sur cette relation stable. Par ailleurs, un système de négociations salariales coordonnées conduit à un faible écart des salaires et donc de faibles inégalités de revenu, ce qui baisse le coût relatif du travail qualifié et favorise l'innovation et la recherche de la productivité.

- Le modèle "méditerranée" se caractérise par une protection sociale sensiblement plus faible mais un plus haut niveau de réglementation des marchés du travail et des biens et services produits. 

- Le modèle asiatique repose sur une complémentarité entre des marchés relativement réglementés, une faible protection sociale et un système financier orienté vers les relations à long terme entre banques et entreprises. Ce modèle donne un rôle central à la grande firme, à la fois pour la formation de la main-d'oeuvre et pour la progression dans la carrière des individus. 

  Chaque modèle est un idéal-type, non une reproduction du "réel", mais plutôt une idée ou une orientation générale. (au sens de Max WEBER). Au cours des deux décennies passées, la plupart des économies ont subi des transformations substantielles qui ont modifié les formes institutionnelles dans des domaines importants (système financier, concurrence sur le marché des biens, systèmes éducatif et de santé, relation d'emploi...) et ont également de ce fait altéré les complémentarités entre les institutions. La majeure partie des changements institutionnels s'est faite dans un sens convergent, celui de la soumission aux mécanismes du marché. La plupart des économies développées se sont donc éloignées des modèles de capitalisme de référence autres que le modèle néo-libéral. Néanmoins, selon Bruno AMABLE, "il serait exagéré de parler de convergence vers un modèle unique car si les changements ont pu être significatifs dans certains domaines, ils n'ont pas en général remis en cause les compromis sociaux les plus fondamentaux ni les institutions hiérarchiquement les plus importantes, d'une manière telle que l'engagement vers un modèle de capitalisme néolibéral soit définit." Cela n'est pas dû à une quelconque prudence des entreprises, toujours mus elles-mêmes par les mêmes principes de recherche du profit maximum, mais plutôt à des résistance fortes dans chacun des pays concernés. Si la protection sociale s'est fortement érodée, si les relations d'emploi se sont déséquilibrées en défaveur des salariés, si la concurrence sur le marché des biens et services s'est étendue à des catégories de produits (l'énergie, les transports...) auparavant réglementées au niveau étatique, et cela même par des actions politiques, de la part des responsables étatiques, ce qui est patent dans le cadre de l'Union Européenne, moins ailleurs en Europe, il existe encore de multiples mécanismes propres au différents types de capitalisme, non encore démantelés. Mais c'est surtout dans les systèmes financiers que la convergence vers un modèle néo-libéral est la plus flagrante. La financiarisation de l'économie est d'ailleurs le symbole même de la généralisation du capitalisme néo-libéral à l'ensemble de la planète. "On peut apprécier, écrit toujours Bruno AMABLE, cette généralisation du modèle fondé sur la prédominance des marchés financiers, au détriment d'un système fondé sur les banques et les relations à long terme entre finance et industrie, à l'aide de nombreux indicateurs. On peut notamment remarquer l'importance croissante prise par les actionnaires (ou plutôt dirions-nous des "représentants des actionnaires"...) dans la gestion des firmes. la création de valeur pour l'actionnaire a été promue au rang de principe suprême de gestion des firmes, à travers la corporate governance. La conformité des systèmes financiers aux "bonnes" pratiques de corporate governance peut s'apprécier à l'aide de quelques critères (SHINN J, private or Public Purpose? Shallow Convergence on the Shareholder Model, Princeton University, 2001) : les règles de comptabilité (modifiée pour les grandes entreprises afin d'évaluer les actifs en fonction du marché...), l'exigence d'un audit externe (lesquels sont assez médiocres concernant les conflits internes dans les directions chargées des valorisations boursières, entre les instances chargées de réaliser directement ces valeurs et les instances chargées de contrôler les observances des cahiers des charges de sécurité financière...); la présence de membres indépendants dans le conseil d'administration (parfois des personnalités qui n'entendent rien aux finances...), l'existence d'obligations de la direction vis-à-vis des actionnaires, les règle de droits de vote, l'absence ou la présence de dispositions anti-OPA et l'existence d'incitations financières significatives pour la direction (stock options, entendre de très fortes rémunérations incitatives à la recherche perpétuelle des résultats les plus positifs, sans être trop regardants sur la sécurité... ces dernières parenthèses sont de nous...).

Tous les pays développés ou presque ont sensiblement augmenté le degré de conformité de leurs systèmes financiers à ces principes au cours des années 1990 et 2000. Cette transformation a été particulièrement sensible en France et dans les pays proches du modèle continental en général ; elle a été moins prononcée chez les pays proches du modèle socio-démocrate."

 

   Ces types de capitalisme diffèrent notablement des étapes du capitalisme décrites notamment par les auteurs marxistes : il ne s'agit pas du tout de la même chose. Tandis que les types de capitalisme permettent de comparer les réalités actuelles, les étapes du capitalisme indiquent la dynamique interne du capitalisme, et bien entendu, nous retrouvons dans les capitalismes actuels des éléments, commerciaux, agricoles, industriels, (des précédentes étapes, plus ou moins transformés) même s'ils sont dominés actuellement par la sphère financière. Ainsi dans le secteur industriel se retrouvent à la fois des sociétés "familiales", aux fameuses dynasties industrielles et des sociétés anonymes au sens littéral du terme en ce sens que ne dominent plus les propriétaires en titre mais les gestionnaires (parfois salariés) de ces sociétés. Par ailleurs, la description de ces types de capitalisme ne mentionne pas les relations de subordination géoéconomique. Si la coupure Nord/Sud entre économies liées par un échange inégal n'est plus la même aujourd'hui que dans les années 1970-1980 - et en cela il y a véritablement une accélération de l'histoire - des relations dominés/dominants persistent plus subtilement, d'une part à l'intérieur de chacune des zones - et même des pays, et d'autre part par le vaste mouvement de délocalisation industrielle qui ne déplace pas de la même manière le versant matériel (usines, emploi, savoirs techniques..) et le versant des pôles de décision économique. Du fait même de la prépondérance dans les prises de décisions et les mouvements de transfert de propriété de la sphère financière (où une certaine opacité technique existe...), même les institutions chargées de dresser les statistiques économiques peinent à comprendre exactement où se trouvent les véritables pôles de décisions. Étant donné de plus, que les États abandonnent dans les années 2000 l'essentiel de leurs outils à la fois d'analyse et d'intervention aux mécanismes des marchés, le caractère "national" des dirigeants des grandes entreprises perd de sa force, dans un cosmopolitisme dont le seul objectif est de gagner toujours plus. 

 

     Robert BOYER, président de l'Association Recherche et Régulation estime que ces "quatre ou cinq formes" de capitalisme, fondées sur des logiques différentes, "sont susceptibles de donner des réponses très contrastées à l'impératif écologique. Confiance (naïve, on l'a vu) dans l'efficacité ds signaux du marché, contrainte étatique et recours à la fiscalité, internalisation par les acteurs économiques de l'impératif écologique ou encore recherche de leur intérêt bien compris des entreprises constituent autant de réponses à ce même défi. Tout porte à penser qu'un futur modèle de croissance tirée par l'innovation technologique se déclinera encore selon des modalités aussi diverses que celles déjà observées dans le passé. Sans oublier que les capitalismes émergents (Brésil, Chine, inde) ont toute chance de converger vers une forme originale : ils apporteront sans doute une autre solution à la question des ressources naturelles et de l'écologie".

 

    De même, suivant les types de capitalisme, les salariés ne sont pas considérés de la même manière, dans une graduation entre un statut stable et inscrit dans la durée, pouvant déboucher sur une véritable participation aux objectifs et plus rarement aux décisions des entreprises et un statut d'objet interchangeable à un autre. Il existe un lien entre le caractère démocratique d'une société et la manière dont les citoyens participent à la vie économique. On peut dire que ce lien se traduit par une dégradation de ce caractère au fur et à mesure de la financiarisation de l'économie, et cela d'autant plus que les dirigeants des entreprises du secteur financier recourent de plus en plus à des relais publics pour faire prévaloir des intérêts très particuliers. Si dans le modèle social-démocrate, les citoyens et le bien public constituent très officiellement les objectifs des activités économiques, dans le modèle néo-libéral, ce n'est au maximum qu'en tant que retombées positives du fonctionnement de l'économie qu'ils constituent un objectif. Le bien être et le progrès clamés par François PERROUX n'est plus qu'un objectif lointain dans un système dominé par le secteur financier. 

 

    Enfin, suivant les types de capitalisme, les liens internes entre les secteurs producteurs de biens et services et les secteurs que l'on pourrait englober comme étant ceux de la monnaie ne sont pas du tout les mêmes. Dans la circulation du capital, qui va des marchandises ou services à l'argent pour retourner ensuite aux marchandises, dans un cycle sans fin, le pôle dirigeant se trouve du côté des entreprises productrices ou des entreprises financières. Suivant la profitabilité des différents secteurs, il peut varier d'un ensemble productif mû par une plus ou moins importante planification à un ensemble financier mû uniquement par la recherche d'une circulation monétaire (métal et papier, et influx électroniques). Nous retrouvons là les dynamismes décrits dans maints ouvrages, notamment marxistes (mais aussi de plus en plus au-delà), où le taux de profit des différentes branches du capitalisme joue un rôle... capital!

 

Robert BOYER, entretien paru dans le dossier "Capitalisme, crise et Développement", Contretemps, numéro 21, février 2008. Bruno AMABLE, dans Cahiers français n°349, 2009. François PERROUX, Le capitalisme, PUF, collection Que sais-je?, 1969.

ECONOMIUS

 

Relu le 12 septembre 2020

 

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