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26 novembre 2008 3 26 /11 /novembre /2008 10:18
      Dans la production et l'utilisation des richesses de tout ordre - qu'il s'agissent de biens ou de services - il existe dans le temps et dans l'espace de multiples formes de coopérations et de conflits.
     L'étude des sociétés humaines, longtemps à l'écart des courants dominants des civilisations techniques occidentales, permet de mettre en évidence des formes de relations conflictuelles et coopératives où la circulation des biens joue un rôle considérable. De même, l'étude de l'évolution historique des sociétés occidentales et même des autres sociétés, montre des formes de relations entre les hommes où cette circulation a vu son rôle évoluer.
 
      Dons et échanges commerciaux sont des facettes de cette circulation des biens (et d'êtres humaines considérés comme des biens, enfants, femmes, esclaves...) étudiée tant par les éthnologues que par les économistes. Nous sommes passés de systèmes sociaux à circulation de biens à réciprocité non obligatoire à systèmes sociaux à circulation de biens à équivalences obligatoires, de systèmes sociaux à solidarité variable en fonction des statuts des personnes à des systèmes sociaux à solidarités calculées uniformément, de systèmes dominés par le don et le contre-don (parfois obligatoire mais conçu de façon très complexe) à des système dominés par l'échange, où tout bien est obligatoirement une marchandise.
 
     Une relecture de la pensée économique qui propose une approche plus large que l'analyse de la valeur - jusque là dominées par des conceptions libérales ou marxistes - au moment de la naissance de l'économie politique, est très utile pour comprendre l'évolution des solidarités humaines. Au lieu de chercher des doctrines économiques - qui s'enchaînent de façon logique et rigoureuse - élaborées souvent après-coup, colbertisme, mercantilisme, libéralisme, et en recherchant surtout la réalité des pratique, François FOURQUET jette des pistes de réflexions intéressantes sur la théorie et la pratique de la valeur.
   Il appelle d'ailleurs "légende bourgeoise ou légende libérale (ce) scénario historique selon lequel le capitalisme marchand est un "corps étranger" à la société féodale (considérée comme un système : "féodalisme" ou "mode de production féodal") ; il aurait surgi de soi-même au sein de cette société hostile à son développement, l'aurait détruite de l'intérieur et l'aurait remplacée, au tournant du XIXème siècle, par un "système" nouveau, le "capitalisme" industriel moderne (ou "mode de production capitaliste"). La bourgeoisie est le nom sociologique du capitalisme. Elle est censée se former au sein de la classe des paysans serfs (le rôle des marchands du roi est passé sous silence), occupe les villes où elle conquiert son autonomie politique, crée la richesse marchande, et finit par arracher le pouvoir politique à une autre substance sociologique, l'aristocratie féodale. Ce langage marxiste ne doit pas masquer que cette légende est d'abord celle des fondateurs du libéralisme (genèse du "marché" ou de l'"économie marchande"). La légende libérale est indispensable à la science économique. Elle lui offre un scénario historique sur mesure pour se penser elle-même en mettant en scène une génération spontanée du marché et de la sphère économique indépendamment du système des Etats et même contre eux."
François FOURQUET propose de revisiter la question de la nature et de la mesure de la richesse. Suivant le point de vue que l'on adopte - intérieur et mondial, mais aussi des rois et de leurs sujets, on abouti à des évaluations différentes. Maximiser la puissance ou satisfaire les besoins des sujets constituent des objectifs antagonistes.
 
    Pour penser la richesse et la puissance, il est nécessaire de dépasser les notions courantes de calcul, les cadres de pensée formés entre 1776 et 1874. En repensant la richesse et la puissance, on peut mieux comprendre les réalités de la circulation des marchandises et les types de relations humaines qu'elles engendrent. La "science économique" nous a tellement appris à quantifier l'utilité (valeur-marchandise, valeur-travail), à accorder aux outils mathématiques une place démesurée dans nos pratiques économiques et sociales, que nous avons du mal à imaginer d'autres formes de circulation des biens. La découverte et l'étude de sociétés qui ne fonctionnent pas ainsi indiquent que cela ne constitue pas une fatalité.
 
       Alain TESTART, par exemple, dans son étude sur le don, analyse "les trois modes de transfert" des biens : "Une donation, une paiement, un échange, un achat ou une vente constituent autant de modalités pratiques d'un phénomène général et fort simple par lequel un bien passe de l'un à l'autre par des voies, disons admises et reconnues comme légitimes par la société."
Il distingue le cas où aucun transfert n'est dû (qui entretient la gloire, l'honneur, la réputation) le cas où chacun des deux transferts est dû, mais dû absolument, et chacun indépendamment l'un de l'autre (coutumes de disposition du gibier, coutumes de consommation sexuelle, suivant des processus compliqués via les parentèles) et le cas où chacun des deux transferts est dû à titre de contrepartie (le réel échange). Il existe donc en fin de compte une réciprocité des dons et une réciprocité des échanges, qui engendrent l'une et l'autre des relations sociales différentes.
 Prenant appui sur l'analyse de la kula et du potlatch, Alain TESTART veut éclairer les différences entre échange marchand et échange non marchand. Au lieu de la bipartition traditionnelle entre don et échange, il établit une subdivision tripartite à l'intérieur de l'échange entre don, échange non marchand et échange marchand.
     
     La clarification du rôle de ces échanges permet de comprendre le rôle de la circulation des biens dans l'établissement et l'évolution des solidarités sociales.
Comme l'écrit Claude MEILLASSOUX, des peuples sont restés jusqu'à nos jours éloignés des échanges (à réciprocité obligatoires et calculées) : "Chez ces populations, où domine encore l'organisation lignagère, l'intrusion de l'économie de marché capitaliste provoque des crises sociales profondes. En effet, le système communautaire de circulation des biens par prestation-redistribution assure aussi la répartition du produit social entre les membres productifs et improductifs du groupe. L'échange n'assure la répartition du produit social qu'entre les producteurs ou les propriétaires de moyens de production. L'accès des improductifs aux revenus du produit social n'est pas réalisé par l'échange. Il n'est possible qu'à travers un mécanisme de redistribution toujours nécessaire. Ce mécanisme est offert par le cadre résiduel des rapports de parentés, tantôt par des institutions de protection ou de sécurité collective conçues à plus large échelle. La dissolution complète des communautés lignagères n'est possible que lorsque les fonctions sociales qu'elles remplissent par leur mode de répartition des biens sont prises en charge par la nouvelle société qui se constitue autour de l'économie de marché.
  Or ce passage est généralement retardé en régime capitaliste, car la recherche du profit engage les employeurs à laisser le plus longtemps possible l'entretien des improductifs à la charge des communautés familiales."
 
   On conçoit que le passage plus ou moins progressif d'un système à un autre d'échanges soit générateur de tensions sociales importantes. Le niveau de conflictualité s'accroît avec l'affalblissement de solidarités non directement liées aux activités de production. Repenser l'usage et l'échange des choses revient aujourd'hui à mettre en cause une marchandisation générale. Il doit être possible que des choses n'aient pas de valeur d'échange, si l'on veut combattre les effets de destruction de solidarités indispensables à la vie et à la survie des collectivités humaines.
 
François FOURQUET, Richesse et puissance, Une généalogie de la valeur (XVI-XVIIIèmes siècles), Editions La Découverte, collection (Re)découverte, 2002. Alain TESTART, Critique du don, Etudes sur la circulation non marchande, Editions Syllepse, 2007. Article Echange, de Claude MEILLASSOUX, Encyclopedia Universalis, 2004.
 
                                                                         ECONOMIUS
 
Relu le 19 octobre 2018
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