Charles AILLERET, général de l'armée française, déporté pendant la seconde guerre mondiale, chef-d'État major des armées de 1962 à 1968, est connu à la fois pour s'être opposé au putsch des généraux en Algérie en avril 1961 alors qu'il commandait la zone du Nord-Est Constantinois et pour sa contribution à la doctrine française de dissuasion nucléaire.
Une carrière militaire brillante jusqu'au sommet de la hiérarchie
Après être sorti de Polytechnique en 1928, dans l'artillerie, il rejoint en 1942 l'ORA (Organisation de résistance de l'Armée) dont il devient le commandant pour la zone Nord. Il est arrêté en juin 1944, torturé et déporté à Buchenwald d'où il revient en 1945.
Promu colonel en 1947, il commande la 43e demi-brigade de parachutistes. En 1951, il prend le commandement des armes spéciales de l'Armée de terre. Il fait alors partie, comme adjoint du général BUCHALET puis responsable des applications militaires au CEA, du cercle fermé qui mène la recherche pour concevoir une arme nucléaire : il est, en 1958, commandant inter-armées des armes spéciales et dirige les opérations conduisant, le 13 février 1960 à l'explosion de la première bombe A française à Reggane, au Sahara.
En avril 1961, commandant de la zone Nord-Est Constantinois, il s'oppose au putsch des généraux d'Alger. En juin 1961, il prend les fonctions de commandement supérieur interarmées en Algérie. En 1962, promu général d'armée, il donne l'ordre du jour n°11 du 19 mars 1962 annonçant le cessez-le-feu en Algérie. Il s'oppose à l'OAS en mars 1962, lors de la bataille de Bad-el-Oued et la fusillade de la rue d'Isly, puis il participe, avec Christian FOUCHET, haut-commissaire en Algérie, à l'autorité de transition au moment de l'indépendance.
Nommé chef d'État-major des armées en juillet 1962, il organise le retrait en 1966 de la France du commandement intégré de l'OTAN et met en place la stratégie établie par le général de GAULLE d'une défense nucléaire française "tous azimuts". C'est au cours d'une tournée d'inspection dans l'océan indien qu'il trouve la mort dans un accident d'avion en mars 1968.
Un penseur de la stratégie nucléaire française
De tous les penseurs de la stratégie française contemporaine, hormis de LATTRE, c'est celui qui est monté le plus haut dans la hiérarchie militaire. De GAULLE, lorsqu'il doit choisir un nouveau CEMA, donne sa préférence pour AILLERET sur BEAUFRE, car il apprécie le technicien de l'atome et surtout l'originalité d'une personnalité qui n'avait pas hésité - notamment dans l'affaire algérienne - à se démarquer des mentalités traditionnelles, et sait regarder à distance le corps militaire. Dans les relations compliquées entre les dirigeants de la IVe République et l'armée, il discerne bien la primauté du politique sur le militaire, tout en remarquant que dans les faits se mêlent toujours considérations politiques et impératifs militaires. Il se situe au coeur du dispositif entre projet politique (d'indépendance nationale) et génétique des forces (François GERÉ).
Les vues exprimées, notamment dans la Revue de défense nationale par le général Charles AILERET, alors Chef d'État-Major des Armées (CEMA), qui met alors l'accent sur la nécessité d'une stratégie nationale autonome, et qui, après de retrait de l'organisation militaire intégrée, laisse présager une sortie de l'OTAN, soulève une émotion de partenaires qui "oublient" alors que la France est engagée depuis un certain temps dans cette politique. AILLERET, pas plus que les autres stratèges qui pensent la doctrine française, n'exprime pas alors un point nouveau. Depuis novembre 1959, le général de GAULLE annonce dans un discours déjà l'arme atomique comme outil majeur de cette doctrine. L'article de 1967 tire plutôt la leçon des progrès technologiques accomplis, annonce une "force thermonucléaire à portée mondiale" mettant la France dans la position d'une dissuasion tous azimuts qui ne privilégie aucune adversaire potentiel. AILLERET prône, avec d'ailleurs l'accord du pouvoir politique, un "équilibre des alliances" qui permet de ne pas nommer, à l'inverse des autorités américaines, l'Union Soviétique comme étant l'ennemi potentiel.
Pour François GERÉ, la pensée du général AILLERET reste moderne, après la guerre froide, car elle participe à la nécessaire poursuite de la réflexion stratégique. La place de l'arme nucléaire, sa puissance destructrice, doit en faire partie. Pour AILLERET, il était possible que leur extraordinaire capacité de détruire rende pratiquement impossible parce que désastreuses pour tous, vainqueurs comme vaincus, les grandes guerres totales ; il ne faut pas en conclure que les hommes cessent pour autant de régler leurs oppositions par la violence. "Plus la menace d'une invasion et d'une occupation s'estompait, plus l'opinion a identifié, à tort, l'arme atomique à la paix absolue ; mais, seconde phase, plus la paix semblait établie, plus l'arme nucléaire est apparue comme superflue, devenant même une menace pour la paix, à laquelle finalement elle n'aurait jamais contribué. Étrange révisionnisme de ce qui n'a pas eu lieu, demeurant dans le virtuel. La pensée d'Ailleret nous apparait aujourd'hui comme un itinéraire rationnel sur un chemin stratégique semé de paradoxes toujours actuels, d'incertitudes sans assurances, d'interrogations sans réponses."
Charles AILLERET, L'aventure atomique française - Comment naquit la force de frappe française, Grasset, 1968 ; Général du contingent - En Algérie, 1960-1962 (préface de Jean DANIEL), Grasset, 1998.
François GERÉ, Charles Ailleret, stratège français, diploweb.com, février 2016. Le Monde diplomatique, janvier 1968.