Paul-Gédéon JOLY DE MAÏZEROY, officier et théoricien militaire français, est l'inventeur en 1771 du mot "stratégie" sous une forme modernisée, en tant que science du général.
Hélleniste distingué, il s'inspire beaucoup de textes anciens de Grecs et de Romains que par ailleurs il traduit en français. Il ne se contente pas de les traduire, il en fait aussi des Traités, par exemple Traité sur l'art des sièges et des machines des anciens en 1778 ou Tableau général de la cavalerie grecque, composé de deux mémoires et d'une traduction du traité de XÉNOPHON (Le commandement de la cavalerie) paru en 1781. Il est d'ailleurs pour ces traductions nommé membre associé à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1776. Très connu à l'époque, il entretient des échanges épistolaires avec FRÉDÉRIC II et d'autres personnalités. En public, il est l'adversaire de Jacques Antoine Hippolyte de GUIBERT (1744-1790). Il est aujourd'hui bien moins connu que ce dernier, qui fait figure de moderne alors qu'il apparait plutôt rattaché à l'ancienne école (Robert QUIMBY, The background of Napoleonic Warfare, Columbia University Press, 1957)). Malgré cela, sa pensée peut être considérée comme celle d'un tournant de la pensée stratégique occidentale (Thierry WIDERMAN, voir Dictionnaire de stratégie, PUF, 2006).
Paul Gédéon JOLY DE MAIZEROY combat au côté du comte de Saxe dans les campagnes de Flandre et de Bohême et participe à la guerre de 1756. Auteur du Cours de tactique théorique, pratique et historique qui paraît en trois volumes (1766, 1767, 1773), il publie sa Théorie de la Guerre en 1777 où il met en germe un certain nombre d'éléments qui trouvent plus tard leur application à l'ère napoléonienne, aux côtés d'autres produits entre autres par Pierre de BOURCET et GUIBERT. Il est également l'auteur d'un traité sur les stratagèmes permis à la guerre (1765) et d'un Mémoire sur les opinions qui partagent les militaires suivi du traité sur les armes défensives (1773). C'est l'un des théoriciens les plus stimulants de cette époque qui précède la Révolution.
Tout d'abord spécialiste de la stratégie antique, il fait publier le célèbre traité de tactique (Taktika) de l'empereur byzantin LÉON et consacré ses premiers écrits à la guerre dans l'Antiquité qu'il compare à la guerre moderne. Il est persuadé que la guerre est un phénomène qui ne peut être compris qu'à travers une étude rigoureuse de l'Histoire, approche qui est reprise et développée au XIXe siècle par l'Ecole prussienne. Esprit curieux, MAIZEROY s'intéresse également aux formes de la guerre dans d'autres espaces culturels comme l'Empire ottoman et l'Asie (la première traduction de SUN TZU par J.J. AMIOR parait en 1772). Pour lui, l'art de la guerre possède un certain nombre de principes fondamentaux dont la valeur est immuable, aussi bien dans l'espace que dans le temps. Les innovations techniques affectent certains aspects de la guerre, mais sans en changer le fondement. Il introduit et utilise une terminologie de la guerre qu'il reprend aux anciens.
Il fait la distinction entre stratégie et tactique, le premier terme étant peu employé à son époque mais qui lui est familier de par sa connaissance approfondie de la littérature militaire byzantine. La tactique, au sens que lui donne MAIZEROY, se restreint à l'organisation de l'armée et à la disposition des troupes. Cet aspect de l'art de la guerre peut être formulé selon des lois quasi mathématiques. Cette opinion est guidée en grande partie par son admiration pour les Grecs et les Romains qui avenir, selon lui, élevé la tactique au rang de science exacte et qui maîtrisaient ses divers aspects à la perfection. Au sujet de la controverse sur l'ordre mince et l'ordre profond qui domine les débats en cette deuxième moitié du XVIIIe siècle, il adopte une position conservatrice en se déclarant en faveur de l'ordre profond, c'est-à-dire favorable à la puissance de choix plutôt qu'à la puissance de feu. La conduite des opérations constitue le deuxième volet de l'art de la guerre. C'est la stratégie ou "dialectique militaire", domaine flou où le nombre incalculable de combinaisons entre des éléments souvent imprévisibles interdit la mise en place de règles sûres. La stratégie représente la partie sublime de la guerre dans laquelle les facteurs moraux, politiques et physiques s'entremêlent et provoquent une infinité de situations possibles. La stratégie est à la fois le domaine du militaire et de l'homme politique. C'est une méthode de pensée tout autant qu'un guide pour l'action. (BLIN et CHALIAND)
Pour Alexandre DAVID, en définitive, "ce n'est pas sans raison que Maizeroey est tombé dans l'oubli. En effet, "l'interprète des plus grands maîtres s'est parfois égaré dans une admiration excessive des Anciens, quitte à se rendre peu sensible à la réalité militaire de son époque. En outre, la comparaison avec Guibert s'impose, car les idées très audacieuses de ce dernier ont parfois influencé celles de notre auteur, notamment concernant l'ordre oblique, ce qui démontre l'ascendant qu'avait l'auteur de l'Essai général de tactique. Toutefois, l'ouvre de Maizeroey mérite d'être redécouverte. Soucieux de braver les préjugés et la routine de son époque, ses écrits sont une constante invitation à réfléchir et à s'instruire. Ennemi des visions exclusives, il s'engagea contre l'opinion dominante en considérant la guerre comme une science, mais pas au point d'occulter la part de réflexion qu'il considérait comme essentielle dans la conduite de la guerre. C'est pourquoi il assimila celle-ci à une dialectique en actes, auquel il attacha un terme provenant des Anciens : la stratégie. La doctrine qu'il y attacha, fondée en partie sur la prévoyance, la manoeuvre, la vitesse et les marches combinées, fut également une réussite de sa méthode historique. Mais s'il est possible de déterminer l'originalité des idées de l'auteur, il demeure encore difficile d'en mesurer l'apport, d'autant plus que peu d'idées étaient réellement propres à ce "sçavant militaire". Il serait donc intéressant d'approfondir l'étude de ses écrits afin de savoir si l'élaboration d'un modèle français durant la seconde moitié du XVIIIe siècle est due aux seuls écrits de Guibert".
Paul Gédéon JOLY DE MAÏZEROY, Traité de tactique. Pour servir de supplément au "Cours de tactique", Nabu Press, 2012 ; Théorie de la guerre, où l'on explore la constitution et la formation de l'infanterie et de la cavalerie, leurs manoeuvres élémentaires, avec l'application des principes à la grande stratégie, suivie de mensurations sur la Stratégique, 1777, disponible sur le site Gallica de la BNF.
Eugène CARRIAS, La pensée militaire française, 1960. Jean-Paul CHARNAY, Essai général de stratégie, 1973. Emile LÉONARD, L'Armée et ses problèmes au XVIIIe siècle, 1958.
Arnaud BLIN et Gérard CHALIAND, Dictionnaire de stratégie, tempus, 2016. Alexandre DAVID, L'interprète des plus grands maîtres, Paul-Gédéon Joly de Maizeroey l'inventeur de la stratégie, Stratégique, 2010.1, n°99, disponible sur le site cairn.info.