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16 septembre 2013 1 16 /09 /septembre /2013 14:53

      Le livre de Thomas LAQUEUR, professeur américain d'histoire à l'Université de Californie de Berkeley, auparavant auteur de Sexe en solitaire, Contributions à l'histoire culturelle de la sexualité (Gallimard, nrf, Essais, 2005) est régulièrement cité comme référence dans de très nombreuses bibliographies sur les travaux portant sur le sexe et le genre.

Publié aux États Unis en 1990 et édité en France chez Gallimard en 1992, ce livre fait suite à ses recherches sur les représentations biologiques et médicales du sexe qui l'ont fait remettre en question la coupure radicale, quoique progressive, décrite par Michel FOUCAULT (dont Histoire de la sexualité a eu beaucoup plus d'impact aux États-Unis qu'en France, et un impact de nature très différente). Il s'appuie aussi sur les travaux sur la longue durée de Fernand BRAUDEL "dans la représentation corporelle qui remonte aux Grecs et où les signes, dans le corps, de différence sexuelle - génitalité, organes internes, processus physiologiques et orgasmes - étaient bien moins distincts, bien moins critiques qu'ils n'allaient le devenir".

      Dans sa préface à l'édition française, rédigée dix ans plus tard, il indique persister dans sa rupture avec nombre de traditions historiographiques "qui prétendent expliquer le passage d'un stade à un autre par une chaîne d'effets de causalités extérieures à la sphère de l'objet étudié mais reflétées à l'intérieur de celui-ci. Ainsi la fabrique du sexe pourrait-elle être référée, par exemple à l'histoire intellectuelle : l'effondrement d'une vision du monde dans laquelle le corps réfléchit l'univers et, inversement, l'établissement du corps, ou plus généralement de la matière, correspond au changement d'épistêmé foucaldien, au profit de ce que l'auteur de L'Archéologie du savoir appelle le modèle classique. (...) En vérité, le rejet du vieux modèle du sexe et du corps, pris qu'il était dans les filets de la théologie et de la métaphysique, faisait manifestement partie du grande projet des Lumière ; en finir avec des millénaires de cléricature et de philosophie pour mettre à leur place une histoire naturelle de l'homme. Une nature organiquement, un corps fermé, autonome et moralement déterminé évincèrent le vieux corps ouvert du modèle unisexe."

Sans remettre en cause toutefois cette longue marche vers une autre conception de la sexualité, l'auteur tâche de démontrer, dans différentes contextes, comment des circonstances politiques, intellectuelles et sociales diverses nourrissent le passage du modèle unisexe (un modèle, rappelons-le où le sexe de la femme est considéré comme un dégradé inférieur du sexe de l'homme, et où les émissions corporelles sont considérées comme étant les mêmes pour l'homme comme pour la femme) à l'explication moderne, fondée sur deux sexes, de la différence et de la sexualité proprement dite.

"Mais ce que je prenais, écrit-il, pour le triomphe plus ou moins linéaire d'un modèle sur l'autre, la production plus ou moins définitive et irrévocable du sexe moderne, prit un tour de plus en plus équivoque." Il découvre, au cours de ces recherches, "de multiples preuves que dès avant le XVIIIe siècle, il se trouva des gens pour écrire comme s'il y avait bien deux sexes (différents)." "Loin du discours dominant, difficile à interpréter par au-delà de l'abîme des siècles, elle n'en continuaient pas moins à parler, fût-ce à mots couverts, d'un modèle de corps apparemment "moderne". De même, il trouve que "dans divers discours du XIXe et du début du XXe siècle, le corps paraissait aussi ouvert aux forces de l'extérieur et malléable qu'il l'avait été avant la ligne de partage du XVIIIe siècle". En définitive, ce que découvre Thomas LAQUEUR, c'est que la lente marche vers les conceptions modernes est bien plus conflictuelle que ce qu'en décrivait Michel FOUCAULT, mettant en jeu des mouvements sociaux, économiques, intellectuels, de classe, de race et de sexe.

   Dans sa préface originelle, précédée fort justement de nombre d'illustrations du sexe, dans l'histoire, découvertes par l'auteur, il écrit encore : "Quelques uns de ces changements (dans la conception du sexe de l'homme et de la femme, surtout de la femme) se laissent comprendre comme le fruit du progrès scientifique - la menstruation n'a rien à voir avec le flux hémorroïdal - mais la chronologie des découvertes ne cadre pas avec celle des re-conceptions du corps sexuel. De surcroit la chronologie elle-même ne tarda pas à se désagréger et je me retrouvai face à la conclusion déroutante qu'il y eut toujours un modèle à deux sexes et un modèle unisexe à la disposition de ceux qui réfléchissaient à la différence et qu'il n'y avait pas de moyen scientifique de choisir entre les deux modèles. Le premier avait certes atteint un position dominante à l'époque des Lumières, mais le sexe unique n'avait pas pour autant disparu. De fait, plus je m'acharnais sur les sources historiques, moins le partage des sexes se faisait clair ; plus on cherchait dans le corps les fondements du sexe, moins les limites se faisaient solides. Avec Freud, le processus atteint son indétermination la plus cristalline. Cette histoire, qui n'était au départ que celle du plaisir sexuel féminin et de son essai d'effacement, devint plutôt une histoire de la manière dont le sexe, non moins que le genre, se fait."

 

   Dans ce livre, nous entrons dans le détail des recherches sur l'anatomie et des pratiques médicales du sexe, depuis l'Antiquité. Dans le détail aussi des débats entre praticiens et théoriciens du sexe sur la réalité de sa nature physique. Mais aussi dans le détail des recherches anciennes et modernes (modernes au sens des Lumières) sur la physiologie des plaisirs masculin et féminin. De nombreuses interprétations sur le corps sont ainsi examinées, chez ARISTOTE, GALIEN, de LA BARRE, jusqu'à celles de MAURICEAU ou de KOBELT... auteurs de référence dans les longues lignées de médecins, notamment de médecins spécialistes des organes génitaux...

 

    Dans l'introduction d'un colloque de 1995, sur La place des femmes. Les enjeux de l'identité et de l'égalité au regard des sciences sociales, Michelle PERROT écrit :

"Ce livre remarquable, situé dans le sillage de Michel Foucault et de son Histoire de la sexualité, montre comment s'est effectuée à partir du XVIIIe siècle, avec l'essor de la biologie et de la médecine, une "sexualisation" du genre qui était jusque-là pensée en termes d'identité ontologique et culturelle beaucoup plus que physique... Le genre désormais se fait sexe, comme le Verbe se fait chair. On assiste alors à la biologisation et à la sexualisation du genre et à la différence des sexes. Les implications théoriques et politiques de cette mutation sont considérables.. D'un côté, elle porte en germe de nouvelles manières de perception de soi et notamment la psychanalyse (l'opposition phallus/utérus, la définition de la féminité en termes de manque, de creux, la "petite différence" fondant le grand différend). D'un autre, elle apporte une base, un fondement naturaliste à la théorie des sphères - le public et le privé - identifiées aux deux sexes, théorie par laquelle penseurs et politiques tentent d'organiser rationnellement la société du XIXe siècle. Cette naturalisation des femmes, rivées à leur corps, à leur fonction reproductrice maternelle et ménagère, et exclues de la citoyenneté politique au nom de cette identité même, confère une assise biologique au discours parallèle et conjoint de l'unité sociale."

    Dix ans plus tard, Annick JAULIN, auteur d'une thèse soutenue en 1995 sous le titre Genre, genèse, génération chez Aristote et publiée en 1999 sous le titre Eidos et ouisia. De l'unité théorique de la Métaphysique d'Aristote (Klincksieck), expose ses réflexions sur La fabrique du sexe. Étant donné que vient le temps de replacer très précisément cet ouvrage dans sa mouvance historique post-moderniste :

"Si j'annonçais au moment de présenter le livre de Thomas Laqueur, La fabrique du sexe (...) que je ne sais pas exactement quel est le sexe de ce livre ni le genre auquel il appartient, je risquerais de faire douter de mon aptitude à traiter de cette question. Je m'exprimerais donc autrement en disant que ce livre manifeste des tensions méthodologiques entre deux manières de concevoir et de faire l'histoire - une manière classique et une manière post-moderne - de sorte qu'il s'interroge sur son genre, et que cette interrogation le rend incertain sur la fabrique de son sexe, autrement dit le schème historique qu'il propose - le passage du sexe unique au modèle des deux sexes - est immédiatement remis en question par l'affirmation que "le sexe unique et les deux sexes coexistent au fil des millénaires". L'histoire fait bien les choses qui limite les possibilités à la seule alternative de un à deux sans quoi des possibles plus nombreux "au fil des millénaires" auraient pu transformer l'indécision en chaos. Le désordre n'est au reste pas toujours évité du fait de l'usage flottant du rapport sexe/genre dans les schémas proposés : dans le schéma d'origine, le modèle du sexe unique se définirait par le fait que le genre conditionnerait le sexe, tandis que dans le modèle des deux sexes, ce serait l'inverse puisque le sexe conditionnerait le genre. Cet usage flottant introduit des distorsions qui rendent le rapport entre le sexe et le genre, tel qu'il est défini dans le livre, parfois intenable pour l'auteur lui-même. 

Si ce qui vient d'être dit pousse à se demander s'il y a encore lieu de lire ce livre, je répondrais de manière tout à fait affirmative, non pour ce que son titre annonce, mais pour l'histoire des représentations médicales et surtout pour l'histoire de la médecine au XIXe siècle qu'il aborde dans les derniers chapitres (V et VI). Il est intéressant de remarquer que cet aspect de la recherche de Th. Laqueur est fortement lié à son histoire familiale : son père était médecin pathologiste et l'ai aidé "à interpréter les publications gynécologiques allemandes citées dans les chapitres V et VI et qui, pour certaines étaient l'oeuvre de ses anciens professeurs en médecine". De plus, son père était un expert et, comme il le dit lui-même, un "dé-constructeur" en ces matières et il a contribué à remettre en cause l'incommensurabilité de la différence entre les deux sexe (la version moderne donc), par ses travaux qui s'intitulaient "Nouvelles recherches sur l'influence de diverses hormones sur l'utérus masculin". Son père n'est pas seul en cause : son oncle était également médecin et l'un des "inventeurs des oestrogènes. Il isola l'hormone "femelle" des urines des étalons, soulevant par là même la fâcheuse possibilité d'une androgynie gynécologique au moment même où la science semblait avoir découvert la base chimique de la différence sexuelle." Le père et l'oncle de T. Laqueur sont donc des acteurs dans l''histoire qui est racontée dans les derniers chapitres et qui est une remise en cause des pouvoirs de l'anatomie. La thèse est, sur ce point, claire : "c'est l'histoire de l'aporie de l'anatomie, ce qui bien sûr est une critique directe de la thèse freudienne selon laquelle l'anatomie est le destin. Le dernier paragraphe du livre, intitulé "le problème de Freud", aborde le point de vue freudien d'une manière originale, c'est-à-dire du point de vue de l'histoire de la médecine. Le livre est donc précieux sur les débats médicaux relatifs à la construction des "faits" sexuels à la fin du siècle dernier."

 

Thomas LAQUEUR, La fabrique du sexe, Essai sur le corps et le genre en Occident, Gallimard, 2013. Traduction de l'anglais par Michel GAUTIER (Pierre-Emmanuel DAUZAT), 520 pages.

Annick JAULIN, La fabrique du sexe, Thomas Laqueur et Aristote, dans Clio. Femmes, Genre, Histoire, n°14, 2001. 

 

Relu et corrigé le 16 juin 2021

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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 09:51

        Michel BOZON, dans la première partie de son exploration d'une possible sociologie de la sexualité, examine l'ordre traditionnel de la procréation, l'ébranlement de cet ordre ancien et les composantes de l'intimité, de la sexualité et de l'individualisation à l'époque contemporaine.

 

L'ordre de la procréation

  L'ordre de la procréation, écrit-il "fait partie des principes fondamentaux de l'organisation sociale". Les études de Maurice GODELIER (La production des grands hommes,  Fayard, 1982), de Pierre BOURDIEU (La domination masculine, Seuil, 1998) montrent ce "bon ordre", celui dans lequel les hommes occupent la première place. Les mythes indiquent qu'à un état social premier, désordonné et instable, les femmes dominaient avant d'être dominées, par rupture radicale et violente avec la situation initiale (GODELIER, pour les Pygmées de la Nouvelle-Guinée) ou décrivent le passage d'une activité sexuelle anomique à une sexualité maitrisée, établissant sans équivoque la domination des hommes sur les femmes. Si les actes sexuels originels ont lieu à la fontaine, lieu public féminin, et si la femme y apprend à l'homme comment faire, prend l'initiative et se place au-dessus de lui pendant l'amour, dans la sexualité réglée, inversement, tout se passe à l'intérieur de la maison : l'homme donne les ordres et chevauche la femme (BOURDIEU, pour la Kabylie). "Le retournement de situation par lequel les hommes passent au-dessus des femmes permet de contenir et de domestiquer ces dernières." Il y a une homothétie entre la position de l'homme et de la femme pendant l'acte d'amour et la position qu'ils occupent dans la société d'une manière générale.

"A l'époque médiévale et classique, cette hantise d'une sexualité qui ne respecterait pas l'ordre du monde s'exprimait dans les recommandations très précises que faisaient les théologiens chargés de surveiller la vie morale des fidèles : les prêtres devaient s'enquérir auprès de leurs paroissiens des pratiques sexuelles qui tentaient de tromper la nature par la recherche de la stérilité, comme la sodomie ou le coït interrompu, mais aussi par des actes non conformes aux rôles sociaux."

   Dans la plupart des cultures, "même celles qui n'ont pas produit de mythes de justification sur la place des hommes et des femmes ont traduit la différence des sexes en un langage binaire et hiérarchisé, dans lequel un seul terme est valorisé." Pour Françoise HÉRITIER (Masculin/Féminin. La pensée et la différence, Odile Jacob, 1996), "c'est le corps, et dans le corps l'observation des différences liées à la reproduction (par exemple les humeurs corporelles, le sperme, le sang menstruel, le lait maternel), qui sont "la matière première du symbolique" et de la pensée logique, laquelle est aussi une pensée binaire. Ces classements dualistes, qui ordonnent les corps ainsi que toutes les choses du monde, produisent un système général d'oppositions, haut/bas, chaud/froid, sec/humide, soleil/lune, droite/gauche, droit/courbe, aîné/cadet, majeur/mineur. Dans cette logique strictement binaire et différentialiste, le féminin est toujours assigné au côté inférieur, même s'il existe un certain arbitraire des autres termes. Les organes sexuels masculins et féminins, pour lesquels toutes les langues usent de métaphores expressives, sont toujours perçus selon cette logique hiérarchisante." C'est une valence différentielle des sexes, comme l'écrit Françoise HÉRITIER qui est universelle dans les système de représentation mis en place par les sociétés humaines.

On retrouve d'ailleurs cette valence, dans les études de Claude LÉVI-STRAUSS et d'autres anthropologues. "Cette valence est moins l'indice d'une handicap féminin que celui d'une volonté de contrôle masculin, d'appropriation de la fécondité de la femme, au moment où celle-ci est féconde."

 

La peur du féminin

   C'est le point de vue masculin sur la reproduction et l'acte sexuel qui domine chaque société traditionnelle. Ce point de vue s'exprime également dans la nourriture (métaphore alimentaire qui peuvent s'exprimer aussi par des pratiques d'oralisme). Ce point de vue intègre une paradoxale dénégation de la contribution que les femmes apportent à la reproduction : la femme est souvent le réceptacle passif de l'acte masculin. Mais une reconnaissance indirecte du rôle de la femme se manifeste dans la peur qu'elles inspirent aux hommes lors de l'acte sexuel. "Dans la représentation dichotomique et hiérarchique des corps et des sexes, le rapprochement entre homme et femme est nécessairement problématique, même s'il est nécessaire à la vie". Les études de S. DAYAN-HERZBRUN montrent cette peur qui se traduit dans certaines cultures par l'assimilation de l'acte sexuel à une dévoration, un enserrement ou une capture par la femme (La sexualité au regard des sciences sociales, dans Sciences sociales et santé, n°4, 1991). 

 

L'ordre social, l'ordre sexuel

De même, la frontière entre le licite et l'illicite n'est pas la même pour les femmes et les hommes.

"Ainsi, dans l'Antiquité grecque et romaine, alors que la sexualité licite pour les femmes libres se limite strictement à la reproduction dans le cadre conjugal, tous les plaisirs sont permis aux hommes libres adultes, à condition qu'ils ne mettent pas en péril leur position sociale : il existe toujours un risque d'excès ou de démesure (...) mais le risque le plus grand est toujours celui d'"inversion" des rôles, quelle qu'en soit la forme." (voir les études de P. VEYNE, L'homosexualité à Rome, dans Amour et Sexualité en Occident, Seuil 1991 et de F DUPONT, T. ELOI, L'érotisme au masculin dans la Rome antique, Belin, 2001)

Nous remarquons d'ailleurs que les représentations du sexe à Rome donne une relief écrasant au masculin (que ce soit au plan statuaire - présence du phallus parfois envahissante aux porches des maisons - ou littéraire). 

"L'institutionnalisation du christianisme en Occident et l'éthique sexuelle restrictive qui l'accompagne n'ont pas été une rupture totale dans l'Antiquité tardive. (...). La véritable nouveauté est que les pratiques de l'ensemble des fidèles sont désormais placées sous le regard d'un appareil de contrôle institutionnalisé et que les comportements exigés de ces derniers le sont en fonction de principes absolus et sacrés, s'appliquant à tous. (J. LE GOFF, Le refus du plaisir, dans Amour et Sexualité en Occident, Seuil, 1991).

Michel BOZON distingue deux étapes dans l'élaboration du traitement chrétien de la sexualité. "Les textes d'Augustin (Ve siècle) théorisent le refus de la concupiscence (désir) et du plaisir, qui aboutit à une restriction en droit de l'activité sexuelle à l'oeuvre de procréation voulue par Dieu et la nature. Une seconde étape est l'institution, à partir du XII-XIIIe siècles, du mariage chrétien, monogame et indissoluble, qui délimite le cadre de cette activité sexuelle légitime. Par la pratique de la confession, qui devient au Moyen-Âge le lieu d'un interrogatoire approfondi sur les péchés de la chair, l'Église et ses clercs entreprennent de contrôler la vis morale des fidèles, avec l'objectif d'empêcher l'activité sexuelle hors du couple marié et de la limiter, au sein du couple, à des pratiques qui permettent l'insémination de la femme. Hommes et femmes sont en principe placés sur un pied d'égalité, dans la mesure où l'opposition radicale entre la sexualité dans le mariage, licite, et la fornication, c'est-à-dire la sexualité hors du mariage, les concerne au même titre (Sous la direction de P. ARIÈS et A. BÉJIN, Sexualités occidentales, Seuil, 1984). En pratique cependant et dans toutes les législations influencées par le christianisme (par exemple en Amérique Latine), l'adultère a toujours été considéré d'un oeil beaucoup plus sévère lorsqu'il concernait les femmes."

   D'une manière générale, "l'entrée dans la sexualité se fait sous le regard et sous le contrôle de la parenté et des aînés qui fixent les règles selon lesquelles les jeunes hommes et les jeunes femmes peuvent accéder à cette activité statutaire de la maturité. L'initiation sexuelle est dans toutes les cultures une étape marquante de la construction sociale de la masculinité et de la féminité." Michel BOZON distingue hors des sociétés contemporaines développées, deux grands modes d'accès des femmes à la sexualité (M. BOZON, V. HERTICH, Rapports de genre et initiation sexuelle en Afrique et en Amérique Latine, Colloque Guerre, Genre, Population, Développement, Abidjan, juillet 2001) :

- "Nombreuses sont les sociétés qui, voulant éviter tout retard des femmes à entamer leur vie sexuelle, les "mettent au travail reproductif" aussi près que possible de la puberté, en les unissant à des hommes sensiblement plus âgés, renforçant ainsi la domination de sexe par la domination de l'âge. Dans ces sociétés, l'initiation sexuelle masculine peut fort bien être plus tardive que celle des femmes. Ce modèle est encore présent dans bon nombre de pays d'Afrique sub-saharienne ou dans le sous-continent indien."

- "Dans un second ensemble de cultures, dont font partie les cultures latines et latino-américaines, le contrôle social vise au contraire à retarder autant que possible l'entrée des femmes dans la sexualité, afin de préserver leur virginité jusqu'à leur mariage. Là les jeunes gens sont fortement incités à prouver rapidement qu'ils sont bien des hommes, soit avec des prostituées, soit avec des femmes plus âgées, et leur initiation sexuelle se produit bien avant celle des femmes."

Dans l'un et l'autre cas, la demande de conformité sociale est particulièrement pesante pour les femmes et les hommes.

L'obligation de procréer, dans tous les cas, constitue principalement le fardeau des femmes, que ce soit dans les société désireuses de limiter la fécondité naturelle que dans celles qui désirent l'accroitre, "Si la reproduction et la sexualité contribuent autant à la construction traditionnelle des rapports de genre, c'est qu'elles sont une des expériences et des représentations les plus universelles de l'"objectivation" symbolique des femmes. Le corps des femmes est perçu et traité comme un objet et un réceptacle, dont les hommes prennent possession par l'acte sexuel. La répétition des actes vaut confirmation de l'appropriation initiale. Et c'est l'objectivation sexuelle des femmes qui permet la prise de possession par les hommes de la descendance qu'elles portent."

 

La contestation de l'ordre sexuel

    "Cet ordre, poursuit Michel BOZON, a cessé d'aller de soi dans la plupart des sociétés, par suite de la conjugaison de transformations nombreuses, sociales, politiques et intellectuelles (nous pourrions ajouter, mais cela va de soi, économiques), qui ont remis en cause les contenus traditionnels des rapports entre les sexes."

Actuellement, une explication univoque, reposant sur un facteur principal, de ce changement radical, n'est plus de mise, alors que de nombreux auteurs se sont essayés d'apporter des réponses tour à tour sur le plan de l'évolution des mentalités, de la démographie ou de l'industrialisation. "L'Occident développé est le premier à avoir connu l'expérience historique d'une réduction volontaire de sa fécondité, qui est allée de pair avec l'émergence d'une nouvelle conception de la différence des sexes fondée sur la biologie, l'apparition d'un champ et d'une discipline autonomes de la sexualité - distincts de la métaphysique - ainsi que de nouvelles attitudes en matière de rapports amoureux et d'intimité."

Notre auteur présente quelques étapes de cette "longue marche vers l'amour conjugal", mais il peut y en avoir d'autres :

- "La première grande tentative de penser une relation amoureuse mutuelle entre la femme et l'homme apparaît autour du XIIe siècle en Occitanie, avec la diffusion de l'amour courtois" (R. NELLI, L'Érotique des troubadours, Privat, 1984). De cet amour courtois, "(...) l'Occident retiendra cette opposition radicale entre le mariage et le hors-mariage, cadre exclusif du sentiment amoureux et du désir, ainsi que cette tension dialectique de l'amour-sentiment et de l'amour-charnel".

- "Seul cadre légitime de la procréation, le mariage chrétien indissoluble, instauré au XIIIe siècle, prévoit en principe une égalité entre conjoints, mais exclut cependant la possibilité qu'il repose sur un sentiment aussi dangereux et immoral que l'amour. La recherche du plaisir dans les relations conjugales est proscrite."

- "C'est au XVIIIe siècle que s'amorce un processus à l'issue duquel l'amour deviendra non seulement un sentiment attendu entre conjoints, mais la raison même d'un choix, effectué par les intéressés eux-mêmes. L'amour n'est plus l'apanage des relations extra-conjugales (A. BURGUIÈRE, La formation du couple, dans Histoire de la famille, volume 3, Le Choc des Modernités, Colin, 1986). Au XXe siècle, au terme d'une longue évolution, l'Église proclame même que l'amour entre conjoints est le fondement du mariage et que la relation sexuelle est une expression de l'amour conjugal.

Michel BOZON rapporte certains résultats des travaux de Norbert ELIAS (La civilisation des moeurs, Seuil, 1973, première édition 1939) qui décrit le passage d'une société où les émotions et les fonctions corporelles sont visibles et explicites à un monde où les individus doivent dissimuler et contrôler individuellement leurs affects et les manifestations de leur corps, pour les habitudes alimentaires, pour l'excrétion ou pour la sexualité. "L'activité sexuelle ne s'est jamais effectuée en public, mais on peut dire, que jusqu'au XVIe siècle au moins, l'expression de la sexualité était beaucoup plus visible.". La notion d'espace intime est historiquement récente, dans l'habitat  comme dans d'autres domaines. "A l'ancienne sociabilité de la communauté, dans laquelle l'opposition public/privé n'a guère de sens, où les générations ne sont pas séparées, où le domaine sexuel n'est pas isolé et où l'apprentissage de la vie s'effectue directement se substitue à l'époque contemporaine une dualité des sphères de vie, en raison de l'accroissement parallèle de l'impersonnalité - domaine des relations anonymes et du fonctionnement bureaucratique - et de l'intimité, qui abrite la subjectivité et l'intersubjectivité, ainsi que les manifestations de la sexualité." On peut se référer pour ce passage à l'intimité et au cloisonnement aux études de Philippe ARIÈS (L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Seuil, 1973) et de N. LUHMANN (Amour comme passion. De la codification de l'intimité, Aubier, 1990, première édition 1982).

   "Les premières tentatives pour penser un domaine autonome de la sexualité sont contemporaines d'une reformulation biologique du sexe, le "modèle à deux sexes", qui prévaut aujourd'hui. (T. LAQUEUR, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, Gallimard, 1992). "Dans la représentation traditionnelle du sexe et de la reproduction, illustrée dans la culture occidentale par la médecine de l'Antiquité, dont les concepts ont eu cours jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, les femmes ne différaient des hommes que parce qu'elles étaient des mâles moins parfaits, au physique comme au social, situés hiérarchiquement plus bas. (...) Dans la conception qui apparait au seuil du XIXe siècle, les corps mâles et femelles deviennent "des opposés incommensurables, horizontalement ordonnés" (LAQUEUR). Des noms sont donnés pour distinguer ce qui étaient jusque-là confondu. (...) La nouvelle biologie, qui pose l'existence de deux chairs opposées (...), est paradoxalement compatible avec toutes sortes d'affirmations normatives concernant l'ordre social et politique : les justifications conservatrices post-révolutionnaires de l'inégalité "naturelle" entre les sexes peuvent s'appuyer sur la nouvelle théorie (les femmes devraient se limiter à leur fonction maternelle et familiale), mais celle-ci ne s'oppose pas en soi à l'essor de nouveaux idéaux "féministes" ou progressistes sur l'égalité entre hommes et femmes (les femmes sont différentes des hommes, et aussi leur égales ; ou bien il faut donner une place aux femmes, qui par nature jouent un rôle civilisateur, parce qu'elles sont moins passionnées)." Ces nouvelles conceptions interviennent au moment où les fondements de l'ancien ordre se trouvent définitivement ébranlés avec la philosophie des Lumières, les révolutions politiques et la révolution industrielle. Un ensemble de conjonctures entraine un changement d'attitude envers la fécondité, dont la baisse a été la plus précoce et la plus progressive dans les pays occidentaux dits développés. Elle s'est produite bien avant l'apparition des méthodes contraceptives et les couples mariés limitent leurs naissances dès la fin du XVIIIe siècle. 

 

Une nouvelle normalité sexuelle

Pour Michel BOZON, "l'aspiration au contrôle du comportement reproducteur est une des conditions de l'émergence, dans le champ du savoir et dans la conscience des acteurs, d'une sphère de la sexualité obéissant à des lois propres."  Reprenant certains réflexions de Michel FOUCAULT (Histoire de la sexualité, I La volonté de savoir, Gallimard, 1976), le sociologue décrit le foisonnement d'études, vers le milieu du XIXe siècle, avant même que n'émerge une première "science de la sexualité", sur des aspects très divers de la sexualité. Une volonté de savoir se manifeste dans le surgissement de techniques disciplinaires de pouvoir sur le corps, qui sont des disciplines de soi, et non plus seulement des disciplines imposées de façon externe. "Pédagogie, psychiatrie, psychologie, hygiène, médecine et première sexologie ont en commun de chercher toutes à réguler les conduites quotidiennes et les comportements individuels à partir d'énoncés qui définissent le normal et l'anormal, abandonnant l'ancien discours moral sur la chair. (...) L'effort de normalisation délaisse les couples (...) et prend de nouvelles cibles, les enfants d'abord, puis les femmes. Loin d'amorcer une libération des moeurs, la première science de la sexualité instaure une tentative de médicalisation générale des comportements. La masturbation de l'enfant et de l'adulte est par exemple condamnée de façon répétée tout au long du siècle par les médecins et les éducateurs, qui y voient un affaiblissement de l'individu par perte de sa substance." 

"La sexologie débutante se préoccupe de tout ce qui menace la sexualité normale, aussi bien les maladies vénériennes, grande peur du XIXe siècle, que les perversions. Les tableaux très détaillés (comme ceux de R. KRAFFT-EBING) qui sont donnés des grandes perversions introduisent des espèces nouvelles, définies par leurs pratiques : le sadique, le masochiste, le zoophile, le gérontophile, voire l'automonosexualité!". Dans la première sexologie, "l'attitude des femmes à l'égard de leur rôle maternel et de leur rôle d'épouse est la pierre de touche de leur normalité sexuelle. (...) Dans la mesure où la possibilité de plaisir des femmes était encore l'objet de débats dans la première moitié du XIXe siècle, c'est seulement au XXe que l'orgasme féminin va devenir une des grandes questions de la seconde sexologie, qui se mettra à délaisser la question de la normalité sexuelle."

 

Intimité, sexualité, individualisme

     L'intimité, la sexualité et l'individualisation à l'époque contemporaine se manifeste dans les pays dits développés par la dissociation forte de la sexualité et de la procréation. 

"La "seconde révolution contraceptive", qui se produit à partir de la fin des années 1960 (...) marque la fin d'un processus séculaire. Elle se caractérise par la diffusion massive de méthodes contraceptives médicales, qui agissent sur la physiologie féminine (...° et qui sont contrôlées par les femmes. En France, il suffit de deux décennies pour que les méthodes médicales se substituent à peu près complètement aux méthodes traditionnelles.

La diffusion de la contraception moderne entraine un retournement dans la manière d'envisager la fécondité. La crainte d'avoir des enfants (trop d'enfants) cède la place au désir d'en avoir (en moindre quantité). La fécondité est désormais pensée comme un projet personnel, dont le poids dans l'organisation d'une vie est beaucoup plus léger et dont la mise en oeuvre fait l'objet d'une préparation et d'une réflexion." Les choix sont fait d'abord par les couples et n'échappent plus à la femme. "Dans la perception contemporaine de la sexualité, les rapports sexuels destinés à la procréation sont donc pensés comme une réalité totalement distincte des rapports non destinés à la procréation. Que les individus soient ou non en couple, on ne conçoit plus d'activité sexuelle sans protection contraceptive : le propre de la sexualité ordinaire est désormais d'être inféconde. Comme la venue des enfants n'est plus un don de Dieu mais résulte d'un désir et d'un calcul, le passage à une sexualité à but de procréation est le fruit d'une décision négociée entre partenaires, à l'issue de laquelle la protection contraceptive est temporairement suspendues. C'est désormais le fait d'interrompre la contraception qui demande une décision, plus que le fait de la débuter. Les moments de la vie où l'on pratique une sexualité reproductive et ceux où l'on pratique une sexualité non reproductive sont totalement disjoints. La procréation médicalement assistée, qui a commencé à être proposée au début des années 1980, est une étape supplémentaire de la dissociation de la sexualité et de la procréation. A l'insémination artificielle, qui correspond à un modus operandi relativement traditionnel, s'est ajoutée la fécondation in vitro, dans laquelle la rencontre des ovocytes et des spermatozoïdes se fait en laboratoire, sous contrôle médical. Même si elle concerne au total peu de personnes (...), cette reproduction sans rapports sexuels joue un rôle symbolique important et traduit bien l'évolution contemporaine qui a technicisé la procréation et l'a éloignée de la "nature" et de la sexualité : l'aspiration à avoir des enfants n'est plus nécessairement inscrite dans la chaleur du désir sexuel."

 

     Il faut remarquer, à ce stade de la réflexion que cette évolution générale, même dans les pays dits développés, ne se fait pas au même rythme dans toutes les classes sociales. Ni l'acceptation de cette évolution, ni même dans la pratique, l'égalisation des relations hommes-femmes au lit comme dans les relations sociales en général, ne font l'ensemble d'un réel consensus social qui traverserait à la fois les deux sexes, les classes sociales et les générations. Encore peu d'études, en dehors des Rapports sur la sexualité des américains ou des français, abordent cette différenciation sociale, qui n'est pas seulement du type rural/urbain.  L'évolution séculaire décrite n'est sans doute pas irréversible et d'autres instances, non religieuses, non médicales, peuvent très bien prendre le relais d'un contrôle social différent...

     Plus encore, Alain GIAMI (Communications, n°81, 2007), par exemple, étudie la permanence persistante d'une représentation traditionnelle des rôles sexuel et social de la femme. "Les recherches actuelles sur la fonction sexuelle qui sont fondées sur des approches organicistes (anatomo-physologie, neurologie, endocrinologie) sont censées représenter une avancée scientifique novatrice et une rupture de la sexualité marqué par la prédominance du psychisme et de la notion de libido dans la tradition freudienne. Elles n'attribuent cependant pas la même place ni la même importance aux dimensions biologiques (physiologiques, hormonales) et psycho-sociales selon qu'il s'agit de la fonction sexuelle de l'homme ou celle de la femme. Ces recherches semblent ainsi renforcer les représentations traditionnelles et plus que centenaires de la sexualité masculine et féminine fondées aussi sur des dichotomies opposant la nature biologique de la sexualité masculine et la nature spirituelle de la sexualité féminine. Les recherches "innovantes" sur la fonction sexuelle constitueraient ainsi un aggiornamento et un renforcement des représentations traditionnelles de la sexualité masculine sous la forme de leur ancrage dans la biologie et la physiologie : inscrite dans la nature biologique et irrépressible du besoin sexuel. Inversement, les recherches sur la fonction sexuelle de la femme, fondées en partie sur des approches organicistes - certes encore balbutiantes -, remettent beaucoup plus en cause les représentations traditionnelles de la sexualité féminine qui accordent une place centrale aux dimensions psychologique, émotionnelle et relationnelle, et à la faiblesse en intensité des désirs et de l'excitation sexuelle. Par ailleurs, les recherches organicistes sur la fonction sexuelle féminine suscitent actuellement des critiques et des oppositions idéologiques et politiques bien plus importantes que celles auxquelles on a pu assister au moment de la mise sur le marché du Viagra qui a révélé le fort ancrage des idées organicistes en matière de sexualité masculine."

 

      Michel BOZON constate une transition démographique accélérée dans les pays en développement qui change les perceptions de la sexualité. Les différentes politique de contrôle des naissance heurtes souvent les perceptions traditionnelles dans des pays comme l'Inde, dans le Maghreb ou au Brésil... Plus qu'ailleurs, un décalage entre classes sociales se manifeste certainement, mais les études ne sont pas très importantes à ce sujet. De manière générale, "dans de nombreux pays du sud qui ont entamé ou achevé leur transition démographique dans les dernières décennies, la disjonction entre activité sexuelle procréative et activité sexuelle non procréative est encore loin d'atteindre le niveau des pays du nord." 

L'auteur croise le résultat de nombreuses études pour comprendre la sexualité dans le couple subjectif contemporain et la rationalisation du plaisir. Nous pouvons citer, outre la grande étude d'ensemble publiée sous la direction de F. de SINGLY (La famille : l'état des savoirs, La Découverte, 1991), Fortune et infortune de la femme mariée, de F. de SINGLY (PUF, 1987), Le soi, le couple et la famille du même auteur (Nathan, 1996), Sociologie du couple, de J-C. KAUFMANN (PUF, 1993), De Kinsey au Sida : l'évolution du comportement sexuel dans les enquêtes quantitatives, de A. GIAMI (Sciences sociales et santé, n°4, 1991), Les mésententes sexuelles et leur traitement, de W MASTERS et V. JONHSON (Robert Laffont, 1971), sans compter les multiples Rapports sur la sexualité déclinés souvent selon la nationalité des participants des enquêtes. 

    "La visibilité et l'acceptation sociale croissantes d'orientations sexuelles alternatives font partie des éléments qui contribuent à redéfinir, à l'époque contemporaine, l'horizon de l'expérience sexuelle pour tous les individus, même si paradoxalement cette extériorisation semble aller à rebours du processus historique de privatisation et de cautionnement des manifestations sexuelles ordinaires à l'intimité." Il cite l'exemple de l'homosexualité (tant masculine que féminine) dans cette évolution, mais là aussi sans doute, faut-il faire la part des choses entre les discours publics et les pratiques dans l'intimité, l'acceptation pour les autres de ces nouvelles sexualités et le quant-à-soi pour l'expérimentation individuelle, pour la majorité des individus... Si dans la sphère publique, on est parfois porté à faire preuve de tolérances - tolérances qui ont des effets tangibles dans la vie quotidiennes des homosexuels et homosexuelles, et qui peuvent aller très loin : mariage homosexuel et procréation assistée pour avoir un enfant dans un couple d'homosexuels - il n'est pas certain que pour la majeure partie de la population, le modèle sexuel traditionnel homme/femme ne soit pas considéré comme une norme en dernier ressort... 

 

Les discours sur la libération sexuelle

    Michel BOZON évoque la coexistence de deux discours contradictoires et complices sur la libération sexuelle :

- d'un côté, la sexualité contemporaine est dénoncée car elle entrainerait le nomadisme sexuel des individus, la tyrannie du plaisir et du désir, la permissivité et la promiscuité. L'affirmation de soi des femmes, qui ne sauraient plus rester à leur place et ne respecteraient plus les rôles naturels des hommes, entrainerait la "dévirilisation" de ces derniers. Ce discours conservateur est particulièrement fréquent dans les pays anglo-saxons, où la défense de la morale sexuelle et des valeurs traditionnelles de la famille sert d'étendard politique et religieux : le simple emploi des termes de permissivité et promiscuité, illustre la réprobation à l'égard des changements.

- de l'autre, on peut lire positivement les transformations contemporaines et y voir une révolution sexuelle, consacrant enfin le droit au plaisir, la libération des minorités sexuelles et l'égalité sexuelle entre femmes et hommes dans le cadre d'un accès généralisé à la contraception ; selon cette interprétation quelque peu "messianique", c'est la période précédente qui doit être considérée comme un âge de répression, d'hypocrisie et de tabou. Les tenants de cette interprétation sont promptes à qualifier de révolutionnaire toute nouveauté comme le viagra, l'échangisme ou le cybersexe. 

    Les études de Michel FOUCAULT sont éclairantes à ce propos car à distance de discours sur la libération sexuelle ou la répression sexuelle, le philosophe revient sur l'évolution historique en substituant à l'opinion défavorable ou favorable sur l'évolution en matière de sexualité un éclairage sur la manière dont s'organisent les différents pouvoirs autour de la sexualité. Si libération sexuelle il y a, les différents appareils de contrôle social mis en place depuis le XVIIe siècle, avec des variations importantes, opèrent toujours. Si répression sexuelle il y a eu, différents courants intellectuels et sociaux agissent depuis la même période, dans le sens de normes sexuelles changeantes certes, mais de normes tout de même, dont les anciennes n'étaient pas dépourvues d'avantages ni pour les individus, ni pour les communautés... 

    Partant d'un questionnement sur "l'hypothèse répressive", Michel FOUCAULT effectue une analyse historique de tout l'appareil de contrôle social de la sexualité. Trois doutes sont à l'origine de son "histoire de la sexualité" :

- la répression du sexe est-elle bien une évidence historique? "Ce qui se révèle à un tout premier regard - et qui autorise par conséquent à poser une hypothèse de départ - est-ce bien l'accentuation ou peut-être l'instauration depuis le XVIIe siècle d'un régime de répression sur le sexe?

- la mécanique du pouvoir, et en particulier celle qui est mise en jeu dans une société comme la nôtre, est-elle bien pour l'essentiel de l'ordre de la répression? "L'interdit, la censure, la dénégation sont-ils bien les formes selon lesquelles le pouvoir s'exerce d'une façon générale, peut-être, dans toute société, et à coup sûr, dans la nôtre?"

- le discours critique qui s'adresse à la répression vient-il croiser pour lui barrer la route un mécanisme de pouvoir qui avait fonctionné jusque-là sans contestation ou bien ne fait-il pas partie du même réseau historique que ce qu'il dénonce en l'appelant répression? "Y-a-t-il une rupture historique entre l'âge de la répression et l'analyse critique de la répression?"

Par ces trois doutes, le philosophe français n'entend pas apporter une dénégation à l'impression de "répression sexuelle", dont il sait très bien que  l'homosexualité en a souffert et en souffre. Mais il se demande surtout si tout l'appareil répressif n'est qu'un appareil répressif, si l'ensemble des pratiques et des discours sur la sexualité n'appartiennent pas plutôt à une mécanique active du pouvoir - de la société sur l'individu. La subtilité des mécanismes de pouvoir ne se laisse pas facilement enfermer dans un discours sur la répression ou la libération sexuelles. "Il s'agit de déterminer, dans son fonctionnement et dans ses raisons d'être, le régime de pouvoir-savoir-plaisir qui soutien chez nous le discours sur la sexualité humaine."

Il met le doigt sur la contradiction qu'il y a de parler de répression sexuelle pour une période où l'on a jamais autant parler, écrit, discouru sur le sexe.  "Censure sur le sexe? On a plutôt mis en place un appareillage à produire sur le sexe des discours, toujours davantage de discours, susceptibles de fonctionner et de prendre effet dans son économie même". Les entreprises de l'État pour connaitre l'état de la sexualité des populations indiquent bien que pour lui, le sexe devient un enjeu, et un enjeu public. Il étudie le fonctionnement des collèges d'enseignement du XVIIIe siècle (dispositifs architecturaux, règlement de discipline, organisation intérieur quotidienne...), lieux primordiaux pour la diffusion d'une idéologie, de prescriptions tout à fait pratiques sur le sexe. Particulièrement, "le sexe des enfants et des adolescents est devenu, (depuis ce siècle), un enjeu important autour duquel d'innombrables dispositifs institutionnels et stratégies discursives ont été aménagés. Il se peut bien qu'on ait retiré aux adultes et aux enfants eux-mêmes une certaine manière d'en parler ; et qu'on l'ait disqualifiée comme directe, crue, grossière. Mais ce n'était là que la contrepartie, et peut-être la condition pour que fonctionnent d'autres discours, multiples, entrecroisés, subtilement hiérarchisés, et tous fortement articulés autour d'un faisceau de relations de pouvoir". 

"... il s'agit moins d'un discours sur le sexe que d'une multitude de discours produits par toute une série d'appareillages fonctionnant dans des institutions différentes. Le Moyen Age avait organisé autour du thème de la chair et de la pratique de la pénitence un discours assez fortement unitaire. Au cours des siècles récents, cette relative unité a été décomposé, dispersée, démultipliée en une explosion de discursivités distinctes, qui ont pris forme dans la démographie, la psychologie, la morale, la pédagogie, la critique politique. Mieux : le lien solide qui attachait l'un à l'autre la théologie morale de la concupiscence et l'obligation de l'aveu (le discours théorique sur le sexe et sa formulation à la première personne), ce lien a été sinon rompu, du moins détendu et diversifié : entre l'objectivation du sexe dans des discours rationnels, et le mouvement par lequel chacun est mis à la tâche de raconter son propre sexe, il s'est produit depuis le XVIIIe siècle, toute une série de tensions, de conflits, d'efforts d'ajustement, de tentatives de transcriptions. Ce n'est donc pas simplement en termes d'extension continue qu'il faut parler de cette croissance discursive ; on doit y voir plutôt une dispersion des foyers d'où se tiennent ces discours, une diversification de leurs formes et le déploiement complexe du réseau qui les relie. Plutôt que le souci uniforme de cacher le sexe, plutôt qu'une pudibonderie générale du langage, ce qui marque nos trois derniers siècles, c'est la variété, c'est la large dispersion des appareils qu'on a inventés pour en parler, pour en faire parler, pour obtenir qu'il parle de lui-même, pour écouter, enregistrer, transcrire et redistribuer ce qui s'en dit. Autour du sexe, toute une trame de mises en discours variés, spécifiques et coercitives : une censure massive, depuis les décences verbales imposées par l'âge classique? Il s'agit plutôt d'une incitation réglée et polymorphe aux discours". 

Le philosophe s'efforce alors de montrer les évolutions de trois grands codes, qui, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, régissent les pratiques sexuelles : le droit canonique, la pastorale chrétienne et la loi civile. L'élaboration d'une scientia sexualis (de la médecine, de l'hygiéne à la psychanalyse) se situe au coeur de cette évolution, rompant définitivement, mais s'en alimentant d'une certaine façon, avec une ars erotica, que des sociétés, en Chine, au Japon, en Inde, à Rome ou dans le monde arabo-musulman ont construit dans son plus ample développement.

 

Michel FOUCAULT, Histoire de la sexualité, Tome I, La volonté de savoir, Gallimard, 1976. Michel BOZON, Sociologie de la sexualité, Nathan Université, 2002. Alain GIAMI, Fonction sexuelle masculine et sexualité féminine, Permanence des représentations du genre en sexologie, dans Revue Communications, n°81, 2007. 

 

SOCIUS

 

Relu le 18 juin 2021

 

 

 

 

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11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 12:35

        Professeur américain d'entomologie et de zoologie, Alfred Charles KINSEY est célèbre pour avoir fait publier deux importantes études sur le comportement sexuel de l'homme et de la femme : Sexual Behavior in the Human Male (1948, réédité en 1998) et Sexual Behavior in the Human Female (1953, réédité également en 1998).

Fondateur en 1947, au sein de l'Université de l'Indiana à Bloomington, d'un Institute for Research in Sex (Institut pour la recherche sur le sexe), financé par la Fondation Rockefeller, rebaptisé plus tard Kinsey Institue for Research in Sex, Gender and Reproduction (couramment appelé Kinsey Institute, le professeur américain, avec ses collègues, ouvre la voie par ses rapports à toute la sexologie clinique, à commencer par les travaux de MASTER et JOHNSON.

Premier professeur important à produire des études sur la sexualité humaine sous cet aspect, dans une ambiance plutôt hostile, il provoque le scandale dans beaucoup de couches sociales de la population des États-Unis. Si ses travaux sont critiqués sur des questions de méthodologie qui obèrent certains de leurs résultats, le faisceau d'attaques vise le fait même de mener de telles recherches sur la sexualité. Sous couvert de critiques scientifiques (en elles-mêmes parfaitement valides), c'est son impact sur la perception de la sexualité, au détriment de l'influence d'institutions traditionnelles, qui soulève les protestations. Parfois ouvertement, sous forme d'attaques judiciaires pour violation de la loi de certains États, souvent à mots couverts, sous l'impulsion de voix religieuses. Ces voix religieuses protestent notamment contre l'enseignement de la sexualité dans les institutions éducatives et contre la libéralisation de la législation dans de nombreux États des États-Unis sur le divorce, l'adultère, les relations sexuelles hors mariages...

       L'influence de ces rapports, imités souvent dans d'autres pays, même si ces derniers n'utilisent pas les mêmes méthodes (notamment sur l'organisation des entretiens), sur l'ensemble de la société, et pas seulement américaine, est très importante. Même si d'autres courants sociologiques ne reprennent pas ses analyses, ces rapports ouvrent l'expression jusque là étouffée de réflexions sur la sexualité humaine. Nombre de courants de libération sexuelle (féminisme, homosexuels...) y trouvent des aliments pour leur développement. Ils provoquent encore aujourd'hui d'intenses discussions, même s'il est difficile d'établir avec certitude quels effets ils ont eu sur le public. En tout cas, ils sont très discutés tant sur la scène académique que dans la culture populaire. Du vivant de l'auteur, les critiques sont d'autant plus vives que celui-ci refuse de répondre à nombre d'entre elles et met même fin à des collaborations de confrères critiques. Le mélange des conflits d'ordre professionnels et d'ordre scientifique fait presque des rapports Kinsey un cas type dans nos réflexions sur le conflit.

   Certains auteurs estiment, pour le dénoncer, comme Judith A? REISMAN et Edward W. EICHEL (Kinsey, Sex and Fraud, 1990) que ses études sont le point de départ de toute une révolution sexuelle et ont servi de base aux récriminations du mouvement gai. Plus, ils jouent un rôle majeur directement ou indirectement dans l'établissement des valeurs de la majorité des Américains d'aujourd'hui.

 

     Les rapports Kinsey remettent en cause la vision hétérocentrée qui prédominait aux États-Unis dans les années 1950. Ces travaux de recherche mettent en évidence la diversité des orientations sexuelles : ainsi, d'un tiers à la moitié de la population américaine aurait eu une expérience homosexuelle, sans que cela ne remette en cause les rapports hétérosexuels. Si ces propositions sont sans doute exagérées, elles mettent en cause tout une vision dominante religieuse et conservatrice. Sur deux plans : qu'une proportion importante s'adonne à des expériences homosexuelles (ce qui peut être vrai tant les institutions non mixtes abondent aux États-unis) constitue déjà en soi un scandale, mais qu'en plus ces expériences n'endommagent pas les relations hétérosexuelles par la suite est encore plus scandaleux... 

     Les découvertes des deux rapports Kinsey peuvent être énoncés de la manière suivante :

- Orientation sexuelle: Différentes parties de ces rapports à propos de la diversité de l'orientation sexuelle sont régulièrement mises à contribution pour affirmer qu'environ 10% de la population humaine est homosexuelle. Cependant, le Professeur KINSEY évite et désapprouve l'utilisation de termes comme homosexuel et hétérosexuel pour décrire les individus, affirmant que la sexualité évolue au fil du temps et que le comportement sexuel peut à la fois être vu comme un contact physique et une manifestation de la pensée (désir, attirance sexuelle et surtout fantasme). A la place de 3 catégories - hétérosexuel, bisexuel et homosexuel - largement utilisé dans la communauté scientifique, il propose un système à 7 degrés. Son échelle catégorise les comportements sexuels de 0 à 6, allant de complètement hétérosexuel à complètement homosexuel. Par le suite, ses collègues crée une catégorie 7 pour catégoriser les asexuels. Cette échelle est par la suite souvent utilisée dans les études de sexologie.

- Fréquence des rapports sexuels dans le mariage et hors mariage. Il établit, pour les hommes comme pour les femmes la fréquence moyenne des coïts au sein des couples mariés. Étudier cette fréquence est un passage maintenant obligé des rapports sur la sexualité. Certains par la suite mettent en relief la baisse tendancielle de cette fréquence d'une génération à une autre, baisse variable suivant les âges, mais qui se manifeste également par des taux de fécondité décroissants.

Alfred KINSEY estime qu'environ la moitié de tous les hommes mariés ont eu des relations sexuelles extra conjugales. Mais comme il avait catégorisé les couples qui avaient vécu ensemble pour au moins un an comme étant mariés, cela biaise les résultats.

- Qualité des rapports sexuels. 12% des femmes et 22% des hommes ont rapporté avoir eu une relation sadomasochiste. La catégorie sadomasochiste étant soumise à définition variable dans les rapports qui suivront, il est difficile d'établir le degré des violences - réelles ou fantasmées - des relations sexuelles.

     Le premier rapport Kinsey, fastidieux et lourd de mille vingt pages, a tout de même rencontré une réussite commerciale inattendue aux États-Unis. Il est divisé en trois parties : historique et méthode ; facteurs déterminant l'activité sexuelle ; sources des manifestations sexuelles.

Le second rapport, instruit par le succès du premier, s'adresse plus au grand public : plus concis (730 pages), écrit sur un style plus léger, il abrège la première partie sur la méthode, s'attarde sur les comportements sexuels des femmes tandis que la troisième partie compare les femmes aux hommes. Le spectre des stimulations et activités sexuelles est assez large puisqu'il englobe les rêves érotiques nocturnes, la masturbations, le coït, les pratiques hétérosexuelles et homosexuelles, le recours à la prostitution, les pratiques avec des animaux. Les caresses se multiplient dans une variété que les traducteurs peinent à rendre. 

 

       Les critiques ne portent pas surtout réellement sur les résultats eux-mêmes mais sur la méthodologie suivie, ce qui influe évidemment sur les résultats. On peut noter d'ailleurs dans les différents rapports publiés à la suite que les mêmes objets de recherche sont poursuivis : orientation sexuelle, fréquence des rapports sexuels, qualité des rapports sexuels...

    Les données furent principalement recueillies lors d'interviews, codées pour maintenir la confidentialité. Les journaux intimes de personnes condamnées pour avoir eu des relations avec des enfants (mineurs de moins de dix-huit ou seize ans en fait...) furent aussi mis à contribution. Les données furent saisies dans des banques de données pour faciliter leur traitement. Tout ce matériel incluant les notes des premiers chercheurs, peut encore de nos jours être consulté au Kinsey Institute par les chercheurs autorisés. Les problèmes ne résident donc pas sur la confidentialité.

Les travers méthodologiques reprochés aux travaux de KINSEY sont de trois ordres :

- Échantillonnage : Une proportion significative des sujets étaient des prisonniers ou des prostitués. Les personnes qui ont participé aux interview sur des sujets tabous étaient probablement volontaires, du coup d'opinions plutôt libérales ou tolérantes, ce qui crée bien entendu un biais statistique vis-à-vis de la population étudiée (l'ensemble de la population américaine). Par la suite, les successeurs d'Alfred KINSEY, notamment Paul GEBHARD, à l'Institut ont procédés à l'élimination des données provenant des détenus.

En 1979, Paul GEBHARD et B JOHNSON publient The Kinsey Data : Marginal Tabulations of the 1938-1963 Interviews Conducted by the Institute for Sex Research. Ils indiquent qu'aucune des valeurs originalement estimées par KINSEY n'était perturbée de façon significative par ces biais. Pour eux, les prisonniers, les prostitués mâles et ceux qui avaient volontairement participé aux études sur les tabous sexuels avaient les mêmes tendances sexuelles que la population en général... D'autres études, cependant, minorent très fortement ensuite la proportion de contacts homosexuels. 

- Fraudes concernant les sources : Des observations sur la sexualité infantile sont entachées de survalorisation statistique (un seul témoignage de pédophile condamné aurait été transformé en observation d'expériences d'orgasmes pré-pubères et présenté comme synthèse de plusieurs témoignages...). Il semble que, dans les deux rapports, des généralisations son faites à partir de cas-limites...

- Motivations personnelles de l'auteur. Des buts cachés de KINSEY (appétit pour du sexe hors norme et dédain de la morale sexuelle traditionnelle de l'époque, l'incitant à éliminer la culpabilité autour du sexe et à miner la morale traditionnelle) orientent les travaux de l'Institut.

Le flot de "témoignages" biographiques dénigrant son travail n'est finalement qu'un exemple de la banalisation des attaques personnelles dans les milieux scientifiques aux États-Unis (on passe très facilement du qualificatif de faussaire à celui d'amoral...). Ce genre d'attaque, en provenance de groupes fondamentalistes, se sont multipliées dans les années 1990, en parallèle avec les développements de la "révolution conservatrice". De toute manière, il fallait sans doute une bonne dose d'attitude critique par rapport à la morale traditionnelle pour oser faire publier à l'époque de tels rapports...

 

      Sylvie CHAPERON, Maitre de conférence d'histoire contemporaine à l'Université de Toulouse II, dans son étude sur la réception des rapports Kinsey en France, explique que dans l'histoire des sexualités féminine et masculine, "les rapports Kinsey marquent un tournant. Pour les chercheurs d'aujourd'hui (qui sont surtout des sociologues), Alfred Kinsey et son équipe sont les fondateurs de la sexologie moderne. (...) Alfred Kinsey prend pour objet le plaisir - qu'il mesure par l'orgasme - et non plus la reproduction. La sexualité se détache ainsi d'un modèle biologique pour rejoindre une vision démocratique. Déplacement qui s'accompagne d'une nouvelle morale, non plus soucieuse de normalité des pratiques mais de respect égalitaire du ou des partenaires. (...)

Toute la seconde partie du Comportement sexuel de l'homme montre (...) les "facteurs déterminant l'activité sexuelle" : âge, situation matrimoniale, niveau social, situation rurale ou urbaine, formation religieuse. Mais il est vrai que la personnalité psychique de l'individu importe peu pour cette comptabilité sociale. Sous disposer d'autant de recul, les contemporains du chercheur américain perçoivent aussi sa radicalité nouveauté, pour la déplorer ou s'en féliciter. Bruce Bliven, journaliste au New Yorker, pense que le rapport Kinsey contient plus de dynamite qu'aucun autre document scientifique publié depuis le livre de Darwin sur l'origine des espèces (cité par ERNST et LOTH, La vie sexuelle en Amérique et le rapport Kinsey, Paris, SFELT, 1948)." 

      Sur la longue latence des questions sexuelles en France, elle remarque que "les délais de traduction sont, pour une fois, exceptionnellement courts. Sexual Behavior in the Human Male, sorti en 1948 aux Etats-Unis, est imprimé en décembre de la même année par les éditions du Pavois et Sexual Behavior in the Human Female, paru en 1953, sort un an plus tard aux éditions Amiot-Dumont.

Pourtant les ouvrages de sexologie ont d'ordinaire peu de succès en France. Le fondamental Psychopathia écrit par Kraff-Ebong en 1886, et considéré par beaucoup comme l'acte de naissance de la sexologie, est traduit une première fois en 1931 (...). Cette exception s'explique à la fois par la nouveauté des rapports et par le contexte d'après-guerre. Alfred Kinsey ne se place pas sur le même terrain que ses prédécesseurs. Il ne veut produire ni un tableau clinique des normalités ou déviations sexuelles (...) ni une théorie de la libération (...). Plus modestement, il veut brosser à grands traits le tableau des pratiques sexuelles de ses contemporains, à partir d'un large échantillon de la population. Cette volonté descriptive rebute moins que les jargons scientifique ou politique des autres sexologues. De plus, à la Libération, l'édition connait un dynamisme inhabituel. (...). (L')histoire mouvementée (rachats de départements des maisons d'éditions qui disparaissent, rachetés par d'autres) rend très difficile l'étude de la réception des rapports Kinsey en France.

Les publications ultérieures sur les rapports Kinsey n'ont pas non plus laissé d'archives ou celles-ci ont été perdues. Les dossiers de presse, les chiffres des tirages et des ventes, la correspondance entre les auteurs et les traducteurs, tous ces documents précieux sont hors de portée. Heureusement, Daniel Guérin, auteur d'une remarquable étude sur Kinsey et la sexualité, qui sort en librairie peu de mois après le second rapport, a conservé de très nombreux documents, classé et remis à la BDIC. (...).

      Contrairement au cas américain, les analyses pionnières de Kinsey ne semblent pas voir provoqué en France, dans un premier temps du moins, de nombreuses prises de position. Jusqu'au début des années 1950, seule la presse à sensation, les humoristes ou les amateurs de littérature érotique se sont emparés du premier rapport. (...) Ce relatif silence tient à l'état de la sexologie dans la France des années 1960 et 1970.

Depuis la fin du XIXe siècle, l'étude scientifique de la sexualité connait un fort essor (dans les pays protestants notamment), (mais) en France ces idées s'imposent difficilement. (...) De surcroit, le climat particulier de la guerre froide suscite des conflits qui occupent déjà bien assez les uns et les autres. Dans ces années où la morale la plus étroitement conformiste triomphe, la psychanalyse, accusée de n'être que propos complaisant sur la sexualité, est prise à partie aussi bien par les communistes que par les catholiques. (...). Mais d'un côté comme de l'autre, ces attaques contre la psychanalyse visent en fait l'émergence d'une nouvelle attitude devant la sexualité. Ces discours nouveaux parés des vertus scientifiques, qu'elles soient sexologiques ou psychanalytiques, tentent d'extraire la sexualité de la morale du péché et de faire du plaisir un des moteurs humains fondamentaux. (...) Ainsi les années dures de la guerre froide n'autorisent pas un vrai débat autour du premier rapport Kinsey.(...). En 1954, lors de la publication du second rapport, un climat politique et culturel plus serein permet cette fois l'émergence de la discussions. Outre le second rapport Kinsey et le commentaire de Daniel Guérin, cette année voit sortir une profusion d'ouvrages sur la sexualité. C'est aussi en janvier 1954 que parait le premier numéro d'Arcadie, revue littéraire et scientifique "homophile". (...)." Parmi les communistes, la croisade contre la psychanalyse décline et parmi les catholiques, bien des voix réclament aussi une réhabilitation des plaisirs de la chair, pourvu qu'ils prennent place dans le cadre légitime du mariage.

Sylvie CHAPERON met en évidence la radicalisation des propos du biologiste américain en opérant une relecture, comme Daniel Guérin le fait, de ses écrits à travers les réflexions de Wilhelm REICH. Des rapprochements entre KINSEY et MARX suscitent des réactions fortes. De même, le rejet des théories freudiennes sur la sexualité, notamment féminine, provoque des débats féroces entre certaines sexologues et psychanalystes. Par exemple, Alfred KINSEY conteste le monisme sexuel de FREUD et réfute, le premier, totalement l'orgasme vaginal. Par ailleurs, Alfred KINSEY estime que si la sexualité des filles est moins précoce, plus discontinue, moins variée que celle des garçons, c'est parce qu'elle subit une répression bien supérieure. Il est proche d'une certaine manière de la démarche de Simone de BEAUVOIR, et d'une partie du mouvement féminisme qui trouvent dans le deuxième rapport, matière à étayer les revendications égalitaires. En réaction, sur cette question de la sexualité féminine, l'ouvrage de BERGLER et KROGER, l'un psychanalyste, l'autre gynécologue (L'erreur de Kinsey, ce qu'il n'a pas dit sur la femme et son comportement sexuel, Paris, Pierre Horay, 1955), parmi d'autres, se veut une réfutation de la "masculinisation des femmes" que l'auteur américain opère. Mais, toujours d'après Sylvie CHAPERON, "le débat le plus important concerne l'homosexualité.

Kinsey introduit une rupture importante avec la vision que la sexologie avait progressivement imposées depuis le fin du XIXe siècle. A la suite de Michel Foucault, les historiens insistent sur "l'invention" de l'homosexualité, opérée par la psychiatrie. Prenant le relais des théologiens, de la police et des juges, la médecine investit le terrain des crimes et délits sexuels en établissant une taxinomie des perversions (terme qui apparait en 1885). Le sodomite, simple adepte d'une pratique sexuelle, devient alors l'homosexuel, "individu réduit à une particularité sexuelles (F. TAMAGNE, Histoire de l'homosexualité en Europe. Berlin, Londres, Paris, 1919-1939, Seuil, 2000). Il cesse d'être un criminel mais pour devenir un malade. (...). Une altérité se met en place entre le normal, l'hétérosexuel, et le pathologique, l'homosexuel."

Alfred KINSEY pousse plus loin que ses prédécesseurs les réflexions sur l'homo, l'hétéro et la bi sexualités. "Guidé par la variabilité des comportements, il instaure tranquillement un continuum des pratiques qui gomme toute altérité." Même si la plupart des auteurs (même Donald Webster CORY, auteur de L'homosexuel en Amérique, après une étude de l'intérieur de la communauté homosexuelle - Pierre Horay-Editions de Flore, 1952) estiment la proportion des homosexuels (10%, mais presque le tiers a une expérience homosexuelle) dans la population américaine exagérée, le débat tourne désormais autour de la libération sexuelle et au moins de la fin d'une stigmatisation. Même si, encore de nos jours, aux États-Unis comme en Europe, des résistances s'organisent contre cette libération sexuelle, au nom souvent de la morale. 

En conclusion, Sylvie CHAPERON écrit : "L'oeuvre de Kinsey préfigure par bien des aspects les revendications des nouveaux mouvements sociaux qui émergeront des années plus tard dans les société occidentales. Tout comme lui, les Women's Lib nieront l'existence de l'orgasme vaginal, tout comme lui les mouvements homosexuels lutteront contre les discriminations. Pourtant aujourd'hui encore les conclusions d'Alfred Kinsey trouvent des adversaires. Le Monde s'est ainsi fait l'écho d'une biographie à scandale qui tendait à décrédibiliser le biologiste américain par des allusions à sa vie privée, d'où la réponse d'Eric Fassin "pour faire oeuvre de savant, un brevet de bonnes moeurs serait-requis?" (E. Fassin, A propos de Kinsey : la science a-t-elle un sexe?, Le Monde, 30 avril 1998). 

 

Alfred KINSEY et collaborateurs, Le comportement sexuel de l'homme, 2ditions du Pavois, 1948 ; Le comportement sexuel de la femme, Le Livre contemporain Amiot-Dumont, 1954.

Sylvie CHAPERON, Kinsey en France : les sexualités féminine et masculine en débat, Le Mouvement social, n°198, 2002, La Découverte. (disponible sur le site Cairn.info).

 

Relu le 20 juin 2021

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10 septembre 2013 2 10 /09 /septembre /2013 13:23

          D'emblée, nous pouvons constater, avec Michel BOZON, Directeur de recherches à l'Institut National d'Etudes Démographiques à Paris (INED) et auteur de plusieurs livres sur le sujet, qu'il n'existe pas de sociologie de la sexualité. Scruter des approches sociologiques revient dans ce cas à repérer dans de nombreuses disciplines différentes réflexions - descriptions et prescriptions confondues - sur la sexualité.

Comme la sexualité joue un rôle majeur dans les sociétés humaines, y compris dans le maintien d'un ordre établi, et d'abord celui des sexes, mais également dans la représentation de l'ordre des générations, et qu'elle touche autant à l'individuel qu'au collectif, de multiples domaines de la vie culturelle des sociétés l'abordent de manière extrêmement variable, sous des angle artistiques - érotique ou pornographique - et/ou sous des angles scientifiques, mais d'abord opératoires - par lequel se façonne l'ensemble même de la société. Ce qui fait que tour à tour - ici cité dans le désordre -l'ethonologie, l'histoire, la théologie, la médecine, la psychologie, la psychanalyse, la philosophie, la démographie, la science politique, la sociologie de la littérature... dans un ensemble de notions et d'intentions contradictoires et dynamiques.

"La sexualité, écrit Michel BOZON, est une sphère spécifique mais non autonome du comportement humain, qui comprend des actes, des relations et des significations. C'est le non-sexuel qui donne sa signification au sexuel, et non l'inverse. Les limites même du sexuel sont mouvantes, historiquement, culturellement et socialement. Sous l'influence de la psychanalyse, nous nou sommes habitués à penser que nombre de nos comportements ordinaires s'expliqueraient par un inconscient sexuel, alors que plus fondamentalement, il convient sous douter d'identifier l'inconscient social et culturel à l'oeuvre dans note activité sexuelle. Ainsi le primat persistant du désir des hommes et la tendance à ignorer celui des femmes ne découlent pas d'une logique intrinséque de la sphère sexuelle, mais sont un des aspects d'une socialisation de genre différentielle, qui ne se manifeste pas seulement dans la sexualité. Les savoirs, les représentations et les connaissances sur la sexualité, et d'une manière générale, les disciplines qui abordent la sexualité sont eux-mêmes des produits culturels et historiques qui contribuent à modeler et à modifier les scénarios culturels de la sexualité et à faire advenir, voire à fixer, ce qu'ils décrivent."

    il faut noter d'emblée que l'ensemble de la sexologie, science humaine qui entend précisément étudier les aspects individuels et interpersonnels de la sexualité humaine, s'est développée, comme nombre d'autres réflexions sur la sexualité, parallèlement, en dehors et parfois contre la psychanalyse. En tout cas, nombre d'approches sociologiques de la sexualité se veulent autonome par rapport aux concepts métapsychiologique de la psychanalyse, autant pour des raisons de luttes professionnelles, de combats éditoriaux et littéraires, que de volonté d'approfondir autrement les divers aspects de la sexualité... le tout sousvent dans une ambiance conflictuelle où acteurs religieux et laïques s'affrontent sur la définition même de celle-ci et sur son ancrage dans la nature. Dans cette ambiance conflictuelle, les recherches en matière sexuelle sont parfois difficiles, en tout cas très compliquées (certains diraient que nous faisons là de la litote...). Les différentes chercheurs ou praticiens sont encore souvent en bute à une morale sexuelle qui désigne leurs approches comme immorales ou amorales, sinon aiguillonnées par des "pensées malsaines".

 

     Henri VAN LIER (1921-2009), philosophe belge francophone, estime que la sexualité humaine connait aujourd'hui trois approches principales, mais il s'agit d'une manière comme une autre de tenter de sérier les connaissances à ce sujet :

- Une approche physiologique et psychologique expérimentale. La sexualité "est une fonction parmi d'autres, une pulsion (drive) à côté de la soif, de la faim, du sommeil. Assurément, elle ne se range pas, comme ces derniers, dans les besoins primaires, dont la satisfaction est indispensable à la conservation de l'individu. Elle ne se réduit pas non plus à un instinct au sens des éthologistes, c'est-à-dire à des mécanisme nerveux tout montés, puisque l'exemple de congenères avertis intervient dans sa mise en place. Bien plus, c'est un besoin problématique, car il doit composer avec les exigences du travail et passe par des excitants symboliques qui le rendent à la fois moins urgent et plus permanent. Mais enfin, dans cette perspective, on reste sur le terrain solide de la théorie du comportement motivé, où l'accouplement et la masturbation solitaire ou réciproque apparaissent comme le résultat de l'intégration progressive de comportements partiels, joints en série compréhensives par le renforcement de la récompense. Le rapport Kinsey dénombre les variétés (somme toute restreintes) et les occurences (somme toute constantes) de ces comportements pour un échantillon donné. Plus significativement, les éters de Masters et Johnson nous apprennent que les soubassements physiologiques des réactions sexuelles (phase d'excitation, phase en plateau, organsme, résolution) sont stables et parallèles d'un sexe à l'autre, d'un individu à un autre.

- Une approche psychanalyse. "La théorie et la pratique de Freud supposent que les organes et les comportements sexuels fonctionnent littéralement comme des systèmes de signes et d'images (...) en des équivalences et des ambivalences, des métaphores et des métonymies constituant un vraie dialectique." 

- une approche attentive "aux séquences sensori-motrices de l'accouplement (organsme en tant que porté par la caresse), ce qui la distingue de la psychanalyse traditionnelle ; mais elle recherche leur sens fondamentale, ce qui la différencie du béhaviorisme. Ainsi pour S Ferenczi, l'intromission et le "sommeil" du coït accomplirait ontogénétiquement le retour à la mère, et phylogénétiquement le retour à la mer. Senblablement, le vertige sexuel apparait à G Bataille comme la transgression momentanée du discontinu que sont l'organisme (individuel) et le travail (social), vers le continu de l'espèce et de la procréation, le magma vie-mort, vie, qui fait le fond de la réalité.  De même encore, les existentialistes ont décrit certains aspects du "vécu" érotique (en particulier la pudeur et l'obscène) à l'appui de leurs vues sur l'être-au-monde, l'être-avec, la relation sujet-objet, l'incarnation, l'intentionalité, la détotalisation ; et H Van Lier, à la suite de A H Maslow, a mis en relief, dans la caresse et l'organsme, un type de perception et de réalisation de l'espace et du temps, parallèle à celui de l'art majeur et de la mystique, permettant de comprendre que le coït soit le lieu de la symbolisation, de la fantasmatisation et du plaisir dans un sens réconciliant la pulsion de vie et la pulsion de mort. H Marcuse a présenté le sexuel libéré comme le pôle opposé au rendement répressif. Mais de pareilles observations ne sont pas le propre des philosophes et des phénoménologues, et l'on trouve les plus pénétrantes chez les poètes et les romanciers, dans L'Ulysse de James Joyce, dans La Route des Flandres, de Claude Simon et surtout dans Amers ("Etroits sont les vaisseaux") de Saint-John Perse. 

    Le fonctionnement de toutes ces lectures confirme d'abord le sociologue dans l'impression que lui fait l'observation de la vie quotidienne, à savoir que la sexualité est redevenue en Occident, après vingt-cinq siècles d'existence souterraine - un thème central. Il peut coir alors dans l'approche béhavioriste l'aboutissement d'une mentalité positiviste et hygiéniste, d'autant plus désireuse de réduire l'activité sexuelle à des schémas simples qu'elle se prête à la mystification. il remarquera la connivence entre la virtuosité dialectique des "objets" sexuels dans la psychanalyse et la suprématie actuelle de la linguistique et de la sémiologie. Il notera, à propos de l'approche rythmique, que le coït est le dernier lieu de nature pure (brute) dans un monde artificialisé et urbanisé ; et par ailleurs, que son type de communication préverbale est un détour presque inévitable pour des individus que l'équivocité des discours sociaux contraint à refonder sans cesse - seuls ou plutôt en couple (P Berger et H Kellner) - leur langage."

Ces trois approches, qui ne couvrent pas l'ensemble des recherches sur le sujet, n'ont pas la même audience. "... la lecture hygiéniste (à laquelle se rattache l'asepsie souriante du sex-shop) et la lecture sémiologique (sur laquelle s'appuie le fétichisme de la pornographie) se partagent la faveur du commun et des doctes, tandis que sont relativement peu évoquées, voire reléguées dans l'essayisme, les possibilités conjonctives et rythmiques. Or ce sont ces dernières qui furent privilégiées par toutes les cultures extra-européennes (....) (Nous retrouvons là la distinction entre l'ars erotica et la cognita scientifica chère à Michel FOUCAULT) et qui , en Occident mêmes, étaient encore alléguées (non sans défiance, il est vrai) dans les mythes platoniciens de l'androgynie et de l'enthousiasme, avant qu'Aristote formule une interprétation biologique du sexe, dont l'Eglise romaine et ses adversaires laïcs devaient être, malgré leurs conclusions divergentes, également héritiers.

Ainsi, l'Occident actuel compenserait certains inconvénients de la société industrielle par la revalorisation de la sexualité. Mais, selon une loi connue, il concevrait cette formation réactionnelle en privilégiant les deux modèles qui précisément commandent l'industrie : celui du rendement, dans l'hygiénisme behavioriste, et celui de l'informatique, dans la sémiologie psychanalytique. Ces deux modèles seraient encore favorisés du fait qu'ils conspirent avec l'obsession phallique, propre à l'héritage grec de la forme (eidos, forma, Gestalt), et qu'ils se prêtent le mieux au discours, et donc aussi à une pédagogie sexuelle, dans une culture qui a remplacé l'initiation, que suppose la transmissions d'un rythme, par la démonstration.

Cela inciterait à prévoir une montée de la perversion - qu'on la déplore ou qu'on s'en réjouisse avec une partie de l'intelligentsia. A moins que, selon la perspective de H Marcuse et de W Reich, les modèles du rendement et de l'informatique étant arrivés à un point de contradiction, la société industrielle ne soit containte (et capable, en devenant postindustrielle) de redécouvrir le rythme-plaisir et le rythme-présence comme le fondement de l'existence, supportant le travail lui-même ou formant avec lui les deux moments d'une respiration d'ensemble. En ce cas, la révolution sexuelle, dont il est beaucoup parlé, passerait par la révolution du plaisir."

 

    Dans sa recherche d'une sociologie de la sexualité, Michel BOZON distingue trois moments :

- Le processus parallèle d'autonomisation de la sexualité et d'émergence d'une subjectivité moderne. "Longtemps  la reproduction a paru inscrite dans l'ordre des choses, témoignant d'un ordre de sexes immuable. L'émergence du sujet et d'une subjectivité moderne s'est accompagné de l'autonomisation d'un domaine de la sexualité, distinct de l'ordre traditionnel de la procréation. Le refoulement progressif des fonctions corporelles et des émotions au cours du processus de civilisation, l'augmentation de la réserve et de la distance entre les corps, l'apparition d'une sphère intime protégée s'appuyant sur des relations interpersonnelles fortes sont allés de pair avec une volonté de savoir et un désir d'interpréter les mouvements secrets du corps, dont témoigne l'apparition au XIXe siècle du terme même de sexualité et des premières disciplines qui la prennent pour objet, en rupture avec l'ancienne rhétorique religieuse de la chair. Les trajectoires et les expériences sexuelles, qui se diversifient fortement à l'époque contemporaine, deviennent un des fondements principaux de la construction des sujets et de l'individualisation."

- Les contextes et les rapports sociaux dans lesquels s'inscrivent aujourdh'ui les conduites sexuelles. "A l'époque contemporaine, les interactions sexuelles sont de moins en moins codifiées a priori. Elles ne sont pas devenues "libres" pour autant. Chaque acteur n'est pas en permanence en train d'improviser son rôle, sans mémoire, sans partenaire, sans public. Le cadre, le répertoire et les significations de l'interaction sexuelle sont d'abords inscrits dans les formes instituées des relations entre les individus. Les rapports de genre, les rapports de génération, les rapports entre classes sociales comme entre les groupes culturels ou ethniques, structurent les perceptions du possible, du souhaitable et de la transgression en matière de sexualité. Et parce qu'elle fait corps avec les individus et qu'elle ne peut pas être mise à distance facilement, l'expérience sexuelle, rêvée ou pratiquée, contribue à faire passer pour naturels les rapports sociaux qui lui ont donné naissance."

- Les scénarios du désir, tels que les récits culturels, les individus eux-mêmes et la médecine les construisent. "S'il n'existait pas de rituels et de représentations de la sexualité, ni d'histoires qui la mettent en scène, il n'y aurait pas d'activité sexuelle humaine, ni de relations sexuelles. Pour agir sexuellement, les humains n'ont pas seulement besoin d'apprendre des pocédires : ils doivent élaborer mentalement ce qu'ils font, ont fait ou vont faire et ainsi lui donner sens. Dans la société médiévale ou classique, où la religion entendait encadrer la chair, la mise en route des corps et l'engagement dans des relations s'appuyaient sur un nombre limité de situations et de rituels sociaux. Dans les sociétés individualisées contemporaines, désirs et relations nécessitent des improvisations personnelles et interpersonnelles de plus en plus complexes, qui se construisent à partir d'expériences vécues ou connues par les individus et de représentations culturelles disponibles. Avec le déclin du discours religieux, la médecine et la psychologie sont de plus en plus utilisées comme support d'une nouvelle normativité plus technique des conduites et des fonctionnements sexuels".

 

   Il faudrait sans doute ajouter plusieurs éléments qu peuvent s'intégrer dans ce que pourrait être une sociologie de la sexualité :

- Le poids des religions par le passé dans l'Occident a laissé des traces et ces traces influent encore jusqu'aux comportements individuels ;

- La place de la religion dans les sociétés non occidentales, et notamment par le jeu des migrations à l'échelle de la planète et par la recherche d'un sens de la vie que beaucoup estime perdu, se retrouve dans les société occidentales, dans la définition et la représentation de la sexualité ;

- Dans les comportements sexuels intimes, la part de la réalité et du fantasme, entre la réitération de comportements finalement traditionnels même avec d'autres justifications et la projection dans l'espace public, notamment par les médias, de comportements "libérés", s'avère sans doute autre que celle du discours savant sur la sexualité. La difficulté pour des groupes dont la sexualité étaient considérés comme déviantes par le passé, de se voir reconnaitre plein droit de cité, reflète sans doute cet écart.

- Au sein d'une même société laïcisée, des contradictions sur les comportements sexuels peuvent demeurer importants. Il y a sans doute des conflits de représentation de la sexualité bien plus vifs que ne le laisserait montrer une évolution sensible de la sexualité.

 

Michel BOZON, Sociologie de la sexualité, Nathan Université, 2002 ; Henri VAN LIER, article Sexualité - Introduction, dans Encyclopedia Universalis, 2004.

 

 

 

SOCIUS

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9 septembre 2013 1 09 /09 /septembre /2013 12:37

                 Seule revue européenne bilingue pluridisciplinaire de sexologie, la revue trimestrielle (plus les suppléments) fondée en 1992 est l'organe officiel de l'European Federation of Sexology et est éditée en collaboration scientifique avec l'Association Interdisciplinaire post-Universitaire de Sexologie (AIUS) qui rassemble les enseignements universitaires français de sexologie depuis 1983. Autour du docteur Mireille BONNERBALE, l'équipe, composée également de Robert PORTO, Alain GIAMI et de Marie-Hélène COLSON, propose des études dans le domaine de la sexualité : recherche fondamentale anatamo-physiologique, évaluations psychodynamiques, cognitivo-comportementale et relationnelle des difficultés sexuelles, avancées et actualités sur la santé sexuelle, données épidémiologiques, sociologiques, médico-légales, informations sur les nouvelles molécules sexo-actives, recherche en physiologie sexuelle, reportages sur les grands congrès spécialisés, revue de presse et analyses de livres, rubrique d'éthique, agenda des différentes manifestations de sexologie dans le monde.

 

          Dans chaque numéro interviennent des rédacteurs spécialisés sur des sujets précis. Ainsi dans le numéro de Juillet 2013 (Volume 22, n°3) sont abordés des sujets pointus comme, en sexologie clinique, L'impact de l'éjaculation précoce sur la qualité de vie du patient, de sa partenaire, du couple ; en sexologie et en psychiatrie, L'addiction sexuelle comme diagnostic de santé mentale : une association possible? ; en sexologie médico-légale, Violences sexuelles des mineurs en France : comment les médecins peuvent devenir des interlocuteurs privilégiés des victimes ; en psychosociologie, "Les filles, elles dansent, elles frenchent ; elles savent qu'on aime ça". Étude qualitative des danses érotiques et des baisers entre personnes du même sexe ; en santé publique, Sexualité et risque de transmission sexuelle du virus de l'immunodéficience humaine chez les couples séro-discordants à Ouagadougou (Burkina Faso).

    Certains article sont très techniques, d'autres plus généraux et à tonalité plutôt critique.

Ainsi un article de F. VOLROS sur L'invention de l'addiction à la pornographie, d'Octobre 2009 : "Cet article propose une généalogie des savoirs et des pratiques traitant de l'"addiction à la pornographie", "trouble sexuel" supposé toucher principalement les hommes, caractérisé par la consommation "excessive" et "incontrôlée" d'images sexuellement explicites.

Il s'agit dans un premier temps de reconstituer le processus d'émergence et de dissémination de ce nouveau langage médical : apparition des premières pratiques de prise en charge au sein de groupes de "dépendants à la sexualité" aux États-Unis à la fin des années 1970 ; développement d'une expertise médicale à partir des années 1980 au carrefour de plusieurs disciplines (psychiatrie, psychologie, sexologie, psychanalyse, neurobiologie) et domaines de savoirs émergents (addiction sexuelle, compulsion sexuelle, addiction à Internet) ; puis diffusion médiatique de la notion en France à partir des années 2000.

L'analyse des différents discours publics portés sur cette pathologie (émanant de cliniciens, mais aussi d'"ex-dépendants", de journalistes et de militants anti-pornographique), et en particulier la mise en lumière des contradictions qui traversent les modes d'administration de la preuve de son existence (étude de cas, test de dépistage, enquête épidémiologique, IRM), permet ensuite d'envisager sur un même plus épistémologique et politique des pratiques savantes (expertiser, prouver, diagnostiquer) et les pratiques ordinaires (témoigner, révéler, étiqueter) de lutte contre l'addiction à la pornographie.

A travers la critique des normes sexuelles qui sous-tendent les définitions médicales de cette pathologie, il s'agit alors de poser la question du type de normativité produit par ces pratiques. Plutôt que comme une ingérence croissante des professionnels de santé sexuelle dans la vie des usagers, l'article propose d'envisager ce processus de re-médicalisation de l'usage de la pornographie comme une revitalisation, à un niveau plus microphysique, de pratiques ordinaires de contrôle de soi et de contrôle des autres."

 

    Éditée par les Éditions ELVESIER MASSON, elle est lue surtout dans une partie du milieu médical et dans le milieu étudiant en médecine. Les résumés de ces articles sont pour la plupart disponibles (en ce qui concerne les années récentes) sur le site de la revue.

 

www.sexologies.eu

Relu le 19 juin 2021

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7 septembre 2013 6 07 /09 /septembre /2013 12:33

     Dans un domaine  où la recherche est confrontée à plusieurs types de problèmes, tout un ensemble de pratiques est élaboré et utilisé par des praticiens pour venir en aide aux individus ou des couples souffrant de troubles sexuels. Ne cherchant souvent pas à prendre appui sur une théorie sexuelle élaborée, des sexologues, encore en recherche de repères institutionnels, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, mais surtout en Europe et singulièrement en France, souvent dans un cadre hospitalier, proposent des conseils et des thérapies.

 

Plusieurs sexologies successives

Tous ne possèdent pas la même orientation idéologique et dans le temps comme dans l'espace, le développement de la sexologique peut s'effectuer dans le sens du contrôle social comme dans le sens inverse d'une libération sexuelle. D'ailleurs on peut distinguer grosso modo une première sexologie de curiosité et de classification tendant à distinguer le normal du pathologique, restreignant le champ des libertés et multipliant ce qu'elle appelle des déviations, avec une connotation - malgré le scandale que peut avoir l'exposition de la sexualité dans certains milieux (notamment religieux) - de contrôle social lié à des préoccupations morales et démographiques. Une seconde sexologie, qui intervient surtout entre les deux guerres mondiales, se développe en revanche avec le souci de dénoncer la répression sexuelle, de définir de nouveaux champs de liberté individuelle, voire de lier la libération sociale (notamment à propos des rôles féminins et masculins) à la libération sexuelle. Doit-on voir, avec le renforcement contemporain d'une vision médicale de la sexualité, aidée en cela par la croissance de l'industrie pharmaceutique, et les nouvelles inquiétudes liées aux dangers subis par le corps (épidémies, pollutions...) ou plus générales, l'émergence d'une troisième sexologie?

 

Une pratique multiforme plutôt sans théorie ni théorisation

     De ce fait, même s'ils n'ont (souvent) ni le désir ni le temps d'élaborer de grandes théories, ils participent à l'ensemble des conflits liés à la sexualité dans notre société moderne. La sexologie est typiquement occidentale et entre dans le cadre des institutions sociales, même si elles en en mal de reconnaissance, de régulation ou de contrôle de la sexualité. Souvent, les praticiens en sexologie exercent surtout des professions médicales ou de psychologie. Des procédures d'habilitation, de validation de la formation et d'autorisation de pratiquer la sexologie se mettent en place récemment en France. Mais dans le monde francophone, seule l'Université du Québec à Montréal offre un programme de baccalauréat et de maîtrise en sexologie. Les sexologues y sont formés dans un contexte interdisciplinaire incluant principalement les aspects biologiques, psychologiques, sociologiques et sexologiques de la sexualité.

      Définie comme l'étude de la sexualité humaine et de ses manifestations, la sexologie, selon ses propres promoteurs et ses praticiens, aborde tous les aspects de la sexualité, à savoir le développement sexuel, les mécanismes des rapports érotiques, le comportement sexuel et les relations affectives, en incluant les aspects physiologiques, psychologiques, médicaux, sociaux et culturels. Elle est d'apparition récente, aux prémices apparaissant en Allemagne et en Autriche vers 1826-1850, mais ne constitue une discipline à part entière que depuis la fin du XXe siècle.  

Elle se démarque d'approches psychanalytiques et n'a aucune espèce d'approches politiques. Les sexologues se sentent souvent naviguer dans un univers social méfiant, avec des patients souvent confrontés à des difficultés importantes ou très importantes, à la croisée au somatique et du psychologique. Dans les faits, les sexologues utilisent la thérapie de couple, le conseil conjugal, les psychothérapies de "soutien", les sexothérapies de type Masters et Johnson, avec des approches psycho-corporelles, sexo-corporelles (Jean-Yves DESJARDINS), des approches sexo-analytiques (Claude CRÉPEAU), des approches cognitivo-comportementales... Chacun avec son bagage très médicalisé, les sexologues traitent tous les problèmes posés dans l'exercice de la sexualité, que ce soit avant le rapport ou durant le rapport sexuel, et même ensuite, dans la mesure où ils peuvent être appelé à contribuer à la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. Leur "clientèle", souvent adressée par des médecins généralistes (toutes catégories de patients confondues d'ailleurs, de plus en plus...) ou des institutions amenées à "traiter" des publics précis : handicapés, enfants, personnes âgées...

 

Des sexologues voulant être (même s'ils ne le peuvent pas) neutres par rapports aux conflits

     Même en agissant au niveau individuel, les sexologues gardent une neutralité sur les conflits entre individus et notamment entre éléments du couple. Ce qui explique d'ailleurs le caractère souvent proche des pratiques médico-psychologiques, de leur travail. Ils possèdent une solide formation psychologique qui leur donne une certaine capacité à dé-dramatiser les rapports sexuels et à circonscrire les dégâts causés dans le couple par des dysfonctionnement somatiques ou psycho-somatiques dans les relations sexuelles. En ce sens, ils permettent réellement de développer chez l'individu ou dans le couple une capacité réelle à résoudre des conflits, qui, autrement, pourraient tourner d'une manière dramatique pour l'homme comme pour la femme. 

    L'efficacité de l'activité en sexologie provient d'une part à sa propre limitation d'action à un domaine très circonscrit, très proches des individus, sans intention d'influence au niveau social, et d'autre part à une réellement difficulté de la recherche en sexologie. Ces recherches sont souvent menées à l'initiative d'un homme ou d'une communauté scientifique restreinte, avec des difficultés de communication avec d'autres chercheurs. La plupart des associations ou organismes en sexologie doit leur existence à des rencontres fortuites, à l'occasion de leurs activités principales, car la sexologie n'est souvent pas, dans le temps comme dans leur lien de travail, le seul ou le principal objet de recherche. Ils se heurtent d'ailleurs parfois à la méfiance, voire à l'hostilité des organismes professionnels dont ils font partie par ailleurs. Beaucoup de leurs études concernent souvent, à une époque données, un domaine relevant de la pathologie, de la déviance, voire de l'immoralité. 

 

Les difficultés d'une recherche en sexologie

Trois principales difficultés s'opposent à une bonne efficacité de la recherche en sexologie :

- La particularité même du thème de la sexualité. D'une manière générale, il n'existe que très peu de structures institutionnelles dont l'objectif est l'étude de la sexualité humaine, d'une manière scientifique. Car bien entendu, pour ce qui concerne l'étude de l'érotisme, c'est autre chose. Les études disponibles sont généralement ponctuelles, limitées à une problématique précise, liée à des préoccupations épidémiologiques (comme pour le SIDA). Elles relèvent d'une approche de type psychosociologique, et souvent influencées par des valeurs morales particulières. Les études neurobiologiques, par exemple, restent limitées essentiellement aux rongeurs et concernent la reproduction.

Par rapport aux recherches menées au moyen de questionnaires ou d'interviews, un premier type de problème est la représentativité des participants qui sont volontaires pour ces études, participants qui ont généralement des attitudes plus libérales par rapport à la sexualité que ceux qui ne sont pas volontaires. De plus, les réponses sont entachées souvent de déformation de la réalité : autocensure ou survalorisation personnelle les ponctuent. de toute manière, le contexte moral et culturel modèle ces réponses, notamment dans la représentation que se font les praticipants de leur rôle sexuel.

- L'extrapolabilité des données animales à l'Homme. Comme il est difficile envisageable, vu le contexte moral, d'effectuer des expériences sexuelles sur les humains, la plupart des données physiologiques et neurobiologiques relatives à la sexualité proviennent d'expérimentations réalisées avec des animaux et en général des rongeurs. Or vu les différences comportementales importantes entre les espèces animales et l'homme, ce qui rend l'utilisation des données fort aléatoire, sauf à considérer l'activité sexuelle comme une activité instinctive. Or même des neurologues doutent (S. WUNSPH et P. BRENOT, Existe-t-il un instinct sexuel?, Revue Européenne de Sexologie, Sexologies, (XIII), 2004) de l'existence même d'automatismes neurobiologiques concernant la sexualité chez l'homme...

- Le manque de connaissances en neurosciences. Les connaissances actuelles en neurosciences humaines sont très partielles. De nombreux aspects du système nerveux, tant structurels que fonctionnels, demeurent mal compris ou restent inconnus. Ainsi par exemple, par rapport aux processus de renforcement, même s'il est quasi certain qu'ils sont activés par la stimulation des zones érogènes, on ignore actuellement quels sont précisément les processus exacts qui sont à l'oeuvre. 

 

Des traités de sexologie à travers le temps, autant de références croisées

      La sexologie reprend à son compte de très nombreux auteurs de différents courants psychologiques, psychanalytiques, culturels, ayant en commun d'aborder de manière ouverte les questions liées à la sexualité humaine. En remontant d'ailleurs loin, de l'Antiquité grecque ou romaine, tant sur le versant des dysfonctionnement physiologiques ou anatomiques de l'organe sexuel que sur le versant d'une littérature érotique, d'éducation à l'érotisme. Les influences persanes ou indiennes ne sont pas négligées à cet égard.

    Tableau de l'amour conjugal, de Nicolas VENETTE, publié en 1696 est considéré comme le premier traité de sexologie en Occident. Cet ouvrage est autant un manuel d'instruction qu'un livre d'éducation et couvre en quatre parties tout ce qui a trait au sexe : anatomie, reproduction, désir, impuissance, stérilité... Samuel Auguste TISSOT (1728-1797), médecin de réputation européenne, publie en 1758 L'onanisme, essai sur les maladies produites par la masturbation, qui reste influent pendant plus d'un siècle, surtout pour l'éducation sexuelle des adolescents. Charles DARWIN théorise les premières conceptions modernes de la sexualité.

    On le voit, le champ des influences est vaste pour les différents pionniers qui, de la fin du XIXe siècle au début du XXe, réalisent les premiers travaux de la sexologie moderne... travaux qui influencent encore aujourd'hui les théories sexologiques. Nous pouvons citer sont qui sont les plus fréquemment lus et commentés :

- Richard von KRAFT-EBING (1840-1902), considéré à son époque comme l'un des plus grands psychiatres de l'époque. Il publie en 1886 pour la première fois son principal ouvrage qui n'a pas cessé d'être réédité depuis, Psychopathia Sexualis. Abondamment pourvu de cas cliniques exemplaires et best-seller de la littérature psychiatrique, il reflète l'opinion victorienne dominante et diagnostiquait comme maladie toutes les activités sexuelles qui ne permettaient pas la reproduction. 

- Henry Havelock ELLIS (1859-1939), considéré comme le pionnier de la recherche moderne sur la sexualité. Son principal ouvrage, Études de psychologie sexuelle, publié en plusieurs volumes entre 1897 et 1910 est lu comme la référence en sexologie.

- Sigmund FREUD (1856-1939), fondateur de la psychanalyse. Il élabore une théorie globale du psychisme humain, où la sexualité occupe une place centrale, à commencer avec son ouvrage Trois essais sur la théories de la sexualité, publié en 1905. Sans entrer dans les multiples querelles entre ses disciples, la plupart des sexologues tiennent compte de sa métapsychologie, comme en arrière plan de leur pratique.

- Bronislaw MALINOWSKI (1884-1942), anthropologue, auteur des premières études des moeurs sexuelles dans des sociétés non occidentales. Ses travaux publiés dans La Sexualité et sa répression dans les sociétés primitives (1927) et La Vie sexuelle des sauvages du Nord-Est de la Mélanésie (1929), ouvrent la voie au comparatisme culturel.

    C'est entre les deux guerres mondiales que se développent les fondations des premières institutions spécifiques à la sexologie, sous l'impulsion de plusieurs praticiens :

- Richard RICHTER (1909) invente et pose les premiers stérilets (dispositifs contraceptifs intra-utérins. La Ligue nationale pour le contrôle des naissances est fondée en 1914.

- Sirius de MASSILIE (pseudonyme, 1850-1917) énonce pour la première le mot sexologie dans son ouvrage, La Sexologie, prédiction du sexe des enfants avant la naissance (1912).

- Magnus HIRSCHFELD (1868-1995) fonde le premier Institut de sexologie à Berlin en 1919, avec Arthur KRONFELD (1886-1941), et publie le premier périodique de sexologie, Jahrbuch für sexual Zwischenstufe. Progressiste, il demande l'égalité sexuelle entre les hommes et les femmes, la libération du mariage de la "tyrannie" de l'Église et de l'État, et la tolérance envers les homosexuels.

- Le premier International congress for sex research est organisé à Berlin en 1926. La première réunion de la Ligue mondiale pour la réforme sexuelle, créée par Havalock ELLIS (1859-1939) et Magnus HIRSCHFELD a lieu à Copenhague en 1928. L'objectif est d'obtenir l'égalité sociale et juridique des sexes, le droit à la contraception et à l'éducation sexuelle. En 1931 en fondé à Paris l'Association d'études sexologiques.

- Dans les années 1930 sont fondées par Wilhelm REICH (1897-1957) la Société socialiste d'information et de recherche sexuelles et l'Association allemande pour une politique sexuelle prolétarienne. Il milite pour un changement radical des moeurs sexuelles (La Révolution sexuelle, 1936 - L'analyse caractérielle, 1933).

- Le philosophe anglais Bertrand RUSSELL publie Marriage and morals. Il y revendique une éducation sexuelle de qualité, le droit à une vie sexuelle avant le mariage et le droit au divorce.

L'ensemble des sexologues d'entre les deux-guerres se situent majoritairement dans tout un courant socialiste ou socialisant, qui milite pour à la fois la révolution sociale ou du moins de profondes réformes et la révolution sexuelle. L'ambiance est à un combat contre une répression sexuelle fortement ressentie comme liée à un système économique et social. Nous avons du mal à nous représenter l'extraordinaire floraison d'initiatives et d'expérimentations en Union Soviétique et en Allemagne.

 

Un ensemble d'études et d"événements après la Seconde guerre mondiale

     Après la seconde guerre mondiale, les aspirations "révolutionnaires" cèdent la place à un mouvement plus "réaliste" en même temps que sont réalisées les premières grandes études de la sexualité avec des méthodes scientifiques. Alfred KINSEY, MASTERS, JOHNSON sont les auteurs des recherches qui sont aujourd'hui considérés comme des références en sexologie.

- Alfred KINSEY (1894-1956) et ses collaborateurs publient en 1948 (Le comportement sexuel de l'homme) et en 1953 (Le comportement sexuel de la femme), la description et l'analyse d'entretiens avec plusieurs milliers de personnes. Ces publications provoquent à l'époque un scandale en révélant la grande fréquence de la masturbation, des rapports sexuels pré-conjugaux et des expériences homosexuelles dans la population générale. L'Institute for Sex Resaerch, fondé par cet auteur en 1947, est à ce jour la seul institut de recherche spécialisé dans l'étude de la sexualité humaine. Des analyses sociologiques suivent, avec un certain décalage dans le temps, sur ces enquêtes, et sur les éléments de cette enquête. Sans doute, ces comportements ne sont-ils pas, à cette époque, aussi méconnus qu'ont pu le clamer toute une classe politique et tout un monde religieux conservations. Le scandale provient sans doute surtout, ici comme ailleurs, du fait que ces pratiques sont exposées publiquement.

- Henry MILLER (1891-1980), écrivain très populaire, milite contre le puritanisme ambiant et devient l'instigateur de la révolution sexuelle avec Le monde du sexe (1940) et plus tard sa trilogie Sexus (1949), Plexus (1952) et Nexus (1959).

- Le mouvement féministe alors en plus essor, est marqué par quatre publications qui réhabilitent la femme et son sexe dans un univers masculin, teinté de misogynies : The psychology of women (1945) de Helen DEUTCH, Le deuxième sexe (1949) de Simone de BEAUVOIR, La sexualité de la femme (1951) de Marie BONAPARTE (1882-1962) et Le complexe de Diane (1951) de Françoise d'EUBONNE (1920-2005).

- La pilule contraceptive découverte en 1956 par J ROCH et G PINCUS est autorisée et mise en vente à la population en 1960.

- William MASTERS, gynécologue, (1915-2001) et Virginia JOHNSON, psychologue, (1925-2013) réalisent la première étude scientifique sur la physiologie sexuelle. Ils étudient en laboratoire les réactions physiologiques aux stimulations sexuelles de plusieurs centaines de personnes, et décrivent les quatre phase des réactions sexuelles : excitation, plateau, orgasme et résolution (Les réactions sexuelles, 1966).

      La révolution sexuelle des années 1960-1970 et son climat libéral permettent la multiplication des études, le développement institutionnel de la sexologie, et la prise en compte de l'importance de la sexualité dans la vie quotidienne.

- Pierre SIMON (1925-2008), médecin, fait publier son livre sur le Rapport sur le comportement sexuel des Français, suivant en cela l'exemple d'Alfred KINSEY. Après lui et son prédécesseur américain sont publiés des dizaines d'études de ce genre qui prétendent décrire, dans le détail, le comportement sexuel des citoyens d'une nationalité ou d'une autre... 

- Dès 1970 à Genève, sous la responsabilité du Doyen William GEISENDORF,  Georges ABRAHAM et William PASINI mettent en place le premier enseignement universitaire structuré de sexologie clinique qui devient ensuite Diplôme universitaire. Par la suite, des enseignements universitaires essaiment à travers toute l'Europe. Ils publient en 1974 Introduction à la sexologie médicale.

- La même année, le Symposium International de l'Organisation Mondiale de la Santé à Genève réunit des sexologues et des experts de santé publique pour traiter de l'enseignement et des thérapies sexuelles. La notion de santé sexuelle y est définie et une proposition est faite pour que la sexologie devienne une discipline autonome.

- Vern BULLOUGH, par son ouvrage Sexual Variance in Society and History, publié en 1976, initie l'école de la sexualité dans une perspective historique.

- De nombreuses études clinique et thérapeutiques sont réalisées et consignées en 1977 dans le Handbook of sexology de John MONEY et J MUSAPH et en 1978, dans le Handbook of sex therapy de Leo PICCOLO. En 1979 parait Homosexuality in perspective de MASTERS et JOHNSON et l'ouvrage d'Helen KAPLAN, Disordes of sexual desire.

- En 1978 est fondée à Rome la World Association for Sexology (WAS) pour assurer l'organisation de congrès sexologiques mondiaux.

- The European Fédération of Sexology (EFS) est fondée en 1990 à Genève sous l'impulsion de Willy PASINI. Cet organisme qui rassemble une cinquantaine de sociétés scientifiques, cherche à coordonner leurs activités, à encourager la recherche et à promouvoir les enseignements dans la perspective de la construction européenne. 

- Le médicament Viagra est commercialisé en 1998 et les laboratoires qui le mettent sur le marché promettent de révolutionner la sexualité des 50 à 80% d'hommes qui souffrent de troubles de l'érection. Mais sa commercialisation n'a pas le même impact que la mise sur le marché de la pilule contraceptive en 1960. D'une part la polémique enfle vite sur son efficacité et sur son opportunité et d'autre part, à cause de certaines épidémies liées aux relations sexuelles (MST, SIDA) et de la dénonciation des violences sexuelles courantes, le climat social n'est plus le même qu'à l'époque de la révolution sexuelle... (Histoire de la sexologie, Fonds universitaire Maurice Chalumeau, 2005)

 

Les étapes de l'histoire de la sexologie française

    Mireille BONIERBALE (psychiatre, CHU de Marseille) et Jacques WAYNBERG (directeur d'enseignement, Hôpital Saint Louis) indiquent les différentes étapes historiques et sociologiques de la sexologie française.

"L'avènement en France d'un courant de pensée favorable à une approche laïque et dépénalisée des conduites sexuelles est d'apparition tardive, et longtemps limité à des initiatives dispersées et confidentielles. A l'inverse, les pays de culture germanique sont dès la fin du XIXe siècle les authentiques fondateurs d'une scientia sexualis, qui sera "décapitée" de façon dramatique en 1933. La France l'ignore à l'époque, n'acquiert aucun enseignement et s'enlise depuis 1920 dans des joutes intellectuelles opposant les néomalthusiens aux ligues familiales. Ce n'est qu'à partir des années 1930 que débutent des actions concertées en faveur d'une vision rénovée et éducative de la sexualité, mais leurs promoteurs sont encore murés dans un carcan législatif répressif et un intérêt mitigé de l'opinion publique. Dans l'immédiat après-guerre et jusqu'en 1968, quelques auteurs adossent encore leur vocation de pédagogue à d'éphémères corporations, mais c'est en 1974 qu'éclot un réel mouvement associatif, nourri des apports indispensables nord-américains et favorisé par les succès législatifs en matière de libre accès à la contraception et au droit à l'avortement. Une vingtaine d'années est nécessaire pour qu'une vision consensuelle des pratiques des enseignements et de la recherche, aboutisse à sensibiliser les institutions de tutelle. C'est à partir de 1995 que l'implication de l'université par les instances ordinales françaises (Ordre national des médecins) ouvre un deuxième chapitre de l'histoire de la sexologie française, celui de l'unité d'action certes, mais celui surtout de l'homologation professionnelle. C'est face à ce défi institutionnel et confronté à la mondialisation de nouveaux concepts de santé publique que la sexologie française prépare l'avenir de sa cinquième génération de praticiens. Deux associations ont joué un rôle majeur dans l'histoire contemporaine de la sexologie française : la SFSC (Société Française de Sexologie Clinique) et l'AIHUS (Association InterHospitalo-Universitaire de Sexologie)."

 

"Depuis plus d'un siècle, de longs et pénibles efforts ont été soutenus en Occident pour que les aléas de la vie affective et sexuelle soient pris en compte de façon savante et impartiale. Quel fut le rôle de la France dans cette entreprise, et quel peut être son avenir? L'histoire de la sexologie montre de façon indéniable que le droit d'ingérence des professionnels de santé dans les secrets de la vie privée relève d'un agrément accordé ou non par le pouvoir politique. Ce fut le cas en Allemagne, lorsqu'il s'est agi de lutter contre l'ostracisme homophobe, ce fut le cas en France dans les années 1970 lorsque l'évolution des moeurs a permis la reconquête du droit de maîtriser la fécondité et par conséquent le droit d'aimer à sa guise. Médecins et non-médecins vont alors encourager l'avènement d'une "sexologie humaniste" consensuelle, dont la popularité dure autant que vont durer les luttes militantes. En 1981, la révolution conservatrice américaine a quelque peu tari l'enthousiasme libertaire sans oublier qu'en une génération, des défis inédits doivent être relevés face au sida, à la criminalité, à l'immigration, à l'exclusion, au handicap, au retour en force de l'intégrisme religieux... Ces chocs culturels mobilisent peu la communauté des sexologues hexagonaux centrés sur le couple et les avatars de la vie sexuelle. En dépit de son passé batailleur, l'implication militante dans les luttes pour le progrès social n'est pas la préoccupation de la sexologie française dont l'histoire est issue de l'apport des sexothérapies et de la médecine psychosomatique. Le clivage corporatiste se rétablit lorsque s'imposent de surcroît de nouveaux protocoles thérapeutiques, à l'aune du concept réactualisé de "santé sexuelle". Cette médicalisation d'office est aussi l'indice d'un changement de paradigme professionnel : aux non-médecins les pratiques psychogènes de prise en charge, aux praticiens l'abord médicalisé de la sexualité, étayé par un savoir scientifique et des enseignements universitaires, adossé à des prescriptions pharmaceutiques et des obligations de performance.

L'âge moyen des sexologues français est de 49 ans, vieillissement qui semble tout juste pondéré par l'arrivée d'une nouvelle vague de professionnels. Tous on en commun deux contraintes : l'une est d'ordre linguistique, l'autre est économique. L'anglais étant désormais l'idiome des publications et des congrès internationaux, nombre de francophones peinent à se faire connaître. L'absence de financement de la recherche par des voies officielles assujettit les auteurs aux seules contributions de l'industrie pharmaceutique. Cette dépendance, caricature de la mondialisation d'une pensée unique, risque d'appauvrir une démarche de soins ouverte sur le respect de l'être humain dans toute sa diversité et son originalité. Résultat de tous les progrès accomplis en termes de formation continue, et d'une volonté affirmée de fédérer les leaders et leurs troupes, le dispositif francophone peut néanmoins aligner quelques centaines de professionnels aguerris. Leur spécificité tient à leurs acquis pluridisciplinaires, mais surtout à une sensibilité justement réputée de savoir donner vie à la notion de sujet. La "médecine sexuelle" n'est-elle pas hors sujet par vocation, aux antipodes d'une sexologie humaniste qui privilégie l'âme aux organes? Cela peut-il perdurer? Non. Même les publications les plus formatées se risquent à chuchoter que l'affectivité et la qualité de vie (amour et bonheur en langage devenu obsolète) devancent les statistiques. L'efficience commence à interroger l'efficacité" (M BONIERDALE, Plaidoyer pour une sexualité ordinaire, Sexologies, 2006). Quel formidable espoir de reconquête du sens pour les nouvelles générations!"

 

Mireille BONIERBALE et Jacques WAYNBERG, 70 ans de sexologie française, Sexologies n°16, 2007. Histoire de la sexologie, Fonds Universitaire Maurice Chalumeau, 2005.

 

SOCIUS

Relu le 21 juin 2021

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4 septembre 2013 3 04 /09 /septembre /2013 16:36

         Pour le biologiste préoccupé par l'étude des conduites animales, le comportement sexuel est particulièrement intéressant comme modèle expérimental, indique Jean-Pierre SIGNORET.

A condition bien entendu de ne pas confondre des notions très différentes dont chacune doit faire l'objet d'un examen attentif pour ne pas tomber dans une conception simpliste du fonctionnement de la nature. A condition encore de ne pas étendre trop vite les résultats de l'étude des conduites animales aux comportements humains. A condition encore de bien distinguer des domaines différents d'investigation scientifique dans la mesure où, sans doute, nous ne sommes pas encore parvenu à un véritable tableau d'ensemble, bien que de plus en plus la masse des observations et des analyses sur différents aspects fondamentaux permet d'approcher la dynamique générale de l'ensemble, notamment par la multiplication des approches interdisciplinaires.

 

Le comportement sexuel

Pour reprendre les propos de notre biologiste, "par définition, (le comportement sexuel) n'apparait complet qu'à l'âge adulte. Il est de ce fait un modèle idéal pour l'étude des différents modes d'acquisition d'informations et de leurs rôles respectifs dans l'organisation d'une conduite : apprentissage, acquisition au cours de l'ontogenèse, adaptation évolutive de mécanismes innés, etc. Cela explique la place occupée par l'étude des parades nuptiales dans les travaux des éthologistes."

"Par ailleurs, poursuit-il, il est possible de relier les observations des comportements à des modifications de l'équilibre endocrinien, de l'anatomie de l'appareil génital, de la physiologie sensorielle, ce qui est particulièrement favorable pour l'étude des mécanismes de réalisation d'une conduite.

En outre, les développements de l'endocrinologie ont permis d'identifier les composés chimiques en jeu, et de déterminer leur mode et leur lieu d'action.

Il est donc possible de tenter d'analyser comment, à partir d'un signal simple - une molécule chimique bien connue - se produisent des modifications complètes des relations interindividuelles.

Enfin, la connaissance du comportement animal peut éclairer certains aspects des conduites humaines, à la condition que puisse être précisée la part des réactions que l'homme a en commun avec d'autres groupes zoologiques."

 

     Se concentrant sur les Mammifères, Jean-Pierre SIGNORET présente successivement les liens entre structures sociales et comportement sexuel, l'organisation et les mécanismes de l'activité sexuelle, l'action des facteurs de l'environnement, les mécanismes neuroendocriniens, le développement et la maturation du comportement sexuel, les correspondances entre comportement animal et comportement humain.

 

Structures sociales et comportements sexuels chez les Mammifères

      Sur les liens entre structures sociales et comportements sexuels, il souligne le fait que "le comportement sexuel n'est qu'un des aspects des relations interindividuelles existant au sein d'une espèce. Les rapports entre partenaires sexuels sont inséparables de l'ensemble de la structure sociale et de l'utilisation de l'espace par l'animal. Ainsi la relation entre mâle et femme déborde en général très largement l'activité sexuelle proprement dite et ne peut être étudiée et comprise que si elle est située dans l'ensemble du contexte social de l'espèce.

C'est en effet l'organisation sociale d'une espèce qui déterminera non seulement quels seront les partenaires sexuels, mais même quels seront les individus qui pourront accéder à la reproduction. Ce mécanisme met en jeu un événement crucial aussi bien pour l'espèce que pour l'individu : il détermine le flux des gènes à travers les générations. Pour l'espèce, ce choix porte les possibilités d'évolution, pour l'individu, l'assurance de la survie de son patrimoine génétique dans sa descendance.

Les structures sociales des Mammifères présentent une grande variété : occupation permanente d'un espace défendu contre l'intrusion de congénères - le "territoire" -, utilisation pacifique d'un domaine vital partagé avec d'autres, migrations." Dans le cycle des périodes d'activité et d'inactivité, "la relative brièveté de la période d'activité sexuelle de la femelle contrastant avec la plus longue disponibilité du mâle fait d'elle un objet de compétition. La possession exclusive et la défense d'un territoire conditionnent dans de nombreuses espèces la mise en place de l'activité sexuelle. (...) Lorsque les animaux vivent, au moins temporairement, en groupe, il apparait entre eux, en général, une hiérarchie sociale. Dans une situation de compétition, le dominé cède la place à l'animal supérieur. Lorsque la femelle en oestrus est l'occasion de cette compétition, le mâle inférieur peut être écarté du groupe social. (...) Souvent, cependant, les dominés ne sont pas exclus du groupe, mais seulement écartés de la femelle en oestrus. Ils n'en sont pas moins partiellement ou totalement exclus de la reproduction. (...) Cependant, les rapports de possession que suggèrent ces structures sont loin de refléter la réalité : l'existence d'une sélectivité sexuelle est observée dans de nombreuses espèces. Des couples permanents monogames ou polygames et exclusifs sont décrits aussi bien chez des Primates (gibbon) que des Carnivores (loup, renard) ou des Ongulés (Équidés). Un couple monogame peut exister au sein d'une meute de loups, alors que les autres rapports sont régis par une hiérarchie sociale. La sélectivité sexuelle est aussi bien le fait du mâle que de la femelle, même au sein du harem des chevaux. Enfin, même en l'absence d' une sélectivité complète, des préférences sexuelles sont observées dans la quasi-totalité des espèces (toujours des Mammifères) : la fréquence des accouplements varie considérablement selon le partenaire aussi bien chez le macaque et le chimpanzé que chez le taureau ou le bélier. La mise en place de la structure dans laquelle se déroulera l'activité sexuelle donne lieu à l'occupation d'une zone de nidification ou d'un territoire, la "prise de possession" d'un harem par l'élimination des mâles rivaux. Parades, menaces et combats ont été souvent décrits et popularisés par la photographie et le film.

Le résultat conditionne l'accès à la reproduction. Il aboutit fréquemment à une disjonction entre la puberté physiologique et la possibilité d'engendrer une descendance. Chez les espèces polygames, la femelle peut être fécondée dès la puberté. Mais dans les cas des espèces à longue durée de vie (des individus, l'auteur veut dire), il s'écoule plusieurs années entre la puberté physiologique du mâle et le moment où il commence à pouvoir s'accoupler. Alors que dans les espèces à couples monogames, il existe une équi-potentialité d'accès à la reproduction, la polygamie ne permet qu'à une faible partie de l'effectif de se reproduire.

Ces différentes "stratégies" auront des conséquences très importantes dans la répartition des flux de gènes au sein de la population ainsi que dans les possibilités d'évolution des espèces."

     Sur l'organisation et les mécanismes de l'activité sexuelle, il explique que "dans tous les cas, l'activité sexuelle commence par une recherche mutuelle du contact entre mâle et femelle. Les échanges d'informations sensorielles qui interviennent ont alors plusieurs fonctions : ils rendent d'abord possible l'identification de la réceptivité sexuelle du partenaire, puis provoquent les réponses comportementales qui induisent les réactions posturales nécessaires à l'accouplement. 

Cependant, l'activité sexuelle ne se termine pas après un premier accouplement, et dans la majorité des espèces, des copulations répétées prennent place selon un déroulement temporel précis, constituant une séquence complète."

     Sur l'action des facteurs de l'environnement figurent la présence d'autres animaux, les modifications de l'environnement et les phénomènes d'éveil et enfin le rythme nycthémétal (période de la journée) et saisonnier. 

Si le changement des partenaires sexuels provoque chez le mâle de nombreuses espèces une augmentation de l'activité sexuelle, l'effet des congénères peut apparaitre d'une manière moins spécifique : la présence d'animaux effectuant une activité sexuelle facilite l'apparition des réactions sexuelles chez des mâles antérieurement inactifs. il y a là un "effet de groupe" observé dans de nombreuses espèces. 

Une modification de l'environnement semble provoquer une augmentation du niveau d'éveil du mâle et favoriser un renouveau de son activité sexuelle, comme s'il s'agissait d'un mécanisme de défense visant à sauvegarder les potentialités de reproduction. Ce changement d'environnement possède, comprenons-nous, une force supplémentaire lorsqu'il fait intervenir des modifications dans les périodes d'ensoleillement et de luminosité, comme dans le rythme des saisons. Ceci est à noter dans les périodes de grands changements climatiques, qui bouleversent les conditions de reproduction des différentes espèces.

     Sur les mécanisme neuroendocriniens, il décrit le résultat de très nombreux travaux sur le rôle des hormones dans le comportement sexuel du mâle comme dans celui de la femelle, le rôle des hormones sur la nature et l'intensité du comportement sexuel, le rôle du système nerveux, le rôle des afférences sensorielles.

    Sur le développement et la maturation du comportement sexuel ; "Fonctionnellement, le comportement sexuel doit être d'emblée efficace pour pouvoir permettre la survie de l'espèce. A l'opposé de la plupart des autres comportements, ceux qui concernent la reproduction - accouplements et conduites parentales - ne peuvent être appris progressivement. Ils doivent apparaitre fonctionnels à l'âge adulte. Toutefois, la longue période qui chez les Mammifères précède la puberté peut être mise à profit pour étudier l'importance de l'organisation des conduites adultes par les informations acquises au cours du développement. Mais les conduites de reproduction peuvent, comme tous les autres, faire l'objet d'un apprentissage. Enfin, au plan du système nerveux, la maturation et la sexualisation des structures neuronales conditionnent la réalisation des conduites. 

 

Correspondances entre comportements animaux et comportements humains

     Sur les correspondances entre comportement animal et comportement humain, Jean-Pierre SIGNORET expose plusieurs points :

- "La force et la profondeur de la pulsion sexuelle suggèrent l'existence d'un déterminisme biologique. On tendrait à considérer l'ensemble du domaine sexuel comme ressortissant à la biologie, en limitant la dimension socio-culturelle, à l'addition d'un mélange de permissions et d'interdits, à un phénomène purement physiologique. Or il semble possible, au contraire, de discerner en de nombreux domaines une participation extrêmement importante et souvent dominante des influences socio-culturelles, souvent là où on les attendait le moins. Ailleurs, des mécanismes, pourtant considérés en général comme spécifiquement humains, plongent leurs racines très loin au-dessous de notre espèce. Celle-ci a élaboré un extraordinaire contexte culturel et sociologique autour de la relation entre partenaires sexuels, mais l'existence d'une liaison interpersonnelle se prolongeant au-delà des relations sexuelles est une dominante de l'espèce : sa force et son retentissement émotif suggèrent que la notion du couple humain comporte une base biologique profonde sous des aspects psychologiques, affectifs, moraux ou culturels.

- Ces phénomènes socio-culturels ont pris une place très inattendue en ce qui concerne la séquence comportementale des relations sexuelles. (...).

- En ce qui concerne les mécanismes nerveux et hormonaux, l'homme apparait comme le terme d'une évolution où la part prise par le système nerveux central devient dominante, tandis que le signal hormonal, tout en restant présent et actif, perd de son importance pour n'être que facultatif. On retrouve dans l'espèce humaine des traces indéniables de l'équilibre endocrinien, mais il existe d'innombrables cas cliniques rapportant l'existence d'un comportement apparemment "normal", malgré des déficiences hormonales ou anatomiques aussi fondamentales que l'absence de gonades ou divers degrés d'infantilisme génital, chez la femme par exemple.

- Parmi les signaux responsables du déclenchement immédiat de la pulsion sexuelle, le signal visuel semble avoir, comme chez l'animal, une importance particulière. De même une représentation, même symbolique, du déclencheur conserve son efficacité. De même une représentation de l'activité sexuelle, possède aussi, comme chez l'animal, un effet d'augmentation de la motivation, si bien que la pornographie met en jeu des mécanismes élémentaires communs à l'animal et à l'homme. Il en est exactement de même des phénomènes de satiété spécifique que l'on retrouve dans l'espèce humaine, en compétition d'ailleurs avec la motivation à une liaison interpersonnelle.

- L'effet de facteurs agissant dans le jeune âge sur l'organisation du comportement est établi par les observations cliniques que Freud a inaugurées. (...)

- On en vient ainsi à souligner la prise en charge, dans le cas de l'homme, de comportements réputés instinctifs par les mécanisme nerveux supérieurs faisant intervenir le cortex cérébral, puisque les régulations hormonales et les inflexions nerveuses profondes (diencéphaliques) apparaissent filtrées, amoindries ou modifiées, masquées ou exacerbées par le contrôle des centres supérieurs, allant jusqu'à susciter ou à réprimer un comportement en contradiction avec un déterminisme profond, donc à permettre ce que l'on pourrait appeler la liberté."

   Même si nous laissons à cet auteur cette conception de la liberté - qui se défend d'ailleurs avec beaucoup d'arguments solides - nous en tirons la conclusion de la malléabilité du comportement sexuel, malléabilité constatée dans de nombreuses occasions chez les Primates, malléabilité extrême chez l'homme, puisque son comportement individuel peut même se trouver en contradiction avec des impératifs de reproduction.

 

Des hypothèses sur l'évolution générale des comportements sexuels

    A un niveau plus global, plusieurs hypothèses ont été émises sur l'évolution générale des comportements, notamment de la sexualité et de son rôle dans la sélection naturelle. Après bien des débats, il semble bien que la théorie darwinienne de l'évolution soit la seule aujourd'hui à donner le tableau d'ensemble que nous mentionnions plus haut.

Ce tableau d'ensemble - que les théories sur l'évolution tentent de dresser - relie l'ensemble des phénomènes naturels, du microscopique (au niveau génétique) au macroscopique (au niveau social), d'une espèce et de ses relations avec les autres espèces, souvent avec des éclairages plus forts sur certains aspects, d'autres restant dans le domaine des hypothèses les plus prudentes.

Ce que l'on a appelé la lutte pour le vie, donnant à cette expression souvent un visage guerrier, s'éclaire sous des jours nouveaux, dans une réalité très complexe, où sont de règle les interactions en cascade, entre végétaux, entre animaux et végétaux, entre animaux, entre l'ensemble des espèces et environnement, à l'intérieur d'une même colonie géographiquement délimitée, etc, etc... Mouvement perpétuel, où ne "gagnent" en définitive que les espèces qui savent s'adapter aux constants changements de leur environnement...

 

Sexualité et Évolution

     Francesco M SCUDO  présente les relations entre Sexualité et Évolution, à plusieurs niveaux, la notion de sexualité recouvrant au moins trois catégories de phénomènes :

- l'échange génétique entre individus, débouchant sur la recombinaison génétique ;

- l'alternance entre phase haploïde (présence dans chaque cellule d'un seul lot du matériel génétique de l'espèce) et phase diploïde (deux lots de ce matériel par cellule), constituant le cycle de reproduction sexuée ;

- la polarité, la différenciation de cellules (gamètes) ou d'individus au comportement différent (dans le cas le plus simple, deux catégories qualifiées de mâle et femelle).

"Cependant, à la différence de ce que l'on constate chez l'Homme et les animaux dits supérieurs, il n'y a pas de lien absolu entre ces trois catégories de phénomènes, ni même entre ceux-ci et la reproduction proprement dite. 

   

    L'auteur évoque l'histoire des études modernes sur la sexualité, renvoyant à DZAPARIDZE (Sex in plants, 2 volumes, Jerusalem, Israel Prog Sci, Tran, 1967) pour les théorisations plus anciennes.

"Bon nombre d'études de Darwin portèrent précisément sur la reproduction et la sexualité ; elles contiennent le socle de sa distinction fondamentale entre sélection naturelle et sélection sexuelle, et de ses conclusions concernant les avantages de la reproduction croisée. (...) Parmi les progrès importants qui accompagnèrent ou suivirent de près le travail de Darwin, il faut citer la mise en évidence des chromosomes dans les noyaux cellulaires des organismes aujourd'hui désignés sous le terme d'Eucaryotes, la description de leur dynamique au cours des divisions cellulaires, et l'éclairement de certains aspects de l'alternance entre phase haploïde et phase diploïde. (...) Ces (travaux) restèrent (...) ignorés de la communauté scientifique, de telle sorte que l'étude des relations entre reproduction, hérédité et sexualité ne se développera qu'à partir du début du XXe siècle en termes d'examen du matériel génétique tel qu'on l'observe chez les Eucaryotes sous la forme de chromosomes. Durant toute la première moitié du siècle, les études génétiques prennent une place de plus en plus considérable, mais ne font guère référence à la nature physico-chimique du matériel génétique. Dans ce contexte, on analyse en détail la diversité des modalités de la division cellulaire et à la différenciation sexuelle, tant en haplophase qu'en diplophase, chez les Végétaux, les Animaux et chez les Eucaryotes unicellulaires ou Protistes. (...)

Jusqu'au milieu du XXe siècle, on considérait que les phénomènes sexuels étaient caractéristiques des organismes pourvus d'un noyau, mais totalement absent chez ceux qui en sont dépourvus ou Procaryotes. A la découverte de l'échange génétique par une forme de conjugaison entre Bactéries, différenciées en types complémentaires polarisés, fit bientôt suite celle d'échanges génétiques entre Bactéries par l'intermédiaire de Virus. On découvrit plus tard la transcription inverse - de l'ARN à l'ADN - des génomes d'une vaste classe de Virus eucaryotes à ARN, les Rétrovirus. On sait depuis les années 1970 que leur cycle comporte une alternance de phases présentant certaines analogies avec le cycle de reproduction sexuée des Eucaryotes. Il n'y a donc plus aucun sens à aborder l'évolution des changements génétiques, de la polarité, du sexe et de l'alternance de générations seulement, ou presque, à propos des organismes nucléés, alors que son traitement étendu aux Bactéries et aux Virus conduit nécessairement à considérer l'origine des formes vivantes actuelles, problématique qui comporte au demeurant des éléments encore largement hypothétiques."

 

    Francesco SCUDO examine alors la logique d'ensemble des problèmes, considérant d'abord l'origine des processus vitaux fondamentaux, des cellules, et la sexualité "bactérienne" ou "virale". Il passe ensuite à l'examen de la sexualité au niveau "gamétique" et à l'évolution de la polarité et du sexe dans la phase diploïde des plantes et des animaux, et examine enfin diverses théories à caractère général sur les phénomènes liés à la sexualité et à la reproduction, en se ressérant à la fin sur les Primates supérieurs. C'est tout ce champ de recherches qui forme le vaste tableau d'ensemble en formation de l'évolution.

 

Des théories sur l'Évolution

    Nous nous intéresserons ici surtout aux théories à caractère général sur les phénomènes liés à la sexualité et à la reproduction.

    Il faut dire, et l'auteur s'attache à bien le faire comprendre que beaucoup de nos conceptions proviennent de théories qui ont été élaborées avant les connaissances précises sur la sexualité, et qu'elles ont assimilées ces connaissances en quelque sorte, beaucoup d'informations "prouvant" au niveau le plus petit, ce que Darwin avait établi au niveau le plus grand de l'ordre naturel.

Les théories darwiniennes modernes vont toutefois beaucoup plus loin que la formulation que Darwin en avait donné. Elles spécifient les relations entre variations fortuites, ou dues à des effets non sélectifs, dans la composition génotypique, leurs effets sur les phénotypes et les différents effets sélectifs de la lutte pour l'existence. Il s'agit de bien comprendre comment un certain matériel génétique donne les caractéristiques d'un individu, et comment sa recomposition par la reproduction change ces caractéristiques (en fait la "traduction" génotype en phénotype) compte tenu de phénomènes trouvés dans l'étude de cette recomposition aux niveaux les plus petits. Pour autant, les processus de connaissances scientifiques ne sont pas des fleuves tranquilles et toujours logiquement enchaînés dans le temps les uns aux autres. D'autres théories que celles de Darwin voient le jour au XIXe siècle et sans doute est-ce le lot commun de beaucoup de théories d'être réinterprétées à la lumière de notions élaborées en dehors d'elles et parfois en compétition avec elles.

Ainsi, dans les théories sur l'évolution, se généralise le recours au mot d'origine anglais fitness, émigré du vocabulaire de l'évolutionnisme philosophique au vocabulaire démographique et génétique. Son origine est à rechercher dont la notion de sélection naturelle de Charles DARWIN reformulée sous l'influence de Herbert SPENCER. Michel GILLOIS explique que "cette notion, dans l'exposé de Darwin, est très riche :

- d'une part, elle souligne l'importance du rôle tenu par de petites différences héritables, favorables ou non, apparaissant chez des individus au sein des différentes sous-populations ou populations d'organismes ;

- d'autre part elle désigne comme susceptibles d'assurer le maintien, l'élimination, la modification de ces différences, les facteurs suivants : la viabilité, l'adaptabilité, la longévité, la fécondité, le partage des ressources disponibles."

La fitness est un paramètre démographique et écologique, qui finit par être une expression tautologique de la sélection naturelle, selon le même auteur. 

    Pour reprendre l'explication de Francesco SCUDO, "en termes techniques contemporains, cela implique d'évaluer les conditions dans lesquelles des modèles pensés en termes de différences en "fitness" relative entre phénotypes individuels, ou entre groupes socio-sexuels à l'intérieur de populations, sont des approximations satisfaisantes de la lutte pour l'existence traitée directement comme telle. Dans l'évaluation des rapports entre fitness relative et absolue - et de la manière dont leurs moyennes dans les populations locales influencent la dispersion, la survivance, etc. 

     Les théories "synthétiques", à l'inverse, tendent à traiter la fitness comme la propriété exacte  ou absolue des génotypes - en spécifiant seulement d'une façon vague si elle est constante plutôt que dépendante des fréquences géniques dans les populations ou de la densité de celles-ci - tandis qu'elles rejettent les théories darwiniennes de la lutte pour l'existence. (...). Dans leurs nombreuses variantes, les théories de type synthétique diffèrent des darwiniennes dans le fait de se concentrer sur les variations génotypiques considérées comme fortuites - et tout au plus sujettes à des limitations dans leurs expressions sélectionnables - et dans leurs effets sur la fitness des individus. Il n'est donc pas étonnant qu'elles proposent des interprétations très différentes des théories darwiniennes."

     Nous n'entrerons pas dans le détail du "débat" entre ces différentes théories, et passons directement à comment "les théories darwiniennes s'accordent avec les épiphénomènes de la sexualité, avant tout au niveau de l'organisme, c'est-à-dire avec les lois d'origine et d'évolution des réactions morphogénétiques aux conditions de vie", que l'on peut résumer ainsi :

- Toute réaction morphogénétique apparait comme dépendante d'un nouveau stimulus "externe" - qui détermine si et où elle advient - et tend à être proportionnelle à l'intensité de ce même stimulus.

- Si elle persiste assez longtemps, cette réaction tendra à devenir autorégulatrice, c'est-à-dire du type "tout ou rien", suivant que l'intensité du stimulus externe dépasse, ou non, une valeur de seuil génétiquement programmée.

- Les réactions "de seuil" tendent ensuite à être modifiées de façon à devenir complément autonomes par rapport aux condition de vie, en ce sens que les conditions de vie déterminent seulement si la réaction peut advenir ou non, c'est-à-dire si un développement non pathologique est possible.

- Une évolution ultérieure, enfin, tendra à faire apparaitre des normes autonomes de réaction d'une manière toujours plus précoce dans le développement, de telle sorte qu'elles deviennent régulatrices : après qu'une telle réaction s'est manifestée comme norme dans une population, elle peut être amplement modifiée au gré des conditions de vie individuelles, généralement à travers les réponses comportementales appropriées.

  "Qu'il s'agisse de spermatozoïdes et d'oeufs, de micro- et macro-gamètes, ou de mâles et de femelles, poursuit plus loin notre auteur, le sexe pose d'une façon cruciale le problème de ce qu'il faut "investir" dans l'un plutôt que dans l'autre et "pourquoi". C'est un problème que Darwin s'était posé longtemps (...) concluant sagement qu'il était mieux de confier la solution au futur. C'est précisément sur la manière de poser ce problème qu'il existe une divergence apparemment insurmontable entre les théories darwiniennes modernes et les théories néo-darwiniennes ou synthétiques, divergences qui porte surtout sur l'ordre dans lequel exécuter  deux types d'analyse aux finalités analogues. Étant donné qu'il donne la prééminence aux propriétés générales de la lutte pour l'existence, le théoricien darwinien en vient d'abord à poser le problème des causes générales de succès ou d'insuccès en ces termes, et, seulement après les avoir identifiés, à tenter de comprendre les mécanismes particuliers à travers lesquels ce succès est obtenu. Les théoriciens synthétiques refusent catégoriquement cette pratique pour des raisons qui nous semblent incompréhensibles, telles que le fait d'impliquer des explications de l'évolution en termes d'avantages attribués aux espèces, et pour cela illégitimes ; il apparaitra évidemment au lecteur que cette position conduit les théoriciens synthétiques à des interprétations de la sexualité (...° clairement non satisfaisantes de leur propre aveu". 

      "Les théories sur la sexualité (...) consistent, selon les cas, en différents niveaux de généralisation d'observations et de constructions principalement déductives fondées sur des phénomènes généraux connus empiriquement, comme le comportement du matériel héréditaire à la méiose et son transport par des mécanismes viraux. Une partie de ces généralisations semble naturelle, mais n'a pas encore un sens évolutif précis, comme les relations entre polymorphismes génotypiques immunitaires et sexuels ; la nature précise et l'histoire évolutive de ces relations ne pourront être comprises que moyennant des connaissance au niveau moléculaire bien plus vastes que celles dont nous disposons aujourd'hui. D'autres phénomènes ne nous sont connus que parce qu'ils sont aisément observables dans telle ou telle unité systématique ; ne connaissant pas leurs origines, nous ne percevons qu'imparfaitement leur signification adaptative." 

 

      Dans sa "Note sur les primates supérieurs", nous pouvons lire  : "Chez les Vertébrés homéothermes, la reconnaissance d'un partenaire "correct" est largement apprise, mais à travers des modalités instinctivement programmées dans des formes relativement rigides - cour nuptiale et accouplement adviennent normalement à travers des modules comportementaux "innés". Chez les mammifères "avancés", tels que les Félidés, ces modules peuvent cesser d'être utilisés, mais seulement à la suite d'une longue habitude entre les mêmes partenaires sexuels. Chez les Singes anthropomorphes et chez l'Homme, au contraire, il ne semble n'y avoir aucune trace de modules comportementaux innés pour les comportements sexuels, à l'exception peut-être de leurs manifestations in utero, et il y a seulement un petit nombre de comportements à signification socio-sexuelle comme le sourire et le baiser chez l'Homme. 
Chez les Singes anthropomorphes, aussi bien l'objet propre du comportement sexuel - c'est-à-dire un cospécifique de l'autre sexe, en oestrus s'il est femelle - que le comportement lui-même sont donc appris essentiellement par l'observation, mais aussi par l'enseignement actif (...) La conséquence directe de ces caractéristiques est que le mâle des Singes anthropomorphes, dans des conditions normales, ne commence à s'accoupler avec des femelles en oestrus que longtemps après avoir atteint la pleine maturité "physiologique", comme c'est le cas chez le Gorille, qui ne le fait que lorsque le poil de l'échine a commencé à devenir gris.

Parmi les différentes caractéristiques socio-sexuelles par lesquelles l'Homme se distingue des autres Primates, la plus importante peut-être est le manque de toute manifestation visible de l'oestrus. Dans les sociétés humaines qui sont dites aujourd'hui "primitives", l'apprentissage du comportement sexuel se fait ordinairement par l'enseignement, suivant des canons précis à l'intérieur de chaque culture, et très variables de l'une à l'autre. Normalement, cet enseignement est dispensé par les adultes du même sexe, et il est souvent intégré par des expériences rigoureusement limitées avec des individus plus mûrs. Dans les sociétés dites "développées", des conduites coutumières n'ont pas cours, mais tendent à être relayées par une éducation plus théorique dans le cadre de l'École et d'organisme de protection de la jeunesse et de la santé."

 

     Le lecteur qui peut se procurer de l'intégralité de l'article ne manquera pas d'être surpris par le changement d'échelle entre l'ensemble et cette note. Nombre d'explications - très techniques - portent sur des niveaux microscopiques d'organisation du vivant (dans diverses espèces aux caractéristiques très différents), parfois reliées à des observations sur les comportements, et il est difficile, d'ailleurs l'auteur lui-même le souligne à diverses reprise, de faire le pont entre le fonctionnement sexuel du vivant au niveau cellulaire et son évolution, comme entre ce fonctionnement et les comportements "extérieurs" vis-à-vis des partenaires comme dans l'environnement de manière générale. Nous pouvons tirer la conclusion que les théories sur la Sexualité et l'Évolution ne sont encore que partielles, même si se dresse un tableau d'ensemble sur l'Évolution, et donc sur ce qu'on appelle couramment la lutte pour la vie. Ce tableau d'ensemble dans lequel nous pourrions suivre à la fois dans le temps et dans l'espace les processus d'évolution à travers la sélection sexuelle, n'existe pas encore réellement. A notre avis, sans doute les options idéologiques et morales sont-elles pour quelque chose dans la difficulté d'avancer dans ce domaine. Même si par ailleurs, la poussée économique aboutit à des recherches directement sur l'embryon animal et humain, pour des réalisations commercialisables, sans égards sur les conséquences à moyen et long terme. 

 

    Jean-Louis LAROCHE résume bien cette perspective phylogénétique de la sexualité. "La sexualité déploie des significations de plus en plus complexes à mesure qu'on s'élève dans l'échelle zoologique. Sa présence est réelle mais discrète dans le monde des unicellulaires. Les travaux de E. L. Wollman et F. Jacob  sur la génétique microbienne reposent précisément sur la découverte qu'il existe chez les bactéries une polarité sexuelle et qu'au hasard des collisions une bactérie donatrice injecte un segment de son chromosome dans une bactérie réceptrice. Ces phénomènes de conjugaison ne jouent qu'un rôle marginal dans la reproduction. D'ordinaire, les bactéries se multiplient par fission et, entre elles, il peut y avoir transfert de matériel génétique  par l'entremise de virus ou par l'absorption de gênes libérés dans des broyats bactériens. Chez les êtres pluricellulaires, les cellules se spécialisent, en même temps que s'accroissent les échanges avec l'extérieur. Dès lors, la reproduction par conjonction de deux cellules produites par des organismes différents s'impose comme règle générale. Ce qui a pour effet, en brassant les programmes génétiques et en substituant l'altérité à l'identité, l'espèce à la lignée, la mort individuelle à la dilution indéfinie, de contranidre au changement et d'offrir un terrain diversifié au tri de la sélection naturelle.

Facteur d'évolution, la sexualité ne cesse d'évoluer. Elle apparait d'abord sous le contrôle exclusif des informations codées dans les gènes. Ensuite, chez les vertébrés et quelques invertébrés, s'ajoute un contrôle hormonal. Enfin, se superposant à eux, les dispositions cérébrales des mammifères introduisent une liberté de choix et inaugurent la voie qui franchira chez l'homme la distance de l'imaginaire et du symbolique, ce que J. Monod appelle les "simulations" en circuit fermé. Au terme de l'aventure, serait-il étonnant que la sexualité accède elle-même aux dimensions d'une langage?"

 

ETHUS

 

Francesco M SCUDO (traduction Patrick TORT, révision Jean GÉNERMONT, Sexualité et Évolution, dans Dictionnaire du Darwinisme et de l'Évolution, Sous la direction de Patrick TORT, PUF, 1996. Jean-Pierre SIGNORET, Comportement sexuel, dans Encyclopaedia Universalis, 2004. Jean-Louis LAROCHE, article Sexualité - Perspective phylogénétique, dans Encyclopaedia Universalis 2004.

 

Corrigé et complété le 20 septembre 2013 (Le correcteur d'over-blog nous laisse toujours en rade...). Relu le 22 juin 2021

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3 septembre 2013 2 03 /09 /septembre /2013 14:24

     La plasticité de la notion de violence, dans laquelle entre un cocktail de faits objectifs et d'appréciations subjectives, s'avère assez forte lorsqu'il s'agit des conflits impliquant d'une manière ou d'une autre la sexualité. Il existe bien, nonobstant l'existence d'un droit public qui délimite ce qui est licite (légitime pour celui qui se considère du côté du droit) et illicite en matière de pratiques sexuelles (notamment par l'intermédiaire de la législation sur le mariage), et qui dit ce qui est agression sexuelle et ce qui ne l'est pas, un continuum de comportement entre une simple expression d'une virilité qui peut passer pour l'expression (manifestée par des comportements et des postures) de la volonté d'accomplir des actes en fin de compte sexuels, une virilité plus ou moins agressive, et plus ou moins facteur d'oppression pour souvent le sexe féminin et plus loin, très loin sans doute, l'acte brutal du viol, accompli en dehors de toute institution reconnue et accompli par des êtres de force physique supérieure.

Non seulement, la virilité s'exprime de manière plus ou moins agressive suivant les époques et les régions, allant de seulement la prise d'initiative pour une relation amoureuse à l'affirmation de réalisation d'un droit garanti par la communauté, prolongeant bien au-delà d'une aimable entreprise bien des comportements, mais le viol peut être admis intégralement dans le cadre familial comme l'expression d'un devoir de consommation du mariage. On comprend alors qu'il ait fallu beaucoup de débats et d'études pour qu'au niveau planétaire, on aboutisse à une définition - dans le cadre de l'Organisation Mondiale de la Santé pour le préciser - de la violence sexuelle.

 

La définition de l'Organisation Mondiale de la Santé...

    Ainsi, l'OMS, dans son Rapport mondial sur la violence et la santé décrit le contexte de cette violence sexuelle, partout présente dans le monde.

"Bien que, dans la plupart des pays, peu de recherches soient consacrées au problème, les données dont nous disposons donnent à penser que, dans certains endroits, près d'une femme sur quatre subit probablement des violences sexuelles de la part d'un partenaire intime et un tiers des adolescentes déclarent avoir subi une initiation sexuelle forcée. La violence sexuelle a de profondes répercussions sur la santé physique et mentale de la victime. Outre les traumatismes physiques, elle est associée à n risque accru de nombreux problèmes de santé sexuelle et génétique, dont les conséquences se font sentir immédiatement, mais aussi des années après l'agression. Les conséquences pour la santé mentale sont tout aussi graves que les conséquences physiques et peuvent aussi durer très longtemps. La mortalité associée à la violence sexuelle peut être due à un suicide, à l'infection à VIH ou à un homicide, soit pendant l'agression en cas de viol avec homicide, soit plus tard dans les "crimes d'honneur". La violence sexuelle peut aussi influer profondément sur le bien-être social des victimes. Aussi, certaines victimes sont stigmatisées et mises au ban de la société par leur famille et par d'autres personnes. 

L'agresseur peut retirer du plaisir de rapports sexuels imposés, mais l'objectif sous-jacent est souvent l'expression d'un pouvoir et d'une domination sur la personne agressée. Souvent, les hommes qui obligent leur épouse à avoir des rapports sexuels pensent agir légitimement parce qu'ils sont mariés avec cette femme. 

Le viol de femmes et d'hommes, qui est souvent utilisé comme arme de guerre, comme forme d'attaque contre l'ennemi, caractérise la conquête et l'avilissement des femmes ou des combattants capturés. Il peut aussi servir à punir des femmes qui ont transgressé des codes sociaux ou moraux, par exemple, ceux qui interdisent l'adultère ou l'ivresse en public. Il arrive aussi que des hommes et des femmes soient violés alors qu'ils sont en garde à vue ou en prison.

La violence sexuelle peut être dirigée contre les hommes et les femmes, mais (le chapitre sur la violence sexuelle de ce rapport) porte essentiellement sur les diverses formes de violence sexuelle dont sont victimes les femmes, ainsi que sur les violences sexuelles que subissent les jeunes filles aux mains d'autres personnes que leur tuteur ou soignant.

  L'OMS parvient à cette définition : la violence sexuelle est "tout acte sexuel, tentative pour obtenir un acte sexuel, commentaire ou avances de nature sexuelle, ou actes visant à un trafic ou autrement dirigés contre la sexualité d'une personne indépendamment de sa relations avec la victime, dans tout contexte, y compris, mais sans s'y limiter, le foyer et le travail." 

Les auteurs précisent pour cette définition que "la coercition vise le recours à la force à divers degrés. En dehors de la force physique, l'agresseur peut recourir à l'intimidation psychologique, au chantage ou d'autres menaces - par exemple, la menace de blessures corporelles, de renvoi d'un emploi ou de ne pas obtenir un emploi recherché. La violence sexuelle peut survenir alors que la personne agressée est dans l'incapacité de donner son consentement parce qu'elle est ivre, droguée, endormie ou incapable mentalement de comprendre la situation, par exemple. La violence sexuelle comprend le viol, qui se définit ainsi : acte de pénétration, même légère, de la vulve ou de l'anus imposé notamment par la force physique, en utilisant un pénis, d'autres parties du corps ou un objet. Il y a tentative de viol si l'on essaie de commettre un tel acte. Lorsqu'il y a viol d'une personne par deux ou plusieurs agresseurs, on parle de viol collectif. La violence sexuelle peut comprendre d'autres formes d'agression dans lesquelles intervient un organe sexuel, notamment le contact imposé entre la bouche et le pénis, la vulve ou l'anus."

ils indiquent également différents actes de violence sexuelle :

- viol dans le mariage ou commis par un petit ami ;

- viol commis par des étrangers ;

- viol systématique pendant les conflits armés ;

- avances sexuelles importunes ou du harcèlement sexuel, y compris le fait d'exiger des relations sexuelles contre des faveurs ;

- violence sexuelle exercée contre des enfants ;

- violence sexuelles exercée à l'encontre de handicapés physiques ou mentaux ;

- mariage ou cohabitation forcée, y compris le mariage d'enfants ;

- négation du droit d'utiliser la contraception ou de se protéger contre des maladies sexuellement transmissibles ;

- avortement forcé ;

- actes de violence contre l'intégrité sexuelle des femmes, y compris la mutilation génitale féminine et les inspections imposées pour s'assurer de la virginité ;

- prostitution forcée et traité d'êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle.

Ils précisent également que "il n'existe pas de définition universellement acceptée de la traite d'être humains aux fins d'exploitation sexuelle. On désigne par cette expression le déplacement organisé de personnes, habituellement des femmes, entre des pays ou à l'intérieur de pays aux fins de travail sexuel. Cette traite comprend également le fait de contraindre un migrant à se soumettre à un acte sexuel en contrepartie d'une autorisation d'émigrer ou de dispositions pour sa migration. La traite d'êtres humains à des fins sexuelles utilise la force physique, la tromperie et la servitude qui découle d'un endettement. Dans la traite de femmes et d'enfants, par exemple, les victimes s'entendent souvent promettre du travail comme domestique ou dans l'industrie des services, mais en fait, elles sont emmenées dans des bordels où leur passeport et autre pièce d'identité sont confisqués. Il arrive qu'elles soient battues et enfermées, et on leur promet parfois la liberté une fois qu'elles auront gagné - en se prostituant - le prix de leur achat ainsi que leurs frais de visa et de voyage."

 

Une littérature dénonciatrice

     L'ensemble de la littérature sur le viol est largement dénonciatrice et peu d'études, sauf en psychanalyse, en psychiatrie ou en psychologie, se penchent sur les processus qui mènent à cette violence sexuelle. C'est que le chemin est encore long pour que toutes les sociétés et les États représentés dans les instances internationales reconnaissent non seulement la réalité de certaines violences sexuelles, mais les considèrent comme des crimes. Le degré de tolérance à l'égard d'actes qui visent surtout les femmes va de pair avec un statut qui dans certaines régions les considèrent encore comme des individus de seconde zone. 

 

L'évolution envers le viol

      La définition même du viol attire d'abord l'attention de Cyrille DUVERT avant de faire le point sur l'évolution de la société sur ce point : "Que le viol soit une violence, la langage en atteste : la racine des mots "viol" et "violence" est commune dans de nombreuses langues latines, germaniques ou extra-européennes. En français, l'usage du terme "violer" est attesté dès le XIe siècle et désigne alors aussi bien le fait d'"user de violence" que de "prendre de force une femme". En outre, les recherches historiques sur le phénomène révèlent des hésitations terminologiques quant aux domaines respectifs du "rapt" et du "viol" qui semblent n'avoir été clairement distingués qu'au XVIe siècle. L'un et l'autre sont cependant des crimes punis de mort dans l'ancien droit français et ont en commun l'absence de consentement de la victime. Que ce soit pour les juristes s'interrogeant sur l'existence d'une infraction ou pour l'opinion commune, le viol désigne néanmoins le fait de contraindre une femme à des relations sexuelles par la violence. Mais l'apparente simplicité de cette approche ne rend que faiblement compte des évolutions qu'a connues la notion aussi bien dans les temps anciens qu'à l'époque contemporaine."

Le juriste et Maître de conférences à l'Université Paris XIII-Villetaneuse constate que "la réaction sociale et judiciaire à la transgression nommée "viol" a varié selon les époques en fonction des situations sociales ou de sexe, des personnes concernées. Son histoire s'inscrit dans un lent processus d'égalisation, et ce n'est que récemment que le viol est devenu l'objet d'une réprobation inconditionnelle." Par exemple, "l'idée d'appropriation violente des femmes comme buton est illustrée par l'histoire : à la fin de la renaissance,le juriste Grotius, passant en revue les pratiques guerrières rapportées par les historiens de l'Antiquité, note ainsi que, suivant les circonstances, "les viols commis sur les femmes dans les guerres sont et permis et non permis" (GROTIUS, Le droit de la guerre et de la paix (1625), PUF, 2005).

      Pour ce qui concerne le droit français, "si l'évolution de (ce droit) est parfois présentée comme n'ayant abouti qu'en 1980 à la criminalisation du viol, la réalité est plus complexe. Réprimée comme un crime dans le Code Napoléon de 1810, l'infraction souffrait d'une absence de définition, facilitant ainsi, dans les cas où l'absence de consentements de la victime pouvait prêter à discussion, la requalification de l'infraction en outrage à la pudeur. (...)". "Par ces évolutions encore inachevées, le droit français du viol et plus largement des atteintes sexuelles est passé de la stigmatisation de la sexualité contraire aux moeurs à celui de la sexualité non consentie". 

"Si la tendance, poursuit-il, du droit pénal français à faire des acteurs du viol des êtres désincarnés ainsi qu'à dés-inscrire leur comportement de tout cadre de référence à des "moeurs" ; bonnes ou mauvaises non plus qu'à la "pudeur", est aujourd'hui confirmée, l'interrogation sur la signification du viol comme sur les valeurs qu'il transgresse n'est cependant pas complètement refermée". il fait référence aux échos en Europe des viols commis en ex-Yougoslavie durant les années 1990, "qui soulève encore la question des rapports de sexe et rappelle les enjeux de filiation que comporte le viol lorsqu'il débouche sur l'engendrement."

"le constat banal, de ce que 90% des victimes de viol sont, selon les études de criminologie, des femmes (LOPEZ et TZITZIS, Dictionnaire des sciences criminelles, Dalloz, 2004) interroge d'ailleurs sur la rareté  persistante des viols subis par les hommes ou, puisque la loi ne s'y oppose plus, de leur dénonciation. Une explication sociologique commune y voit la marque d'une culture associant des traits spécifiques  à la masculinité (G.L. MOSSE, L'image de l'homme. L'invention de la virilité à l'époque moderne, Pocket, 1999) qui conduirait les hommes victimes de ces pratiques à ne pas les dénoncer. Il y aurait une difficulté à admettre qu'un homme soit violé par un autre, en raison de la force physique supposément équivalente de l'un et de l'autre. De fait, les rares cas rendus publics ou sanctionnés se sont déroulés dans des lieux d'enfermement où s'exercent, de fait sinon de droit, des rapports de contrainte. (...). Dans un contexte de clôture marqué d'autorité morale plus que physique, le voila a progressivement été levé, depuis les années 1990, sur le cas d'agressions sexuelles subies par les enfants ou adolescents de la part des membres du clergé catholique, aux États-Unis d'Amérique, puis en Europe, signalant implicitement l'existence d'agressions sexuelles sur des hommes du fait du caractère le plus souvent non mixte des institutions catholiques. La réaction de ces atteintes sur mineurs au sein de l'Église catholique élude cependant le caractère homosexuel des relations litigieuses, et se concentre sur la dénonciation de la pédophilie en général.(...)". 

"Conséquence concrète autrefois crainte du viol, la naissance d'un enfant bâtard semble oubliée dans les sociétés développées : y concourent aussi bien la maîtrise de la fécondité que la disparition progressive des dispositions marginalisant la filiation hors mariage. C'est pourtant la hantise de l'impureté qui apparait, de façon confuse, dans les regards contemporains sur l'inceste. Au sens strict, dans lequel la vulgate anthropologique voit un "tabou fondateur de l'humanité" destiné à pousseer les individus vers l'exogamie, l'inceste s'entend de rlations sexuelles consanguines. relations entre frère et soeur majeurs comme entre père et fille mineure en relèvent, et le droit les refoule en interdisant le mariage entre les concernés comme l'établissement de la filiation qui en résulterait, même par la voie détournée de l'adoption. Conséquence de cette marginalité? A partir des années 1990, des tribunaux ont reconnu à des enfants nés de viols incestueux le droit de réclamer à l'agresseur de leur mère réparation civile de leur préjudice créé par une filiation aussi douloureuse qu'interdite. C'est pourtant moins en raison de l'engendrement qu'il peut impliquer que de l'acte qu'il suppose que l'inceste retient aujourd'hui l'attention du législateur pénal, qui l'ignorait jusqu'à présent (2010). (...)  Si comme on l'a souligné en rappelant son sens premier de relations consanguines, l'inceste n'implique pas la contrainte ni la violence, c'est l'assimilation qu'opère la loi puisqu'elle réaffirme la répression des relations sexuelles contraintes, qu'il s'agisse de viols et d'autres agressions sexuelles, entre mineurs et majeurs, et qu'elle étend le cercle des agresseurs "incestueux" à toute personne "ayant autorité de droit ou de fait" sur la victime. Consacrant une tendance repérée antérieurement dans les discours sur l'inceste, la loi en étend ainsi le champ potentiel, qui s'évade du seul noyau familial, en même temps que le re-serre sur les seuls relations sexuelles contraintes. Alors que les travaux d'historiens tendent à montrer la banalité des viols sur enfants (G VIGAROLLO, Histoire du viol, Seuil, 2000 - A-M. SOHN, Les attentats à la pudeur aux fillettes et à la sexualité quotidienne en France (1870-1939) dans Mentalités : violences sexuelles, Imago, 1989), amenant à douter d'une augmentation du phénomène, est affirmée la nécessité d'une protection renouvelée des faibles dans un cadre de contrainte. Institutions religieuses ou éducatives, famille : autant d'espaces clos où s'exercent des pressions rendant illusoire la recherche d'un consentement émis par le mineur et où viols et agressions sexuelles sont présumés autant que subsumés sous une conception renouvelée de l'inceste.

Cette protection du consentement comme critère de l'illicite est aujourd'hui l'objet d'une attention renouvelée dans le mariage, qui a longtemps semblé au féminisme l'ultime bataille à livrer contre le pouvoir masculin. De fait, ce n'est qu'après la réforme française de 1980 qu'ont été prononcées des condamnations pour viol là où autrefois des maris faisaient valoir le devoir conjugal (...). La genèse de la loi de 2006 "renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple", qui inscrit dorénavant la formule jurisprudentielle dans le Code pénal (art. 222-22), montre que le législateur français a notamment eu à l'esprit les populations étrangères ou d'origine étrangère dont un trait culturel serait la violence envers les femmes. (...) L'autorité patriarcale fut dénoncée pour mettre au jour "le mécanisme essentiel au fonctionnement d'une société qui demeure, à certains égards, machiste et patriarcale" et dévoiler "une volonté de maintenir en place le pouvoir des hommes et de contrôler le corps des femmes" (M JACQUEMAIN, Débats Sénats, Journal Officiel, 23 mars 2006).

Au-delà du seul viol, la stigmatisation des violences sexuelles se focalise ainsi sur des communautés où la différence des sexes comme asymétrie fondamentale entre hommes et femmes sont parfois revendiquées. C'est la contrainte inéluctable des premiers sur les secondes qui est visée dans la famille comme dans le mariage, pensé comme un espace clôt, un lieu encore privé et soustrait au regard de la puissance publique dans lequel le consentement, fragilisé, doit alors être protéger."

 

Cyrille DUVERT, article Viol, dans Dictionnaire de la violence, Sous la direction de Michela MARZANO, PUF, collection Quadrige, 2011.  Sous la direction de Etienne G KRUG, Linda L DAHLBERG, James A MERCY, Anthony ZWI et Rafael LOZANO-ASCENCIO, Rapport mondial sur la violence et la santé, Organisation Mondiale de la Santé, 2002.

 

SOCIUS

Relu le 22 juin 2021

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2 septembre 2013 1 02 /09 /septembre /2013 14:48

         Par-delà les considérations sur des oppositions entre l'amour et la haine, les liens entre sexualité et conflictualité peuvent être illustrés sur bien des plans.

 

      A commencer, en englobant toute la nature, par la compétition pour la diffusion des gènes par l'intermédiaire de rapports sexuels, chaque sujet (de l'animacule à l'homme) s'accaparant des "meilleurs partenaires" et empêchant ses congenères d'en faire de même. Cette compétition existe tant au niveau d'individus au sein d'une même espèce, qu'entre espèces différentes, où elle s'exprime plutôt par l'invasion d'un maximum d'individus s'accaparant un espace le plus grand possible.

Cette présentation de la sempiternelle lutte pour la vie, en raccourci, semble bien radicale. Mais tant dans le domaine végétal qu'animal, de multiples exemples indiquent que cette compétition est farouche même si elle ne se réduit pas à des batailles rangées (assez rares, notamment pour cette motivation, sauf chez les Primates) ou à des bagarres à mort entre individus, qui ne se déroulent pas d'ailleurs, lorsqu'elles ont lieu dans la même temporalité dans la nature. Il existe bien une sorte de compétition dans le monde végétal, dans la recherche de la luminosité et de la chaleur, visible suivant le résultat de l'examen des différentes populations de végétaux, même elle se déroule sur de longues périodes, tandis qu'à l'autre extrême, les luttes peuvent paraitre relativement brèves (tant au niveau microscopique que dans le règne animal).

Bien plus, la multiplication des individus d'une espèce se fait de manière autonome, sans considération pour l'espèce voisine, même sur le même territoire et c'est par la multiplication de ces individus que se réalise cette lutte pour la vie, par la submersion en quelque sorte, accaparant les ressources...

Lorsqu'on examine l'espèce humaine, nous sommes en face de quelque chose de nouveau : les comportements sexuels sont bien plus régis par des habitudes culturelles qui se transmettent de génération en génération que par une "volonté pulsionnelle" de surpasser ses semblables de cette manière... 

 

    Ce qui précède, de manière outrancièrement résumée, sur les comportements sexuels est l'objet de multiples disciplines, sciences naturelles et sciences humaines. La sexualité humaine, d'ailleurs, représente un champ de recherches comportementales, sociales, culturelles et civilisationnelles plus ou moins lié à la satisfaction ou à la répression des plaisirs sexuels. Une science à part entière, la sexologie est consacrée à la sexualité chez l'être humain, dans ses composantes médicales et sociologiques.

 

Sexualité et mortalité

    Mais avant d'aller plus avant dans la sexualité humaine, doit-on faire place d'abord à une considération philosophique : il n'y a point de sexualité sans la mort, la limitation dans le temps de la vie des individus, et point de mort sans sexualité, sous peine de disparition de l'espèce. Si la sexualité perpétue l'espèce, les individus eux, disparaissent progressivement, après avoir subi un cycle de transformations physiologiques et anatomiques qui se répète indéfiniment de génération en génération. Ce genre de considération n'est pas propre à notre époque où, dans certaines sociétés, reculer l'âge où la mort survient, et même transformer la mort, constitue un véritable objectif qui mobilise beaucoup d'énergies. Que ce soit avec des résultats concrets ou non, dans une pratique fantasmatico-religieuse (que les pratiquants considèrent comme aussi tangibles par ses effets que la vie elle-même)  ou proprement scientifique.

      Si aujourd'hui, la vie s'allonge (pas partout, et si la pollution s'accroit trop, cela risque de s'inverser partout...), la courte vie (être vieux à trente ans...) des nombreuses générations avant nous a inspiré bien des réflexions sur les destins individuels. L'existence de la mort suscite toute sorte de réflexions sur les composantes de la personne, réflexions qui se retrouvent dans les dogmes des religions, qui ont pour caractéristiques communes de réguler  à la fois les conditions de la mort (en tout cas par la pensée), (avant et après), et les conditions d'exercice de la sexualité. D'ailleurs, pour chacune d'entre elles, une conception de la mort (de l'essence de la personne) se rattache souvent à une conception de la sexualité. La peur de la mort conditionne un contrôle sur la sexualité.

 

     Alors que la sexualité est liée de manière quasi obligatoire à la mort, dans un processus de reproduction sans fin au niveau de l'espèce, elle est au contraire synonyme de vie (transmission de vie, mais aussi débordement de vie extatique) pour l'individu. Notamment dans la période de sa vie la plus active (que ce soit mâle ou femelle, homme ou femme, mais cette considération vaut surtout et sans doute exclusivement pour l'espèce humaine). Dionysos est associé à Éros dans un plaisir infini (mais parfois bref!) et à n'importe quelle période de l'histoire, dans n'importe quelle civilisation. La littérature abonde en récits fictifs ou romancés, de manière érotique ou pornographique, où la sexualité rime avec plaisir. Plaisir qui se veut fusionnel avec un(e) partenaire, mais qui mobilise surtout une grande partie de l'appareil physiologique humain dans ses phases ascendantes pour aboutir à l'extase, l'éjaculation, l'émission de liqueur d'amour... C'est sans doute en Occident  - mais là c'est tout un débat! - que l'aspect de plaisir lié au sexe est le plus exposé au groupe, à la société, tandis que dans d'autres sociétés, il se fait plus discret, même s'il est autant vécu. 

 

Finalité reproductive de la sexualité et plaisir individuel

         Aspect qui fait également l'objet de beaucoup de récits ou de recherches, la dissociation toujours plus forte entre la finalité reproductrice de la sexualité et l'accomplissement des plaisirs pour l'individu.  En ce sens que peut se dissocier, au moins dans l'esprit de beaucoup, les nécessités de reproduction de l'espèce et la recherche du plaisir maximum le plus intense, le plus fréquent possible pour l'individu. La vie affectivo-sexuelle est alors plus centrée sur cette recherche du plaisir individuel qu'inclue dans les relations familiales, conduisant à un certain nombres de conflits entre sexes, entre générations... A un point où l'on pourrait concevoir des rapports sexuels les plus intenses entre partenaires et la mécanisation de la reproduction, à partir de banques de liquides sexuels, introduits ensuite dans le corps de l'un ou de l'autre, de donneurs complètements différents... ou même de cultures de corps humains... Ce chemin, favorisé par les découvertes asymptotiques de la génétique, peut-il mener - lorsque la pression du groupe n'existe plus pour la reproduction, la population étant suffisante voire pléthorique par rapport aux ressources - à ce que la sexualité se réduise pour un certain nombre d'individus à cette recherche du plaisir?

 

Connaissance du corps et conflit

    Il faut aussi évoquer des conflits liés au pouvoir de connaissance sur le corps, corps camouflé sous une morale pudibonde, connaissance du corps de l'homme par la femme ou inversement, et connaissance du corps par l'enfant. Le secret - de polichinelle certes, mais la connaissance n'est pas seulement résumée à la vision d'images de la nudité, voire de la sexualité en action - entretenu sur la physiologie et l'anatomie du corps par les adultes, éventé volontairement (et souvent avec une intention pédagogique) dans certaines familles par la pratique du naturisme, constitue sans doute le dernier pouvoir que possède le monde des adultes sur celui des enfants, dans des périodes où sévissent de multiples conflits de génération, une véritable dissociation socio-culturelle entre la vie des adultes et la vie des enfants, favorisée d'ailleurs matériellement en cela par le cloisonnement du rôle des pièces dans le domicile ou l'organisation de la vie quotidienne. Dans certaines régions où les femmes doivent cacher au sens propre leur corps, n'y-a-t-il pas l'entretien d'un mystère (qui accroit d'ailleurs par ailleurs un certain désir, d'aucuns diraient une certaine concupiscence, redoublé à l'égard du corps de l'autre sexe, dans certaines circonstances...) qui sert une domination exercée par la gens masculine?   

 

Répression sexuelle tout azimut

    Les différentes répressions de la sexualité sont l'occasion d'autant de conflits. Le développement de caractères agressifs est, dans l'esprit de beaucoup d'auteurs de la psychanalyse, le résultat de refoulements de la sexualité, sous la pression sociale. Le développement de tout un appareil de connaissance et de contrôle de la sexualité, notamment de catégories pauvres et/ou exploitées de la population semble, selon nombre de penseurs marxistes ou marxisants, et même selon d'autres orientations idéologiques, fortement lié au développement du capitalisme. Les auteurs du féminisme ont fortement mis l'accent sur la concomitance, la dynamisme entre domination sociale et domination sexuelle.

Mais l'utilisation du corps de l'autre, dans le cadre des violences sexuelles dans ou hors du cadre familial et de la prostitution, civile ou militaire, féminine ou masculine, adulte ou infantile, est aussi le terreau d'autres conflits que la société régule plus ou moins, de manière très différente suivant les époques et les régions, suivant des morales elles aussi très différentes et avec des résultats eux aussi très différents!

 

Histoire de la sexualité humaine...

      Plusieurs aspects de la sexualité humaine et de leurs modes plus ou moins conflictuels ont été examinés  sous l'angle historique (par exemple par Alain CORBIN), philosophique (Michel ONFRAY... ), sociologico-historique (Michel FOUCAULT... ) ou neurobiologique (Serge WUNSCH). La psychanalyse donne à la sexualité un rôle clé dans les relations humaines et les approches médicales, légales, religieuses sont multiples et... contradictoires. Des conceptions elles-mêmes sur la sexualité peuvent donner lieu à des conflits, entre des religions ou entre religion et une  laïcité. S'y mêlent bien entendu des aspects sociologiques, économiques sur les rôles respectifs de l'homme et de la femme, pôles "opposés", "complémentaires" de cette sexualité. S'il est un domaine où la violence domine les relations sociales de la manière la plus "cachée" et "discrète", c'est bien dans les relations sexuelles entre "dominants" et "dominés"... Pour autant, pour de multiples raisons, il n'existe pas de sociologie de la sexualité en tant que sociologie organisée, et c'est à travers une littérature relativement éclatée que l'on peut se forger une idée des relations entre Sexualité et Conflit.

 

SOCIUS

 

Révisé et complété le 7 septembre 2013. Relu le 24 juin 2021

 

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21 août 2013 3 21 /08 /août /2013 11:25

   Les débats autour du changement climatique et de ses causes n'est pas seulement un débat sur des évaluations scientifiques effectuées à partir d'expériences en laboratoire (simulation de courants marins ou atmosphériques) et d'explorations des traces de conséquences d'un réchauffement climaque par le passé lointain ou très proche, entre scientifiques appartenant à des branches, des laboratoires ou des disciplines différentes. Il n'est pas non plus seulement le reflet de conceptions sur l'homme et la nature, ni la conséquence de considérations optimistes ou pessimistes sur le progrès. Ils font partie d'un ensemble d'évolutions qui mettent aux prises différents acteurs sociaux. Nombre de leurs éléments plongent dans les relations qu'entretiennent sciences, techniques, industries et sociétés. Les progrès scientifiques ne proviennent pas de l'étincelle de génie de chercheurs isolés, et même si un Pasteur par exemple est érigé en héros de la médecine, il bénéficie tout au long de ses recherches du travail et de la réflexion d'une longue lignées de chercheurs et de praticiens, de tout un appareil de connaissances et de technologies. Ils constituent souvent l'aboutissement d'une longue série d'essais et d'erreurs, tant théoriques que pratiques. Les chercheurs-savants travaillent dans une société qui bénéficie déjà de tout un environnement technologique et qui appelle des connaissances pour faire face à de nombreux défis techniques, que ce soit dans le domaine médical ou énergétique.  Les divers laboratoires ou cabinets s'insèrent dans un ensemble économico-social (largement conflictuel) qui oriente leur travail dans des directions variables dans le temps et dans l'espace (pas forcément logiquement reliables, à leur échelle, entre elles). 

     Toutes ces réalités sont rappelées ici à un moment où se mêlent, sur Internet en particulier, mais aussi dans la presse (aux mains de conglomérats financiers) de manière générale, ignorance (assez crasse) à la fois des conditions de la recherche scientifique et des découvertes scientifiques elles-mêmes, complotisme simplificateur (évitant de faire travailler son cerveau), déni de réalités gênantes (pour des individus, des groupes politiques ou des entreprises) et individualisme proche du je-m'en-foutisme de groupes et d'individus (par ailleurs prompt à déclamer une certaine morale) habitués à vivre ou se croire vivre dans leur bulle (familiale ou entre amis) en dehors de la marche du monde. A cela s'ajoute une certaine incompétence scientifique des élites au pouvoir, tout juste bonnes à dresser des tableaux comptables et à appliquer des politiques économiques sans considération des évolutions sociétales et des réalités sociales. (lignes rajoutées suite une évolution vers la médiocratie, vérifiée dans les gestions publiques de l'épidémie dite du coronavirus COVID-19)

 

      Jean-Paul GAUDELIÈRE et Pierre-Benoît JOLY (Appropriation et régulation des innovations technologiques : pour une comparaison transatlantique, dans Sociologie du travail, volume 48, n°3, 2006) avancent quatre formes clés de régulation des innovations technologiques :

- une régulation professionnelle ;

- une régulation marchande ;

- une régulation étatique ;

- une régulation "consumériste-civique", dont ils situent pour cette dernière l'apparition vers la fin du XXe siècle.

Par mode de régulation, ils entendent "l'ensemble des normes et des règles formelles et informelles qui définissent les formes de légitimation des activités, les rapports entre les différents pouvoirs, les formes de division du travail et de résolution des conflits, les dispositifs et pratiques d'évaluation." Ils empruntent cette notion à la fois à la sociologie des organisations (FRIEDBERG) et à la sociologie de la justification (BOLTANSKI et THÉVENOT, De la justification. Les économies de la grandeur, Gallimard, 1991). Ces auteurs associent les biotechnologies à un nouveau régime de régulation des savoirs "marqué par la tension entre une régulation marchande (qui se substituent aux régulations professionnelles et étatiques) et une régulation consumériste-civique. On pourrait en faire de même pour toutes les branches qui traitent actuellement des changements climatiques et même à propos des recherches récentes sur les substitutions énergétiques, les énergies "renouvelables". 

     Dans le cas de l'histoire de la recherche en génétique végétale et l'innovation variétale publique et privée (dont la recherche sur les Organismes Génétiquement Modifiés, OGM), Christophe BONNEUIL et Frédéric THOMAS (Gènes, pouvoirs et profits. Recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM, Éditions Quae-FPH, 2009) dégagent cinq modes de polarisation des recherches : colbertiste, professionnel, académique, marchand et civique, et décrivent le basculement d'un régime de production des savoirs à un autre à la fin du XIXe siècle. Un "régime du progrès génétique planifié" né dans les années 1940, qui articule le mode colbertiste (notamment  pensons-nous dans le cadre d'un complexe militaro-industriel) et le régime corporatif, est supplanté à partir des années 1970 par un "régime de la valeur ajoutée génétique mondialisé", dominé par le couple mode marchand/monde académique qui fonctionne en synergie au détriment des modes colbertiste et corporatif qui reculent, et du mode civique qui peine à sortir d'une niche restreinte et peser sur les grandes orientations de la recherche publique.

    Ces travaux, expliquent Christophe BONNEUIL et Pierre-Benoît JOLY, "mettent en évidence une emprise croissante de la régulation marchande sur la science qui a tardé à être thématisée par les STS (Sciences des Techniques et des Sociétés). C'est d'abord à partir de leur périphérie (économistes, sociologues non directement affiliés aux STS et, plus récemment, le courant de la new political sociology of science, historiens, etc.) que l'analyse de ce que le néolibéralisme fait à la production des savoirs scientifiques et techniques (qui participent en retour à un nouvel ordre social) a été progressivement constitué en questions majeure pour les STS.

   La thèse du capitalisme académique avancée notamment par Sheila SLAUGHTER et Larry LESLIE ( Academic Capitalism. Politics, Policies, and the Entrepreneurial University, Baltimore, Johns Hopkins Université Press, 1997) met en évidence une rupture dans les conceptions des relations entre science et économie et dans les politiques de recherche et d'innovation, rupture qui se produit dans les années 1970-1980 et qui est contemporaine de l'instauration de régimes néolibéraux de gouvernement des économies et des sociétés.

Après la Seconde Guerre mondiale, le discours sur la science était construit sur un triptyque : la science comme bien public, le schéma linéaire de l'innovation et le lien entre changement technique et croissance économique. A partir des années 1970, ce paradigme traditionnel de la science comme bien public, source de progrès et pilier du Welfare State, est remplacé par le paradigme de la science comme source de compétitivité économique. Avec le décollage des économies asiatiques, la compétitivité de l'économie devient le leitmotiv de la politique de recherche. (...) On bascule alors dans l'ère de la commercialisation de la science. Au début des années 1980, l'agenda de la compétitivité converge avec le projet néolibéral : la politique étatique doit favoriser les liens entre recherche publique et industrie, rendre la recherche appropriable et créer les conditions d'une régulation de la science par les mécanismes du marché.

Les changements qui affectent la production scientifique dans le nouveau "régime néolibéral" peuvent se décliner en trois grandes caractéristiques (LAVE, MIROWSKI et RANDALLS, Introduction : STS and néoliberal science, dans Social Studies of science, volume 40, n°5, 2010) :

- On observe un reflux de la dépense publique de recherche et un pilotage accru de la recherche par les entreprises et par les marchés financiers. "Le financement public de la recherche académique a ainsi été dépassé par le financement privé aux État-Unis dès les années 1980 ; en France, les courbes se croisent dans les années 1990 (...). Ce transfert de financement est favorisé par des politiques fiscales favorables aux entreprises. Dans le même temps, les grandes entreprises "dégraissent" leurs départements internes de R&D et optent pour une externalisation de leur recherche vers les universités et les start-ups. Dans le monde de la recherche industrielle s'impose le modèle de l'innovation "ouverte" qui prescrit une organisation de la forme en réseau, la compétence interne se recentrant sur la capacité à gérer les relations contractuelles et à assembler des connaissances produites ailleurs (...). Flexibilité, performance à court terme (réduction des coûts) et pilotage de la recherche par le "marché" constituent les principes directeurs de ces formes organisationnelles. Les grandes entreprises mondialisées (les 500 premières représentent 80% de la recherche industrielle mondiale) mettent en concurrence les structures nationales de recherche, comme elles l'ont fait depuis une trentaine d'années pour les activités manufacturières. 

Benjamin CORIAT et Fabienne ORSI pointent un phénomène nouveau : la financiarisation de l'innovation. Innovations financières, cadeaux fiscaux et création d'un marché boursier dédié aux entreprises "high tech" (le NASDAQ) créent les conditions de la constitution du secteur du capital-risque (...)". 

- On observe aussi l'extension des droits de propriété intellectuelle sur la connaissance scientifique. "Puisqu'il faut créer un marché de la connaissance, il convient d'en finir avec la conception de la science comme bien public et de protéger les connaissances fondamentales, les "découvertes", par brevet. Le discours sur l'économie de la connaissance - qui réorganise les relations entre science et innovation dans l'espace européen de la recherche - célèbre ce nouvel âge de l'exclusivisme et sanctionne un ensemble de transformations qui ont eu cours depuis la fin des années 1970. On bascule progressivement dans un paysage d'enclosures où les connaissances les plus fondamentales sont protégées par brevet. (...). Nombreux sont les économistes qui considèrent que ces évolutions sont fort préjudiciables et que, à favoriser l'exclusivisme, on risque de bloquer l'innovation. Ils invoquent le caractère nécessairement cumulatif de la production de connaissances en faveur d'une "science ouverte", que la généralisation des brevets remet en cause (DASGUPTA et DAVID, "Toward a new economic of science" dans Research Policy, volume 23, n°5, 1994)" Nous constatons avec eux qu'il semble bien que depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, d'abord par un effet d'entrainement des applications technologiques puis par une restriction du champ de recherches, la civilisation occidentale, en tant que basée sur une utilisation des énergies fossiles dans de multiples domaines, s'enfonce dans une sorte de décadence scientifique. il est tout de même caractéristique que depuis plus d'un siècle maintenant, l'automobile est le centre d'intérêt d'une grande partie de l'humanité, et pas seulement pour des raisons utilitaires...

- On observe enfin l'emprise croissante des formes de management qui viennent du monde de l'entreprise sur l'ensemble du système de production de connaissances. "Les universités et les organismes de recherche voient la part de leurs contrats industriels augmenter en même temps que les budgets publics sont réduits. Leur financement public est généralement indexé sur leur performance, mesurée notamment en terme de capacité à obtenir des financements privés. Pour la recherche, ce nouveau management public (new public management) se traduit par la mise en place d'un système de notation de la qualité des individus, des équipes et des organisations. Les gouvernements s'équipent de nouveaux instruments qui permettent de fixer des objectifs mesurables et d'évaluer les performances à partir d'indicateurs standardisés. Si le caractère réducteur et erroné des classements des universités (tel que celui de Shangaï), des indicateurs scientométriques comme le h-index, ou des mesures des effets économiques par les brevets est largement démontré (GINGRAS, La fièvre de l'évaluation de la recherche. Du mauvais usage de faux indicateurs, dans Note de recherche du CIRST, Montréal, UQAM, 2008). (...). la nouveauté réside essentiellement dans la remise en cause de la collégialité et de l'autonomie professionnelle. La colonisation du milieu académique par des logiques managériales remet en cause d'autres valeurs, des valeurs non instrumentales dont les chercheurs en tant que profession sont les garants, crée de nombreux domaines orphelins et diminue la diversité de l'écosystème de la recherche. Cela se traduit par une part croissante des financements par projet, une précarisation des jeunes chercheurs, une individualisation des salaires et des carrières, une exigence de flexibilité et d'adaptabilité. 

       Ces changements (...) affecteront durablement la production de connaissances scientifiques et techniques. L'analyse de ces changements et de leur influence sur les façons de connaitre et sur les dynamiques d'innovation constitue désormais une priorité dans l'agenda de recherche des STS".

 

    Cette priorité est bienvenue car nous pouvons constaté que de plus en plus, la recherche scientifique étant soumise à des impératifs étrangers à ses logiques propres, des dérives qui vont de l'occultation de données dans la présentation de résultats des recherches (multiplication des articles litigieux dans les publications scientifiques) à des conflits d'intérêts marqués qui frisent la malhonnêteté intellectuelle, voire de véritables campagnes de dénigrement de résultats de recherches qui vont à l'encontre des objectifs économiques de certaines entreprises et/ou secteur. C'est particulièrement vrai dans le domaine des énergies, ça l'est dans des domaines de plus en plus étendus, amenant de nombreux chercheurs et journalistes (qui se sentent pour beaucoup responsables de l'expression de l'opinion publique) à des découvertes désagréables notamment dans les secteurs de la santé et de l'alimentation.

 

     Stéphane FOUCART, journaliste à Le Monde  (Le populisme climatique) et Sylvestre HUET, journaliste à Libération, le constatent à l'occasion de leurs enquêtes dans diverses conférences scientifiques. Dans Merchants of doubt, Naomi ORESKES, de l'université de Californie à San Diego) dénonce lui aussi ce qu'il appelle, sans doute avec quelques outrances mais la formule trouve son sens au vu des conséquences dramatiques pour l'humanité, un négationnisme climatique. C'est également le titre du livre de Florence LERAY (Éditions Golias, 2011).

   Comme l'écrit Sylvestre HUET dans un long article sur "Le journaliste face au street fight climatique", "les positionnements idéologiques vont nécessairement investir ce sujet (le changement climatique), puisqu'il va désormais participer aux joutes électorales (...). Si la controverse scientifique elle-même ne fait pas problème, faisant même partie de la démarche du développement des connaissances, il constate que "en revanche, les journalistes ont eu à faire face à des voyous - en général ceux qui participent aux combats de rue sont des voyous - d'un genre tout à fait spécial et probablement avec surprise : certains scientifiques. Des scientifiques qui, pour des raisons diverses, ont décidé de rompre avec l'éthique et les méthodes de la recherche pour participer à ce combat de rue. Des scientifiques qui ont permis à des éditorialistes - vous savez, ces journalistes qui n'enquêtent pas mais commentent l'actualité - d'affirmer à leurs lecteurs "les textes du GIEC sont douteux, la science du climat est douteuse, la preuve : certains scientifiques de grande qualité l'affirment". Loin de se faire prendre au piège d'une mise en scène par nombre de médias (et furieusement sur Internet) d'un débat qui se voudrait rationnel, il se veut précis: "je ne parle pas des controverses scientifiques normales et des questions sans réponses ou des doutes qui agitent les laboratoires des sciences du climat. Niveau marin futur, réactions des moussons asiatique et africaine, mesure des évolutions récentes des calottes de glaces, représentation des nuages dans les modèles... tous ces sujets sont au centre de controverses qui s'expriment dans les revues scientifiques et les séminaires. (...) Je parle de scientifiques qui mentent, calomnient, falsifient des documents scientifiques, dénigrent leurs collègues sur la place publique. Autant de méthodes de voyou, qui n'ont, en principe, pas leur place dans une controverse scientifiques normale et qui ont pesé lourdement sur le débat public et les médias. En France, ce rôle a été tenu principalement pas une personnalité importante du monde scientifiques mais également de la classe politique, Claude ALLÈGRE ( avec Dominique de MONTVALON, L'imposture climatique ou la fausse écologie, Plon). Ce dernier n'est pas seulement l'un des scientifiques français les plus titrés et cités dans les revues scientifiques de sa discipline - la géochimie - c'est aussi un ancien ministre de l'éducation nationale et de la recherche dans le gouvernement de Lionel Jospin entre 1997 et 2000. L'intervention publique de Claude ALLÈGRE a pris de multiples formes, tribunes et chroniques dans les journaux, multiples interviews à la radio et télévisions, livres."

En fait, le géochimiste ne fait que participer à une entreprise de dénigrement systématique menée à l'échelle mondiale, et utilise des méthodes qui sont le lot de toute campagne orchestrée à des fins publicitaires ou contre-publicitaires par des entreprises soucieuses de leur image de marque et qui avancent le plus souvent masquées dans le débat public. Des membres de la communauté scientifique (comme Édouard BARD, professeur au Collège de France) s'élèvent contre ce genre de campagnes, qui ne sont pas des exceptions ou des exemples outranciers : au moment où l'ensemble de la recherche scientifique est focalisée sur des résultats intéressants prioritairement les secteurs dominants de l'industrie, elles sont monnaie courante et font même partie d'un plan marketing obligatoire pour des entreprises qui se respectent, comme EXXON par exemple, nommément attaquée par Al GORE au Global Brand Forum de Singapour. Elles utilisent exactement les mêmes méthodes que l'industrie du tabac pour défendre son marché des cigarettes et des cigares ou l'industrie chimique pour défendre son marché de l'amiante. De plus en plus de scientifiques, regroupés au niveau mondial, contestent ces méthodes, veulent que l'on revienne aux faits, soutiennent le principe de précaution nécessaire face à la montée des périls, que ce soit en matière de pollution des terres agricoles ou en matière d'accroissement des émissions de gaz à effet de serre. Une véritable bataille, dans laquelle se trouve au centre l'ensemble des médias, se livre entre firmes voulant continuer dans la même voie pour la recherche de profits de plus en plus à court termes et monde scientifiques, responsables de l'environnement, organisations non gouvernementales et partis politiques écologiques... Une bataille qui, au fur et à mesure de l'affinement des résultats des recherches sur le climat qui indiquent de manière cumulative un accroissement de la gravité de la situation, est en passe de tourner en faveur des partisans du principe de précaution et de politiques énergétiques alternatives, si l'on en juge la tonalité des débats publics et le contenu de plus en plus de séminaires scientifiques, même ceux organisés par les entreprises mêmes qui, hier, déniaient même la qualité de scientifiques aux chercheurs qui tentent d'alarmer l'opinion publique depuis plus d'un demi-siècle. Une certaine prise de conscience, même, se fait jour dans de nombreux milieux industriels et financiers, qui s'exprime notamment dans une multltude de rapports des fondations (notamment américaines) patronnées par ces mêmes milieux...

 

Claude ALLÈGRE et Dominique de MONTVALON, L'imposture climatique ou la fausse écologie, Plon ; Florence LERAY, Le négationnisme du réchauffement climatique en question!, Golias, 2011 ; Stéphane FOUCART, Le populisme climatique, Denoël.

Christophe BONNEUIL et Pierre-Benoît JOLY, Sciences, techniques et société, La Découverte, Collection Repères, 2013.

Sylvestre HUET, Les journalistes face au sweet fight climatique, octobre 2010, site http://sciences.blog.liberation.fr

 

SOCIUS

 

Relu le 7 juin 2021

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