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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 13:46

        A l'issue d'un examen de l'histoire de la pensée monétaire, Jérôme de BOYER conclut qu'il "existe (...) une grande diversité des approches de la monnaie, (mais que) l'on peut distinguer deux traditions dans (celle-ci).

L'une associe la monnaie à l'échange, à la détermination des quantités et des prix, à la formation et à la répartition du revenu, au crédit, au taux d'intérêt, aux risques bancaires, à la finance ; selon cette tradition, on ne pense pas à l'économie sans la monnaie.

L'autre tradition cantonne la monnaie à une fonction circulatoire qu'elle exerce dans les transactions ; on y postule la dichotomie entre les lois de la circulation monétaire et celles de l'économie "réelle". La théorie quantitative de la monnaie, et son corollaire, la neutralité de la monnaie, renvoie à cette seconde tradition".

 

Les deux traditions obscurcissent la pensée économiques...

"La théorie quantitative de la monnaie rétrécit le champ de l'analyse monétaire, mais elle est en phase avec la conception dichotomique qui imprègne la pensée économique depuis le dix-huitième siècle : les lois de l'échange, de la production et de la répartition sont réelles, indépendantes de la monnaie. Cette vision est apparue en réaction au mercantilisme et aux innovations monétaires dont on craignait qu'elles conduisent à la catastrophe, à l'image du système de John Law. Conduites par le politique, celles-ci sont perçues comme dangereuses ; de surcroit inutiles car, pour répondre aux besoins des agents, la valeur de la monnaie s'adapte à sa quantité. C'est sur cette base que s'est forgée la tradition quantitativiste qui a tant fasciné les économistes ; et qui les fascine encore malgré le fait que ni les ricardiens, ni les monétaristes n'aient réussi à démontrer valablement cette théorie, à intégrer cette vision de la monnaie à leur théorie du marché! Les conséquences ne sont pas négligeables. De façon arbitraire, on soutient que la politique monétaire doit suivre des règles strictes, rigides, à l'exclusion de toute action discrétionnaire avec pour seul objectif le niveau des prix ; on prétend que l'emploi, la répartition du revenu ou l'état des marchés financiers n'en sont pas des objectifs, on utilise des agrégats monétaires non pertinents pour mener cette politique ; on dissocie la monnaie du crédit, la politique monétaire de la politique bancaire, on soutient que la banque centrale doit être indépendante, qu'elle l'est, qu'il faut en confier la gestion à des individus conservateurs ; on ignore les dangers d'un "currency board", on prône la dollarisation, on soutien que les thérapies imposées par le FMI aux pays contraints d'avoir recours à ses crédits sont les seuls possibles, etc... Bien que mal fondée, la théorie quantitative n'hésite pas à être normative, ce qui n'est pas neutre. La neutralité de la monnaie et de la politique monétaire est une mystification véhiculée par la théorie quantitative de la monnaie. Pour penser la monnaie, il faut s'affranchir de cette vision quantitativiste. C'est une difficulté pour l'économiste car il est formée à penser les catégories "réelles" indépendamment de la monnaie."

Après ce jugement clair sur la théorie quantitativiste, le maître de Conférences à l'Université Paris Dauphine estime que l'autre forme de pensée économique exerce elle aussi une "influence considérable". "Aussi est-il fréquent de voir les banquiers et les politiques qui gèrent la monnaie s'écarter de l'orthodoxie quantitativiste et se référer à l'histoire et à ses enseignements. Cette pensée monétaire s'est efforcée de mettre au jour ceux-ci. Mentionnons les analyses de Smith ou de la Banking School sur le risque de crédit et la solvabilité des banques, celles de Thornton, Hawtrey, de Keynes sur la liquidité des banques et du marché financier, mais aussi sur le taux d'intérêt et le revenu ; celles de Marx ou de Keynes sur l'antagonisme entre industrie et finance,... On en fait difficilement abstraction lorsqu'on est interpellé sur la conjoncture et la politique monétaire." "Cependant, quel qu'en soit la fécondité, la tradition non-dichotomique est éclatée et n'offre pas de représentation globale de l'économie monétaire. Si on excepte Marx, les auteurs sus-mentionnés ne traitent que partiellement de la théorie de l'équilibre ; ainsi Keynes ne nous dit-il rien sur les prix relatifs dans sa Théorie Générale et les développements actuels de la théorie bancaire se cantonnent au niveau microéconomiques.

Les concepts monétaires qui sont développés ont trait à des questions spécifiques. De plus, ils s'avèrent réfractaires à une intégration à la théorie économique générale à laquelle ces auteurs ont par ailleurs recours. Une théorie qui postule la dichotomie. Cette tradition semble manquer de cohérence." Nous remarquons d'ailleurs en ce qui concerne une théorie unifiée qui discute à la fois des questions monétaires et des questions économiques globales, qu'elle se retrouve dès les premiers chapitres du Capital où Karl Marx décrit la circulation du capital, à la fois circulation d'argent et circulation de marchandise. 

 

Économie de marché, économie monétaire

      "L'économie de marché ne doit pas être pensée comme une économie a-monétaire. L'économie de marché est monétaire." Le chercheur au Pôle d'Histoire de l'Analyse et des Représentations Économiques (PARE) à l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, effectue une étude de la pensée monétaire qui dégage deux enseignements :

- Le marché génère des innovations financières, parmi lesquelles figurent les banques et la monnaie ;

- produire pour le marché et échanger conduisent à prendre des risques.

"Ces risques se reportent sur la monnaie et se manifestent avec éclat lors des crises. Au niveau des banques, ils sont perçus comme risques de crédit, de liquidité, de taux d'intérêt, de change. Au niveau des agents, ils se traduisent par la difficulté d'emprunter, l'impossibilité de vendre, l'illiquidité, les moins-values financières, le chômage, la baisse des recettes fiscales, etc... La gestion de la monnaie est un enjeu politique car elle modifie l'exposition des agents économiques face aux risques et leur situation en période de crise. Si la Banque d'Angleterre a été créée pour augmenter la liquidité des titres de la dette publique et donc pour améliorer les conditions d'emprunt de l'État, c'est pour rétablir la liquidité des marchands, qu'elle intervient comme prêteur en dernier ressort en 1793. En Angleterre, au XIXe siècle, la liquidité des banquiers et le soutien du crédit commercial étaient des enjeux essentiels de la politique monétaire. Au XXe siècle, le niveau de l'emploi, la croissance et la liquidité du marché financier ont été mis en avant par le keynesianisme. Les crises récentes d'Asie du Sud-Est (l'auteur écrit en 2003) et d'Amérique Latine mettent en exergue les problèmes de financement et de liquidité internationale qui touchent ces pays et leurs populations. L'histoire et l'actualité enseignent que la politique monétaire n'est pas a-politique."

 

L'endettement généralisé et les crises financières

     L'auteur en vient aux éléments essentiels des phénomènes financiers de l'économie en abordant la question de la dette.

"Si l'économie monétaire met en relation des créanciers et des débiteurs, elle ne se résume pas à des relations entre marchands. Dans le cadre du capitalisme, elle met aussi en relation des classes sociales. Or les salariés n'accèdent pas à la monnaie en s'endettant et les capitalistes ne sont pas des débiteurs. Le rapport salarial n'est pas un rapport marchand ordinaire. De même qu'elle doit intégrer les risques inhérents à l'économie de marché, la théorie monétaire doit intégrer cet aspect du capitalisme. On ne peut pas en faire l'abstraction pour analyser le crédit et la dynamique des marchés financiers. L'histoire et l'analyse de la pensée monétaire montrent que celle-ci doit traiter de l'ensemble des questions économiques ; non seulement de la liquidité des produits, des titres et des agents, mais aussi de la formation des prix et de la répartition des revenus et de la richesse. 

En ce début du siècle, il apparaît que la globalisation financière s'accompagne d'une instabilité économique et de risques bancaires accrus, mais aussi d'une divergence dans l'ampleur et les rythmes des cycles selon les grandes zones économiques. L'élaboration et l'analyse de la politique monétaire et financière au niveau international devraient fournir un axe majeur de renouvellement de la pensée monétaire. Un second axe devrait résider dans l'intégration des travaux relatifs aux risques financiers et bancaires qui sont fondés sur les asymétries d'information, travaux qui, le plus souvent, se situent dans une problématique d'équilibre partiel. Le troisième axe devrait être le difficile mais nécessaire renouvellement de la théorie du marché en vue de permettre l'intégration de la monnaie."

     Bien entendu, ces conclusions s'adressent surtout aux acteurs (et aux lecteurs) de la théorie financière dominante, dans une période où les analyses marxistes sont entachées de l'échec de pseudo-socialismes et reléguées par une idéologie qui confond l'effondrement des régimes qui se disaient marxistes à l'Est de l'Europe avec le triomphe encore à prouver du capitalisme en tant que système économique. Le renouveau de la pensée monétaire que cet auteur appelle de ses voeux devrait être facilité par précisément les crises récentes profondes de ce capitalisme. Mais par ailleurs, il faut noter que les objectifs des politiques monétaires mises en oeuvre dans les deux dernières décennies ne sont pas forcément globaux, mais s'attachent sans doute à favoriser des classes sociales contre d'autres classes sociales. Témoins de cette évolution, les abandons répétés de l'objectif du plein-emploi qui faisait tout de même partie du paysage des planificateurs occidentaux il y a peu. Aussi, ce renouveau ne peut aller sans grands conflits d'objectifs, nombre d'acteurs ne voulant sans doute surtout pas (ou n'ayant pas besoin après tout)  d'une économie qui prenne en compte tous les aspects de la réalité économique.

 

      Cette question de la théorie monétaire est loin d'être... théorique. La doctrine dominante en vigueur chez les économistes, à grand renfort de modélisations mathématiques, constitue un des éléments moteurs de l'activité financière, en ce sens qu'elle domine les esprits des acteurs du système. Si le capitalisme financier semble conduire l'ensemble de l'économie, la théorie économique financière a tendance à repousser bien loin des aspects qui ne touchent pas la circulation de l'argent. L'évolution économique vers un nouveau capitalisme est supportée par un ensemble d'idées, de représentations de la réalité, comme l'indique bien Dominique PLIHON.

Toutes ces idées de "libération" des marchés des activités jugées intempestives des États, où "les réglementations sont jugées néfastes ou inapplicables : seul un marché financier libéré et développé peut permettre la reprise de l'investissement et de la croissance. En donnant aux actionnaires une suprématie sur les managers dans les entreprises, le développement des marchés des capitaux doit accroître l'efficacité de l'appareil productif. L'ensemble de ces transformations doit conduire à une amélioration du bien être général dans l'économie mondiale." "Ces idées constituent la base de la doctrine "néolibérale", ainsi dénommée car elle se situe dans le prolongement du libéralisme classique défendu par François Quesnay (1694-1774) en France et Adam Smith (1723-1790) en Angleterre. La doctrine néolibérale tire son attrait et sa force du fait qu'elle se place sous la bannière de la liberté, elle-même menacée par un monstre, l'État-providence. En fait, le succès du néolibéralisme est avant tout la conséquence d'un double effondrement : d'une part, la crise du capitalisme de l'après-guerre, qui remet en question le rôle de l'État et des politiques publiques ; d'autre part, l'écroulement des oppositions organisées, qu'il s'agisse du syndicalisme (...) ou du marxisme (...). Une caractéristique essentielle de la vision du monde véhiculée par le libéralisme (ancien et nouveau) est sa prétention à l'universalité."

 

Pour refonder une théorie économique globale....

     Très ancien, le système financier a pour fonction, entre autres, de transférer de la richesse dans le temps. Au lieu de procéder à des échanges de marchandises contre d'autres marchandises, les acteurs économiques qui possèdent le droit de décider de telle ou telle achat ou vente, utilisent l'intermédiaire de la monnaie.

En faisant cela, ils ne font pas seulement une opération technique. Ils agissent dans un sens ou dans un sens quant à le destination de la richesse. Dans un ouvrage dont nous recommandons la lecture, Pierre-Noël GIRAUD décrit bien ce fait essentiel de la réalité économique. Le jeu des créances et des dettes constitue un des éléments moteurs de la vie économique. Les prêteurs et emprunteurs, d'abord pour des raisons techniques (transport des marchandises, nécessité de concentrer des moyens pour produire...), puis dans des objectifs d'enrichissement à partir de cette circulation d'argent, parient constamment sur l'avenir en contractant entre aux obligations et rémunérations. 

Le professeur d'économie à Nimes Paris-Tech et à l'université Paris-Dauphine montre que la finance est essentiellement un commerce de promesses. "L'une des fonctions principales de la finance (...) est de transférer de la richesse dans le temps. (...) Il faut reconnaître qu'il n'existe aucune moyen sûr de le faire. En réalité, la finance ne fait que vendre, contre de la monnaie (qui elle, donne droit à jouir immédiatement d'une part de la richesse produite aujourd'hui), un "droit" sur une part de la richesse qui sera produite dans le futur. Et elle organise, jusqu'à leur échéance, la revente de ces droits, leur circulation. Ces droits sur la richesse future ne sont en réalité que des promesses. Rien, absolument rien, ne permet en effet d'en faire des droits sûrs, qui seront honorés quoi qu'il arrive dans le futur. Comprenons bien que ce n'est pas uniquement parce que ces droits ont toujours été, à l'origine, émis par un acteur particulier qui peut disparaitre avant de les honorer. Il ne s'agit pas ici du risque individuel de tout actif financier. Le problème est global. Pendant une période donnée, on ne peut jamais jouir que de ce qui a été effectivement produit durant cette période. Sont candidats à la répartition de cette richesse, l'ensemble des droits antérieurement émis sous forme d'actifs financiers, ainsi que ceux acquis pendant cette période même, essentiellement ceux du travail directement utilisé pendant cette période. Or cette répartition est nécessairement conflictuelle : entre les droits financiers et les autres et au sein des droits financiers. Le conflit sera d'autant plus vif que la finance a antérieurement créé des droits "en excès", c'est-à-dire tels qu'ils ne pourraient être respectés qu'en réduisant la part relative des autres droits. (...) c'est le cas si sont vendus des actifs financiers dont les rendements annoncés sont supérieurs à ce que sera effectivement la croissance économique. Or ni la croissance économique future ni l'issue des conflits de répartition ne peuvent être connus avec certitude au moment où sont émis des titres financiers. C'est pour cela que, fondamentalement, la finance ne fait commerce que de promesses et qu'il n'existe aucun moyen sûr de transférer de la richesse dans le temps." L'évolution du prix de ces promesses, loin de reposer sur quelques fondamentaux jamais bien définis ou quantifiés, restent en fin de compte soumis à l'ensemble des attentes et des réalisations passées.      

La faillite de la pensée économique libérale dominante se comprend bien lorsqu'elle fait preuve d'un optimisme inlassable dans l'efficacité du système économique. Le spectacle des différentes crises du capitalisme, de celle de  1929 à celle de  2007 (crise des "subprimes") montre bien l'incapacité de cette théorie à prévoir et à guider dans la conduite des affaires. "On comprend (...) désormais mieux les insuffisances des théories qui excluent la possibilité de bulles spéculatives sur les marchés financiers. Ces théories supposent d'abord que tous les acteurs disposent de la même information sur les fondamentaux observables. Une hypothèse certainement excessive, mais qui n'est cependant pas la plus critiquable. Plus important est qu'elles négligent le rôle du mimétisme et son caractère rationnel en cas de forte incertitude. Mais surtout elles ignorent une étape essentielle dans la formation de l'évaluation par les acteurs du prix fondamental : (...) le modèle d'interprétation. Plus exactement, elles ne l'ignorent pas, mais elles supposent que ces modèles sont stables dans le temps. Ces théories supposent donc une relation mécanique constante entre les paramètres objectifs qu'observe chaque acteur et l'évaluation du prix fondamental qu'il en déduit." Toute la problématique réside dans le fait qu'il n'existe pas réellement de paramètres objectifs (pour de multiples raisons) et que l'évaluation du prix fondamental est affaire de vision de l'avenir. Tout l'appareil "scientifique" mathématique étalé dans les publications économiques ou dans la presse ne doit pas faire illusion ; tout repose sur des appréciations subjectives et ces appréciations subjectives pèsent dans un sens ou dans un autre de l'évolution économique selon le partage ou non de ces appréciations par l'ensemble des acteurs financiers. Nous sommes d'accord avec pierre-Noël GIRAUD quand il écrit qu'"il fait opérer un renversement dans l'analyse de la rationalité des acteurs sur les marchés financiers." "L'analyse traditionnelle leur suppose un comportement fondé sur l'examen attentif de fondamentaux objectifs  (proposé par un certain nombre d'institutions publiques ou privées plus ou moins indépendantes, précisons-nous, comme les agences de notations...), dont ils déduisent un jugement sur le caractère sur- ou sous-évalué des prix du marché, jugement qui gouverne leurs interventions. Lorsque les fondamentaux ne sont en réalité pas observables, d'autant plus incertains que l'avenir est ouvert et, de lus, susceptibles d'être influencés par les évolutions des prix de marché, mieux vaut attribuer aux acteurs une logique inversée, partant des prix de marché qui, eux, sont observables. Cette logique est à mon avis la suivante. Constatant les prix de marché, tout acteur est capable d'évaluer les fondamentaux qui justifieraient ces prix. Il vérifie ensuite que ces valeurs sont cohérentes avec sa propre vision de l'avenir et ce qu'il pense être la vision dominante chez les autres. Si c'est le cas, les prix ne sont pas surévalués à ses yeux et il agit en conséquence. Dans cette logique inversée, on voit bien que le modèle d'interprétation joue un rôle absolument central dans le comportement des acteurs. ces derniers analysent évidemment attentivement toute information nouvelle susceptible de modifier leur jugement. Mais ces informations agissent selon deux modalités très différentes.

Dans le premier cas, les informations nouvelles ne modifient pas le modèle d'interprétation dominant et sont donc interprétées dans son cadre. Elles provoquent alors des fluctuations des prix de marché autour de la tendance déterminée par ce modèle dominant. Le marché semble "efficient" au sens de la théorie traditionnelle : il intègre immédiatement toute l'information disponible et le lien entre cette information et les prix de marché semble bien être mécanique. C'est à mon avis ce qui s'est passé lors de la sévère "correction" du Nasdaq en avril 2000. A l'issue de ce qui fut généralement considéré comme une première phase de l'expansion de l'industrie "Internet", et sans que la vision d'ensemble n'ait pas été profondément modifiée, des informations ponctuelles ont provoqué un tri entre les valeurs Internet. Ces informations ont modifié les distributions de probabilité quant aux futures entreprises "gagnantes". Les investisseurs se sont concentrés sur celles dont les positions déjà acquises apparaissaient les plus fortes et les modèles d'affaires les plus crédibles.

Dans le second cas, les informations nouvelles provoquent une destruction de la vision dominante. Ce fut le cas lors de la crise asiatique de l'été 1997 et dans la crise de 2008. Elles entraînent alors une violente crise sur les marchés concernés, qui ne se stabilisent à nouveau que lorsqu'une nouvelle vision dominante a réussi à polariser autour d'elle, par mimétisme, les visions individuelles des acteurs.

 

Réalité économique, réalité politique...

En conclusion, les visions changeantes de l'avenir qu'ont les acteurs sont la seule "réalité" qui compte sur les marchés financiers. Le mimétisme se polarise autour d'une vision dominante. C'est elle qui détermine les prix. cependant, non seulement la plupart des économistes, mais la grande majorité des acteurs des marchés financiers refusent cette théorie et maintiennent qu'il existe des fondamentaux (de rang élevé) observables et indépendants du prix de marché qui permettent de calculer un prix fondamental, attracteur du prix de marché (et identique à lui quand le marché est efficient). Selon eux, les prix des actifs financiers sont donc, par ces fondamentaux observables de rang n, solidement arrimés à une sphère "réelle" qui leur est indépendante. Comment rendre compte de cet acharnement?"  

L'auteur prend alors en compte le concept de fondamentaux comme anxiolytique puissant. Une étude comparative sur le long terme serait intéressante entre l'évolution de la circulation des marchandises et l'évolution de la circulation de l'argent. Avec la grande difficulté que nous sommes probablement dans une période de transition, vers un capitalisme sont les contours sont encore flous. L'évolution économique semble en tout cas se caractériser par une envolée des prix de marché, un volume monétaire extraordinaire, qui n'a que peu de rapports avec la valeur des marchandises produites. Le décalage entre l'évolution de ce que pourraient être ces fondamentaux, la production brute, le niveau de l'emploi des capacités industrielles et de la main d'oeuvre disponible... et l'évolution de la masse monétaire semble indiquer un décrochage entre une sphère financière et une sphère "réelle", ce qui expliquerait la multiplication des krachs depuis les années 2000. A période de transition, sans doute révision de la théorie monétaire.

 

Pierre-Noël GIRAUD, Le commerce des promesses, Petit traité sur la finance moderne, Editions du Seuil, 2009. Dominique PLIHON, Le nouveau capitalisme, La Découverte, 2009. Jérôme de BOYER, La pensée monétaire : histoire et analyse, Les Solos, 2003, 

 

ECONOMIUS

 

Relu le 19 septembre 2020

 

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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 12:52

          La théorie quantitative de la monnaie peut être vue comme une sorte de cristallisation sur les mouvements monétaires qui permet d'une certaine façon, par sa formulation et surtout par sa modélisation mathématique, de faire l'impasse sur des conflits économiques.

La monnaie se prête bien à ce jeu parce que précisément elle semble servir de moyen d'échange entre des choses alors que sont bien plus en cause des relations entre les acteurs de la vie économique.

 

Des premières formulations tatônnantes

        Sa première formulation remonte aux travaux de Jean BODIN en 1578 (Réponse au paradoxe de M de Malestroict touchant l'enchérissement de toutes choses, et le moyen d'y remédier). Ses travaux portent sur les effets inflationnistes supposés de l'arrivée massive d'or en provenance d'Amérique Latine ; cet afflux provoquant une hausse des prix en Espagne et sur le continent européen. Dans Monete Cudende Ratio, Nicolas COPERNIC l'évoque également. David RICARDO l'expose, sans la nommer ainsi, en 1814, dans Des principes d'économie politique et de l'impôt. 

           Irving FISHER la formalise le premier en 1907, dans une formule célèbre qui lie la masse de la monnaie manuelle (billets et pièces), sa vitesse de circulation, la masse de la monnaie scripturale (la monnaie représentée par des comptes à vue dans les banques), la vitesse de circulation de cette monnaie scripturale, le niveau général des prix et le volume des transactions. Cette formule s'intègre dans l'équilibre walrassien et, d'une manière générale, dans la conception de la monnaie des néo-classiques anciens et modernes. Elle permet une dichotomie entre les prix réels (les rapports entre les valeurs réelles) et le niveau général des prix. Pour un même niveau d'équilibre, déterminé par la confrontation des valeurs réelles et indépendamment de la monnaie en circulation, il peut exister plusieurs niveaux des prix exprimés en monnaie. Tout dépend de la quantité de monnaie en circulation.

        Les keynésiens n'admettent pas la théorie quantitative de la monnaie. ils contestent la stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie. Le seul élément stable du système keynésien est la propension marginale à consommer. En revanche, la préférence à la liquidité varie très fortement selon le taux d'intérêt. Le temps moyen durant lequel la monnaie est conservée entre deux transactions n'est pas une constante. Dans le système keynésien, l'action de la monnaie dans l'économie n'est pas liées à sa masse, mais à sa nature. Si la monnaie n'est pas neutre, elle le doit aux anticipations réalisées en monnaie. La monnaie doit être créée par l'État, afin que l'on ait la possibilité d'agir au moment adéquat et de faire le pont entre le présent et l'avenir.

      Les monétaristes admettent au départ deux éléments qui, en apparence, reprennent certaines idées keynésiennes : une brutale augmentation de la masse monétaire peut avoir une incidence sur la demande à court terme ; la demande de monnaie dépend d'un grand nombre d'éléments, le revenu, le niveau des prix effectifs et anticipés, de la structure des encaisses et des rendements de ces différentes encaisses. Pour eux, le taux d'intérêt et la composition des encaisses est bien un élément de la demande de monnaie. Toutefois, ce rapprochement n'est qu'apparent. En effet :

- Il n'existe pas chez les monétaristes de trappe à monnaie ; de ce fait, en entraînant une baisse du taux d'intérêt, une augmentation brutale de la masse monétaire ne s'engouffre pas dans les encaisses de spéculation. L'encaisse monétaire fait partie des actifs, elle est un élément du capital des agents économiques. Or, à court terme, l'encaisse monétaire évaluée en monnaie constante est très stable. Elle n'évolue à moyen et court terme que sous l'influence de l'évolution du revenu et des comportements, cette évolution n'ayant pas d'action à court terme. Les taux d'intérêt ne peuvent donc amener, à court terme, une variation de l'encaisse en monnaie réelle. Dans ces conditions, une augmentation brutale de la masse monétaire se traduit par un excès de demande sur le marché des biens et des services. D'où la primauté de la politique monétaire sur la politique budgétaire... et le risque d'inflation.

- les variations de la demande de monnaie sont d'autant plus lentes que les individus tendent à uniformiser leurs dépenses dans le temps. Ce n'est pas le revenu de la période qui fixe le niveau de la dépense, mais le revenu personnel qui progresse entre le revenu actuel et le revenu attendu. Si un individu pense qu'il gagnera plus dans l'avenir, il va élever sa dépense en fonction du revenu espéré. Au contraire, il va le diminuer s'il craint une diminution de revenu. C'est la reprise de la théorie du revenu permanent. Il y a bien, comme chez les keynésiens, une variation de vitesse de circulation de la monnaie, mais variation n'est pas instabilité ; à long terme, elle varie en fonction de la croissance de revenu réel. A moyen terme, la vitesse de circulation s'élève en fonction de l'expansion, car pour anticiper sur les augmentations de revenu, on pioche dans ces encaisses ou dans l'argent qui "dormait" (épargne) dans le circuit. La vitesse de circulation s'abaisse en période de récession, quand on restreint ses dépenses en anticipant sur une baisse du revenu réel. Toutefois, ces variations sont lentes, il n'y a pas d'instabilité de la vitesse de circulation de la monnaie et les encaisses réelles ne varient, à court terme, que très faiblement. (Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM)

 

La constitution d'une référence

      Milton FRIEDMAN, dans La théorie quantitative de la monnaie, une nouvelle présentation, de 1956, est la référence actuelle pour cette théorie de la circulation monétaire. L'objectif de l'auteur est double. Il fait à la fois prendre des distances avec la version traditionnelle de la théorie quantitative de la monnaie et de contrer les positions anti-quantitativistes des keynésiens orthodoxes.

la tradition quantitativiste considère que la quantité de monnaie nécessaire pour réaliser des transactions pendant une période donnée est dans une proportion fixe avec la valeur monétaire de ces transactions. De plus la production de l'économie est toujours suffisante pour qu'il n'y ait pas de chômage. par conséquent, toute augmentation de la quantité de monnaie en circulation (suite à une augmentation de l'offre de crédit bancaire, par exemple) sera sans effet sur le niveau de la production. Une même quantité de produit sera achetée avec une plus grande quantité de monnaie. Puisque la vitesse de circulation de la monnaie est une constante (une donnée institutionnelle invariable à court terme, qui indique le nombre moyen de transaction par unité monétaire), le niveau des prix est la seule variable d'ajustement aux variations de l'offre de monnaie. Selon les keynésiens orthodoxes, l'équation quantitative est pertinente, mais lorsque le taux d'intérêt est trop faible, en situation de "trappe à liquidités", toute augmentation de l'offre de monnaie est conservée sous forme d'encaisses spéculatives. Ce n'est plus le niveau des prix qui sert de variable d'ajustement, c'est la vitesse de circulation. 

La réhabilitation qu'entreprend Milton FRIEDMAN consiste à concilier plusieurs contraintes. Tout d'abord, se départir du caractère mécanique de ces explications. Ensuite théoriser une hypothèse empirique : la stabilité de la demande de monnaie et de la vitesse de circulation, conçues comme des fonctions et non comme des constantes. Enfin, ne pas négliger l'explication du niveau des prix. pour cela, il présente la théorie quantitative comme une théorie de la demande de monnaie. La monnaie est un actif parmi d'autres, une manière de détenir de la richesse, que l'on peut traiter formellement comme la demande de n'importe quel bien, à condition d'introduire une dimension intertemporelle. La demande d'encaisses réelles d'un agent (demande de monnaie exprimée en valeur réelle) est une fonction qui dépend de la contrainte de richesse, la richesse étant assimilée au revenu permanent (valeur actualisé des revenus présents et futurs des agents), du rendement relatif de la monnaie par rapport aux autres actifs financiers (actions, obligations), des anticipations d'inflation et des préférences des ménages. Finalement, à la différence de la version traditionnelle, la quantité moyenne de monnaie détenue par dollar de transactions est elle-même considérée comme résultant d'un processus économique d'équilibrage (entre l'offre et la demande de monnaie) et non comme une donnée physique. (Jean-Sébastien LENFANT).

 

De belles équations économiques qui n'expliquent pas grand chose...

    En fait tous les présupposés présents dans cette théorie quantitative de la monnaie peuvent être remis en cause, ne serait-ce que sa valeur analytique et prédictive n'est pas démontrée, loin de là... Alors que nombre de calculs économiques prennent pour base cette théorie, aucune crise financière n'a été prévue ou évitée par elle. Carlo CIPOLLA (La prétendue "Révolution des Prix", Réflexions sur "l'expérience italienne", Annales, octobre-décembre 1955) ne croit même pas à la véracité des impressions à l'origine de cette théorie? Il remet en cause l'existence même d'une forte pression haussière exercée au XVIe siècle sur les prix par l'afflux d'or et d'argent en provenance du Nouveau Monde. S'appuyant sur des données statistiques relatives à Florence, l'auteur montre que la prétendue "révolution des prix" constituait seulement une manière de voir, qui, pour traditionnelle qu'elle soit, mérite d'être vérifiée. La période longue de hausse des prix dans ce siècle-là en Italie correspond, non pas à un afflux de métaux précieux, qui ne s'est pas encore produit, mais aux investissements de reconstruction consécutifs à la guerre qui a régné tout au long de la première moitié de ce siècle.

Gaston IMBERT (Des mouvements de longue durée Kondratieff, thèse ronéotée, Aix-en-Provence, 1956) est de son avis : il marque une préférence pour l'explication en termes d'innovations techniques et de guerres, pour rendre compte des mouvements séculaires de l'économie. Le débat est donc loin d'être clos sur la pertinence de cette théorie quantitativiste de la monnaie, qui empêche sans doute de se livrer à une analyse plus approfondie des mouvements réels de l'économie. Dans une contribution aux Annales, (et une partie également dans Études et conjectures, février 1958 : L'actualité de la théorie quantitative de la monnaie, Claude PONSARD, historien, propose, au moment même où Milton FRIEDMAN diffuse sa nouvelle version de la cette théorie, de mesurer la portée politique du débat et le fond du problème. 

"Admettre que la circulation monétaire détermine le niveau général des prix sans exercer une action directe sur le rythme de l'activité économique, conduit à proposer des suggestions et des mesures concrètes de politique économique impliquant une confiance sans restriction dans la régulation de la quantité de monnaie en circulation, comme moyen de contrôle du niveau des prix." "En réalité, l'importance historique du débat monétaire et son regain d'actualité proviennent de désaccords profonds entre les économistes à l'égard de ce problème aussi ancien qu'important : la valeur de la monnaie.".

En fin de compte, la conception quantitativiste de la monnaie a été longtemps solidaire de la conception métalliste de la monnaie - ne serait-ce d'ailleurs remarquons-nous que par les époques où elle a mijoté.  Se pouvait-il que l'on garde la même logique, alors que l'on est passé à une conception toute autre, une conception nominaliste, qui ne fait plus dépendre directement la valeur de la monnaie de l'or? En fait, "l'abandon progressif de la conception métalliste au profit de la conception nominaliste de la monnaie ne devait pourtant pas provoquer un recul parallèle de la théorie quantitative. A l'analyse de Fisher, s'est simplement juxtaposée une analyse plus moderne dont l'artisan principal a été Alfred MARSHALL, le maître de l'École de Cambridge (Money, Credit and Commerce, Londres, MacMillan, 1923). La monnaie étant désirée en raison du pouvoir d'achat qu'elle représente, le principe quantitatif est alors associé à la notion de la monnaie, instrument de conservation de la valeur et non plus instrument des échanges. Comme il n'existe pas un synchronisme parfait entre dépenses et recettes des individus, une fraction de leur revenu est conservée sous forme d'encaisse. Mais à nouveau, ce coefficient est supposé constant, de même que le volume des transactions. Finalement, le niveau général des prix varie, comme la somme des encaisses, c'est-à-dire comme la masse monétaire totale."

Sur le fond "la monnaie demeure économiquement neutre. La théorie quantitative entretenait ainsi une dichotomie conceptuelle dans l'analyse économique. Elle supposait que, pour décrire une économie, on pouvait distinguer deux domaines : un domaine réel et un domaine monétaire, indépendants l'un de l'autre. Le domaine réel était gouverné par les lois de la concurrence qui déterminaient l'ensemble des prix relatifs aux biens et services. Le domaine monétaire était régi par le principe quantitativiste qui permettait de rendre compte du niveau général des prix. La même formule revient toujours. Celui-ci dépendait directement de la masse monétaire."

       La Théorie Générale de KEYNES tente d'intégrer, au contraire, le facteur monétaire dans l'analyse économique et de mettre fin à cette dichotomie contestable. Et en fait, une meilleure connaissance des mécanismes économiques et monétaires conduit non pas à l'abandon de cette théorie quantitative, mais à sa relativisation. Elle se révèle finalement, avant l'intervention des monétaristes, réservée à des situations où dominent le plein-emploi et/ou le sous-développement. "Un effort récent (récent dans les années 1950 bien entendu) (...) oeuvre de certains économistes néo-classiques, a tendu précisément à rétablir la généralité de la théorie quantitative en considérant les comportement monétaires comme des variables, et non plus comme des données de l'analyse. Cette tentative est double :

- d'une part Don PATINKIN (La théorie quantitative de la monnaie : une analyse par l'équilibre général, dans Économie Appliquée, janv-juin 1956 ; Money, interest and Prices, Evaston, White Plain, New York, 1956) introduit la variable monétaire comme facteur explicatif de la demande et par là "monétarise" la théorie de l'équilibre économique général ;

- d'autre part, Milton FRIEDMAN (que l'on considère trop souvent, notons-le, comme seul novateur de cette bataille économico-idéologique) et l'École de Chicago analysent pour elle-même la demande de monnaie et la considèrent comme une variable dépendante, fonction de plusieurs facteurs déterminants. cette seconde approche revient à ajouter une équation monétaire aux équations réelles à l'aide desquelles une description d'ensemble du système économique est esquissée dans le cadre d'un modèle abstrait."  

La formulation de Don PATINKIN, à l'inverse de celle de Milton FRIEDMAN, permet de dépasser l'ancienne dichotomie conceptuelle entre les secteurs réel et monétaire de l'économie. Mais cette analyse, pourtant séduisante sans doute parce que semblant plus proche du réel... comme toute théorie de l'équilibre général, suppose des prix flexibles, une position d'équilibre unique, un système stable, des goûts constants, des techniques identiques... Or, le système économique capitaliste est précisément parsemé de positions d'équilibres multiples, voire existe sans position d'équilibre véritable, un système instable, aux acteurs aux goûts constamment changeants, aux innovations techniques incessantes... Elle suppose de plus que les sujets "effectuent leurs calculs économiques en termes réels, et non nominaux", "que la monnaie reste neutre" et que "le rôle de spéculation est négligé au bénéfice d'ajustements automatiques s'opérant dans un univers où l'information et la prévision sont supposées parfaites."  

Claude PONSARD semble préférer la théorie de Milton FRIEDMAN, parce qu'elle semble n'exclure "aucun des comportements monétaires qui se rencontrent dans la vie économique. Elle permet d'intégrer tous les motifs : spéculation, précaution, transaction. Mais, "en faisant de la théorie quantitative de la monnaie une simple théorie de la demande de monnaie, l'École de Chicago a cessé explicitement d'en faire une théorie du niveau général des prix". Du coup, ce que cette théorie voulait expliquer, n'est plus expliqué du tout! Dans sa conclusion, l'historien met l'accent sur ce qui lui semble le principal obstacle pour la validité de la théorie quantitative, version PATINKIN : "(...) le postulat suivant lequel les calculs économiques des sujets ne sont pas effectués en termes nominaux, mais en termes réels." et "la difficulté est d'admettre que la monnaie soit neutre économiquement". Au contraire, la formulation de l'École de Chicago (ce qui expliquerait, selon nous, son succès) est une analyse pertinente de la demande de monnaie, mais "on peut se demander ce qui reste de la théorie quantitative puisqu'on n'est plus en présence d'une explication du niveau général des prix"... "Finalement, il apparaît impossible d'allier une conception quantitativiste authentique et une conception de la monnaie pleinement satisfaisante. La "fonction d'incertitude" que remplit cette dernière constitue la pierre d'achoppement d'une théorie quantitative monétaire générale (selon une formule reprise de Pierre DIETERLEN, L'élasticité de la masse monétaire, Bulletin d'Information et de Documentation de la Banque Nationale de Belgique, mai 1957). N'est-il pas préférable, pour une théorie monétaire valable, de se situer sur le terrain de l'équilibre monétaire plus large que celui de l'analyse quantitative?" Autant dire qu'il faut repartir sur d'autres bases pour établir une théorie viable!

 

Claude PONSARD, La théorie quantitative de la monnaie, Annales Économies Sociétés Civilisations, n°1, 1959. Jean-Sébastien LENFANT, La théorie quantitative de la monnaie. Une nouvelle présentation. Milton Friedman (1956) , Encyclopedia Univesalis, 2004. Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Éditions du Seuil, 2001.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 20 septembre 2020

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1 décembre 2011 4 01 /12 /décembre /2011 09:11

            Dans la grande famille des économistes libéraux, une ligne de partage plus ou moins nette se dessine depuis le début de la "science économique" entre ceux qui tentent de penser l'économie sans la monnaie, en tout cas en la neutralisant le plus possible et ceux qui la prennent en compte, surtout pour en corriger les aspects perturbatifs.

Cette deuxième série d'économistes, dominante à l'heure actuelle chez les économistes libéraux, est poussée surtout à faire de propositions alternatives de politique économique face aux approches inspirées du keynésianisme, qui lui, prend en compte le caractère actif de la monnaie dans l'économie, au point de l'utiliser pour agir sur ses évolutions. 

  Combinaison de la pensée des continuateurs de Jean-Baptiste SAY et de ceux de John Maynard KEYNES, les monétarismes admettent l'action à court terme de la monnaie sur l'économie, mais lui refusent un rôle à moyen et long terme. Nous pouvons gloser à loisir sur les catégories temporelles à l'oeuvre dans leurs théories (court, moyen, long terme...) et.. c'est à raison!

   Tombé pratiquement dans l'oubli devant les déploiements des politiques keynésiennes depuis la seconde guerre mondiale, le courant monétariste connaît (en fait connaissait) depuis les années 1980 un renouveau tel qu'il s'insère dans les courants dominants néo-libéraux actuels. Ce sont surtout des auteurs anglo-saxons qui l'alimentent, dans le fil droit souvent du capitalisme américain. Ce courant redonne en tout cas vie à l'ancienne théorie quantitative de la monnaie, qui établit une relation directe entre le niveau de la masse monétaire, celui de l'offre de biens et de services et celui des prix. Selon cette théorie, les variations de la masse monétaire n'ont d'influence que sur l'évolution du niveau général des prix et sur la valeur nominale des grandeurs économiques les plus importantes.

           Dans sa version actuelle, le courant monétariste reprend cette idée de la théorie quantitative, mais il la complète en matière de court terme, aboutissant à la conclusion que les variations de la masse monétaire provoquent, dans un délai assez bref, des variations en volume du niveau d'activité économique qui précèdent de quelques mois des modifications de prix.

En étudiant l'histoire monétaire des États-Unis, Milton FRIEDMAN (né en 1912) et Anna SCHWARTZ ont évalué les taux de variation de la masse monétaire dans le temps et ont découvert un modèle d'oscillations cycliques : le taux de progression de la masse monétaire connaît un maximum au moins d'un an avant le sommet de chaque cycle économique et un minimum bien avant le point le plus bas de chaque cycle, mais il y a des fluctuations considérables dans les décalages entre les variations monétaires et les points de retournement du cycle économique. Il est donc très difficile de mener une politique monétaire souple, et Milton FRIEDMAN en conclut que la meilleure politique monétaire serait d'assurer une augmentation continue de la masse monétaire pour tenir compte de la croissance de la production et du déclin séculaire de la vitesse de circulation de la monnaie. Cette diminution de la vitesse de circulation de la monnaie tient au fait que, celle-ci étant un bien supérieur, la demande pour les services de la monnaie augmente plus que proportionnellement à l'accroissement du revenu. Cette tendance à la diminution de la vitesse de la circulation n'exclut pas son accroissement lors des phases d'expansion du cycle économique, parce que le revenu perçu est supérieur au revenu permanent. Les formulations du nouveau courant monétariste mettent l'accent sur la demande de monnaie et, en analysant les facteurs mieux (en tout cas, c'est que les auteurs mêmes de ces études disent...) que les quantitativistes traditionnels, elles mettent en relief l'influence de l'offre de la monnaie sur les mouvements de prix sans pour autant retenir une stricte proportionnalité entre leurs variations. (P SCHAEFER).

 

Le courant monétariste est très diversifié.

         Le courant monétariste est ancien et très diversifié. Jean BODIN, David HUME, Irving FISHER, Milton FRIEDMAN, malgré leurs différences convergent sur quelques principes très généraux :

- l'offre de monnaie est exogène (déterminé par la banque centrale) ;

- la demande de monnaie est stable ;

- l'inflation est partout et toujours un phénomène monétaire, due à l'augmentation trop rapide de la masse monétaire. Les moyens de paiement mis en circulation sont donc régis par des mouvements mécaniques, sans aspérités sur les conflits économiques..

- les agents font des anticipations adaptatives qui diminuent à long terme l'effet des politiques conjoncturelles ;

- il existe un taux de chômage naturel en dessous duquel l'économie ne peut pas descendre durablement.

 

     Les différences entre l'École de Chicago de FRIEDMAN et d'autres monétarismes sont toutefois très importantes. A côté des friedmaniens, il existe plusieurs autres écoles :

- les continuateurs de HAYEK et de son école autrichienne;

- des auteurs qui donnent une très grande importance aux anticipations rationnelles (Thomas J SARGENT (né en 1943), Neil WALLACE (né en 1938), Robert E LUCAS (né en 1937), même si ces deux derniers se détachent ensuite du monétarisme) ;

- d'autres, plus proches des post-keynésiens ou se confondant avec eux (H. G. JOHNSON) qui montrent l'importance de l'internationalisation des problèmes monétaires ; parmi ces derniers, S. FISCHER et Edmund PHELPS (né en 1933), Karl BRUNNER et Lloyd METZLER (1913-1980) prônent des politiques économiques différentes.

Aux États-Unis, se développe un monétarisme qui cherche à affiner les instruments et les indicateurs d'une politique économique. Les recherches portent notamment sur l'hypothèse du taux de chômage naturel, la crédibilité des politiques de stabilisation, les instruments du contrôle monétaire et la mise au point de modèles de plus en plus sophistiqués. Le monétarisme, dans le renouveau néo-classique, pousse le plus loin la liaison entre la théorie et la pratique.

Les différentes synthèses économiques regroupent ces différents auteurs suivant leurs plus ou moins grandes différences avec les keynésiens.

 

La présentation dominante du monétarisme...

       En fait, le monétarisme, qui constitue une des premières formes de l'offensive libérale des années 1980, ne constitue plus un courant dominant dans la famille libérale, si l'on en croit le manuel de référence de SAMUELSON/NORDHAUS. Combinant surtout approches libérales et approches keynésiennes, ce manuel estime que "nous pouvons mieux comprendre le monétarisme si nous retraçons d'abord son histoire à partir de la vieille théorie quantitative de la monnaie et des prix (...). Le monétarisme considère que l'offre de monnaie est le principal déterminant des variations de court terme du PIB nominal et des variations de long terme des prix. Évidemment, la macroéconomie keynésienne reconnaît également le rôle de la monnaie dans la détermination de la demande globale. La principale différence entre les monétaristes et les keynésiens repose sur leurs approches de la détermination de la demande globale. Tandis que les théories keynésiennes considèrent qu'un grand nombre de forces autres que la monnaie influent sur la demande globale, les monétaristes prétendent que les variations de l'offre de la monnaie sont le facteur principal qui termine le produit et les variations de prix." Les monétaristes définissent une vitesse de circulation de la monnaie comme relativement stable et prévisible, et à partir de là forme une nouvelle théorie quantitative des prix. "La théorie quantitative de la monnaie et des prix considère que les prix varient proportionnellement à l'offre de monnaie. Bien que la théorie quantitative de la monnaie et des prix ne soit qu'une approximation grossière, elle aide à comprendre pourquoi les pays ayant une faible croissance du stock de la monnaie ont une inflation modérée tandis que ceux qui sont une croissance rapide du stocks de monnaie verront leurs prix s'envoler." Les deux auteurs du Manuel présentent l'essence du monétarisme de la manière suivante :

"Comme toutes les écoles de pensée sérieuses, le monétarisme a différentes facettes. Les points suivants sont centraux dans la pensée monétariste :

- La croissance de l'offre de monnaie est le principal déterminant systématique de la croissance du PIB nominal. Le monétarisme est fondamentalement une théorie des déterminants de la demande globale. Il considère que la demande globale nominale est principalement affectée par les variations de l'offre de monnaie. la politique budgétaire est importante pour certaines choses (comme la part du PIB consacrée à la défense ou à la consommation privée), mais les principales variables macroéconomiques (produit global, emploi et prix) sont surtout affectés par la monnaie. (...) Quels sont les fondements de la croyance monétariste dans la primauté de la monnaie? Ils consistent en deux propositions centrales. Premièrement, comme Friedman l'a établi, "il y a une extraordinaire stabilité empirique et une extraordinaire régularité de grandeurs telles que la vitesse de circulation qui ne peuvent que frapper quiconque travaille beaucoup sur les données monétaires". Deuxièmement, un grand nombre de monétaristes ont l'habitude de prétendre que la demande de monnaie est complètement insensible aux taux d'intérêt. Si la vitesse de circulation est constante, alors elle est insensible aux taux d'intérêt. Si la vitesse de circulation dépendait du taux d'intérêt, ceci permettrait à la politique budgétaire d'influer sur le produit. La proposition d'indépendance de la demande de monnaie par rapport aux taux d'intérêt a été remise en cause et n'a généralement plus trouvé de partisans ces dernières années (l'édition utilisée date de 1998, traduction française de 2000). (...)"

- Les prix et les salaires sont relativement flexibles. (...) Puisque la monnaie est le principal déterminant du produit nominal et que les prix et salaires sont flexibles au voisinage du produit potentiel, leur principe (des monétaristes) sera donc que les variations de la quantité de monnaie auront peu d'influence sur le produit réel et qu'elles influenceront essentiellement les prix. Ainsi, à court terme, la monnaie peut avoir un effet à la fois sur les prix et les quantités. Mais après quelques années et parce que la monnaie influencera essentiellement les prix. Par contre, la politique budgétaire n'influencera que fort peu les quantités et les prix, à court comme à long terme.

- le secteur privé est stable. Finalement les monétaristes considèrent que l'économie privée, laissée à ses dynamiques propres, n'est pas sujette à l'instabilité. En fait, la plupart des fluctuations du produit nominal seront le résultat d'interventions publiques - en particulier de changements dans l'offre de monnaie, qui découlent eux-mêmes des politiques de la banque centrale." 

Les auteurs se livrent à une comparaison des approches monétaristes et keynésiennes et constatent une convergence de vue au cours des trois dernières décennies (il s'agit des années 1970-1990), "de telle sorte que les différences portent plus sur l'intensité que sur le fond." Ils citent deux grandes différences :

- "En premier lieu, les deux écoles divergent sur les forces opérant sur la demande globale. Les monétaristes considèrent que la demande globale est uniquement (ou principalement) affectée par la masse monétaire, et que les effets de la monnaie sont stables et sûrs. Ils pensent aussi que des changements de politique budgétaire ou même des variations autonomes de la demande globale n'auront guère d'effets sur le produit et les prix, sauf s'ils sont accompagnés par des mouvements de monnaie. Par contre, les keynésiens ont une analyse beaucoup plus complexe. Tout en reconnaissant l'influence de la quantité de monnaie sur la demande globale, le produit et les prix, ils considèrent que d'autres facteurs comptent aussi. Pour eux, la monnaie intervient ici aux côtés d'autres variables telles que la politique budgétaire ou les exportations nettes. En outre, ils en arrivent à la conclusion selon laquelle (la vitesse de circulation de la monnaie) augmente systématiquement avec les taux d'intérêt de telle sorte que l'on ne peut déduire de la constance de la masse monétaire celle du produit nominal. Mais, dans un des exemples les plus intéressants de la convergence de leurs positions, les deux écoles considèrent que la politique de stabilisation aux Etats-Unis doit d'abord être conduite via la politique monétaire.

- La seconde différence importante concerne le comportement de la fonction d'offre globale. Les économistes keynésiens mettent en avant l'inertie des prix et des salaires. Les monétaristes considèrent par contre que les keynésiens exagèrent cette rigidité des prix et des salaires et ils considèrent donc que la courbe d'offre globale, même si elle n'est pas totalement verticale, l'est en tout cas beaucoup plus que celles postulées par les keynésiens.

Comme ils ont une vision différente de la fonction d'offre globale, monétaristes et keynésiens en tirent des analyses différentes des impacts à court terme des variations de la demande globale sur le produit et sur les prix. les monétaristes considéreront au contraire que ce même changement fera varier les prix plutôt que les quantités. 

L'essence de la position monétariste en macroéconomie est sa concentration sur le rôle de la monnaie pour déterminer la demande globale et sur la flexibilité des salaires et des prix"

Sur la plate-forme monétariste et les expériences monétaristes, les deux économistes constatent le déclin du monétarisme dans les années 1990, de manière pour paradoxal car c'est au moment même, selon eux, "où les politiques monétaristes réussissaient à éradiquer l'inflation de l'économie américaine que les modifications des marchés financiers suscitèrent des modifications de comportement qui minèrent les fondements de l'approche monétariste."  "Le problème vint principalement de la modification de la vitesse de circulation de la monnaie" alors même que pour les monétaristes, cette vitesse de circulation est stable et donnée. "Or au moment où la doctrine monétariste fut adoptée, cette vitesse de circulation de la monnaie devint très instable. (...) Les taux d'intérêt élevés avaient, au cours de cette période, suscité des innovations financières importantes, ainsi que l'extension des comptes courants porteurs d'intérêt. Ainsi la vitesses de circulation de la monnaie devint-elle très instable après 1980. Certains ont même considéré que l'instabilité de la vitesse de circulation était produite par le poids excessif mis sur la politique monétaire au cours de cette période."

      Nous pouvons même dire que ce "poids excessif" constitue le signe le plus sûr d'un changement dans le système économique, dans le capitalisme, dans les priorités données à un moment du cycle de circulation des marchandises et de l'argent. En accentuant le poids de la finance en général, le capitalisme s'oriente plus vers une circulation accélérée de l'argent que sur la valorisation des marchandises.  Les monétaristes, en fin de compte, par le succès de leur dire économique, ont préparé la période actuelle de domination du capital financier sur l'ensemble de l'économie, sans pour autant que ce soit dans leur esprit libéral d'accorder à la monnaie une telle prépondérance.

 

Paul SAMUELSON et William NORDHAUS, Economie, seizième édition, Economica, 2000. P. SCHAEFER, Monétarisme, Encyclopedia Universalis, 2004.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 21 septembre 2020

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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 09:45

       Si pratiquement aucun dictionnaire ou encyclopédie de l'économie ne donne une définition de la violence économique ou de la violence dans l'économie - ne serait-ce sans doute parce que la plupart, dans le fil droit d'une certaine tradition économique libérale, occulte précisément tout conflit - nous pouvons trouver une approche de cette violence dans un Dictionnaire... de la violence (sous la direction de Michela MARZANO).

Gaël GIRAUD introduit son approche au sujet des relations entre économie et violence par "la première thèse qui vient à l'esprit", celle du "doux commerce". " Le commerce adoucit-il les moeurs comme l'affirmait MONTESQUIEU (De l'esprit des lois,1749), "son effet naturel" est-il de "porter à la paix"? La thèse qu'on voudrait défendre est qu'une certaine Modernité occidentale peut se caractériser par la rivalité de deux institutions majeures, candidates l'une et l'autre à servir de rempart contre la violence sociale : l'État et le marché. Or  la violence, dont l'une comme l'autre est capable, tient au fait que c'est au sein de toute institution sociale que se loge la possibilité de la violence. Lutter contre cette dernière ne peut passer, dans le domaine économique, qu'à travers un travail consistant à se déprendre de l'idolâtrie du marché comme de l'État, afin de mieux les réformer l'un et l'autre."

 Le chercheur en économie au CNRS, membre du CERAS, situe les origines de la problématique du "doux commerce" autour des bouleversements nés, en Europe, de la déchirure de l'unité sociale attribuées à tort ou à raison à la chrétienté médiévale, et du déchaînement de la violence occasionné par les guerres de religion. C'est donc dans le cadre de l'Occident, et même de l'Occident européen, que se confrontent plusieurs conceptions antagonistes du pouvoir politique.

Les uns sont favorables à l'instauration de contre-pouvoirs, voire à l'abolition du pouvoir royal, les autres favorables au renforcement des privilèges régaliens, voire à l'absolutisme monarchique (Van KLEY, Les origines religieuses de la Révolution française, Seuil, 2002). C'est dans ce contexte que s'autonomise l'économie comme champ d'investigation politique spécifique (FOUCAULT, Naissance de la biopolitique, Cours au Collège de France 1978-1979, Gallimard-Seuil, 2004), à partir du moment où la politique du Prince ne va plus de soi et devient discutable. C'est à ce moment qu'il s'entoure de conseillers en économie, afin de répondre aux accusations de détournement de la richesse du pays, et plus avant, afin de mettre en pratique des politiques économiques nationales. C'est à travers les débats sur la manipulation des prix des métaux précieux que se focalisent un certain nombre de ces critiques et de ces... pratiques. Pour l'auteur, "tous les éléments du débat politique qui s'institue aujourd'hui autour de l'économie, dans les pays de l'OCDE sont donc en place dès le XVIe siècle. D'un côté, l'État que l'on somme d'être le garant de la paix civile mais que l'on soupçonne de ne pas toujours agir dans l'intérêt général ; de l'autre, des marchés où certains croient voir une alternative à la possible tyrannie des pouvoirs publics ; entre les deux, une violence civile qui a marqué les sociétés européennes jusqu'à aujourd'hui. Le scandale de la violence n'est donc pas "second" par rapport au champ économique ; il en est quasiment le paysage initial, indissociable de l'invention occidentale de l'État moderne comme unique détenteur de la violence légitime".

 

      Bien entendu, cette analyse diffère de celle que l'on pourrait avoir dans d'autres contrées et dans d'autres circonstances où les relations entre la religion, l'État et l'économie sont autres.

 

     Mais le point de vue adopté par Gaël GIRAUD permet d'aborder un certain nombre d'aspects reliant l'économie à la violence. Marché pacificateur où Marché fauteur de violences : ce débat ne peut avoir lieu si l'on ne pénètre pas les conditions du fonctionnement même du marché.

Dans ce débat, l'intervention de l'État peut avoir lui-même des effets pacificateurs ou violents, correcteurs ou amplificateurs des effets du fonctionnement du marché. Loin des positions angéliques ou des positions apologétiques, il s'agit de savoir si le marché engendre de lui-même la violence (ou celle-ci est de nature...) ou si l'État ne fait qu'aggraver les choses. Pour l'auteur, "les conclusions de l'analyse économique contemporaine vont (...) à rebours des thèses du "doux commerce" et de la "main invisible" : les marchés ne suffisent nullement à écarter le spectre de la violence que l'injustice et l'inefficacité à laquelle ils peuvent conduire risquent de faire surgir.

On comprend la thèse de Karl POLANYI (The Great Transformation :  The Political and Economic and Economic Origins of Our Time, Boston, Beacon Press, 1944) selon laquelle c'est le développement des échanges marchands de la fin du XIXe siècle qui, en provoquant des inégalités insoutenables, puis le krach de 1929, a contribué à ce que tant de populations civiles se tournent vers des États totalitaires pour rétablir un semblant d'ordre social. C'est donc à un État démocratique et à la société civile de contribuer à corriger les distorsions sociales des marchés en s'efforçant d'assurer la justice et l'efficacité (par la fiscalité, la politique budgétaire, le soutien aux mouvements associatifs, etc.)".

      Une double erreur doit être évitée, pour éviter la collusion entre l'État et les promoteurs d'un (dés)ordre marchand violent :

- Croire que les marchés peuvent imposer leur logique sans le concours de l'État. En réalité, le respect d'un contrat, sans lequel il n'y a plus de marché, n'est possible que dans une société de droit où un État (muni d'une appareil judiciaire et d'une police) est en mesure d'obliger les contractants à respecter leurs engagements. De même, la monnaie (sans laquelle il ne saurait y avoir de marchés) est bien, aujourd'hui, sous le contrôle de l'État.

- Croire qu'une fois le marché déshabillé des oripeaux bienfaiteurs dont on l'avait revêtu, il serait possible de s'en remettre aux États pour assumer ce qu'à l'évidence les marchés ne peuvent pas garantir. A savoir la défense du bien-être économique des populations au sein d'une répartition juste des biens sociaux - dans l'exacte mesure où ce sont la misère sociale et les inégalités qui provoquent la violence, non pas quelque ontologie humaine anhistorique sur laquelle personne n'aurait de prise. Un État peut se révéler lui aussi, dans l'exercice de ses propres responsabilités économiques, le formidable catalyseur d'une violence systématique.

 

Gaël GIRAUD, Article Économie, dans Dictionnaire de la violence, PUF, collection Quadrige/Dicos Poche, 2011

 

Relu le 29 août 2020

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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 14:49

      De même que la littérature économique est emplie de théories sur les cycles économiques, sur leur existence et les moyens de les utiliser ou de les contrarier, de nombreux ouvrages discutent des cycles de dépenses militaires. Ceux-ci dépendent, mais pas seulement, d'interrelations politiques, stratégiques et militaires et la discussion porte sur les dépenses militaires contemporaines, avec l'existence de complexes militaro-industriels, ces cycles ne semblant être réellement décelables que depuis la révolution industrielle.

 

                Ces cycles sont liés à la situation internationale. Ainsi après la fin de la guerre froide, les dépenses militaires mondiales ont commencé à baisser, sur plusieurs années consécutives, mais la tendance s'est inversée et elles ont recommencé à augmenter à la fin des années 1990. Bien que les données relatives aux dépenses militaires dont on dispose, comme le rappellent les organismes de l'ONU qui traitent de ces questions, restent incomplètes, il est néanmoins possible d'aboutir à des conclusions générales quant à l'ampleur et au taux d'accroissement de ces dépenses. Pour fixer un ordre de grandeur qui convainc de l'importance persistante de ces dépenses, le SIPRI estime à près de 1 464 milliards de dollars, soit 2,4% du PNB mondial, le montant réel des dépenses en 2008. L'augmentation entre 1998 et 2008 des dépenses militaires est de 47%.

           

        Cette masse pèse dans les échanges internationaux, et s'il existe de véritables cycles de dépenses militaires, ceux-ci doivent agir sur l'ensemble des autres cycles économiques.

Depuis que la production et la vente des armements et d'équipements militaires de toute sorte est l'objet d'un cycle production-consommation (avec tous les aspects macabres que cela peut comporter...) ou d'un cycle production-destruction de marchandises (où la destruction peut être tout simplement le résultat de leur obsolescence, mise au rebut, report sur un marché d'occasion d'ailleurs florissant) ils entrent tout simplement dans l'économie globale. Comme ces équipements et ces armements évoluent de plus en plus vite, non seulement dans des courses aux armements effectives entre arsenaux rivaux, mais également dans des courses aux armements virtuelles, dont certaines sont simulées par ordinateur, nous pouvons concevoir l'existence de cycles économiques influencés par des cycles de dépenses militaires. 

             

        Il existe plusieurs manières de mettre en évidence ces cycles bien particuliers. Des auteurs ont élaboré des modèles théoriques, d'autres préfèrent rester sur le plan des "faits" et des faits souvent contemporains ou proches. Avec évidemment la difficulté du manque de recul.  

      Les auteurs des deux contributions que nous retenons pour l'instant, avant d'en venir à des modèles théoriques, tentent de cerner les évolutions récentes, en se livrant à une analyse de sociologie industrielle pour l'un, en faisant appel à des données chiffrées, des statistiques économiques pour l'autre, qui ne peuvent bien entendu être les seuls supports à une approche globale du problème. 

 

             Pour cerner l'existence de ces cycles bien particuliers, puisque soumis aux aléas stratégiques, il faut poser d'abord la question des relations entre dépenses militaires et besoins de défense. Justement, quelle est la situation des dépenses militaires par rapport à ces besoins de défense?

 

       Renaud BELLAIS, chargé d'études au centre des Hautes Études de l'Armement du ministère français de la défense, analyse (dans une Conférence à Grenoble en décembre 2000) sur un moyen terme cette situation.

"La révolution industrielle et les progrès fulgurants de la science et de la technique ont radicalement transformé l'art de la guerre ; et le vingtième siècle a été marqué par un accroissement spectaculaire des budgets militaires. Plus encore, l'après-guerre s'est caractérisé par un niveau de dépenses militaires proche des périodes de conflit en raison d'une course effrénée des armements entre les États-Unis et l'Union Soviétique - et leurs alliés. La fin de la guerre froide laissait espérer une baisse marquée des budgets de défense - qui s'est effectivement produite - et l'abandon de cette logique de surenchère militaire. Pourtant, une décennie à peine après l'effondrement du bloc soviétique, il apparaît que la période de reflux est achevée et que les principaux pays vont entrer dans le XXIe siècle en engageant un accroissement de leurs dépenses militaires. Se pourrait-il alors que la logique de course aux armements ait survécu à la disparition de l'Union Soviétique? Ce processus a en effet été fortement associé au conflit Est-Ouest, en particulier en raison de la conclusion des multiples accords dans les années 1970 et 1980 visant à limiter le surarmement. Cependant, cette logique préexistait à la période d'après-guerre, en particulier dans le domaine naval à la fin du XIXe siècle. Serions-nous entrés dans un nouveau cycle ascendant de dépenses militaires et une surenchère au niveau international dans une quête sans fin de supériorité stratégique? La reprise des dépenses ne correspondrait-elle pas plutôt à la nécessité d'adapter les armées aux évolutions technologiques et aux nouvelles missions dont elles ont la charge?"

  Revenant aux principes de la course aux armements, l'auteur se réfère à la définition qu'en donnent SANDLER et HARTLEY (après beaucoup d'autres en fait, précisions-nous) (The Economics of Defense, Cambridge University Press, 1995) : "Quand deux ou plusieurs nations ou alliances ayant des enjeux conflictuels s'engagent dans un accroissement concurrentiel de leurs armements et de leur personnel militaire, une course aux armements se produit". Ce processus, poursuit le même auteur, "se caractérise en particulier par un mécanisme d'action/réaction au travers duquel un pays accroît son potentiel militaire en réponse à l'augmentation de celui de ses adversaires potentiels. La période de guerre froide correspond bien à une telle définition, mais c'est également le cas de la période antérieure (...) ou de contextes régionaux spécifiques (...). Les dépenses militaires adverses constituent un fait déclenchant, car elles sont perçues comme une menace."  "Mais le contexte actuel se place t-il dans une telle logique? Beaucoup d'éléments permettent d'en douter. De fait, la course aux armements nécessite l'affrontement de puissances de même ampleur. Or ce n'est plus le cas (...). La contestation du leadership américain n'est plus d'actualité, ce qui rend assez improbable au regard des données actuelles une course mondiale aux armements telle que nous l'avons connue au cours de la guerre froide. En outre, alors que l'après-guerre était marquée par un rapport de forces entre puissances de taille similaire et recourant à des instruments de puissance de même ordre, les situations récentes se caractérisent par des conflits asymétriques, c'est-à-dire des affrontements dans lesquels les belligérants ne recourent pas aux mêmes outils militaires. L'asymétrie devient même parfois l'arme du plus faible (économiquement et/ou technologiquement). A l'opposé, l'effondrement de l'Union Soviétique a grandement résulté de son incapacité à suivre le rythme d'investissement financier et technologique imposé par les États-Unis. Ce type de "victoire" au travers d'une course aux armements n'aurait pas de sens dans les conflits actuels, ce qui explique les réticences à l'encontre du programme anti-missiles américain. De ce fait, les stratégies de défense développées depuis la seconde guerre mondiale deviennent en partie inopérantes face à des adversaires qui ne jouent pas sur le même plan que les forces armées traditionnelles. (...) L'accroissement des dépenses militaires ne répond-il pas plutôt à la nécessité d'adapter les forces armées aux nouvelles formes de conflit en faisant évoluer les instruments de la puissance?"

Les évolutions en cours s'apparentent "plus à une mutation de la défense qu'à l'entrée dans une nouvelle course aux armements. L'après-guerre froide se caractérise par de multiples ruptures qualitatives auxquelles les forces armées cherche à s'adapter. L'inversion de tendance dans les budgets d'équipement (baisse de l'armement terrestre, accroissement des équipements électroniques et d'informations, hausse de l'armement naval et aérien) s'explique en partie par la transformation des risques auxquels doivent faire face les États. Si l'affrontement de blocs n'est plus à l'ordre du jour, nous sommes encore loin d'une fin de l'histoire en ce sens que de nouveaux périls - certes plus diffus mais non moins importants - pèsent sur la sécurité internationale. Les impacts des technologies de l'information en sont un exemple. D'un côté, elles permettent un formidable bourgeonnement d'activités et transforment les secteurs industriels ; de l'autre, elles offrent à des États ou des groupes d'individus des ressources militaires auxquelles ils n'avaient pas accès auparavant en raison du coût prohibitif des armements de la guerre froide." "L'intégration des bases industrielles et technologiques civiles et de défense tout comme les avancées technologiques récentes ont fait disparaître le relatif "confort" intellectuel du conflit Est-Ouest : les menaces sont moins facilement prévisibles, donc anticipables, et imposent une plus grande veille informationnelle."

Ce qui fait proliférer tout azimuts des dépenses visant à prévenir des conflits potentiels de toute sorte, qu'il s'agisse d'agression extérieure ou de conflit intérieur. Afin de prévenir toute "surprise technologie", les doublons dans les programmes de recherche militaire se multiplient. "La préservation des capacités militaires d'un pays requiert (...) la production/réception d'un flux continu de connaissances scientifiques et techniques".

Pour le chercheur au Laboratoire Redéploiement Industriel et innovation à l'Université du Littoral Côte d'Opale, à Dunkerque, "l'armement doit naviguer entre deux écueils, une continuité rassurante (....) et un biais technophile qui survalorise les améliorations incrémentales. Dans les deux cas, l'enfermement intra-paragmatique constitue une menace sur les capacités militaires d'un pays - en dépit de la valeur des équipements qu'il produit. De fait, les phénomènes d'hystérésis industrielle et/ou technologique aboutissent à un décalage croissant entre les missions qui échoient (...) aux forces armées et la base industrielle et technologique de défense dont elles disposent. C'est la raison pour laquelle la distinction entre ruptures paradigmatiques et course aux armements est parfois difficile à établir."

Les études de KOVACIC et SMALLWOOD (1994), de Joe BAIN (Barriers to Entry, 1956), de WILLIAMSON (1967), de KALDOR (1983) et de KURTH (1972, 1993) convergent pour montrer une tendance des entreprises spécialisées dans la production d'armement et même dans la sous-traitance, à préserver les situations et les savoir-faire acquis, source de rentes prolongées, tendance favorisée par les habitudes des armées envers ces entreprises ;  ce qui s'oppose aux révolutions technologiques nécessaires. Cela favorise la continuité technologique et les investissements irréversibles, même lorsque les capacités technologiques de certains armements vont au-delà des besoins réels des armées. Cette tendance semble difficilement contournable et ne semble pas pouvoir être freinée par la contrainte budgétaire, car il apparaît que la quantité et la qualité des armements ne forment pas de parfaits substituts. Tout au plus, nous pouvons constater un retard dans les livraisons des armées.

KALDOR (1981) propose la notion de "technologie conservatrice" pour caractériser les mécanismes qui régissent les choix des forces armées. Du coup, il semble que les armements ressemblent "de plus en plus, au fil des générations, à un "arsenal baroque" - en ce sens que les innovations incorporées sont de plus en plus mineures, incrémentales.' A des armements derniers cris, à la pointe, juste à la limite pour être utilisés par des techniciens compétents, se mêlent des matériels quasiment obsolètes - compte tenu des techniques présentes sur les champs de bataille - mais maintenus par habitude, par facilité de maniements ou... parce qu'ils ont été achetés!

"Lorsque les phénomènes d'hystérésis l'emportent, l'augmentation des dépenses de défense peut s'identifier à un processus de course aux armements (...), car le surcroît d'achats se porte sur des équipements "classiques". Au contraire, lorsque les promoteurs des ruptures réussissent à se faire entendre, l'accroissement budgétaire offre une opportunité pour financer le développement de systèmes novateurs - ce qui permet aux forces armées d'acquérir les équipements idoines par rapport aux missions qui leur incombent. Dans le contexte actuel, pour comprendre la logique dans laquelle s'insèrent les augmentations réelles des budgets de défense, il est intéressant de saisir la manière dont les ruptures paradigmatiques se produisent dans le domaine de la défense."

Compte tenu des difficultés des militaires à intégrer les innovations technologiques militaires, compte tenu des luttes pour maintenir des positions acquises par les différents personnels des armées, "l'évolution du rapport défense/technologies en longue période prend la forme d'équilibres ponctués, la production d'armements se caractérisant par une succession de stabilité et des moments de profonde transformation qui résultent de ruptures technologiques. Cette situation n'est pas sans conséquences sur la mise en concurrence des entreprises et la redéfinition du périmètre de la base industrielle et technologique de défense. Lorsque les systèmes évoluent au sein d'un champ technologique stable (...) la concurrence s'avère limitée et l'impératif de la continuation l'emporte. la concurrence s'accroît notablement lorsque la demande militaire s'exprime dans un champ technologique instable". L'auteur indique deux cas de figure :

- un accroissement du rythme d'innovation pour les technologies demandées par les militaires remet en cause l'intérêt du potentiel technologique des producteurs en place, soit en créant une différenciation entre eux (accroissement de la concurrence interne), soit en permettant à de nouvelles entreprises d'entrer dans ce marché (concurrence externe) ;

- l'apparition de technologies rivales ou alternatives à celles qui sont utilisées par les entreprises en place transforme les technologies les plus anciennes en handicap face à de nouveaux entrants potentiels ; à partir du moment où les militaires optent pour les nouvelles technologies, il se produit une recomposition de la base industrielle et technologique de défense. 

 

      Les armées sont entrées dans une période de doutes, tant stratégiques que technologiques, qui accroissent les tendances à multiplier les dépenses dans des direction différentes, et ceci d'autant plus que le complexe militaro-industriel lui-même pousse à engager une "veille" constante. Les responsables en sont si bien conscients, que Renaud BELLAIS conclue que les "hésitations ne doivent cependant pas servir les seuls intérêts des entreprises en place, mais susciter une réflexion sur les besoins à long terme des forces armées et engager ces dernières à accroître leur veille pour ce qui concerne les évolutions scientifiques et techniques, de manière à pouvoir garder une réactivité importante leur permettant de s'adapter aux évolutions présentes et futures". Le problème est que ce qui pousse vers cet accroissement réside souvent principalement, en temps de "paix" dans le complexe militaro-industriel lui-même... On pourrait même penser que plus l'horizon d'une guerre s'éloigne, moins les préoccupations strictement militaires dominent et plus les inquiétudes des entreprises de matériels militaires augmentent, lesquelles veulent peser davantage sur les décisions budgétaires...

 

       Yves BELANGER et Aude FLEURANT retracent le cheminement du plus récent cycle des dépenses militaires mondiales (Revue Interventions économiques, 2010) et mettent en évidence les phénomènes économiques et industriels qui l'ont caractérisé. Ils se penchent, comme Renaud BELLAIS, sur le processus d'investissement actuel, qui pourrait bien mettre fin à une évolution cyclique des dépenses militaires. Ils indiquent l'apparition d'un nouveau paradigme sécuritaire, le tracé technologique qui l'accompagne et la mutation au sein de la base industrielle qui en résulte.

   

      La question de l'influence des dépenses militaires sur le cycle économique (GALBRAITH entre autres) est déjà l'objet d'une abondante littérature, de même que l'impact des dépenses militaires sur l'influence des nations dominantes (Paul KENNEDY entre autres). La relation entre dépenses militaires et performance économique "avait plus d'importance il y a 30 ou 40 ans lorsque les budgets de la défense capitalisaient une portion significative du PIB (8 à 10%) et constituaient la principale dépense des gouvernements. Cela est peut-être moins pertinent aujourd'hui alors que les dépenses militaires se situent plus rarement au-dessus de la barre de 5% du PIB. (...) L'impact des dépenses militaires sur l'économie globale est sans doute encore une réalité, mais leur capacité à en bouleverser la trajectoire n'est certainement plus ce qu'elle était. Par contre, il n'est pas rare de voir un pays ponctionner son budget de la défense en vue de contribuer à la solution de problèmes économiques. (...)"

"Pour nombre de chercheurs, constatent-ils, "l'économie de la défense fonctionne selon sa propre logique et son propre cycle". Les entreprises du secteur militaire bénéficie de la dynamique de ce cycle, de par sa forme, des cycles longs de production, qui leur permettent d'échapper à certains aléas conjoncturels (Renaud BELLAIS). C'est ce caractère "apparemment inéluctable" qui amènent ces auteurs à analyser le sujet de plus près, comme le font d'ailleurs Jean-Paul HEBERT (Dimensions régionales de la production et des transferts d'armement, 2009) ou Hélène MASSON (La comparaison des budgets de défense en Europe, 2004) ou encore HARTLEY, KEITH et Todd SANDLER (The Economics of Defense Spending, 1990)...

Ils font plusieurs constations :

- On observe une relation généralement directe entre l'allocation de fonds aux forces de défense et les conflits d'envergure. Les guerres en Irak et en Afghanistan semblent avoir eu cet effet. En reculant plus loin dans le temps, on constaterait l'existence de mouvements à la hausse pendant la guerre du Vietnam, la guerre de Corée et aussi, bien entendu, pendant les deux grandes guerres mondiales. Mais en analysant le sujet d'un peu plus près on découvrirait aussi que ce sont surtout les crises et l'insécurité qui en a résulté qui ont alimenté ce cycle. En effet la guerre de Corée n'explique pas la hausse des investissements en défense des années 1950 et du début des années 1960, pas plus que la guerre du Vietnam ne permet de comprendre le réinvestissement massif de la première moitié des années 1980. La rhétorique anti-soviétique de ces périodes propose une interprétation plus éclairante.

- En isolant les dépenses effectuées sur différents continents, on constate que le profil budgétaire des trois principales sources d'alimentation du marché mondial (88% des dépenses militaires en 2008) que sont l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie est fort différent. Alors que le tracé nord-américain semble correspondre à l'évolution du marché mondial, il en va autrement en Europe et en Asie. En fait, il apparaît qu'une fois sortie de la logique de guerre froide, l'Europe a plutôt stabilisé ses dépenses. En Asie, la croissance semble avoir été continue. Elle se serait même légèrement accélérée depuis le début des années 2000. Les fluctuations internationales seraient donc essentiellement le fait de l'Amérique du Nord, un constat qui n'a rien d'étonnant étant donné que la surpuissance américaine est à l'origine, bon an mal an, de 40 à 50% des dépenses militaires planétaires et que son industrie de défense alimente près des 2/3 du marché mondial.

- L'évolution du Canada, malgré que son économie de défense ne corresponde qu'à 3% de celle des États-Unis est semblable à celle des Etats-Unis (au niveau budgétaire) et il semble qu'il existe une dimension quasi-continentale aux fluctuations budgétaires de défense.

   Sommes-nous pour autant devant un cycle périodique où s'agit-il d'un phénomène limité dans le temps? L'analyse de l'évolution des dépenses américaines permet de constater que l'écart entre le premier sommet de 1945 et le suivant (1953) est de 8 ans, que celui du deuxième (1969) est de 16 ans, du troisième (1987) de 18 ans et finalement il semble bien que le plus récent atteindra 24 ans. A moins de faire des exceptions et d'établir ou de déterminer une marge d'erreur plutôt généreuse entre les sommets de la courbe, il faut reconnaître qu'il ne s'agit pas d'un cycle très régulier, mais plutôt d'une fluctuation dont il reste à déterminer le profil. Ces années-ci, les États-unis et le Canada semblent être sur le point de compléter leur plus forte période de croissance en matière de dépenses militaires depuis la Seconde guerre mondiale. Le récent cycle mit en route à la fin de la guerre froide aura donné lieu à une période de décroissance entre 1989 et 1997, à une reprise lente entre 1997 et 2001 et à une phase de progression plus consistante entre 2001 et 2010. 

Les deux auteurs cherchent à comprendre la dynamique de ce cycle dans l'optique d'identifier les phénomènes qui l'ont alimenté et les transformations qui l'ont caractérisé. Ce phénomène n'est pas mécanique. Depuis la fin de la guerre froide, il s'inscrit dans une dynamique complexe. Pour l'amorcer, il aura fallu la convergence de plusieurs éléments incluant un facteur déclencheur, la présence d'une volonté politique de l'exploiter, la disponibilité de nouvelles technologies et un état de préparation adéquat de la base industrielle de défense. S'agit-il de dénominateurs communs à toutes les phases de fluctuation observées depuis 60 ans? ici la prudence s'impose pour eux, mais ils tentent de le déterminer.

  Le passage à un nouveau plan économique, industriel et technologique dans les années 1990, la volonté de consolider le leadership militaire des États-Unis, la relance des investissements militaires, combinant opportunité et volonté semblent converger et s'alimenter les uns les autres pour former un nouveau cycle de dépenses militaires, très sensible entre 2001 et 2010 (le budget militaire augmente de 78%).

Ce mouvement est favorisé depuis les instances gouvernementales par la bienveillance envers de nouvelles concentrations d'entreprises. Les programmes les plus complexes sont confiés à 6 grands groupes américains (Boeing, Lockeed-Martin, Northrop-Grumman, Raytheon, General Dynamics et L-3 Communications), une véritable élite qui se caractérise par la maîtrise simultanée de fonctions de gestion de programmes, de développement de systèmes de communication avancées et de fabrication de plates-formes majeure. Ces 6 acteurs clés de la base industrielle de défense se voient confier des responsabilités qui se reflètent dans l'attribution de contrats de premier plan et par une mainmise étendue sur l'industrie de défense. Parallèlement à cette évolution inédite du pouvoir entrepreneurial sur les grands programmes militaires (il n'y a plus de concurrence gigantesque, de duels sur le marché intérieur des armements... sauf en dédoublant systématiquement l'approvisionnement pour tout type d'équipement!), on assiste à une montée en puissance de l'entreprise privée dans les opérations de gestion. Des milliers d'entreprises de consultations sont invitées à participer au processus d'évaluation du besoin militaire et du suivi des dossiers, incluant la validation des résultats déclarés par les intégrateurs et autres producteurs d'armements. Le changement d'administration ne semble pas indiquer ne fut-ce qu'une inflexion de tendance. 

Pour conclure, les deux auteurs écrivent : "Pour en venir à notre question de départ, il faut reconnaître que rien ne semble annoncer l'amorce d'un nouveau cycle baissier. Des compressions budgétaires surviendront sans doute à court terme en fonction de la fin de la guerre en Irak et de l'évolution du dossier afghan dans des pays comme les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. D'autres révisions à la baisse des crédits militaires découleront de la volonté de mieux contrôler les dépenses gouvernementales. La France et l'Allemagne ont à cet égard revu à la baisse leurs projets des années à venir. Mais ces phénomènes seront très probablement circonscrits dans le temps et limités dans leur ampleur. Par ailleurs le réinvestissement en défense demeurant vigoureux en Asie, l'incidence des actions occidentales sur l'économie de défense mondiale sera moins percutante qu'elle ne l'a été par exemple entre 1989 et 1997. S'il faut ajouter à cela les aspirations de puissances régionales comme le Brésil, l'Iran, l'Arabie Saoudite et la résurrection possible de la Russie, il y a fort à parier que la problématique des fluctuations cycliques en défense soit appelée à changer même si, aussi paradoxal que cela puisse être, une période de repli des budgets militaires s'amorce actuellement dans plusieurs pays occidentaux. Il faut maintenant envisager la possibilité que l'évolution cyclique des dépenses militaires telle qu'on l'a connu au cours des soixante dernières années prenne fin et qu'un nouveau processus de progression lent mais soutenu lui succède au cours des années à venir. Si cette hypothèses se vérifie, la planète entière pourrait en être affectée car il est loin d'être acquis que l'injection continue de dépenses militaires engendrera une plus grande stabilité du monde."

 

      La question reste donc pendante de savoir si - à cause des évolutions stratégiques incertaines qui risquent de perdurer dans un monde multipolaire, y compris avec l'apparition de nombreux troubles sociaux à l'intérieur de pays en crise économique (une logique sécuritaire tous azimuts, quasiment de classe sociale contre classe sociale?), et surtout à cause des récents changements technologiques dans la composition des armements et des appareils militaires - ces dépenses militaires acquièrent peu à peu une autonomie par rapport aux tensions du moment, entrent dans des cycles autonomes par rapport à la sphère économique globale et qui ne dépendent plus des rapports de force militaires. Cela fait évidemment trois questions distinctes qu'essaient de résoudre certains modèles théoriques :

- la question de l'influence des cycles de dépenses militaires sur l'ensemble des économies, sur les cycles de ces économies, question déjà bien traitée, mais qui se renouvelle avec les nouvelles évolutions en cours  ;

- la question d'une autonomisation de ce cycle de dépenses des cycles économiques globaux, question qui reste dans le domaine de l'investigation, notamment sur le fait de savoir si les difficultés économiques actuelles vont influer ou non sur ces dépenses militaires, ou si ces dernières vont continuer de persister indépendamment d'elles, à l'image de la sphère financière, qui elle  semble plus influer sur l'économie globale que l'inverse ;

- la question d'une autonomisation de ce cycle de dépenses des changements stratégiques, question qui déjà commence à être résolue de manière positive.

 

Yves BÉLANGER et Aude FLEURANT, les dépenses militaires : la fin des cycles?, Revue Interventions économiques, n°42, 2010. Renaud BELLAIS, Dépenses militaires et besoins de défense : Reprise ou rupture?

 

ECONOMIUS

 

Relu le 3 septembre 2020

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 16:03

          L'ouvrage de David RICARDO (1772-1823), économiste anglais, agent de change, député et... spéculateur, publié en 1817 et remanié en 1821, nous intéresse non pas seulement parce qu'il constitue (son) le principal ouvrage d'économie politique durant au moins cinquante ans et qu'il traite de pratiquement tous les éléments d'une vision libérale, comme la valeur, la répartition du produit national, du commerce international, de la monnaie et de la banque, de l'impôt et de l'emprunt... mais aussi parce qu'il participe au conflit ouvert au sein du capitalisme entre propriétaires terriens et industriels, en pleine période napoléonienne ou post-napoléonienne.

Écrit pour prendre la défense d'une partie de la classe montante en Grande Bretagne, pour le libre-échange, il s'inscrit aussi en creux au moins (dans les faits en plein...) dans un contexte de guerre économique et de guerre tout court. Cette oeuvre constitue encore aujourd'hui l'un des plus importants de l'économie politique ; elle propose à la fois la présentation la plus aboutie (avant WALRAS) de la théorie de la valeur dans l'école classique, la présentation d'une nouvelle version de l'équilibre économique - avec une "loi des avantages comparatifs" - et une analyse des effets économiques de la répartition des revenus entre groupes sociaux. Cette analyse est d'ailleurs reprise ensuite par de nombreux économistes, libéraux ou non, dont Karl MARX. Avant lui et dans des termes évidemment moins tranchés, il décrit bien le conflit typique en système capitaliste entre capitalistes de différentes branches et entre ceux-ci et les travailleurs. 

Fondamentalement, estime François-Régis MAHIEU qui rédige une introduction à cette oeuvre, "la motivation de Ricardo est politique. A travers cet ouvrage, son but a été de rappeler que le taux de profit ne peut augmenter que par la baisse du prix des biens nécessaires. Il existe donc un conflit premier entre capitalistes et salariés, puis entre ces deux classes et les propriétaires fonciers. Si Ricardo prend position pour les capitalistes, y compris les fermiers, son opinion sur les travailleurs sera nuancée dans le chapitre autocritique sur les machines. Par contre, sa position personnelle sur les propriétaires fonciers, même au comble de sa fortune terrienne, ne sera jamais remise en cause."

Sa pensée se situe au début dans l'un des plus grands problèmes économiques en Grande Bretagne pendant la guerre contre la France, l'inflation, la dépréciation des billets de banque et la hausse du prix de l'or, puis dans le problème du prix du blé. Mais toute sa problématique dépasse ce problème lancinant pour pénétrer le sens de la dynamique économique, alors que son pays entre, en avance sur tous les autres, dans une phase d'industrialisation. Encore pour François-Régis MATHIEU, "la première version ricardienne de la dynamique économique est simple, presque visionnaire : le fonctionnement à perte du capitalisme agraire provoque la perte du capitalisme dans son ensemble. Elle aboutira dans les "Principes" à un modèle plus élaboré tel que le capitalisme évolue fatalement vers l'état stationnaire, compte tenu des lois de la valeur et de la répartition".

 

       Dans la préface à la première édition des Principes..., il déclare que son objectif essentiel est d'expliquer comment la production nationale se partage entre les trois classes de la société : propriétaires fonciers, possesseurs de capitaux, travailleurs : "Déterminer les lois qui règlent cette distribution, voilà le principal problème en économie politique. Il entre donc dans un vif du sujet du conflit économique et n'hésite pas à vouloir clarifier la lutte confuse des intérêts dans la société, s'engageant d'ailleurs par ailleurs au Parlement pour faire valoir ses vues. Il s'attache à démontrer, sur la base des analyses d'Adam SMITH, une formulation précise de "lois naturelles" qui régissent les relations économiques entre les hommes. Il le fait dans un constant dialogue avec les économistes de son temps, de Jean-Baptiste SAY à MALTHUS. 

 

       Des principes de l'économie politique et de l'impôt se présente en 32 chapitres qui s'enchainent les uns les autres et qui traitent successivement surtout de la théorie de la valeur, de la rente, des salaires, des impôts (de toutes les formes d'impôt, sur 11 chapitres centraux), du commerce international, de la monnaie et du machinisme. La version de 1821 comporte en fin d'ouvrage, des Notes de Jean-Baptiste SAY.

Les thèses principales de l'ouvrage portent sur la valeur (chapitre 1), la rente de la terre (chapitre 2); sur le prix naturel et le prix du marché (chapitre 4), sur les salaires (chapitre 5), sur les profits (chapitre 6), sur le commerce extérieur (chapitre 7), sur les changements brusques dans les voies du commerce (chapitre 19), sur les propriétés distinctives de la richesse et de la valeur (chapitre 20). Les passages les plus polémiques se situent dans les chapitres 8 à 18 qui traitent des impôts mais l'ensemble du texte reste très "austère" et très dense, et n'hésite pas à se servir de démonstrations mathématiques pour appuyer les conclusions. Il ressemble aux écrits de l'économiste (Karl MARX) qui s'appuie sans doute le plus sur lui pour discuter et contrer ses conclusions, mais le Capital apparaît tout de même plus vivant et plus polémique (et même virulent, à côté de celui de RICARDO!. L'ensemble oblige à une lecture attentive et peut rebuter facilement le grand public. Pourtant, on ne peut se passer de la profondeur de certaines vues, encore présentables de nos jours. 

 

       Si nous suivons Nicolas CHAIGNEAU, les Principes "sont avant toute chose une recherche sur les conditions de l'accumulation du capital, accumulation dont dépend la croissance économique. Cet objectif conduit Ricardo à s'attaquer à ce qu'il considère comme "le principal problème en économie politique" : déterminer comment le revenu tiré d'une marchandise - le prix - se répartit entre les classes sociales impliquées dans sa production. Autrement dit, si l'on excepte la rente touchée par les propriétaires fonciers (dont Ricardo montre au chapitre 2 qu'elle n'apparait pas dans la composition du prix), il s'agit de préciser les relations entre le salaire des travailleurs et le profit des capitalistes qui ont participé à la production du même bien. C'est à cette condition qu'il sera possible de dégager "les principes qui règlent les profits" perçus par les capitalistes et, donc, d'évaluer le rythme de l'accumulation du capital.

Les 6 premiers chapitres de l'ouvrage sont ainsi consacré à l'analyse de ses conditions de production : elle est déterminée par la quantité de travail direct (celui des travailleurs) et indirect (celui qui a été fourni pour produire les moyens de production) nécessaire pour la produire. Une même quantité de travail produit donc une même valeur. Il s'ensuit qu'une hausse des salaires est sans effet sur la valeur d'une marchandise qui incorpore une quantité constante de travail. En revanche, comme le souligne le chapitre 6, cette hausse affecte "les profits" qui "doivent nécessairement baisser", puisque les salaires accaparent une part plus grande d'un même revenu. Il existe donc une relation inverse entre salaires et profits, et il s'agit là du théorème fondamental qui oriente toute la suite du discours des Principes.

Dans le chapitre 7, Ricardo en fait le point de départ de son analyse du commerce extérieur et parvient à mettre en évidence la supériorité du libre échange international, à travers la loi dite des "coûts comparatifs" (sans que l'expression ne figure toutefois dans les principes) : "Quoique le Portugal pût faire son drap en n'employant que 90 hommes, il préférerait le tirer d'un autre pays où il faudrait 100 ouvriers pour le fabriquer, parce qu'il trouverait plus de profit à employer son capital à la production du vin, en échange duquel il obtiendrait de l'Angleterre une quantité de drap plus forte que celle qu'il pourrait produire en détournant une portion de son capital employé à la culture des vignes, et en l'employant à la fabrication des draps."

Les chapitres 8 à 23 s'appuient également sur le théorème reliant salaires et profits pour, d'une part, évaluer les conséquences de l'impôt - une "portion toujours payée par le capital" - et, d'autre part, proposer des mesures que Ricardo juge adaptées au contexte économique de l'époque. C'est sans aucun doute dans cette visée normative que les Principes prennent toute leur dimension".

 

     Le premier chapitre s'intitule simplement De la valeur. En sept sections, l'économiste anglais veut démontrer que "la valeur d'une marchandise, ou la quantité de toute autre marchandise contre laquelle elle s'échange, dépend de la quantité relative de travail nécessaire à sa production, et non de la plus ou moins grande rétribution versée pour ce travail. A travers une discussion sur les relations entre la valeur d'usage et la valeur d'échange d'une marchandise, il indique que la valeur d'échange d'un produit n'est finalement pas fonction de son utilité (l'eau n'a pas de valeur d'échange). Il explique que la différence de valeur entre deux biens qui ont nécessité une même quantité d'horaire de travail réside dans l'aspect qualitativement différent de ces travaux, du pont de vue de leur intensité ou du savoir-faire qu'ils requièrent. Les variations des salaires, soit le coût monétaire du travail, ne signifient pas une évolution de la valeur d'échange mais uniquement une variation des profits. Par ailleurs, la quantité de travail que requiert la production comprend aussi celle de la production de biens qu'elle nécessite, à savoir le capital fixe. l'emploi de machines et d'autres éléments de capital fixe et durable modifie considérablement le principe selon lequel la quantité de travail consacré à la production des marchandises règle leur valeur relative. La durée de vie inégale du capital, et la rapidité variable avec laquelle il est recouvré par celui qui l'a employé, modifient également le principe selon lequel la valeur ne varie pas avec la hausse ou la baisse des salaires. Les valeurs relatives des produits ne sont proportionnelles aux quantités de travail nécessaires à leurs productions que si les durées de vie du capital fixe et sa part dans les quantités de travail sont identiques. Les différents effets de la modification de la valeur de la monnaie - moyen de mesure par lequel le prix est toujours exprimé -, ou de la modification de la valeur des marchandises que la monnaie achète proviennent de la valeur de l'or, qui fluctue comme celle de n'importe quel produit, mais la difficulté de son extraction en fait un étalon relativement stable. Pour l'auteur, la variation de la valeur de la monnaie n'influe pas sur le taux de profit.

La théorie de la valeur que l'économiste anglais met à la base de son explication des mouvements fondamentaux des prix n'est pas une théorie aussi simpliste qu'on l'a dit parfois, car il prend soin de délimiter la portée de sa thèse et de répondre aux objections qui pourraient lui être opposées. Il dit bien que le coût en travail ne rend compte de la valeur que si l'on a affaire à des biens que l'industrie humaine peut reproduire de façon pratiquement illimitée (ce qui exclue les objets d'art). De plus il précise encore que le travail nécessaire à la production d'un bien comprend le travail consacré à la fabrication des "outils, machines, bâtiments" indispensables pour la production. Par ailleurs, la qualité du travail contribue également à déterminer la valeur d'un bien. Enfin, il aborde la difficulté qui avait incité Adam SMITH à renoncer à expliquer les valeurs actuelles des biens par les coûts en travail. Les profits du capital font partie du prix des marchandises et ils tendent à être proportionnels au montant des capitaux nécessaires à la production de chaque bien. La grande préoccupation de David RICARDO est de montrer que les mouvements des prix dépendent des variation des coûts des produits et non des fluctuations des salaires. (Henri DENIS)

 

     Le second chapitre, De la rente de la terre, ne doit pas étonner dans une économie qui reste à plus de 80% agricole.

    Un troisième chapitre traite de la rente des mines. La démonstration de David ROCARDO est la suivante : Soient trois types de terre classés selon leur fertilité. Si la production nécessaire à l'alimentation de la population n'exige pas l'utilisation totale des terres du meilleur type, alors suivant les lois de l'offre et de la demande, les quelques propriétaires terriens ne pourront demander le versement d'une rente en échange de l'usage de leurs terres et le prix de la production du champ sera fonction de sa valeur. lorsque la population augmente, l'exploitation des terres moins fertiles du second type provoque une hausse de la valeur d'échange. L'exploitant de la terre du premier type fait alors un surplus de profit car la quantité de travail à lui n'a pas varié, d'où une forte demande pour les terres les plus fertiles. Leurs heureux propriétaires suivant les lois de l'offre et de la demande peuvent alors exiger le versement d'une rente proche de ce surplus de profit. La rente apparaît donc sur les terres du premier type. La mise en exploitation des terres du troisième type provoquera l'apparition de la rente sur celle du second types et l'augmentation de celle du premier type, et ainsi de suite. Le prix des produits agricoles et le montant de la rente sont donc fonctions croissantes de la population selon la loi des rendements décroissants ainsi établie. La rente est toujours le résultat d'un monopole partiel.

Dans le chapitre 32, l'économiste renouvelle sa position : la rente ne représente qu'une création de valeur sans création de richesse. La contourner, par exemple par le commerce extérieur, permet de réduire cette valeur et d'accroître la richesse.

L'analyse qu'il propose se rapproche de celle des marginalistes plus tard, thèse d'ailleurs voisine de celle de MALTHUS auquel il se réfère souvent. (Henri DENIS)

 

    Au chapitre 4, Du prix naturel et du prix du marché, très court, il s'agit d'expliquer les variations des prix. Lorsque le prix du marché s'écarte du prix naturel, lorsque l'offre est inadaptée à la demande, les capitaux et les travail se rapprochent ou s'éloignent  de la production du bien concerné. Les écarts entre la valeur travail et les prix courants (constatés) se résorbent naturellement par l'activité des capitalistes. En effet, ces derniers cherchent à maximiser leur profit en détournant leur capital du secteur où le profit est plus faible vers le secteur où le profit est le plus élevé. Par ce mécanisme, l'offre et la demande redeviennent égaux et le prix courant est égal au prix naturel (celui qui est en relation avec la quantité de travail...). En fait David RICARDO demande pour tout ce qui touche à cette question de se reporter au chapitre 7 de La richesse des Nations, d'Adam SMITH...il précise, "ainsi, lorsque je parlerai de la valeur d'échange des marchandises, ou de leur pouvoir d'acheter d'autres biens, j'entendrais toujours le pouvoir dont elles disposeraient si elles n'étaient pas soumises à des perturbations temporaires ou accidentelles, c'est-à-dire leur prix naturel." 

 

   Immédiatement après, dans le chapitre 5 , il est question Des salaires. Le travail est une marchandise. Du coup, son prix est celui qui est "nécessaire pour permettre globalement aux travailleurs de substituer et de perpétuer les espèces sans variation de le leur nombre." Le salaire ne dépend pas d'une quantité de monnaie mais des biens nécessaires à la survie des salariés. Le prix naturel du travail dépend donc du prix de biens comme la nourriture. Lorsque le prix du marché est inférieur au prix naturel, la pauvreté des travailleurs et les privations provoquent "une réduction de leur nombre", et le retour à l'équilibre. Lorsqu'il est supérieur, une augmentation de la population ou une baisse de la demande de travail le rabaisse au prix naturel. Le prix naturel "dépend essentiellement des us et coutumes". "Dans une période plus reculée de notre histoire, on aurait considéré comme biens de luxe nombre de biens d'agrément appréciés aujourd'hui dans les chaumières anglaises." Les lois sur les pauvres, qui aident les pauvres à survivre, en déréglant la pertinence de l'indicateur qu'est le prix du travail provoque une hausse non souhaitable de leur nombre. "Aucun projet d'amendement des lois sur les pauvres ne mérite la moindre attention s'il ne vise, à terme, leur abolition. Celui qui peut nous indiquer comment atteindre ce but avec un maximum de sécurité et un minimum de violence, est le meilleur ami des pauvres et de l'humanité. Ce n'est pas en changeant la manière de collecter le fonds destiné à l'entretien des pauvres que le mal sera endigué. Si le montant du fonds augmentait ou si ce fonds était levé comme le stipule certaines propositions de loi récentes par une contribution générale supportée par l'ensemble du pays, non seulement il n'y aurait là aucun progrès, mais bien une aggravation de la détresse que nous souhaitons voir disparaître".

L'auteur cherche à expliquer le salaire en appliquant au travail, considéré comme une marchandise, la distinction posée par Adam SMITH entre le prix courant déterminé par la situation de l'offre et de la demande, et le prix naturel ou normal, déterminé par des facteurs plus fondamentaux, l'entretien et la reproduction du "stock de main-d'oeuvre" existant. Malgré la remarque de l'évolution des chaumières anglaises, on n'assiste pas à cette époque à une amélioration de la situation des salariés, mais au contraire à une détérioration de leur situation. Il écrit lui-même : "Dans la marche naturelle des sociétés, les salaires tendront à baisser en tant qu'ils seront réglés par l'offre et la demande ; car le nombre des ouvriers continuera à s'accroître dans une progression plus rapide que celle de la demande." (Henri DENIS)

 

    Le chapitre 6, fait presque écho du précédent : Des profits. La valeur totale "n'est répartie qu'entre deux composantes : les profits du capital et les salaires". L'auteur partage le pessimisme de MALTHUS sur les effets d'une augmentation de la population. Parce que les rendements de la terre sont décroissants, la production de la nourriture nécessite de plus en plus de travail au fur et à mesure que la population augmente. Le phénomène est compensé par les progrès techniques apportés dans son exploitation par le fermier. Apparaît un cercle vicieux : plus, sous l'effet d'une rente toujours croissante et de salaires toujours plus élevés, le profit du fermier se restreint, plus sa capacité à accumuler du capital visant à accroître sa productivité est moindre, plus les prix augmentent et ainsi de suite. Pour les capitalistes, autres que fermiers, les salaires en monnaie de leurs employés augmentent. De plus les rentrées de monnaie restent constantes car les biens produits contiennent toujours la même quantité de travail. Les profits diminuent. L'investissement disparaît peu à peu. Sans investissement, la quantité de travail nécessaire à la production d'un bien reste constante : il n'y a plus de progrès. "Nous retrouvons (...) ce que nous recherchions précédemment : en tout temps et en tous lieux, les profits dépendent de la quantité de travail requise sur cette terre, ou avec ce capital, qui ne rapporte pas de rente, pour fournir aux travailleurs les biens nécessaires. Les effets de l'accumulation sont donc différents selon les pays, et dépendent principalement de la fertilité de la terre. Aussi vaste qu'un pays puisse être, si la terre y est de médiocre qualité, et si l'importation des denrées alimentaires est interdite, la moindre accumulation de capital s'accompagnera d'une importante réduction du taux de profit et d'une augmentation rapide de la rente ; par contre, dans un pays peu étendu mais fertile dans lequel, en particulier, l'importation des vivres est libre, on peut accumuler une grande quantité de capital sans grande diminution du taux de profit, et sans que la rente de la terre n'augmente considérablement. (...) j'ai essayé de montrer, premièrement, qu'une augmentation des salaires n'augmenterait pas le prix des marchandises, mais réduirait inexorablement les profits, et deuxièmement, que si le prix de toutes les marchandises pouvait augmenter, l'effet sur les profits resterait le même, et qu'en fait, seule la valeur du moyen par lequel on évalue les prix et les profits se trouverait réduite."

 

   Pour David RICARDO, au chapitre 7 sur le commerce extérieur, "aucune expansion du commerce extérieur n'augmentera immédiatement le total de la valeur dans un pays, bien qu'elle contribue fortement à accroître la masse des marchandises, donc la somme des biens d'agrément. La valeur de toutes les marchandises étrangères étant mesurée par la quantité du produit de notre terre et de notre travail offerte en échange de celle-ci, nous ne disposerions pas d'une valeur supérieure si, grâce à la découverte de nouveaux marchés, nous obtenions deux fois plus de biens étrangers en échange d'une quantité donnée des nôtres." Seule la baisse des salaires peut provoquer une hausse du taux de profit. Ainsi l'intérêt du commerce extérieur est de mettre sur le marché à un prix moindre des produits nécessaires aux travailleurs. La baisse alors possible du salaire en monnaie permet une hausse des profits. Il faut donc abroger les "Corn Laws". Chaque nation a intérêt à se spécialiser dans la production où elle possède l'avantage comparatif le plus élevé ou le désavantage le moins prononcé. Cela ne contredit pas la théorie des avantages absolus d'Adam SMITH, car il envisage que les facteurs de production puissent s'orienter uniquement vers les pays possédant un avantage absolu. Toutefois, la recherche de la sécurité, l'amour de son pays... qu'encouragent les gouvernements rendent cette théorie impraticable, d'où celle des avantages comparatifs. 

La doctrine du gain mutuel dans l'échange international affirmée par l'auteur devient rapidement un des arguments couramment employés en Angleterre en faveur du libre-échange. David RICARDO donne à cette doctrine sa formulation la plus extrême, de "l'équilibre automatique de la balance des comptes". Selon cette doctrine, tout déficit de la balance des comptes d'un pays tend à s'éliminer de lui-même par suite des mouvements des prix, qui, dans une nation déficitaire et dans la ou les nations excédentaires, sont engendrées par ce déficit lui-même. Il défend la version la plus rigide de cette théorie, soutient que ces mouvements des prix sont uniquement engendrés, en régime de monnaie convertible, par les sorties de métal précieux qui se produisent dès que le taux de change atteint le "point de sortie de l'or". Il adhère strictement (au moins dans ses opuscules sur les questions de la monnaie) à la théorie quantitative de la monnaie. (Henri DENIS)

 

    Les chapitres 8 à 18 traitent des impôts. Tour à tour, les impôts en général, les impôts sur les produits bruts, les impôts sur la rente, la dîme, l'impôt foncier, les impôts sur l'or, les impôts sur les maisons, les impôts sur les profits, les impôts sur les salaires, les impôts sur les marchandises autres que les produits bruts, et la taxe des pauvres sont analysés. L'auteur reprend la règle d'or de Jean-Baptiste SAY : "le meilleur de tous les plans de finance est de dépenser peu, et le meilleur de tous les impôts est le plus petit". Afin de préserver le capital, les impôts - soient les consommation de l'État - doivent être compensés par une augmentation de la production ou une baisse de la consommation, sous peine de mener à la récession. L'impôt est par nature nocif car il ralentit la constitution du capital et décourage sa mobilité, moteur du retour incessant à l'équilibre des marchés. De tous les impôts, s'il faut choisir, c'est l'impôt sur la rente qu'il faut privilégier. Celui-ci touche uniquement le rentier. Comme le montant de la rente est fixé en référence de la terre la moins productive, il ne peut répercuter l'impôt. 

 

     Dans la continuité du chapitre 7, le chapitre 19 traite Des changements brusques dans les voies du commerce. Ces changements ont un effet néfaste. Ils peuvent, en cas de guerre, mettre fin à la richesse tirée de la théorie des avantages comparatifs. S'il s'agit d'un changement de la demande, alors le capital fixe risque d'être perdu. L'importation de blé en diminuant la production nécessaire sur le territoire national entraînerait un abandon des terres les moins fertiles et donc une chute de la rente. 

 

 

    Dans le chapitre 20, Des propriétés distinctives de la valeur et de la richesse, l'auteur reprend au départ le texte de la Richesse des Nations d'Adam SMITH : "Un homme est riche ou pauvre en fonction des moyens dont il dispose pour se procurer les biens nécessaires, commodes et agréables de la vie". "La valeur, écrit-il, diffère donc essentiellement de la richesse, car elle ne dépend pas de l'abondance, mais de la difficulté ou de la facilité de production." Une meilleure productivité fait varier à la baisse la valeur des biens, mais non la richesse qu'ils représentent. L'accroissement de la richesse repose donc sur la diminution de la valeur des biens, permise par l'amélioration des techniques, la meilleure division du travail, la découverte de nouveaux marchés.  Le chapitre 21 présente Les effets de l'accumulation sur le profit et l'intérêt. Le chapitre 22 complète par la discussion sur les primes à l'exportation et Prohibitions des importations, tandis que le suivant examine le cas Des primes à la production. 

         L'auteur est préoccupé par le problème de la croissance économique et veut le résoudre de façon aussi catégorique que celui de la valeur et celui de la répartition. Il n'existe qu'une seule condition, nécessaire et suffisante pour la croissance économique : l'existence d'un taux moyen de profit suffisamment élevé. Si le capital rapporte suffisamment, il y aura des épargnes abondantes et le développement économique sera assuré par l'augmentation de l'emploi et par l'amélioration des techniques de production. Il nie que les débouchés extérieurs puissent jouer un rôle essentiel dans la croissance industrielle d'un pays, au contraire d'Adam SMITH. Ce problème des débouchés ignoré, la question de la croissance est entièrement dominée par le problème de l'évolution du taux des profits. Or l'évolution du taux des profits est lié à l'évolution de la part des capitalistes dans le revenu national, et celle-ci dépend à son tour de la part obtenue par les salariés et par les propriétaires fonciers.  Tôt ou tard, à cause de l'augmentation de la population - constamment décidément le pessimisme de MALTHUS parcourt le texte - l'évolution des rentes foncières va dans le sens de l'augmentation : la tendance à la baisse du taux des profits est une loi fondamentale de l'évolution économique. Tôt ou tard, le revenu national cessera de croître ou atteindra un état stationnaire de l'économie. L'auteur s'y résigne, sans mettre en cause la viabilité du capitalisme, cette évolution pouvant être retardée grâce au machinisme, aux découvertes agronomiques  et à la libre importation des denrées agricoles étrangères. C'est pour cela qu'il faut supprimer les droits de douanes. (Henri DENIS)

 

  Certains des chapitres suivants constituent des développements sur les échanges entre David RICARDO et d'autres économistes. Ainsi dans le chapitre 24, il examine la Doctrine d'Adam SMITH sur la rente de la terre, ses observations sur le commerce colonial (chapitre 25) et sur le revenu brut et le revenu net (chapitre 26) , et L'opinion de M. MALTHUS sur la rente (chapitre 32), comme de celle Des impôts payés par le producteur par jean-Baptiste SAY chapitre 29).

 

   Dans les chapitres 27 et 28, David RICARDO aborde la question irritante (de par la quantité de littérature que lui est consacré) de la place de la monnaie dans l'économie : De la monnaie et des banques, puis, De la valeur relative de l'or, du blé et du travail dans les pays riches et dans les pays pauvres. 

Les réflexions les plus importantes sur la monnaie de l'auteur sont dispersées dans Principes et dans un texte de 1816 intitulé Propositions pour une monnaie économique et sûre, où il prône un étalon de change or et une convertibilité interne en lingots (mais pas en espèces), qui contraint la banque nationale sur les réserves d'or. Favorable au caractère public de la banque "nationale", il synthétise la pensée monétaire classique, en codifiant les règles d'un système étalon-or (mais qui n'est pas celui finalement adopté par son pays). Il s'agit pour lui de contrôler strictement les mouvements de la monnaie afin que ceux-ci ne perturbent pas la marche "normale" de l'économie. 

 

    Le chapitre 31 traire Des machines, soit un problème qui devient de plus en plus conflictuel à son époque (il y a même un mouvement populaire de destruction des machines). Ce chapitre figure dans la dernière édition des Principes. David RICARDO reconnaît que les progrès du machinisme peuvent engendrer du chômage, pour la raison que "les fonds où les propriétaires et les capitalistes puisent leurs revenus peuvent grandir, tandis que celui qui sert à maintenir la classe ouvrière diminue". L'auteur admet que le machinisme se développera assez lentement pour qu'il produise seulement un ralentissement de la demande de main-d'oeuvre, et non pas une diminution de cette demande. De toute manière, si l'on entrave l'emploi des machines, d'une part on pousse  le capital à s'expatrier, ce qui diminue l'emploi de la main-d'oeuvre, et d'autre part, on empêche la baisse des coûts de production, d'où résultent les avantages que l'on obtient dans le commerce extérieur. Karl MARX, plus tard accentue la mise en évidence là d'un aspect essentiel des contradictions qui peuvent apparaître dans une économie de marché moderne. (Henri DENIS)

 

    Les notes de Jean-Baptiste SAY mettent en évidence des divergences sur la valeur (selon lui, "une mesure invariable des valeurs est une chimère parce qu'on ne peut mesurer les valeurs que par des valeurs, c'est-à-dire par une quantité essentiellement variable", ce qui invalide la recherche insistante de David RICARDO d'un invariant), même si l'auteur affirme le contraire, et sur la rente (car l'auteur français s'efforce, au contraire de David RICARDO, d'estomper l'opposition entre propriétaires et capitalistes)

 

     Sur le plan pratique, l'oeuvre de David RICARDO, notamment cet ouvrage central, a une influence considérable en tant que promoteur du libéralisme économique et en particulier de la politique libre-échangiste que la Grande Bretagne adopte au milieu du XIXe siècle - en fait presque juste après les guerres napoléoniennes, et mise en pratique jusqu'en 1914. Bien entendu l'essor du capitalisme anglais ne s'explique pas seulement par ce libre-échange, mais aussi par la politique de conquête coloniale et la recherche de marchés privilégiés. Nombreux sont les économistes comme Jérémie BENTHAM (qui est tenté un moment de fonder une science économique sur le calcul des plaisirs et des peines) et James MILL (1821, Éléments d'économie politique ; 1829, Analyse des phénomènes de l'esprit humain), qui reprennent ses thèses. (Henri DENIS).

    François-Régis MAHIEU estime que les Principes... constitue un grand livre ouvert aux relectures. Car "la dynamique grandiose ne se laisse pas enfermer dans l'atemporalité de la logique. cette dynamique s'appuie sur l'analyse d'une hétérogénéité sociale et d'un cadre international. Elle intègre des politiques et des aléas ; le tout ne pouvant constituer un cadre de raisonnement homogène."

Karl MARX, qui remet en cause ces Principes, s'appuie beaucoup sur les réflexions sur la valeur, sur la présence des stades, sur les contrastes entre France et Angleterre, pour en tirer des logiques bien différentes. Les Principes "parachèvent la dynamique à long terme d'un capitalisme laminé entre la baisse du taux de profit et la hausse des salaires et des rentes. Ricardo nous livre aussi une magnifique fresque historique et stimule notre réflexion sur la substantialité du développement."

      Pour Nicolas CHAIGNEAU, "la force de l'approche ricardienne réside dans sa capacité de s'appuyer sur une vision théorique de la dynamique du capitalisme pour énoncer des mesures concrètes de politique économique"

C'est d'ailleurs ce qui peut distinguer les ouvrages d'économie de ceux - et par la suite ils auront tendance à s'intituler ainsi, d'économie politique. "Au terme de son ouvrage, Ricardo parvient notamment à démontrer que la législation anglaise en matière de commerce extérieur du blé met en danger la croissance du produit national. Adoptées en 1815, les lois sur les blés visaient à protéger la production domestique par l'application de droit de douanes et poussaient ainsi le prix intérieur à la hausse. Or, la théorie générale exposée dans les Principes permet de mettre en évidence le caractère néfaste de ce dispositif.

L'essentiel du raisonnement repose en réalité sur la proposition suivante : le taux de salaire dépend du prix des marchandises que le travailleur doit se procurer pour assurer sa subsistance, parmi lesquelles le blé. Si bien qu'une hausse du prix du blé oblige à élever les salaires dans toutes les branches de l'économie et provoque donc une baisse généralisée du taux de profit qui met en danger l'accumulation du capital. Pour Ricardo, la conclusion est sans appel : il faut abroger les lois sur les blés - ce qui ne sera le cas qu'en 1846 - et instaurer au contraire la libre importation des produits étrangers. De fait, "si, par l'accroissement du commerce étranger (...), on peut fournir aux travailleurs la nourriture et les autres objets de première nécessité à plus bas prix, les profits hausseront".

Le même type de raisonnement permet de faire des Principes un plaidoyer en faveur de l'abrogation des lois d'assistance aux pauvres alors en vigueur en Angleterre : "l'impôt pour les pauvres" favorise en effet l'existence de "hauts salaires" et représente donc un frein à l'accumulation. On trouve ainsi dans cet ouvrage une première formulation des arguments modernes fustigeant le protectionnisme ou les politiques sociales. Les Principes constituent également le creuset dans lequel la théorie économique marxiste se développe dans la seconde moitié du XIXe siècle : c'est en amendant la théorie ricardienne de la valeur que Karl Marx parvient, dans Le Capital (1867), à mettre en évidence un phénomène inexorable de baisse tendancielle du taux de profit, qui crée les conditions d'un renversement du capitalisme". A l'inverse, des théoriciens, notamment néo-ricardiens, tentent de "rétablir" les "vraies lois" du capitalisme, en amendant cette construction "grandiose", ce qui permet de le réformer sans avoir à accepter l'analyse marxiste. 

 

       En tout cas, David RICARDO allie la réussite sociale, le pessimisme économique et l'abstraction théorique et ouvre la voie à l'économie abstraite et à l'analyse moderne. 

David RICARDO, Des principes de l'économie politique et de l'impôt, traduction de l'édition anglaise de 1821, de Cécile SOUDAN et de ses collaborateurs de l'Université Lille I, Présentation de François-Régis MAHIEU, GF-Flammarion, 1992, 508 pages.

Henri DENIS, Histoire de la pensée économique, PUF, collection Quadrige, 1999. Nicolas CHAIGNEAU, Article Des principes... dans Encyclopedia Universalis, 2004.

On lira avec profit, concernant une pensée néo-ricardienne, l'ouvrage de SRAFFA de 1960 : La production des marchandises par des marchandises : prélude à une critique de la théorie économique. 

 

Relu le 5 septembre 2020

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 11:27

    Le philosophe et économiste autrichien Friedrich HAYEK est une figure de nos jours du libéralisme, opposée au socialisme et aux interventions de l'État dans l'économie. Artisan sur le plan de la philosophie de la connaissance, de l'économie et de la sociologie d'une vision de la société qui veut renouer avec le libéralisme après des décennies de domination intellectuelle du keynésianisme et à plus moindre degré du marxisme, il est revendiqué par l'ensemble des auteurs néo-libéraux comme l'initiateur de l'individualisme méthodologique.

Même si son oeuvre, qui se partage entre l'épistémologie, l'économie et la sociologie de la liberté, comporte des éléments qui sont loin de conforter cette position, elle contribue à l'hégémonie actuelle du libéralisme économique et politique qui commence d'ailleurs à reculer. Il fait partie activement d'abord de l'École de Vienne, mais s'en distancie par la suite sur de nombreux points.

 

     Si ses premières oeuvres sont économiques, avec Prix et production (Conférences en Angleterre) de 1931, Monetary Nationalism and international Stability en 1937 et Pure Theory of Capîtal en 1941, il s'oriente surtout vers l'épistémologie et la sociologie, avec par exemple une série d'articles sur la "contre-révolution de la science" de 1941, La route de la servitude en 1944, fondant la Société du Mont-Pélerin en 1947, The Sensory Order de 1952, La constitution de la liberté en 1960, et surtout sa trilogie publiée en 1973, 1976 et 1979, Droit, Législation et liberté. Il tente, dans l'objectif d'en finir avec le socialisme, d'organiser une rencontre entre économistes libéraux et économistes socialistes en 1988 - sans succès - dont il rédige le texte introductif Présomption fatale : les erreurs du socialisme.

 

      Le point de départ de ses réflexions, chronologiquement et sur le plan analytique, réside dans ses interrogations sur la nature de la connaissance. Quelle est la nature de la réalité? pouvons-nous la percevoir directement? Y-a-t-il une différence entre l'esprit et la matière? Quelles sont la part de l'inné et de l'acquis dans l'expérience humaine? Quelle est la nature de l'esprit? Quel est son rapport avec la matière? Quelles sont les relations entre les événements d'ordre physique et les faits mentaux? Il s'agit pour le penseur de l'École de Vienne, d'élucider les relations entre le monde "phénoménal" et le monde "physique". Le monde phénoménal est celui qui est perçu en termes de qualités sensorielles. C'est l'ordre sensoriel. Alors que le monde physique se définit exclusivement par les relations entre ces éléments.

La tâche de la physique consiste à découvrir dans les événements du monde extérieur des régularités indépendantes des individus qui perçoivent, alors que celle de la psychologie est de montrer comment ces événements se manifestent dans un ordre différent à travers leurs effets sur nos sens. Pour Friedrich HAYEK, "ce que nous appelons l'"esprit est donc un ordre particulier dans un ensemble d'événements se produisant dans un certain organisme et d'une certaine manière relié à, mais non identique avec, l'ordre physique des événements dans l'environnement" (The Sensory Order). Du coup, la classification qu'opère le cerveau humain ne correspond pas toujours au réel du monde physique. Plus, le monde physique est tel que le cerveau humain ne peut complètement l'appréhender. Et dans la foulée de ce scepticisme qui rejoint celui de HUME, cité à de nombreuses reprises dans son ouvrage, il s'oppose au rationalisme métaphysique, dans une pleine conscience selon lui des limites de la raison.  Le positivisme logique croit à tort possible une explication totale et unitaire du monde. La société est un organisme d'une telle complexité (au degré de complexité plus grand que le cerveau humain), qu'il est impossible pour l'esprit de donner une explication complète et globale de son fonctionnement.

Le philosophe autrichien se situe donc à l'opposition du positivisme qui se construit en Europe depuis Auguste COMTE. C'est ce qui rend l'explication globale du fonctionnement économique impossible, la planification socialiste tout aussi impossible, comme généralement tous les projets de reconstruction rationnelle des sociétés utopiques.

La tendance à considérer la société comme composée de totalités, d'ensembles que l'on peut directement appréhender, constitue une des nombreuses dérives du scientisme, que Friedrich HAYEK qualifie de "totalisme" (selon la traduction de Raymond ARON de collectivism dans Scientisme et sciences sociales : essai sur le mauvais usage de la raison, Plon, 1953, traduction d'un ouvrage paru en 1952). Il y associe des concepts comme ceux de classes, de nation, d'industrie, de capitalisme, d'impérialisme, toutes des constructions théoriques provisoires et non des réalités objectives. 

 

      La pensée économique de Friedrich HAYEK, portée souvent en porte-drapeau par toute la famille néo-libérale est pourtant plus complexe que le simplisme de certaines de leurs théories. Si finalement, elle connaît le succès, c'est sans doute en grande partie parce qu'elle est construite notamment pour démontrer la fausseté de l'analyse économiques qui soutient toutes les expériences socialistes. Dans un monde d'économistes qui semblent ne jurer que par les mathématiques parce que exemptes de toute idéologie et de toute implication sociale, à la suite des travaux de Arthur SPIETHOFF (1873-1957), de Knut WICKSELL(1851-1926) et de Eugen von BÔHM-BAWERK (1851-1914) dont il se situe dans une filiation directe, l'économiste autrichien met en garde contre l'illusion mathématique. pour lui, et ce sera encore plus net dans ses derniers ouvrages (par exemple, La présomption fatale...). Il dénonce "l'usage extensif (...) des mathématiques, qui ne manque pas d'impressionner les hommes politiques qui n'ont aucune formation en ce domaine, et qui est réellement ce qui est le plus proche de la pratique de la magie au sein de l'activité des économistes professionnels". Les statistiques ont leur utilité "pour nous informer sur l'état des affaires", mais il ne croit pas "que l'information statistique puisse contribuer de quelque manière à l'explication théorique du processus" (Hayek on Hayek : An autobiography Dialogue, Stepehn Kresge et Lef Wenar, Londres, Routledge). Dès les premières pages de Monetary Theory and the Trade Cycle, de 1929, il s'attaque à l'illusion en vertu de laquelle on pourrait utiliser les statistiques pour comparer la validité de théories alternatives des cycles. Certaines données économiques complexes ne peuvent tout simplement pas être quantifiées. Cette illusion s'ajoute à une autre, l'illusion macroéconomique, lieu principal de l'erreur scientiste en économie. "Le nombre de variables distinctes qui, dans tout phénomène social particulier, déterminera le résultat d'un changement donné, sera en règle générale beaucoup trop grand pour que l'esprit humain puisse les maîtriser et les manipuler effectivement (Scientisme en sciences sociales).

     Sa pensée économique suit d'abord celle de WICKSELL : une économie théorique a-monétaire tendrait, conformément à la conception de l'équilibre général de WALRAS, spontanément vers une situation d'équilibre où le taux d'intérêt nominal correspondrait au taux d'intérêt naturel, vers une situation où l'investissement correspondrait à l'épargne disponible.

"Dans une économie de troc, l'intérêt  constitue un régulateur suffisant pour le développement proportionné des biens capitaux et des biens de consommation. En l'absence de monnaie, s'il est admis que l'intérêt prévient effectivement toute expansion excessive de la production de biens de production, en la contenant dans les limites de l'offre disponible d'épargne, et qu'un accroissement du stock de biens capitaux basé sur un report volontaire dans le futur de la demande des consommateurs ne peut jamais mener à des expansions disproportionnées, alors on doit nécessairement admettre que le développement disproportionné dans la production de biens de capitaux peut seulement naître de l'indépendance de l'offre de capital monétaire par rapport à l'accumulation de l'épargne" (1933). Le crédit monétaire amplifie cette possibilité de déséquilibre. "Un trait essentiel de notre système de production "capitalistique" moderne, est qu'à tout moment la part des moyens originels de production disponibles employés pour obtenir des biens de consommation dans un futur plus ou moins lointain est beaucoup plus importante que celle qui est utilisée pour satisfaire des besoins immédiats. Ce mode d'organisation de la production permet, en allongeant le processus de production, d'obtenir une plus grande quantité de biens de consommation à partir d'un montant donné de moyens originels de production" (1975). Plus le "triangle" des valeurs qui sert à représenter le détour de production est allongé, c'est-à-dire plus la période des productions est longue, plus est grand le nombre de stades successifs de production, plus la structure de la production va être capitalistique et permettre de produire une plus grande masse de biens de consommation. Le caractère capitalistique de la production dépendra de deux facteurs : le comportement des entreprises à l'égard de l'investissement et la décision d'épargner des agents économiques. En fait, plus forte sera la demande de biens de production et ainsi plus les agents économiques accepteront de reporter leur consommation, plus capitalistique sera alors la structure de production. C'est à ce niveau que se pose le problème de l'équilibre dès lors que l'on tient compte de l'existence de la monnaie, et surtout de la possibilité d'une création monétaire "ex nihilo" par les banques.

Pour Friedrich HAYEK, "toute tentative pour expliquer les processus économiques doit partir de la proposition que, étant donné la constellation particulière des circonstances qui existent, il n'y a qu'un seul mode particulier de comportement d'un sujet économique qui correspond à ses intérêts, et il continuera de changer ses décisions jusqu'à ce qu'il ait réalisé les utilisations les plus avantageuses des ressources économiques pour lui" (1928). Sa définition de l'équilibre met plus l'accent sur l'individu que sur la coordination entre les agents, ce qui le distingue de la conception walrasienne

Le marché n'est pas un modèle d'équilibre abstrait. C'est un processus relié à un système d'information. Il forme dans Droit, Législation et Liberté, le mot "catallaxie" pour désigner l'ordre du marché engendré par l'ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur ce marché. C'est un ordre spontané produit à partir des actes des gens qui se conforment à des règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les contrats. Ce terme, tiré du verbe grec katallatien, rassemble les sens d'échanger, d'admettre dans la communauté, de faire un ami d'un ennemi. 

Les fluctuations monétaires, reliées à l'élasticité des systèmes monétaires de crédit sont les premières responsables des fluctuations et des crises économiques et elles ne peuvent être résorbées que par la neutralisation de la monnaie. Les crises ne sont pas dues à l'insuffisance des demandes effectives (ce qui permet de faire l'impasse du coup sur les problématiques des salaires et des prix...), mais au contraire par les surinvestissements qui se transforment en excès de demande de consommation par rapport aux moyens de la satisfaire. Quels que soient les critiques émises contre sa théorie de l'effet d'accordéon, même dans sa seconde version nommée effet Ricardo, l'économiste autrichien s'en tient toujours à la trop grande élasticité du crédit monétaire.

Opposé donc aux politiques économiques prônées par KEYNES, Friedrich HAYEK continue après la seconde guerre mondiale son offensive contre l'interventionnisme d'État. Il estime avoir montré qu'une hausse de la demande pour les biens de consommation peut mener à une baisse de la demande pour les biens capitaux et que ce déclin peut être retardé par le maintien des taux d'intérêt à de bas niveaux, mais la chute sera d'autant plus importante que les taux de profit dans les secteurs intensifs de main-d'oeuvre auront été plus élevés. Inversement, si l'on permet aux taux d'intérêt de s'élever, on atténue les conséquences néfastes du processus. Une faible propension à consommer aura le même effet, dans tous les cas, la fin de la croissance est provoquée par une rareté de capital. pendant la période de dépression, ce n'est pas le taux d'intérêt, mais le taux de profit et les salaires réels qui déterminent le déclin et l'éventuelle reprise de l'investissement. Ce n'est donc pas la baisse dans les occasions d'investissement qui provoque la crise, contrairement aux idées en vogue dans les années 1930 et qui aboutissent à la fin de la seconde guerre mondiale aux politiques keynésiennes. Dans Prix et Production (Calmann-Lévy, 1975, traduction de l'ouvrage de 1931, remanié), nous pouvons lire : "Keynes s'était basé sur l'hypothèse d'une corrélation positive simple entre la demande globale et le niveau de l'emploi, et sur le fait que le chômage pouvait et devait être combattu par un accroissement convenable de la demande globale. L'application de cette théorie a non seulement entraîné l'inflation mondiale en échouant dans une prévention durable du chômage mais se trouve être à long terme la cause d'un chômage beaucoup plus important que celui qu'elle entendait combattre (...). Il se peut que l'effondrement de l'illusion keynésienne auquel on est en train d'assister donne à l'autre explication des causes du chômage présentées dans ce livre davantage de chances d'être écoutées qu'il y a quarante ans."

En fait, le rôle de l'État est de fournir le cadre juridique requis par le jeu de la catallaxie, tâche pour laquelle il dispose du monopole de la coercition, mais de plus, loin de plaider pour un "État minimal", l'auteur lui demande d'user de son pouvoir fiscal pour assurer un certain nombre de services qui ne peuvent être fournis de manière adéquate par le marché. Il en est ainsi des biens collectifs qui profitent à tous, notamment la santé, la protection civile contre les catastrophes, les transports et les infrastructures d'énergie, mais aussi de toutes les solutions à apporter aux problèmes de pollution. Si le champ d'intervention de l'État est relativement étendu, son type d'intervention doit être assez circonscrit. Comme le marché demeure en dernier ressort le meilleur moyen pour la production et l'allocation des ressources, il convient de réduire au minimum les activités qui ont pour effet de le contrarier. Dans la gestion de ces activités, il n'y a en outre pas de raison de ne pas soumettre l'État aux règles de la concurrence. Friedrich HAYEK ne jette pas aux oubliettes, comme le font beaucoup de ceux qui se réclament de sa pensée, toute politique économique, mais son attitude très ambiguë vis-à-vis de l'objectif d'un "niveau stable et élevé" de l'emploi et le fait qu'il faut cesser selon lui d'utiliser l'impôt comme moyen de redistribuer et comme levier d'une politique économique, indiquent bien une conception très restrictive, finalement, malgré certains passages de ses ouvrages économiques, sur l'État. C'est que sa conception de l'économie est supportée par une vision bien précise de la société.

 

     Friedrich HAYEK remplace souvent le terme société, qui pour lui se réfère à une vision holiste qu'il réfute, par des périphrases tels que "ordre étendu", "grande société", "société ouverte"... S'il cède à l'usage courant la plupart du temps, ses écrits donnent facilement, même s'il peut s'en défendre, une vision économiciste de la société. Pour étudier les phénomènes complexes, l'auteur préfère nettement le concept d'ordre qu'il défini comme un "état de choses dans lequel une multiplicité d'éléments de nature différente sont en un tel rapport les uns aux autres que nous puissions apprendre, en connaissant certaines composantes spatiales ou temporelles de l'ensemble, à former des pronostics corrects concernant le reste ; ou au moins des pronostics ayant une bonne chance de s'avérer corrects" (Droit, Législation et Liberté). La société est un ordre spontané d'ensemble qui contient en son sein à la fois des ordres spontanés plus spécifiques et des groupes organisés qui relèvent plus de la notion de taxis. Telles sont les familles, les entreprises, les sociétés de toute nature, mais aussi les institutions publiques, y compris le gouvernement. L'ordre spontané n'a pu être conceptualisé que dans le cadre d'une société sécularisée, ou en tout cas libéré des mythes religieux, et la conceptualisation qui s'est imposée, celle d'un rationalisme constructiviste, de même que la notion de contrat social, celle qui sert de référence au freudisme, au marxisme et à KEYNES, menace en fait la survie d'une civilisation qui est le résultat d'une évolution longue et complexe... En fait, l'ordre spontané ne doit pas être confondu avec un organisme qui désigne un ordre dans lequel les éléments individuels occupent une position relativement fixe. Les règles d'une société ne sont en fait pas le résultat d'une élaboration consciente, et si elles existent, c'est parce qu'elles ont fait la preuve de leur efficacité et de leur supériorité pour par exemple la croissance économique. L'effort d'abstraction, s'il est conduit, et c'est le cas le plus souvent, sans une réelle connaissance de toute la réalité, conduit à des impasses et à des erreurs. Plus une société est évoluée et complexe, plus ses membres suivent, sans en être conscients, des "règles de juste conduite" dans leurs actions et dans leurs interactions avec leurs semblables.

L'objet principal de La constitution de la liberté est le "réseau combinant philosophie, jurisprudence et économie de la liberté, et qui jusqu'à présent fait défaut". Friedrich HAYEK rejette à la fois la conception du libéralisme rationaliste et celle du libéralisme utilitariste de la liberté. A toutes les notions qu'il critique, il oppose la seule signification qui lui semble acceptable (celle qu'il désigne par liberty et freedom) : cette condition humaine particulière où la coercition de certains par d'autres se trouve réduite au minimum possible dans une société". Elle se définit donc négativement par l'absence de coercition, ou plus précisément par la réduction au minimum de cette anomalie que l'on retrouve dans tous les regroupements humains. Du coup, l'existence de la propriété privée est nécessaire à la liberté, bien qu'elle ne constitue pas une condition suffisante. L'extension de sa sphère et le développement de la société ouverte s'accompagnent de la généralisation de règles de conduite fondées sur l'honnêteté, le respect des contrats qui sont essentielles à la survie de la civilisation. A cause de l'existence d'instincts primitifs, du vol et de la fraude, la coercition ne peut être complètement évitée, et non plus le monopole de cette coercition par l'État. Il développe une sorte de sociologie morale où le droit n'a certainement pas été créé pour servir à un but formulable politiquement, mais au contraire pour rendre les gens qui s'y conforment plus efficaces dans la poursuite de leurs propres objectifs.

Pour que ce monopole de la coercition, nécessairement présente pour l'évolution du droit, reste dans les limites de la nécessité, seule la démocratie apparaît comme une véritable garantie contre l'arbitraire du gouvernement (confondu pour l'auteur avec l'État). Mais contrairement au libéralisme, la démocratie n'est pas un bien en soi : "la démocratie est essentiellement un moyen, un procédé utilitaire pour sauvegarder la paix intérieure et la liberté individuelle. En tant que elle, elle n'est aucunement infaillible" (La route de la servitude, 1946). En fait, non seulement, la démocratie n'est pas synonyme de libéralisme, mais on peut envisager une société libérale sans démocratie... dans un régime autoritaire, à condition qu'il soit limité par la loi. La méfiance manifestée par le philosophe autrichien envers la démocratie représentative trouve sans doute sa source, plus que dans une argumentation, dans le contexte social et politique dans lequel il a vécu, à Vienne, dans les premières décennies du siècle, et par sa hantise des soulèvements populaires.

En fait, la critique du socialisme constitue un axe majeur de sa pensée politique. Tout son ouvrage, La route de la servitude, son manifeste libéral, est tendu vers cette critique. Il n'y a pas pour lui de différence de nature entre hitlérisme et stalinisme et il n'y a qu'une différence de degré entre la social-démocratie, le socialisme et le communisme. Il faut abandonner cette route de la servitude pour... quelque chose qui n'est pas entièrement théorisé. Il n'y a pas de système social ou politique chez l'auteur, parce qu'il a toujours une méfiance absolue pour toute élaboration théorique à partir de phénomènes que l'homme ne peut complètement appréhender...

 

    Gilles DOSTALIER, à propos de sa théorie de la connaissance, qui supporte une grande partie de la tonalité de son oeuvre, "on peut s'interroger sur le degré de cohérence d'une démarche au terme de laquelle est niée la possibilité de l'opération que Hayek a lui-même entreprise, soit celle d'expliquer le fonctionnement de la société pour démontrer rationnellement l'impasse de l'interventionnisme, sous toutes ses formes, et la supériorité du libéralisme classique."

Si, effectivement, nous sommes loin de posséder toutes les données de la réalité, de la réalité économique surtout, rien ne justifie qu'une partie de la société puisse indiquer la bonne voie... Étant donné, qu'en plus, il semble tout de même d'une étonnante coïncidence que cette voie est précisément celle qui satisfait le plus cette partie... Sur l'économie proprement dite, toute sa construction reposant sur la neutralisation de la monnaie, nous ne pouvons que poser la question du pourquoi de sa "popularité" dans une époque où le  capitalisme financier est proprement envahissant. En fait, cette "popularité" tient surtout à des ouvrages qui ne traitent pas précisément d'économie mais qui constituent des sortes de pamphlet contre le socialisme.

 

      Théoricien polyvalent, au moment où la plupart des économistes restent cantonnés dans des domaines très spécialisés, Friedrich HAYEK propose une oeuvre impressionnante (d'érudition) qui... impressionne surtout les tenants du libéralisme et du néo-libéralisme. Toutefois, au-delà des sympathies politiques, nombre de ses écrits oblige à réfléchir à des propositions. Même s'il n'y a pas de concordances strictes entre les positions épistémologiques, les analyses économiques, les théories sociales et les positions politiques, son impact reste énorme dans les milieux des économistes. S'intéressant à de nombreux champs de la connaissance, il force à toujours penser l'interdépendance des phénomènes économiques, sociaux et institutionnels.

Son oeuvre offre aussi le tableau des conflits théoriques (croisés entre KEYNES, MARX et les libéraux) qui rebondissent d'une époque à l'autre, sur des aspects théoriques et pratiques, sur notamment la place de l'État dans l'économie, débat très actuel à l'heure de bouleversements économiques induits par le développement du crédit tant analysé et critiqué par lui. 

 

Friedrich HAYEK, La route de la servitude, PUF, collection Quadrige, 2011 ; Pour une vraie concurrence des monnaies, PUF, 2015 ; Droit, législation et  liberté, PUF, 2007 ; Essais de philosophie, de science politique et d'économie, Les Belles Lettres, 2007 ; Individualism and Economic Order, The University of Chicago Press, 1948 ; Nouveaux essais de philosophie, de science politique, d'économie et d'histoire  des idées; Les Belles Lettres, 2008 ; L'ordre sensoriel : Une enquête sur les fondements de la psychologie théorique, CNRS Éditions, 2001 ; La présomption fatale : Les erreurs du socialisme, PUF, 1993 ; Scientisme et sciences sociales, Pockett, 1991 ; Monetary Theory and the Trade cycle, 1929.

Gilles DOSTALER, Le libéralisme de Hayek, La découverte, collection Repères, 2001. De catallasia, dans le site consacré à HAYEK, Galaxieliberaux.org, La théorie du cycle économique, Analyse de Christian DEBLOCK et Jean-Jacques GISLAN.

 

Relu le 7 septembre 2020

 

 

 

 

 

 

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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 08:27

           Les approches libérales, regroupées par exemple par Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM sous le nom générique "smithiens", forment la tendance encore largement dominante, tant dans l'esprit du public que dans les cercles universitaires, de la compréhension de l'économie capitaliste - qu'elles ne nomment d'ailleurs pas ainsi.

A la suite d'Adam SMITH, ces économistes adoptent l'explication de l'économie essentiellement en terme de marchés, et cela quel que soit le marché (biens de consommation, biens de production, capitaux, travail, le marché déterminant étant normalement, mais ce n'est finalement plus le cas pour de nombreux économistes à l'heure actuelle, celui des biens de consommation). Si leurs explications, techniques comptables à l'appui, constituent encore la base du raisonnement de la plupart des décideurs économiques, une large partie du monde universitaire estime caduques ces raisonnements, qui eux-mêmes expliquent la plupart des économistes hétérodoxes (tendance SCHUMPETER), sont à la base d'un très mauvais fonctionnement du système économique.

La recherche constante de mécanismes du marché, qui puisse révéler l'existence de leviers d'influence sur ses évolutions, constitue l'essentiel de l'activité de ces économistes libéraux qui ne s'accordent pas tous, loin de là, sur le rôle de la monnaie, de l'État ou des innovations techniques. A tel point qu'il semble parfois difficile de faire entrer dans la même catégorie, les explications classiques, marginalistes, monétaristes du fonctionnement du capitalisme, d'amalgamer des pensées libérales et néo-libérales... L'essentiel de leur communauté de vue réside dans leur opposition farouche aux explications marxistes et dans une certaine méfiance envers l'État.

 

       Une manière pratique de comprendre cette explication de l'économie est de faire comme les deux auteurs de... Comprendre les théories économiques : "Prenons un produit donné, par exemple des chemises ; le prix de la chemise est bas, les consommateurs en achèteront beaucoup. Certes, le besoin de chemises est limité, mais ceux qui étaient rationnés par un prix élevé pourront se payer ce qui était jusqu'ici hors de leur portée. Un prix bas attire de nouveaux consommateurs. En d'autres termes, la demande de chemises varie en fonction inverse de la variation  des prix. Au contraire, au fur et à mesure que les prix augmentent, les fabricants de chemises ont normalement avantage à accroître leur production. Un prix élevé peut d'ailleurs rendre rentables des fabrications qui ne l'étaient pas lorsque le prix était bas. L'offre varie dans le même sens que les prix. Nous pouvons représenter les intentions d'achat et de vente des chemises sur un graphique. Sur l'axe des X, nous portons les quantités offertes ou demandées ; sur l'axe des Y, les prix. A chaque niveau de prix correspond une intention d'achat ; en reliant tous les points ainsi obtenus, on obtient  la courbe de la demande. De la même manière, nous pouvons tracer la courbe de l'offre. Si le prix du marché lui était supérieur, des entreprises auraient théoriquement avantage à produire une plus grande quantité de chemises, mais ces chemises resteraient invendues. Ce prix ne pourrait être maintenu. Si le prix du marché était inférieur à ce prix d'équilibre (notons que la recherche principale porte toujours sur ce prix d'équilibre et qu'il s'agit de déterminer le plus vite possible avant les concurrents...), les achats pourraient être importants, mais les entreprises ne produisaient pas les quantités demandées. L'ajustement entre l'offre et la demande suppose naturellement une circulation parfaite de l'information et des anticipations sur les conséquences de tel prix ou de telle quantité offerte ou demandée. Des tâtonnements sont prévisibles, mais le prix qui apparaît sera stable car, à un moment donné, il n'existe (normalement) qu'un point d'équilibre. Bien entendu, sur une période plus longue, le prix d'équilibre change. Par exemple, une augmentation du revenu des consommateurs peut les amener à accepter d'accroître pour chaque niveau de prix les produits désirés. La courbe de la demande se déplace alors vers la droite. On peut aussi imaginer que des innovations techniques abaissent les coûts de production. A chaque niveau de production, le prix permettant un profit acceptable est abaissé. La courbe de l'offre se déplace elle aussi vers la droite ; le prix d'équilibre change. Il s'agit là d'un exemple théorique et simplifié. (...)

Les partisans de l'économie de marché pensent que, de toute manière, il est bon de raisonner à partir d'un modèle exemplaire. On peut ainsi mieux comprendre les conditions d'un équilibre stable (comportement rationnel, concurrence, bonne circulation de l'information...) et expliquer les distorsions entre les prix réels et les prix théoriques."

Paul SAMELSON et William NORDHAUS ne présentent pas les choses différemment dans leurs éditions successives du Manuel d'économie de référence qui commence invariablement par une explication de lecture des graphiques de l'offre et de la demande. La monnaie constitue le "lubrifiant" de ces échanges, finalement entre marchandises, une économie moderne utilisant "une énorme quantité de bâtiments, de machines et d'ordinateurs (...), facteurs de production qualifiés de capital (...)". Dans une économie de marché, ce capital relève généralement de la propriété privée, "le revenu tiré du capital allant aux individus". 

 

      L'économiste suisse Léon WALRAS tente d'établir, à la suite de ses prédécesseurs, une science économique parfaitement autonomisée. Il donne une formulation mathématique de l'équilibre général qui démontrerait que, dans un système de concurrence pure et parfaite, le prix de chaque produit est égal à son prix de revient, et que l'ensemble des facteurs de production est utilisé. Il démontre surtout l'interdépendance de tous les prix et de toutes les quantités ; sa théorie est souvent présentée comme la démonstration de la justesse de la vision smithienne, mais beaucoup d'auteurs font remarquer que possibilité de formalisation mathématique et vérité sont deux choses bien différentes, contrairement à ce que l'on veut souvent faire croire aux étudiants en économétrie par exemple.

Léon WALRAS lui-même, par ailleurs plutôt socialiste agrarien luttant contre la rente foncière, n'est pas dupe de sa théorie pure. Il propose dans son Traité d'économie sociale que l'État s'approprie la rente foncière, ce qui permettrait de supprimer l'impôt. L'échange se ferait alors dans de meilleures conditions. Alors que ses études sont utilisées par les économistes libéraux et tous les défenseurs du marché, sa théorie est loin de conforter la vision libérale de l'économie. Depuis, beaucoup d'auteurs ont perfectionné la théorie de cet équilibre walrasien, notamment ARROW et DEBREU, et cela dans une optique pas forcément libérale (A. MARSHALL, KEYNES, LEONTIEFF...). Ce sont ces équations qui, de l'ensemble économique à la microéconomie, fondent en grande partie la science économique moderne. 

 

     Au-delà des imperfections, due à l'inexistence d'une concurrence pure et parfaite, étudiées par de nombreux auteurs anglo-saxons (A. MARSHALL, E. CHAMBERLIN, Joan ROBINSON), les auteurs libéraux se rejoignent sur le fait que l'économie de marché est perturbée par les politiques keynésiennes. Reprenons les explications de Jean-Marie ALBERTINI et d'Ahmed SILEM : "Pour les libéraux contemporains, l'erreur part d'une mauvaise interprétation de la crise de 1929. De la persistance du chômage dans les années trente, Keynes a cru pouvoir conclure qu'il ne pouvait y avoir de retour spontané au plein emploi. Or, (pour eux), 1929 n'est qu'un accident historique. A la suite de mesures prises à contretemps, les autorités monétaires américaines avaient provoqué une amputation de 30% de la masse monétaire. Cet événement fortuit créait le chômage, car les salariés refusaient une baisse identique de leur salaire, autorisant une baisse des prix et un rajustement général. Dans une telle situation, en partant de prémisses théoriques non fondées, la politique keynésienne eut à l'époque des résultats relativement efficaces. La réinjection de pouvoir d'achat et de monnaie permettait de relever les prix et de rendre plus supportables les rigidités des salaires nominaux. Malheureusement, par la suite, la politique keynésienne n'eut plus à lutter contre une situation exceptionnelle. Elle a donc perdu de son efficacité. Pire, en déstabilisant les comportements des agents économiques, elle est devenue pernicieuse. Aujourd'hui, la persistance du chômage n'est plus due à une insuffisance de la demande effective. La relance de la demande ne peut améliorer l'emploi. Pour réduire le chômage, il faut d'abord permettre à l'économie de marché de retrouver un fonctionnement normal. Pour parvenir à ce diagnostic, les descendants d'Adam Smith font trois constatations : 

- Il existe, dans nos économies, une tendance à l'augmentation du chômage volontaire ;

- Les politiques keynésiennes ne parviennent qu'à un abaissement passager du taux naturel du chômage ;

- Les errements keynésiens débouchent sur l'inflation, l'instabilité et des erreurs dans l'allocation des ressources."

   Du coup, pour laisser fonctionnement le marché et éviter les désordres causés par des interventions publiques :

- Il faut abandonner l'idée que le plein emploi est un objectif politique, car le marché du travail est un marché comme un autre ;

- Il est nécessaire d'empêcher la monnaie de jouer un rôle actif dans les anticipations ;

- Il faut réduire le poids des dépenses publiques et leur assurer une plus grande neutralité, quitte à, comme Milton FRIEDMAN le propose, d'instaurer un système fiscal qui assure un revenu minimum, en deçà (impôt négatif) et au-delà duquel (impôt positif) l'État intervient uniquement pour faciliter les mécanismes des marchés. Ces dernières propositions indiquent que même chez des économistes libéraux, les préoccupations sociales peuvent y trouver leur compte, même si elles ne constituent pas leur objectif premier ;

- Il faut stimuler la recherche de leur intérêt personnel par tous les acteurs de la vie économique, afin que chacun profite de ses gains.

   Mais il ne faudrait pas croire qu'au-delà de ces positions quasiment de principe, l'accord se fait sur le fonctionnement du capitalisme. Entre ceux qui veulent éliminer la monnaie et ceux qui veulent l'utiliser comme instrument principal de l'économie, les divergences sont fortes. Entre les auteurs classiques, les auteurs marginalistes et les auteurs néo-libéraux, les différentes sont parfois aussi profondes que celles qui les animent envers les autres approches, qu'elles soient marxistes, keynésiennes ou schumpeteriennes...

   Une des raisons sans doute fondamentale à cela est que la science économique est loin de pouvoir se prévaloir de la même solidité que les sciences naturelles, contrairement à certains commentaires. L'information sur les événements économiques à partir de laquelle s'établissent les prix des marchés reste souvent parcellaire, sinon parfois sciemment déformée à des fins stratégiques. Et cela d'autant plus que l'on s'éloigne d'une logique axée sur la circulation des marchandises et que l'on se rapproche d'une logique polarisée sur la circulation de l'argent...

 

   Ainsi, le déploiement des "fils" d'Adam SMITH, au delà des trois grands principes qui fondent le libéralisme économique, à savoir que les individus ont des comportements rationnels, que le marché est l'élément moteur de toute régulation économique et que les valeurs s'échangent contre des valeurs, se diversifie dans le temps, notamment sous la pression de la montée d'autres analyses du capitalisme. De réaction en réaction, il est bien difficile de retrouver parfois dans les raisonnements par exemple de Friedrich HAYEK, les présupposés d'Adam SMITH, lesquels appartiennent à des époques très différentes...

 

 

Plusieurs tendances (parfois à géométrie variable...)

  On peut distinguer plusieurs tendances, à l'intérieur desquelles encore des différences peuvent exister, tant les considérations théoriques se mêlent parfois à des luttes (politico-professionnelles) à l'intérieur des institutions économiques :

- L'école classique anglaise : A la suite directe d'Adam SMITH (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations), se situent Thomas Robert MALTHUS (1766-1834), David RICARDO (1772-1823) et John Stuart MILL (1806-1873), au coeur de la révolution industrielle.

Thomas Robert MALTHUS (Essai sur le principe de la population, 1798 - Principes d'économie politique, 1820) montre dans le premier ouvrage les liens entre explosion démographique et crises économiques et conteste la deuxième loi des débouchés de Jean-Baptiste SAY en montrant que la cause des crises de surproduction provient de l'excès d'épargne des riches.

David RICARDO (Méthode de la science de l'économie politique, 1836 - Des principes de l'économie politique et de l'impôt, 1821) allie la réussite sociale, le pessimisme économique et l'abstraction théorique dans un système où la valeur-travail (dont s'inspire ensuite Karl MARX) occupe une place centrale.

John Stuart MILL (Principes d'économie politique, 1848) domine l'enseignement dans les universités anglaises et américaines. Sa théorie, bien plus nuancée que celle des autres auteurs, fonde le réformisme libéral. Il ne considère pas comme David RICARDO, l'état stationnaire de l'économie comme une catastrophe (pour ce dernier il est lié à la baisse des taux de profits) et considère que la durée de travail peut être une variable (on peut la réduire...) d'ajustement aux crises de surproduction. Car ce qui préoccupent ces économistes, ce sont bien les crises de surproduction industrielle...

- L'école classique française : Jean-Baptiste SAY (1767-1832), Frédéric BASTIAT (1801-1850), Charles DUNOYER (1786-1862), Jacques RUEFF (1896-1978), parfois considéré plutôt comme un néo-classique (ou néo-libéral) et Henri Charles CAREY (1793-1879) sont les plus souvent cités.

Jean-Baptiste SAY (Catéchisme d'économie politique, 1821 - Cours complet d'économie politique, 1828) détaille sa loi des débouchés, fondamentale pour comprendre toute une partie de l'analyse classique en termes d'équilibre. Il est le premier à faire du profit le revenu d'un service rendu à la production par l'entrepreneur, distingué du capitaliste. Très attaché à la notion de valeur-utilité, ses études sont beaucoup utilisées par la suite par les néo-classiques.

Frédéric BASTIAT (Sophismes économiques, Petits pamphlets, Harmonies économiques...). fait partie d'une longue lignée d'économistes qui mêle polémique et théorie économique, dans une défense et une apologie du libéralisme. Il tente de faire la synthèse entre la valeur-utilité et la valeur-travail...

Charles DUNOYER fait l'apologie du libéralisme qui n'a pas pour fonction d'améliorer le bien-être et de rendre ainsi la lutte des classes inutiles, mais qui permet d'inciter les travailleurs, enclins à la paresse, à l'alcoolisme et bien d'autres vices (cela ne vous rappelle rien?...) à demeurer dans le bon chemin. Le professeur LEROY-BEAULIEU (fin du XIXe siècle) (par ailleurs pourfendeur des marginalistes) est très représentatif de cette tendance française, dominante longtemps sur l'enseignement universitaire français. On lui doit sans doute ce désespérant conservatisme des études économiques dans l'Hexagone.

Jacques RUEFF (Théorie de la parité des pouvoirs d'achat), tout en restant dans une théorie de l'équilibre très classique, montre que tout niveau de charges salariales supérieures à la productivité suscite un déséquilibre de la balance commerciale qui ne peut être corrigée que par une dévaluation monétaire. Il oppose constamment, en arrière-plan, deux types de civilisations : les civilisations à vrais droits, où les prix sont libres, et les civilisations à faux droits, ou à prix contrôlés. Il se rattache à l'école classique car il laisse toujours une grande place à l'ordre naturel et aux mécanismes automatiques.

Henri-Charles CAREY constitue un auteur paradoxal, car il milite pour le libéralisme à l'intérieur et pour le protectionnisme le plus radical à l'extérieur des États-Unis. Partisan d'établir un atelier unique (la Grande-Bretagne, à son époque) à qui doit être expédié les produits bruts du monde entier (Principe de la science sociale, 1861), cet auteur devrait être plus lu qu'il ne l'est car il énonce bien les principes (trompeurs parfois) dont se réclament les capitalistes américains. S'il prône le libre-échange, c'est presque toujours à sens unique, dans une certaine candeur d'ailleurs. Ce discours libéral cache un nationalisme sans concessions.

 

 Une grande coupure s'installe entre les économistes autour de 1870. Des auteurs entendent rompre avec une certaine historicité (qui ne cachent pas les conflits socio-économiques par exemple) et veulent faire de l'économie une science positive, et non normative. En refusant tout sens idéologique, ces économistes installent une sorte de discours qui devrait de toute façon s'imposer à tous les acteurs économiques.

A la valeur-travail, notion autour de laquelle peut s'élaborer ouvertement un conflit doctrinal, ils préfèrent la notion de valeur-utilité. La valeur-travail est bien entendu incohérente par rapport aux hypothèses de base de l'harmonie des intérêts. Ce qui détermine en fait la vraie valeur des choses, c'est la valeur-utilité. Ce n'est pas la travail qui détermine la valeur, mais l'utilité marginale de la dernière unité du bien disponible, soit la satisfaction ou le plaisir. En soit, le marginalisme est une technique d'analyse qui peut se développer dans des contextes totalement différents, y compris autrefois en Union Soviétique. C'est pourquoi il faut le distinguer du néo-classicisme qui se situe dans une perspective microéconomique et accorde un rôle central au calcul en termes d'utilité dans la réalisation de l'équilibre économique. Ces économistes veulent en quelque sorte revenir à l'étude des fondamentaux qui favorisent l'équilibre économique, en abandonnant les recherche sur la croissance et la dynamique des structures (ce qui permet, là encore, d'éviter de penser en terme de conflictualité...). 

  Là encore des différences essentielles séparent différentes écoles :

- L'école marginaliste de Vienne, avec Carl MENGER (1840-1921), E. von BÖHM-BAWERK (1851-1914) et Frédéric von WIESER (1851-1926) pour la première. Une deuxième école de Vienne, appelée néo-marginaliste, diffuse véritablement les idées nouvelles dans le monde entier.

Carl MENGER se tourne surtout vers la psychologie pour expliquer l'économie plutôt que vers les mathématiques.

E. von BÖHM-BAWEK s'intéresse principalement au capital et à l'intérêt du capital en rejetant la théorie néo-classique des trois facteurs de production (terre, travail, capital).

F. von WIESER introduit la notion de valeur naturelle et lie valeur et distribution des revenus. Cette notion de valeur naturelle des biens, mise en évidence lorsqu'on supprime l'inégalité des revenus, fait distinguer les biens à forte utilité sociale (valeur d'échange plus élevée), des biens à faible valeur d'usage social (valeur d'échange plus faible). La production devrait s'orienter vers les biens les plus nécessaires... à condition que cesse l'inégalité des revenus... On peut faire remarquer que l'on peut théoriser à l'infini sur l'identité entre valeur sociale et valeur de marché tout en occultant cette condition... Encore une manière de passer outre à une analyse de conflits entre agents économiques bien différents...

- L'École marginaliste anglaise et la fondation de l'École de Cambridge regroupe Stanley JEVONS (1835-1882), F. Y. EDGEWORTH (1845-1926) et Alfred MARSHALL (1842-1924). Ils font des mathématiques abstraites la base de l'économie, celles-ci seules pouvant établir sa scientificité.

Alfred MARSHALL (Principes d'économie politique, 1890 - Industrie et Commerce, 1919 - Monnaie, Crédit et Commerce, 1923) remplace John Stuart MILL comme auteur principal des manuels universitaires anglo-saxons. Fondateur de l'École de Cambridge, il amorce l'économie industrielle et les études sur la théorie de la concurrence monopolistique (développée par E. H. CHAMBERLIN et Joan ROBINSON). Si les pionniers du marginalisme affichent des opinions extrêmes, les analyses d'Alfred MARSHALL sont beaucoup plus nuancées. Système-pratique plutôt que système cohérent, son approche permet toutes les ramifications idéologiques. Il montre bien les différences entre la théorie et la pratique dans l'élaboration de la libre concurrence.

Après lui, A. C. PIGOU (économie du bien-être), Joan ROBINSON (concurrence imparfaite et accumulation du capital marxiste), Piero STRAFFA (retour à RICARDO) et N. KALDOR (mêlant apports de KEYNES et de MARX) poursuivent les études de l'École de Cambridge dans des voies bien différentes, tout comme John HOBSON (théoricien de l'impérialisme). Mais peut-on vraiment alors parler d'une même école pour ces économistes, à part le fait d'avoir traversé au début les mêmes circuits d'études?

- L'École de Lausanne fondée par Léon WALRAS (1834-1910), tente de trouver une solution complète et précise à l'équilibre général, ceci en montrant l'interdépendance de tous les prix et de tous les revenus ; et en s'appuyant sur le rôle de l'utilité dans la formation des prix et de la valeur d'échange, tout en situant les conditions de fixation du prix de la monnaie.

Son successeur direct, Vilfredo PARETO (1848-1923) poursuit les recherches  sur l'économie pure et mène en même temps des recherches sociologiques et sur les sciences politiques. Il développe une théorie de l'élite et une critique virulente du socialisme et de la démocratie. Il rompt avec la vision du fondateur (Manuel d'économie politique, 1906) par une critique de la notion d'utilité : en fait, le consommateur ne "mesure" pas l'utilité d'un bien ; il sait seulement qu'il préfère une quantité d'un certain bien pour un prix donné à un quantité d'un autre bien à un autre prix donné. Il classe les préférences. Que ce soit en économie ou en politique, l'individu agit en fonction de ce qu'il pense être un optimum.

A. C. PIGOU (1877--1959), successeur de MARSHALL à la tête de l'École de Cambridge est en quelque sorte son continuateur lorsqu'il décrit une économie de bien-être. Toute une construction algébrique supporte ces théories.

En fait, si pendant des décennies les oeuvres de PARETO éclipsent celles de WALRAS, celles-ci reviennent sur le devant de la scène "économiste", lorsque des auteurs comme K ARROW, Maurice ALLAIS, G. DEBREU, J. R. HICKS et P. A. SAMUELSON estiment que l'équilibre général du fondateur de l'École résiste beaucoup mieux que les autres systèmes postérieurs aux critiques de KEYNES. Ces sont les tableaux et les équations mathématiques de WALRAS qui sont pris comme bases de raisonnements chez W. LEONTIEFF, et chez les économistes français E. MALINVAUD, J-C. MILLLERON, J-P. FITOUSI et P. ARTUS. C'est une véritable économie néo-walrasienne qui se développe, tant dans les travaux de macroéconomie et en microéconomie. 

 

  Seconde grande coupure chez les économistes, alors que les foyers du néo-classicisme se développent un peu partout, entre les deux guerres mondiales, se développe, se sur-développe, pourrait-on écrire, un néo-marginalisme.

L'hédonisme simpliste des fondateurs d'écoles est abandonnée, au profit du calcul économique, mais dans des directions là encore bien différentes.  Car ce néo-marginalisme se refuse à une option libérale a priori (ce qui ne l'empêche pas d'y tomber le plus souvent...), le calcul économique pouvant régir aussi bien une économie capitaliste qu'une économie centralisée. On la voit en oeuvre dans les différentes planifications économiques après 1945, dans les pays occidentaux. L'appréciation de l'utilité n'est plus aussi indépendante du milieu social ou de la pression sociale. On admet une grande part de conflictualité tous azimut dans nombre de théories économiques. Ces nouveaux économistes substituent tous (sauf von NEUMANN) à l'utilité cardinale l'utilité ordinale, ce qui évite la mesure (finalement jugée impossible...) d'un élément subjectif. On peut distinguer, mais il semble qu'au fur et à mesure qu'on approche du XXIe siècle, le tableau se complexifie notablement :

- La deuxième École de Vienne, qui en fait se diffuse de par le monde, est fortement mathématique. S'y retrouvent Hans MAYER, von STRIGL, Nicolas ROSENSTEIN-RODAN, Friedrich von HAYEK et aussi Joseph SCHUMPETER, ainsi que, mais alors l'échantillon semble vaste, Albert AFTALION, Gaétan PIROU, François PERROUX, Henri BOUSQUET, René COURTIN, E. PANTALEONI, Luigi EINAUDI et Ugo RICCI... Plusieurs économistes "sortent" du cadre de l'École de Vienne par la suite, notamment SCHUMPETER, PERROUX....

- Le marginalisme américain, vivier du néo-libéralisme rassemble J. B. CLARK (1847-1938), F. W. TAUSSIG (1859-1940), Irving FISHER (1867-1947), Frank KNIGHT (1885-1973) et Edward H. CHAMBERLIN (1899-1967), parmi les plus importants auteurs.

Un des fondateurs du marginalisme, J. B. CLARK, précise la loi naturelle de la répartition en fonction de la productivité marginale des facteurs, qui supporte sa dénonciation des trusts et des monopoles qui empêchent le fonctionnement du marché.

F. W. TAUSSIG, avec certaines tendances keynésiennes, étudie surtout le commerce international, et rencontre lui aussi dans ses réflexions ces mêmes mastodontes économiques.

Irving FISHER aborde de nombreux sujets même s'il est surtout connu pour avoir formalisé la théorie quantitative de la monnaie, théorie qui est ensuite utilisée aussi bien par KEYNES que par l'École monétariste actuelle.

Frank KNIGHT (Risque, Incertitude et Profit) , fondateur de l'École de Chicago dominée ensuite par Milton FRIEDMAN, présente le profit comme la contrepartie du risque assumé par l'entrepreneur. Son discours parait souvent de nature apologétique, dans une justification sans limite du profit.

Edward H. CHAMBERLIN (Théorie de la concurrence monopolistique, 1933) se centre sur la formation concurrentes des prix du marché. Chaque firme s'efforce d'élever ses prix sans perdre sa clientèle. 

- L'École de Stockholm est souvent rapprochée de KEYNES, même si Gustave CASSEL s'oppose fortement aux théories de ce dernier.

En fait, les débats sur les conséquences de la crise de 1929 précipite de manière opposée les positions des auteurs de formation souvent proches, qui s'écartent les uns les autres selon les thèmes. Le rôle de la monnaie (et de l'État) est la pierre d'achoppement entre nombre de visions économiques.

On y trouve Knut WICKSELL (1851-1926), beaucoup dans le prolongement de Jean Baptiste SAY, von HAYEK, Strigl, L. von MISES (qui vont ensuite dans la seconde École de Vienne....), T. C. KOOPMANS (École hollandaise)...  C'est surtout par cette École que les croisements et les décroisements avec le keynésianisme se font...

- Alors que l'essentiel de l'École de Cambridge passe du côté des keynésiens, reste dans la perspective néo-classique, John Richard HICKS (Valeur et Capital, 1939) qui reformule l'équilibre général de WALRAS.

- Certains économistes néo-classiques recherchent une voix socialiste ou socialisante : E. BARONNE (1859-1924), Otto EFFERTS (1870-1923), A. AFTALION, qui pourrait être classé parmi les néo-keynésiens par ses travaux macroéconomiques et par sa théorie de cycle, A. LANDRY (1874-1956). 

- Un autre courant, héritier de la tradition des ingénieurs économistes français à la DUPUIT, participe au progrès de l'économétrie contemporaine : C. COLSON (1853-1939), F. DIVISIA (1889-1964), Maurice ALLAIS, J. lESOURNE, E. MALIVAUD, J. C. MILLERON... C'est sur beaucoup de leurs travaux que se fondent certaines approches économiques de l'impact sur l'économie des dépenses militaires. Certains auteurs de ce groupe parviennent à une reformulation de la théorie walrasso-parétienne de l'équilibre.

D'après un théorème fondamental du rendement social formulé par Maurice ALLAIS, "toute économie, quelle qu'elle soit, collectiviste ou de propriété privée, soit d'organiser sur une base décentralisée et concurrentielle".

G. DEBREU (Théorie de la valeur, une analyse axiomatique de l'équilibre économique, 1958), expose toutes les hypothèses de la théorie de l'équilibre et les relations entre équilibre et optimum dans une économie de marché. Nous ne pouvons que recommander cet ouvrage, même lorsqu'on ne partage pas la vision libérale de l'économie...

 

        Ce qui frappe, dans tous ces travaux, même dans ceux qui se montrent critiques envers l'intervention de l'État, c'est que, plus ou moins, tous ces économistes travaillent à un moment ou à un autre dans le cadre d'un large développement... des moyens étatiques d'interventions économiques, ne serait-ce que dans les différents planifications d'après-guerre. Comme s'il s'agissait avant tout de faire apparaître le capitalisme comme un système capable de rivaliser autant sur le plan de la production de richesses que sur les effets sociaux avec les différentes variantes de propositions venant d'économistes plus ou moins tentés par les expériences de "socialisme" à l'Est de l'Europe, en Asie et en Amérique Latine... Cet effet de mimétisme l'emporte parfois sur les considérations de base "smithienne" de l'économie de marché. Ce mouvement, bien que général, n'est pas uniforme, mais il semble bien qu'au lieu de décrédibiliser les approches interventionnistes, il les a renforcé en l'obligeant à plus de rigueur dans ses démonstrations comme dans sa pratiques. Les théories de SCHUMPETER et de KEYNES n'auraient pas été aussi affinées sans les regards critiques des auteurs (qu'ils côtoyaient parfois...) libéraux et néo-libéraux. La plupart des études ne s'opposent pas à KEYNES, mais tentent de trouver une présentation du keynésianisme (puisque c'est la théorie alors dominante) plus ou moins conformes aux habitudes néo-classiques...

La situation change radicalement après la chute du "socialisme" et de l'Union Soviétique. Plus de système économique concurrent en vue... donc les théories sur la libre concurrence peuvent reprendre le dessus, dans une critique radicale de toutes les interventions de l'État. Bien entendu, même pendant la domination pratique du courant keynésien, l'élaboration théorique est demeurée en partie néo-classique, notamment à coup de formalisations mathématiques. Mais dès les années 1980,  c'est une véritable contre-offensive néo-classique qui part à l'assaut de toutes les "citadelles" universitaires et... étatiques. 

 

      Même si ce ne sont pas vraiment les auteurs-clés de cette contre-offensive, Paul Anthony SAMUELSON (né en 1915), qui reformule dans ses différents manuels les idées de KEYNES dans une option néo-classique et Friedrich August von HAYEK, qui perpétue la deuxième École de Vienne, anti-keynésien farouche et pourfendeur du marxisme, comme du freudisme d'ailleurs, contribuent dans le monde universitaire et dans le grand public à décrédibiliser les interventions de l'État dans l'économie. C'est en fait tout un faisceau d'auteurs de différents courants qui mènent une véritable reconquête (qui parait être aujourd'hui remise en cause) des institutions et des cerveaux. Nous pouvons distinguer différents courants, suivant qu'ils s'opposent plus ou moins à l'approche keynésienne :

- Qualifiée par certains de fondements microéconomiques de la macroéconomie, la théorie des déséquilibres (contre-révolution keynésienne), préparée par WICKSELL ou SAMUELSON est élaborée par R. CLOVER, A. LEIJONHULVUD, J-P. BERNASSY, E. MALINVAUD, Michio MORISHIMA, Janos KORNAÏ (Anti-Equilibrium, 1971)... 

- Autre type de combinaison  entre keynésianisme et néo-classicisme, un monétarisme initié par M. FRIEDMAN, situé dans l'École de Chicago, met l'accent sur le rôle à court terme de la monnaie, sans lui accorder de rôle sur le moyen et long terme. De nombreuses variétés de monétarismes possèdent en commun un certain pragmatisme dans la mise au point d'instruments et d'indicateurs d'une politique économique. Les recherches actuelles portent sur l'hypothèse du taux de chômage naturel (très extensible...), la crédibilité des politiques de stabilisation et la mise au point de modèles de plus en plus sophistiqués. 

- Parmi les théoriciens de l'économie publique, se séparent de ceux qui s'attaquent au problème posé par le Welfare State (politique sociale), ceux qui s'intéressent au problème de l'offre et de la demande de biens collectifs (École des choix publics ou Analyse de la bureaucratie). D. MUELLER (Public Choice) et B. FREY (Modern Political Economy, 1978) synthétisent de telles recherches.

La bureaucratie semble être l'objet principal de leurs préoccupations pour des auteurs comme M. BUCHAMAN (Théorie fiscale et économie politique, 1960 - Finances publiques et processus démocratique, 1967), William NISKANEN (Bureaucratie et gouvernement représentatif, 1971) et Gordon TULLLOCK (Le marché politique, 1978). La théorie de l'information et des incitations est constitutive de la nouvelle micro-économie, et finalement rejoint cette problématique de la circulation d'information sur les réalités économiques qui forme une sorte de noeud gordéen de l'équilibre. La réflexion sur l'asymétrie d'information des agents en interaction est menée par des auteurs comme William S. VIKREY (1914-1996) et James A. MIRRLEES. On peut comprendre que ce "pénible problème" mette en difficulté toute les théories fondées uniquement sur l'étude des équilibres des marchés....

- La Nouvelle École classique n'a que faire de ces problématiques qui semblent pour elle vouloir à tout prix intégrer KEYNES et ses "erreurs".

L'École de Minneapolis (R. E. LUCAS, T. J. SARGENT, N. WALLACE) élabore d'autres postulats que keynésiens. Il s'agit surtout de la capacité des agents économiques à optimiser et à anticiper rationnellement et d'autre part de comprendre comment parvenir à l'équilibre des marchés, avec des modèles en forme de système clos d'interactions. Il s'agit surtout d'élaborer pour les décideurs des modèles marcro-économiques d'aide à la décision, donc de repérer les invariants et les enchainements, à la suite de WALRAS et de PARETO. Cette nouvelle macro-économie classique comporte deux axes de recherche pour expliquer les fluctuations économiques, chaque orientation suscitant des évaluations spécifiques de la part des auteurs...

Il s'agit d'une part (F. MUTH, Anticipations rationnelles et théorie des mouvements des prix, Econometrica, 1961 - R. E. LUCAS, anticipations et neutralité de la monnaie, Journal of Economic Theory, 1972...) de recherches qui attribuent les fluctuations de l'activité économique globale aux anticipations rationnelles des chocs monétaires. Et d'autre part de la théorie des cycles réels des affaires, une théorie de cycle économique provoqué par des facteurs indépendants de la variation de l'offre de monnaie (Finn KYDLAND, John LONG, Edward PRESCOTT, Charles PLOSSER, REBELLO....). La monnaie est alors considérée comme n'ayant aucun rôle, ou alors pure variable déterminée dans le modèle mais jamais déterminante... 

- Des économistes qui rejettent ou ignorent complètement les apports de KEYNES proposent des théories de l'économie de l'offre, qui reviennent beaucoup aux écrits de J-B. SAY. Ils se situent dans un vaste mouvement intellectuel, dit de l'individualisme méthodologique. (LEPAGE, L'avenir du capitalisme ; JJ. ROSA et Florin AFTALION, L'économie retrouvée, 1977)

- Parmi les théories néo-classiques de la croissance, celle de Ch. W. COBB et P. H. DOUGLAS prend en compte à la fois le capital, le travail et progrès technique.

B. ROSIER, dans Croissance et Crise capitaliste fait remarquer qu'une des constantes de la pensée néo-classique est une optique centrée sur la recherche de moyens propres à retrouver le "paradis perdu" d'un optimum concurrentiel". 

- Sans doute, le développement le plus récent et le plus spectaculaire du renouveau des études néo-libérales se situe-t-il dans l'exploitation des la théorie des jeux, parallèlement à la recherche de nouveaux raisonnements rationnels. Cette théorie des jeux alimente la réflexion sur le fonctionnement du marché financier, et ce d'autant plus que les salles de marchés s'informatisent et que les confrontations entre offres et demandes peuvent avoir lieu en temps réel. (Harry MARKOWITZ (né en 1927), William SHARPE, Merton MILLER, et Harry V. ROBERTS, Principes de gestion financière des sociétés...)

 

Jean-Marie ALBERTINI, Comprendre les théories économiques, Éditions du Seuil, 2001. Paul A. SAMUELSON et William NORDHAUS, Économie, Economica, 2000.

 

ECONOMIUS

 

Relu le 8 septembre 2020

 

 

 

 

 

 

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6 novembre 2011 7 06 /11 /novembre /2011 08:39

     Ce livre du rédacteur en chef adjoint du mensuel Alternatives économiques effectue un survol très clair et précis d'une grande partie de l'histoire financière de l'Occident, à travers ses crises, et précisément de cinq crises représentatives du fonctionnement du capitalisme financier.

A travers la description de la spéculation sur les tulipes dans les années 1635 en Hollande, de l'entreprise aventureuse de John LAW sous le règne de Louis XV en France, de la panique de 1907 aux États-Unis et enfin de la crise de 1929, l'auteur dégage les caractéristiques d'une crise financière, qui se retrouvent dans la crise des subprimes des années 2000. Il détaille les tenants et aboutissants de la crise financière que nous vivons aujourd'hui jusqu'aux plans de désendettement engagés sous l'égide de l'Union Européenne et de l'administration OBAMA. Sans concession aucune, Christian CHAVAGNEUX expose, aux meilleures sources, les différents conflits qui opposent aujourd'hui les marchés aux États, après que ceux-ci se soient rendus compte du caractère évanescent d'un auto-contrôle de la finance mondiale.

 

    On se rend compte à quel point la destruction dans les années 1980-2000 des différentes barrières  à l'instabilité financière établies après la crise de 1929 aux États-Unis et en Europe mène la planète au bord du gouffre. Et aussi de la virulence des conflits entre les administrations d'État, lorsqu'au sein de celles-ci existent encore la notion d'intérêt général, et des différentes institutions privées financières. Encore actuellement, une grande partie des institutions bancaires privées refusent toute idée de réglementation, à tel point qu'il est difficile de faire la différence entre un comportement financier et un comportement de malfaiteur... tant les multiples voies illégales sont fréquentées pour échapper à tout contrôle. Tout en gardant un ton finalement mesuré - l'auteur ne dénigre pas entièrement les tentatives du G20, pointant de façon équilibrée ses forces et ses faiblesses - il déroule sous nos yeux les logiques infernales à l'oeuvre. 

Au centre de son ouvrage, travaux d'historiens économiques à l'appui - parfois issus du milieu même des banques et parfois même encore en exercice dans les institutions bancaires internationales (Charles KINDLEBERGER, Hyman P. MINSKY, Joseph STIGLITZ...) -, l'auteur s'efforce de répondre simplement à la question : Qu'est-ce qu'une crise financière?

Au départ, une simple perte d'équilibre, des innovations non contrôlées (armes de concurrence massive, systématiquement établies pour naviguer par beau temps, avec une grande capacité à offrir des services de contournement réglementaire), dont les fameux produits dérivés, puis une déréglementation subie ou voulue, la course aux profits financiers débouchant sur des bulles de crédits, une mauvaise gouvernance des risques (notamment avec des mécanismes d'assurances qui n'assurent rien), avec des fraudes organisées, qui multiplient les liens entre criminalité et finance où les paradis fiscaux, finalement en grand nombre, jouent un rôle, avant l'éclatement de la crise, alimentée par des inégalités économiques fortes, le tout avec la participation d'économistes (souvent de l'ensemble des économistes) aveugles au désastre pourtant annoncé par quelques voix marginales discordantes. Avant que plus ou moins tardivement, les autorités politiques se décident à intervenir, mettant en place quelques réglementations dont les effets (comme en 1929) peuvent être durables ou finalement de peu d'importances car ne mettant pas en cause les structures qui permettent ces crises. Si les Bourses se calment un petit moment après la crise financière, comme en 2008 (faillite de Lehman Brothers), les opérateurs reprennent ensuite leurs (mauvaises) habitudes. "Mais une bulle, écrit l'auteur, ne s'arrête pas avec la maîtrise de la panique de court terme. L'étape suivante est décisive : les autorités publiques vont-elles ouvrir les chantiers permettant d'établir et de mettre en oeuvre à moyen terme les nouvelles régulations susceptibles de réduire fortement la probabilités de nouvelles crises? Ou bien les nouvelles régulations discutées ne sont-elles que des faux-semblants qui n'empêcheront pas de relancer la fuite en avant?" 

 

     Cette question est actuellement cruciale dans la nécessaire régulation, car depuis 2008, le système financier va de crises en crises continuelles, se déplaçant de secteur à secteur et de régions à régions. Le Forum de stabilité financière, devenu Conseil de stabilité financière met depuis sur la table "un document très complet, qui n'ouvre pas moins d'une dizaine de chantiers de régulation. Un document (qui date du 10 octobre 2008) peu commenté à l'époque, mais qui contient déjà pratiquement tous les grands sujets et propositions discutés les mois suivants. Le G20 de Londres d'avril 2009 va ensuite marquer une rupture dans le discours d'acceptation de la logique d'autorégulation des marchés. En plus du communiqué général habituel de ce genre de réunion, les pays du G20 livrent en effet une "Déclaration sur le renforcement du système financier" (voir www.g20.org), très technique, détaillée, longue de six pages et qui fixe un objectif très ambitieux : "Toutes les institutions, tous les marchés et tous les instruments d'importance systémique devront faire l'objet d'un niveau adéquat de régulation et de surveillance."

Le texte pose les principes d'un changement majeur du rôle des Banques centrales, appelées à développer les outils et politiques à même de contrer l'instabilité financière. Il réclame la mise en oeuvre d'un contrôle serré de la distribution de crédits par les banques, pour qu'elles arrêtent de nourrir les bulles. Il veut encadrer les marchés des produits dérivés, ces innovations financières qui mettent souvent le feu à la finance. Il exige une régulation des fonds spéculatifs. Il s'attaque aux paradis fiscaux. Les principes de régulation ainsi dessinés ont été de nouveau validés au G20 de Pittsburgh de septembre 2009. Ils ont servi de base à quasiment toutes les politiques discutées dans les mois qui ont suivi, aux États-Unis, en Europe, au Royaume-Uni, etc. Un processus qui est loin d'être terminé car on discute encore des modalités concrètes d'applications de la nouvelle loi de régulation financière Dodd-Frank, votée le 21 juillet 2010 aux États-Unis, tandis que la Commission Européenne n'a fini de mettre sur la table l'essentiel de ses propositions de régulation qu'à l'été 2011 et qu'il reste encore de très long mois avant de les mettre en oeuvre. On n'aura une vision à peu près définitive et claire du paysage de la nouvelle régulation financière mondiale post-subprimes qu'aux alentours de 2013, certaines parties ne devant être entièrement finalisées qu'en 2018-2019." L'auteur donne un avis plutôt favorable à l'esquisse, tout en pointant de nombreux faiblesses majeures, et nul doute que de nombreuses péripéties vont se jouer jusqu'aux échéances fixées, riches en sinueuses manoeuvres, car ce qui est en jeu, c'est ni plus ni moins la future géopolitique financière et notamment les nouveaux rapports de forces entre institutions publiques et institutions privées, les unes et les autres jouant soit au niveau national ou régional ou encore multinational. Entre les marchés et les EÉats, à la lecture de ce livre, c'est bel et bien une grande et vaste partie de bras de fer qui est en train de se jouer.

 

   Ajoutons qu'en fin d'ouvrage, l'auteur évoque le lancement le 30 juin 2011 de Finance Watch, "un pôle européen d'expertise, de communication et de lobbying pour faire contrepoids aux banques", créé par près de trente associations de la société civile européenne.

 

    L'éditeur présente cet ouvrage (en quatrième de couverture) de la manière suivante : "La finance a pris une place démesurée dans nos économies et ses dérapages pèsent lourdement sur l'emploi et le bien-être des populations partout dans le monde. Mais il n'est pas facile pour le simple citoyen de comprendre les ressorts de l'instabilité financière, afin d'apprécier la pertinence des politiques qui prétendent la combattre. D'où l'intérêt de revenir sur les grandes crises du passé. Tel est le propos de ce livre aussi enlevé que pédagogique, où l'auteur fait le récit des plus exemplaires d'entre elles et de leurs issues : la fameuse bulle sur les tulipes dans la Hollande du XVIIe siècle ; la façon dont l'Écossais John Law a créé la première bulle boursière de l'histoire dans la France du Régent ; la crise financière de 1907, qui a conduit à la création de la banque centrale des États-Unis. Et il revient de manière originale sur la crise de 1929, en montrant comment Roosevelt a usé de toute son habileté pour imposer les régulations qui allaient assurer plusieurs décennies de stabilité. Ainsi dessine ainsi une "économie politique des bulles" dans laquelle s'inscrit parfaitement le dérapages des subprimes. On comprend mieux alors les mécanismes économiques en jeu dans les crises financières. Mais aussi le rôle joué par les inégalités sociales, les rapports de forces politiques et les batailles idéologiques. Disposer d'un tel schéma des crises permet de juger les multiples chantiers ouverts par le G20, leurs avancées et leurs faiblesses."

  Etienne PERROT, dans sa e-revue de culture contemporaine, en janvier 2012, écrit : "Comme en écho à la Brève histoire de l'euphorie financière (Seuil, 1992) de John Kenneth Galbraith parue voici une vingtaine d'années, cette Brève histoire des crises financières innove sur deux points. D'abord là où Galbraith ne voyait qu'un effet de l'outil principal financier (le levier) combiné avec la naïveté des intervenants sur les marchés, Christian Chavagneux introduit l'analyse du système économico-politique dans son ensemble. Ensuite, là où Galbraith ne voyait que le fruit accidentel du jugement faussé des spéculateurs, Christian Chavagneux voit une seule et même logique, qui se répète et s'amplifie au rythme de la mondialisation : l'innovation financière engendre la course à un profit ciblé qui favorise une création de monnaie de crédit gonflant une bulle qui finit par éclater, freinant - parfois bloquant, comme en octobre 2008 - le système des paiements, le commerce, la production et l'emploi. Christian Chavagneux souligne la difficulté pour les régulateurs de débusquer les risques systémiques et la nécessité d'imposer un ordre dans cette boite noire qu'est la gouvernance des banques. C'est bien vu. Mais quel programme!"

Christian CHAVAGNEUX, journaliste économique français, est également l'auteur d'autres ouvrages : Ghana, une révolution de bon sens : économie politique d'un ajustement structurel (Khartala, 1997) ; L'économie politique internationale (La découverte, Collection Repères, 2010) ; Les dernières heures du libéralisme, la mort d'une idéologie (Perrin, 2001) ; avec Ronen PALAN, Les paradis fiscaux (La Découverte, collection Repères, 2012) ; avec Jacques MISTRAL, Peut-on réguler la finance internationale? (dans L'État pyromane, Delavilla, 2010)...

 

Christian CHAVAGNEUX, Une brève histoire des crises financières, Des tulipes aux subprimes, Éditions La Découverte, collection Cahiers libres, 2011, 235 pages. 

 

Relu le 9 septembre 2020

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5 novembre 2011 6 05 /11 /novembre /2011 07:09

                Revue d'économie politique et pas simplement d'économie, elle provient de l'Association d'économie politique née en 1980, dans un période où la mode est au libéralisme, rencontre d'abord informelle entre économistes d'Europe (de France) et d'Amérique du Nord (Quebec) désireux de mettre en commun "les analyses et leurs réflexions sur les problèmes contemporains, dans une perspective qui déborde le cadre tant de la science économique orthodoxe que des autres disciplines des sciences sociales refermées sur elles-mêmes.Il s'agissait d'ouvrir un dialogue susceptible, entre autres, de réponde aux besoins des organisations syndicales et populaires, dans un monde de plus en plus dominé par le discours néo-libéral."

Pour les responsables de l'association, puis de la revue Interventions économiques créée dès 1982, "les années soixante-dix marquent en effet le passage généralisé de l'interventionnisme keynésien qui a marqué les trois décennies de l'après-guerre, à un libéralisme de plus en plus radical qui remet en question tous les acquis sociaux des dernières décennies. Ce libéralisme est étayé par un discours monolithique, posant l'économie comme un organisme naturel mû par les lois du marché, au même titre que le système solaire par les lois de la gravitation."(Gilles DOSTALER). Cette revue s'intéresse aux débats théoriques en économie politique et en socio-économie, à l'évolution et aux transformations socio-économiques des sociétés actuelles et aux résultats de recherches menés dans ces divers domaines.

 

             Elle présente des analyses et des résultats de recherche, menées surtout à l'Université québécoise de l'UQAM et aux Université de Paris et de Grenoble, mais débordant bien entendu le cadre de ces deux pôles, pouvant provenir de l'ensemble des sciences sociale, mais qui privilégie les thèmes reliés à l'économie politique, à la sociologie économique, au travail et à l'emploi, à l'organisation du travail, au développement (local, régional, international), à la mondialisation et à l'économie politique internationale, ainsi qu'à l'analyse des écrits d'auteurs importants dans ces différents champs. Elle publie des numéros thématiques sur des auteurs comme Karl POLANYI (1886-1964), Thorstein VEBLEN (1857-1929), John Rogers COMMONS (1862-1945) et Joseph SCHUMPETER (1883-1950) et est très intéressée à recevoir des projets de numéros sur des auteurs hétérodoxes en économie politique et en sociologie notamment.

Animée par un comité de rédaction d'une quinzaine d'universitaires (où l'on retrouve entre autres Mehdi ABBAS, de l'Université Pierre-Mendes-France de Grenoble, Yves BÉLANGER, Eduardo DAVEL Benoït LÉVESQUE (UQAM) ou Bruno THÉRÊT, de l'Université Paris-Dauphine) sous la direction conjointe de Diane-Gabrielle TREMBLAY (Quebec, Montréal) et de Christian DEBLOCK (UQAM) et par un comité scientifique international, la revue aborde autant l'impérialisme, la question régionale, la filière canadienne, les politiques industrielles, l'Etat que le développement local ou les régions à l'heure de la métropolisation. Son dernier numéro, disponible sur Internet, comme elle l'est maintenant de manière générale depuis 2002 (portail revues.org), porte sur Pratiques, analyses et enjeux de la recherche partenariale.

 

       Semestrielle, au support imprimé de 1982 à 2001, présente surtout alors dans les universités au Quebec, puis depuis 2002 en accès libre sous forme numérique, la Revue Interventions Économiques convient très bien à un lectorat étudiant en économie et en sociologie comme au grand public, avec des articles, parfois longs, très accessibles. Elle constitue une excellente voie d'accès à des études d'économistes se situant en dehors de la sphère libérale comme de la sphère marxiste. Aujourd'hui, comme d'autres revues, elle se situe dans un courant critique qui tend à dominer la perception des réalités économiques. 

 

Revue Interventions Économiques, Télé-universités, UQAM, 100, rue Sherbrooke Ouest, H2X 3P2 Montréal (Québec). www.teluq.uquebec.ca ; www.revues.org.

 

Relu le 10 septembre 2020

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