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17 novembre 2008 1 17 /11 /novembre /2008 09:46
           L'existence même d'un état de guerre introduit des changements dans le politique économique des nations. Ceci est une perception assez générale de l'économie de guerre, exprimée par exemple dans le Dictionnaire d'Histoire Militaire d'André CORVISIER, par Raimondo LURAGHI.
  Cette perception un peu "extérieure" de la guerre dans l'économie évite de faire la recherche d'une origine ou d'éléments d'origine guerrière de l'économie, entre rapines et systèmes de dons. Pour en rester à une première approche, les changements introduits par l'état de guerre dans une marche économique "normale", sont, toujours selon Raimondo LURAGHI, de deux ordres, passifs et actifs.
 "Les changements passifs sont causés (...) par la simple existence de la guerre, laquelle influence de différentes façons toute la vie nationale. La seule présence de la guerre (sans prendre en considération le cas de pertes d'une partie du territoire national par invasion ennemie), suffit à influencer la production, les transports, le ravitaillement, aussi bien que l'offre et la demande - voire le marché -, la circulation monétaire et le revenu. C'est donc dans un milieu profondément altéré que le gouvernement du pays en guerre se trouve tout de suite obligé d'opérer, et ce milieu influence sa politique économique en tant qu'il exige une réponse immédiate par des mesures à prendre sans délai."
 Les changements actifs ou "engendrés par l'activité consciente de l'Etat" sont de deux sortes, interdépendants d'ailleurs, "Avant tout, il s'agit de réagir aux changements (passifs), de les endiguer, pour autant que possible éviter des effets qui, en endommageant sérieusement l'économie nationale, empêcheraient l'effort de guerre et, en démoralisant les citoyens, les assujettiraient à des tensions qui saperaient la résistance du front intérieur. Le premier problème (...) est d'assurer un ravitaillement plus ou moins régulier, en organisant des magasins de denrées de première nécessité, en contrôlant le marché alimentaire et en rationnant les vivres (...) et de s'assurer que les moyens de transport réservent une partie au moins de leur matériel roulant aux transports civils (...). Le deuxième problème est de concilier ce besoin avec la nécessité d'exercer le maximum  d'effort pour gagner la guerre. (...). C'est la mobilisation de toutes les ressources productives du pays en les amenant à soutenir l'effort de guerre, les ressources industrielles et agricoles, de même que les infrastructures de transports.
 L'auteur prend l'exemple de la guerre civile américaine de 1861-1865 pour étudier les différents éléments d'une économie de guerre. Il cite d'ailleurs comme conséquence qu'"on créa une gigantesque économie d'Etat, voire socialiste. ce fut une expérience d'une importance extrême pour l'avenir. En passant, on peut observer que l'organisation de l'économie de guerre marchait sur la voie de la centralisation et de l'étatisation, qui furent les bases des dictatures contemporaines."

       En fait, des économies de guerre se sont constitués déjà avant les différentes révolutions industrielles. Sans remonter à l'Antiquité, à l'Empire Romain, il suffit de jeter un oeil sur l'Europe,du XVIIème siècle, où selon Pierre LEON et ses collaborateurs (Histoire sociale et économique du monde) "progressivement, à partir de 1618, la plus grande partie de l'Europe entra dans un état de guerre." "Il y a le fait ponctuel, inéluctable des opérations militaires, des batailles, des sièges et des assauts de villes, des déplacements de troupes et des "gasts" divers perpétrés dans le plat pays. Plus largement, les Etats belligérants ont dû bander leurs forces pour soutenir l'effort, solliciter les ressources de leurs sujets, les orienter dans un seul but, fut-ce contre le vouloir profond des hommes, bref, imposer la cangue d'une économie de guerre. On devine, par tout ce qui a été dit du mécanisme des recettes et des dépenses des gouvernements, que l'ombre des mancenilliers s'est allongée, presque démesurément, sur les peuples".
  "Réorientation de l'économie. Elle s'imposait ipso facto aux contribuables. Sous deux aspects : l'obligation de travailler davantage ou de vendre plus pour payer l'impôt ; la restriction forcée des achats par la nécessité d'économiser dans le même but." "(...) l'Etat lui imprimait une autre marque en organisant la redistribution des revenus, et, d'abord, en se promouvant comme "grand entrepreneur" (...). Dans leur étude des mécanismes de l'économie de guerre, les auteurs se plaignant assez souvent du manque partiel de données économiques pour évaluer l'ampleur des affaires d'intendance des armées, comme de cerner de plus près le changement des structures économiques induites par la guerre. Ce qu'ils comprennent en tout cas, c'est que ces changements structurels perdurent après la guerre.
 Et c'est ce même phénomène, amplifié par les révolutions industrielles, qui se reproduisent après la Seconde Guerre Mondiale.

    Seymour MELMAN, dans ses études sur ce qu'il appelle "l'économie de guerre permanente", indique que le déclin relatif des Etats-Unis dans les années 1970, qu'il estimait bien engagé, est la conséquence du fonctionnement pendant 30 ans d'une économie de guerre façonnée sous le contrôle du gouvernement à côté du capitalisme civil. La nouvelle économie militaire étatisée, dont l'unique caractéristique inclue maximisation des coûts et subventions gouvernementales, a été construite au coeur même de l'économie, comme plateforme dominante dans le capitalisme américain. La compétence économique traditionnelle a été érodée par la direction étatique capitaliste qui élève une certaine inefficacité dans un dessein national, qui met hors de combat l'économie de marché. Cette vision, non perçue par les économistes dominants, hétérodoxe bien sûr, même au moment de la guerre du VietNam, se construit sur l'étude serrée des statistiques globales de l'économie américaine, notamment sur sa productivité, en même temps que sur l'étude des résultats financiers des entreprises engagées dans la production et de la recherche des armements, de même que sur l'attention constante accordée aux budgets militaires sur près de 50 ans.

  Avec le même constat sur le déclin relatif de l'économie américaine, Ernst MANDEL indique dans ses livres sur l'économie capitaliste, les caractéristiques de ce qu'il nomme "le troisième âge du capitalisme". Celui-ci "est caractérisé par des difficultés croissantes de mise en valeur (surcapitalisation, suraccumulation). L'Etat tente de les surmonter, du moins en partie, en assurant à ces capitaux des possibilités supplémentaires d'investissements rentables (rendus rentables par la garantie du profit par l'Etat ou par des subventions) dans la sphère d'armement, "l'industrie de l'environnement", l'infrastructure, etc, à une échelle inconnue jusqu'alors. Le troisième âge du capitalisme est caractérisé par le fait que le système est de plus en plus sujet à des crises économiques et sociales explosives menaçant directement sa survie. Dans cette période, l'Etat a pour fonction première de "gérer et amortir les crises", d'assurer un nombre fortement élargi de "conditions générales de production", et de garantir une mise en valeur plus aisée des capitaux excédentaires."

     La fin de la guerre froide n'a pas diminué l'importance de cette économique de guerre devenue permanente, qui a trouvé dans d'autres conflits armés les moyens de se maintenir (Guerre du Golfe, Guerre américaine d'Irak...). Cette forme d'économie-guerre qui compense en quelque sorte l'ample diminution des effectifs militaires (suppression de la conscription dans de nombreux pays, remplacement par les armées professionnelles - par ailleurs pouvant être très coûteuses...) par l'augmentation des coûts de recherche-développement d'armements de plus en plus sophistiqués, qui s'alimente par des relations demeurées conflictuelles entre Etats, ne doit pas faire oublier une autre forme d'économie de guerre, entretenue par des guerres civiles qui se sont multipliées ces dernières années.
    Jean-Christophe RUFIN, dans son étude serrée de ces différents conflits armés, distingue des économies de guerre fermées et des économies de guerre ouvertes.
 "On peut parler d'économies fermées dans tous les cas où une force de guérilla ou de rébellion opère à l'intérieur d'un territoire sans disposer d'autres ressources que celles qu'elle peut se procurer sur place." De la guerre populaire prolongée de Mao Tsé-Toung (1935 et années suivantes) en Chine, au "foco" castriste en Amérique Latine, ces économies fermées constitues une expérience non renouvelable, selon l'auteur qui, "très sèchement", écrit que ces économies isolées ne sont pas efficaces pour une faire triompher une révolte politique.
 "Dans un monde où les Etats peuvent, chez eux, à peu près tout se permettre, la frontière demeure une protection (...). Si un mouvement armé parvient à installer des bases arrières dans un pays voisin de celui où il opère militairement, il se retrouve d'un coup moins vulnérable". L'auteur cite les maquisards vietcongs comme les guérilleros d'Amilcar CABRAL. Il s'étend longuement sur les "sanctuaires humanitaires" organisés par les organisations internationales para-étatiques ou non gouvernementales, de ces vastes camps de réfugiés qui peuvent alimenter, comme en Palestine, une guérilla efficace et usante. Il existe également des économies de production, notamment lorsque ces "sanctuaires humanitaires" ne suffisent plus à l'alimentation humaine et financière des guérillas, de production de drogues par exemple ou d'autres activités criminelles (au sens international) qui parfois ancrent les mouvements les plus idéologiques dans la criminalité pure et simple (phénomène de l'industrie d'otages touristiques par exemple).

    Economies de guerre étatique et économies de guerre civile entretiennent ensemble un climat de conflictualité, qui renforce les politiques étatiques dans le sens d'une perpétuation de recherches-développements et de production d'armements de toutes sortes (des plus simples aux plus sophistiqués). Et ces économies s'intègrent, notamment via les circuits financiers aux économies civiles avec lesquelles elles peuvent entretenir dans certains secteurs à haute plus-value technologique (aéronautique, nucléaire, nanotechnologies, informatique...) des liens très étroits, proches d'une synergie parfois activement recherchée.

Sous la direction d'André CORVISIER, Dictionnaire d'art et d'histoire militaires, PUF, 1988, entrée Economie de guerre, de Raimondo LURAGHI. Sous la direction de Pierre LEON, Histoire économique et sociale du monde, tome 2, Les hésitations de la croissance, 1580-1730, Armand Colin, 1978. Seymour MELMAN, The Permanent War Economy, American Capitalism in Decline, 1974. Ernst MANDEL,Le troisième âge du capitalisme, tome 3, Union Générale d'Editions, 10/18, 1976. Sous la direction de François JEAN et Jean-Christophe RUFIN, Economie des guerres civiles, Hachette, collection Pluriel, 1996.

  ECONOMIUS
 
Relu le 26 octobre 2018
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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 15:37
   Plusieurs approches sont possibles lorsque l'on veut déterminer les influences économiques sur la conduite ou l'existence des guerres et inversement les causes et les conséquences économiques des guerres.
Ou même plus généralement encore sur toutes les relations entre Économie et Guerre.

          L'une d'elles peut essayer de confronter directement la pensée militaire ou stratégique à la pensée économique. C'est cette approche par exemple que tente Christian SCHMIDT (Penser la guerre, penser l'économie) en repérant les auteurs majeurs de stratégie qui réfléchissent sur l'économie ou à l'inverse les auteurs économiques majeurs qui intègrent la guerre dans leur doctrine. Il en dégage surtout trois, sur lesquels on aura l'occasion de revenir : Adam SMITH (La richesse des nations, 1776), Francis EDGEWORTH (Mathematical Psychics, 1881) et Jacques Antoine GUIBERT (Essai général de tactique, 1770).
           Une autre est de chercher les implications concernant la guerre (ou leur préparation) parmi les quatre grands courants économiques, à partir d'une lecture des théories économiques d'Adam SMITH, de Karl MARX, de John Maynard KEYNES et de Joseph Aloys SCHUMPETER. Non seulement à partir des écrits fondateurs, de l'utilisation pratique de ces écrits, mais aussi sur les théories et les attendus pratiques de leurs continuateurs, qui s'en écartent parfois plus ou moins. Rares sont les auteurs, comme Edmund SILBERNER ou Armelle LE BRAS-CHOPARD, qui explorent ces relations entre doctrines économiques et guerre.
           Une autre encore est de choisir une certaine profondeur historique, à la manière de Gaston BOUTHOUL (Traité de Polémologie) pour déterminer à la fois les causes et les conséquences économiques des guerres.
           Un approche plus contemporaine vise à comprendre comment les différents éléments d'une économie nationale, ou régionale, ou même de l'ensemble de l'économie planétaire, évoluent en fonction des dépenses militaires. Calculs économétriques et maniement (parfois délicat) des statistiques économiques sont les instruments d'une telle approche, comme celle que mène Jacques FONTANEL (L'économie des armes);
  
    Ces différentes approches peuvent être complétées par la prise en compte de la sociologie des doctrines et des pratiques économiques, à savoir la recherche des intérêts et des motivations personnels et collectifs de ces pensées économiques. L'influence des divers conflits sociaux et politiques permet de comprendre comment et pourquoi certaines idées sur les relations Économie et Guerre possèdent une influence plus ou moins importante sur les pratiques économiques.

     D'ores et déjà, on peut discerner plusieurs courants dominants en ce qui concerne la pensée économique et la guerre.
Deux options de présentation de dynamiques entre dépenses militaires, guerre et économie se confrontent constamment et traversent souvent les différents courants de la pensée économique. L'une prétend opérer un examen "objectif" des faits en mettant en évidence les effets bénéfiques des dépenses militaires sur la vitalité économique, voire les effets bénéfiques des guerres sur les progrès techniques et scientifiques. L'autre dénie ces effets, surtout sur le long terme, démontrant l'impact négatif des dépenses d'armement ou d'entretien des armées sur l'économie globale, notamment sur le moyen et le long terme et dénonce l'impact négatif des guerres sur la nature même des civilisations induites par celles-ci, que ce soit chez les vainqueurs ou chez les vaincus.
   Les débats entre ces deux options recoupent en grande partie les clivages entre militaristes et pacifistes - avec de très grandes nuances - dans presque toutes les formations politiques comme dans tous les grands courants d'opinion.

Christian SCHMIDT, Penser la guerre, penser l'économie, Editions Odile Jacob, 1991. Jacques FONTANEL, L'économie des armes, la Découverte/maspéro, 1983. Jean-Marie ALBERTINI et Ahmed SILEM, Comprendre les théories économiques, Editions du Seuil, collection Points Economie, 2001. Georges DUBY, Guerriers et paysans VIIe-XIIe siècle, premier essor de l'économie européenne, Editions Gallimard, nrf, bibliothèque des histoires, 1973. Gaston BOUTHOUL, Traité de Polémologie, Sociologie des guerres, Bibliothèque scientifique Payot, 1991. Edmund SILBERNER, La guerre et la paix dans l'histoire des doctrines économiques, Editions Sirey, 1957. Armelle LE BRAS-CHOPARD, La guerre, Théories et idéologies, Montchrestien, 1994.

                                                                                        ECONOMIUS
 
Relu le 2 novembre 2018
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27 juin 2008 5 27 /06 /juin /2008 15:19

 

      Tout d'abord, on ne peut pas faire l'économie d'une définition des dépenses militaires, qui ne sont pas plus seulement des dépenses de guerre que des dépenses d'armements.
  La dimension du secteur militaire varie selon les périodes (guerre, paix, crise, tension internationale...). Ses limites et ce qu'il englobe sont généralement imprécis, même dans les études spécialisées.
Par l'expression "dépenses militaires", on englobe habituellement :
- le personnel civil et militaire (y compris les forces de réserve) employé dans les armées ;
- l'achat des matériels nécessaires à ces armées (armements bien sûr, mais aussi véhicules de tout genre, éléments informatiques... ) ;
 - les dépenses d'opération et d'entretien : manoeuvres, casernement, stockage et entretien de matériel ;
- les constructions d'installations militaires ;
- la recherche-développement (recherche fondamentale et appliquée, mise au point et amélioration du matériel) ;
- la fabrication des armements et du matériel militaire.
A cela, il convient d'ajouter :
- les forces para-militaires, leur entretien et leur formation (que ce soit de manière directe ou indirecte, par l'appel au mercenariat);
- la défense civile;
- le stockage des produits stratégiques;
- les usines d'armement en réserve;
- l'aide militaire à l'étranger.
  Cette double énumération montre que la frontière entre les secteurs civil et militaire est souvent arbitraire. Elle tente simplement de tenir compte des différents modes de comptabilisation qui varient selon les pays, encore de façon importante, malgré les efforts d'organes spécialisés des Nations Unies. C'est d'ailleurs pourquoi les organismes internationaux intéressés par ce type de problème fournissent des chiffres différents.

        Déjà les difficultés d'évaluation des dépenses militaires existaient en Grèce ancienne, si l'on s'en réfère aux études d'Yvon GARLAN. Les données sont certes imprécises pour savoir comment les bons comptes pouvaient faire les bons alliés dans les fréquentes guerres grecques, mais, comme le prouve les clauses d'"économie symmachique" contenues dans les traités d'alliance, c'était un source de préoccupations de la part des Cités, et aussi, on s'en doute, une source de conflits futurs. Le partage entre alliés des profits de guerre faisaient l'objet de calculs minutieux, compte tenu des forces engagées et des sollicitateurs de l'alliance, et sans doute des appétits des Cités engagées dans un conflit, ce que l'on appelle aujourd'hui joliment des buts économiques de guerre. Esclaves, biens des cités vaincues, partage des ports et liberté de navigation et de pêche, octroi d'une partie aux dieux et aux lieux saints, comptaient en face des vivres, des hommes et des armes fournis par l'une ou l'autre des Cités. Vu la fréquence des guerres, et malgré l'imprécision involontaire ou volontaire de ces "comptes", les biens et les esclaves mis en mouvement par ces guerres ont eu certainement une grande influence dans l'ensemble de l'économie.

        De nos jours, les études économiques, et même économétriques, se sont multipliées sur les relations entre activités militaires et économie. Selon Véronique NICOLINI, auteure d'une étude sur l'impact macro-économique et régional des dépenses militaires, dans la revue du Centre d'études en sciences sociales de la défense, qui dépend du ministère français de la défense, les effets des dépenses militaires sur l'activité économique demeure "un champ encore peu défriché où beaucoup d'approches théoriques, méthodologiques et empiriques sont encore à constituer." C'est sa conclusion d'une étude sur les différentes approches de ces effets : "modèle de demande", "modèles d'offre", modèles macro-économique et modèles régionaux. Nous aurons bien sûr à revenir sur les résultats de la mise en oeuvre de ces différents modèles comme de leur théorie. On peut dire ici seulement que les simulations des modèles macro-écononométriques soulignent l'impact négatif à court terme d'une réduction des dépenses militaires sur la croissance économique en raison de la baisse directe de la demande en fournitures à objet militaire. Mais à long terme, avec le soutien de programmes de reconversion des hommes, des matériels et des sites, cette réduction peut être profitable à tous par le transfert des ressources du secteur lié à la défense au secteur civil. Cette conclusion, écrite en 2000, dans la période où l'on attendait les fruits de la fin de la guerre froide, pour intéressante qu'elle soit, n'évite pas de se poser des questions fondamentales sur le type de croissance favorisé par les dépenses militaires, et bien entendu plus largement du type de société.
      Ce qui est certain, c'est que le poids de ce que le Président EISENHOWER appelait, à la fin de son mandat, le complexe militaro-industriel, surtout depuis le début du XXème siècle (sans préjuger du poids des dépenses de guerre des époques précédentes), possède une incidence multiple sur l'économie.

 Yvon GARLAN, Guerre et économie en Grèce ancienne, La découverte/poche, 1999. Véronique NICOLINI, Quel est l'impact macro-économique et régional des dépenses militaires?, Les forums de C2SD, du Centre d'études en sciences sociales de la défense, 2000. A noter que beaucoup de textes de ce Centre sont disponibles sur Internet, gratuitement (service public) : www.c2sd.defense.gouv.fr.

                                                                                                                ECONOMIUS
 

 

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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 11:49

       Nous sommes tellement habitués à regarder l'économie comme une simple circulation des marchandises - quotidiennement nous donnons de l'argent contre des biens et des services - que nous ne voyons plus la réalité des choses.

       Il existe tellement d'intermédiaires entre le fruit ou le légume que nous achetons et la monnaie que nous donnons pour l'acquérir que nous ne voyons plus, nous n'imaginons même plus, qu'à l'origine de ce fruit et de ce légume, il y a le travail de la terre pour le faire grandir et le récolter, il y a le travail d'hommes et de femmes avec lesquels au bout du compte nous échangeons notre propre travail contre ce fruit et ce légume. C'est contre ce brouillage de la réalité que des économistes comme David RICARDO (1772-1823) et Karl MARX (1818-1883) ont réfléchi à ce travail, à la valeur de ce travail, derrière la valeur de la marchandise, aux faux semblants de la circulation de la marchandise et de la monnaie.

     Toute la discussion que Karl MARX entreprend contre Pierre Joseph PROUDHON (1809-1865) dans "Misère de la philosophie" (1847), en réponse au "Philosophie de la misère" de son rival, tourne autour de cette découverte scientifique que constitue la nature de la marchandise comme valeur d'usage et comme valeur d'échange.
   "Ce n'est pas l'utilité qui est la mesure de la valeur échangeable quoiqu'elle lui soit absolument nécessaire.
Les choses, une fois qu'elles sont reconnues utiles par elles-mêmes, tirent leur valeur échangeable de deux sources : de leur rareté et de la quantité de travail nécessaire pour les acquérir. Il y a des choses dont la valeur ne dépend que de leur rareté. Nul travail ne pouvant en augmenter la quantité, leur valeur ne peut baisser par leur plus grande abondance. Tels sont les statues ou les tableaux précieux, etc. Cette valeur dépend uniquement des facultés, des goûts et du caprice de ceux qui ont envie de posséder de tels objets.
Ils ne forment cependant qu'une très petite quantité des marchandises qu'on échange journellement. Le plus grand nombre des objets que l'on désire posséder étant le fruit de l'industrie, on peut les multiplier, non seulement dans un pays, mais dans plusieurs, à un degré auquel il est presque impossible d'assigner des bornes, toutes les fois qu'on voudra y employer l'industrie nécessaire pour les créer.
Quand donc nous parlons de marchandises, de leur valeur échangeable et des principes qui règlent leur prix relatif, nous n'avons en vue que celles de ces marchandises dont la quantité peut s'accroître par l'industrie de l'homme, dont la production est encouragée par la concurrence et n'est contrariée par aucune entrave" (David RICARDO, Principes de l'économie politique, 1839)
Et plus loin :
"Toute économie dans le travail (...) ne manque jamais de faire baisser la valeur relative, d'une marchandise, soit que cette économie porte sur le travail nécessaire à la fabrication de l'objet même, ou bien sur le travail nécessaire à la formation du capital employé dans cette production.
Par conséquent, tant qu'une journée de travail continuera à donner à l'un la même quantité de poisson et à l'autre autant de gibier, le taux naturel des prix respectifs d'échange restera toujours le même, quelle que soit, d'ailleurs, la variation dans les salaires et dans le profit, et malgré tous les effets de l'accumulation du capital.
Nous avons regardé le travail comme le fondement de la valeur des choses, et la quantité de travail nécessaire à leur production comme la règle qui détermine les quantités respectives des marchandises que l'on doit donner en échange pour d'autres : mais nous n'avons pas prétendu (...) qu'il y eût pas dans le prix courant des marchandises quelque déviation accidentelle et passagère de ce prix primitif et naturel.
Ce sont les frais de production qui règlent, en dernière analyse, les prix des choses, et non, comme on l'a souvent avancé, la proportion entre l'offre et la demande."

      Dans ce même ouvrage, "Misère de la philosophie", Karl MARX s'attaque à la métaphysique de l'économie politique, entreprise interminable puisqu'elle se poursuit dans le livre Trois de son monument, "Le Capital" (1864-1875) où il résume comment le fétichisme se déploie pleinement (Antoine ARTOUS, Le fétichisme chez MARX).
 "Ce qui distingue tout particulièrement l'économie capitaliste, c'est que la production de la plus-value est son but immédiat et son mobile déterminant. Le capital produit essentiellement du capital, et il ne le fait que dans la mesure où il produit de la plus-value, puis de la transformation de la plus-value en profit, nous avons vu comment, sur cette base, se constitue un mode de production particulier à l'ére capitaliste, une forme particulière du développement de la productivité sociale du travail ; mais ces forces productives se dressent face au travailleur comme des puissances autonomes du capital et s'opposent directement à son développement individuel. La production en vue de la valeur et de la plus-value implique, comme nous l'a montré l'analyse antérieure, la tendance, toujours opérante, à réduire le temps de travail nécessaire à la production d'une marchandise, c'est-à-dire sa valeur. La tendance à réduire le coût de production à son minimum devient le levier le plus puissant de l'accroissement de la productivité sociale du travail ; mais ce processus prend ici l'apparence d'un accroissement constant de la productivité du capital.
L'autorité que le capitaliste assume en tant que personnification du capital dans le processus direct de la production, la fonction sociale qu'il exerce comme directeur et maitre de la production, diffèrent essentiellement de l'autorité fondée sur le système esclavagiste, féodal, etc.
Sur la base de la production capitaliste, la masse des producteurs directs affronte le caractère social de leur production sous forme d'une sévère autorité dirigeante et d'un mécanisme social complètement organisé et hiérarchisé du processus de travail ; mais cette autorité n'appartient à ses détenteurs qu'en tant qu'ils personnifient les conditions de travail vis-à-vis du travail, et non, comme dans les anciens modes de production, en tant qu'ils agissent comme maîtres politiques ou théocratiques. En revanche, il règne parmi les détenteurs de cette autorité, les capitalistes eux-mêmes, qui ne s'affrontent qu'en tant que propriétaires de marchandises, l'anarchie la plus complète, au sein de laquelle la cohésion sociale de la production s'affirme uniquement comme loi naturelle toute-puissante vis-à-vis de l'arbitraire individuel." (Karl MARX, Le Capital, Livre 3, chapitre XXVIII).

       Aujourd'hui que le marxisme s'est dévalorisé à cause de l'expérience "soviétique" à l'Est, il nous faut peut-être revenir à RICARDO, parcourir de nouveau le cheminement intellectuel de Karl MARX pour comprendre comment on en arrive à une manipulation financière de la valeur des marchandises. Lorsque le trader s'attaque sur le marché aux prix des produits alimentaires, il s'attaque indirectement mais pleinement à ceux qui les ont produits et à ceux qui veulent les consommer. Il faut commencer par se débarrasser d'une vision niaise et partiale de l'économie comme équilibre des marchés entre l'offre et la demande pour atteindre les relations réelles, les conflits réels, les rapports de production réels.
Dès l'ébauche des "principes d'une critique de l'économie politique" (1857-1858), Karl MARX affirme la "nécessité d'une analyse exacte de la notion de capital, notion fondamentale de l'économie moderne, laquelle, tout comme le capital lui-même, est à la fois la base et le reflet abstrait de la société bourgeoise".

        La mystification qu'est la présentation du rapport entre les personnes dans leur travail sous l'aspect d'un rapport entre les choses et entre ces choses et les personnes continue encore de faire illusion dans une société mondialisée où l'ensemble des médias ont les yeux rivés sur des indices économiques et des statistiques financières. Comme le dit si bien Georges LABICA dans le "Dictionnaire critique du marxisme" : "Il ne parait pas possible de réduire, comme l'a fait une certaine tradition marxiste, la théorie du fétichisme à une problématique de l'aliénation/réification ; la réalité demeure bien celle de l'exploitation, que le procès d'échange ne masque pas au point d'en faire disparaître les contradictions, y compris au niveau des formes idéologiques".
       Malgré les chapes de plomb officielles qui veulent nous faire oublier les réalités, l'intensification des crises du système mondial capitaliste financier finit par donner corps aux réflexions de David RICARDO, de Karl MARX et de leurs continuateurs.

  Karl MARX, Misère de la philosophie, 1848 (Editions Sociales, 1977); Le Capital, 1864-1875, (Bibliothèque de la Pléiade, 1968). Antoine ARTOUS, Le fétichisme chez Marx, Le marxisme comme théorie critique, Editions Syllepse, 2006. Georges LABICA et Gérard BENSUSSAN, Dictionnaire critique du marxisme, PUF, Quadrige, 1999.

                                                                                              ECONOMIUS

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