Le philosophe allemand Emmanuel (Immanuel en allemand) KANT, fondateur de l'idéalisme transcendental est le grand penseur de l'Aufkärung (Les Lumières allemandes). Il y a d'une certaine manière dans la philosophie occidentale un avant et un après KANT. Combinant les influences de PLATON, DESCARTES, LOCKE, SPINOZA, NEWTON, LEIBNIZ, WOLF, BERKELEY, HUTCHESON, HUME, ROUSSEAU et MENDELSSOHN, il intègre dans son oeuvre l'esprit scientifique de son temps.
Son oeuvre, considérable et diverse dans ses intérêts, est centrée autour des trois Critiques : la Critique de la raison pure, la Critique de la raison pratique et la Critique de la faculter de juger, qui font l'objet d'appropriations et d'interprétatons successives et divergentes. Ils alimentent à eux seuls la pensée de nombreux philosophes après lui, à savoir en premier FICHTE, HEGEL, SCHELLING et SCHOPENHAUER.
Son oeuvre comprend aussi de multiples autres écrits, de L'unique fondement possible d'une démonstration de l'existence de Dieu (1763), Des différentes races humaines (1775), Idée d'une histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique (1784), Fondation de la métaphysique des moeurs (1785), Sur le mysticisme et les moyens d'y remédier (1790), Sur le mal radical (1792), Projet de paix perpetuelle (1795), Conflit des facultés (1798), à Logique (publié en 1800)...
Emmanuel KANT est le premier grand philosophe moderne à donner un enseignement universitaire régulier et après, presque tous les philosophes donnent des cours et font découler souvent leurs écrits d'éléments de ces cours.
La profonde transformation introduite entre autres par les théories astronomiques de COPERNIC l'incite à effectuer une Critique de tout ce que l'homme pense connaitre, et cela de tout. En se proposant de faire de cette critique une science, afin précisément de conférer un statut scientifique à cette connaissance des fins de la raison humaine dont le passé de la philosophie lui lègue le projet sous le nom de métaphysique, il est amené à procurer à la pensée un point d'appui nouveau pour sa réflexion. Si la raison peut être à la fois le sujet et l'objet de la critique, c'est qu'elle est ce pouvoir spécifique et parfaitement original que possède la pensée d'opposer à ce qui est ce qui doit être, d'imprimer à la pure et simple existence, qu'elle ne crée pas et que seule l'expérience peut lui révéler, le sceau d'une nécessité et d'une universalité qui expriment son exigence normative. L'acte propre de la pensée étant le jugement qui décide de toute chose comme d'un cas relevant d'une règle, l'objet propre de la philosophie comme connaissance de la raison humaine, ce sont des conditions nécessaires à l'exercice légitime de sa propre normativité.
En faisant cela, Emmanuel KANT balaie un cerrtain nombre de vérités acquises de par les autorités se réclamant de la philosophie et de la religion. Il soumet à la critique toutes leurs prétendues explications du monde, de l'homme, de ce qui est et de ce qui n'est pas...
Sans doute emporté par un certain enthousiasme intellectuel, kantien évidemment, Louis GUILLERMIT écrit que "Dès lors, pour la première fois dans l'histoire, la philosophie se met à part de toutes les autres formes de pensée et de savoir. La réflexion qui la caractérise prend la forme d'un reflux de la pensée sur ses propres sources vives, qui lui permet de se ressaisir comme l'origine du sens qu'elle confère à ses objets et à ses oeuvres. Loin que les réponses à ses questions soient déjà données quelque part dans l'au-delà d'une transcendance plus ou moins inaccessible, elles ne se découvrent que progressivement dans leurs liens aux problèmes que l'esprit peut et doit se proposer comme autant de tâches à accomplir. Assurément, comme toute connaissance digne de ce nom, la philosophie vise bien cette valeur de vérité qui se définit par l'accord de la pensée avec son objet, mais sont objet à elle, c'est le critère de cette vérité qui ne qualifie pas seulement les solutions, mais les problèmes eux-mêmes. Le lieu qui lui revient en propre ne se situe "ni dans le ciel, ni sur la terre" : l'homme est bien "enfant de la terre", mais il ne peut s'en détacher ni exalter jusqu'à des visions supraterrestres et il ne saurait être tout entier raison ; mais il y participe, et elle se manifeste assez irrécusablement en lui pour qu'il ne puisse faire le plein de son être d'homme qu'en sachant se soumettre à ce qu'elle exige de lui : c'est à ce prix que le monde de sa propre destinée peuvent prendre un sens.
Avec Kant, la philosophie a accédé à la conscience d'elle-même en cherchant son centre de gravité dans cette raison finie, caractéristique de l'homme, qui ne peut se montrer raisonnable que juste autant qu'il veut être, ni trouver sa liberté autrement qu'en se soumettant à ce que la raison existe de lui. C'est sans doute pour avoir su formuler dans la rigueur de ces termes tous nouveaux la question de Platon ayant déjà fait l'objet de la philosophie : qu'est-ce que l'homme? que la pensée de Kant continue de vivre dans l'esprit de tous ceux qui réfléchissent après lui."
Il est relativement facile d'écrire en quoi ce philosophe allemand de première importance (Etes-vous hégélien ou kantien?) a contribué et contribue encore par les commentaires de ses oeuvres aux problématiques du conflit.
Alors que beaucoup de philosophies avant lui prenait comme référence des preuves de l'existence de Dieu comme fondement de leurs réflexions et de leur véracité, Emmanuel KANT renverse les raisonnements. Ce n'est plus la figure divine de l'Absolu qui vient relativiser l'homme dans sa finitude. C'est au nom de cette finitude qui est celle de toute connaissance humaine, que la figure divine de l'Absolu est relativisée, rabaissée au rang d'une idée indémontrable (Luc FERRY, KANT, une lecture des trois "Critique"). Toute métaphysique rejetée, il ne reste à l'homme que la ressource de sa logique.
Et comme la cosmologie ne peut fonder comme auparavant la morale, c'est sur la réalité même, celle que l'homme dans sa finitude découvre, qu'elle peut se fonder. Or, cette réalité, d'abord du monde naturel et aussi du monde des hommes, est celle d'un univers où règnent la loi du plus fort et le principe de l'égoïsme généralisé. C'est la faculté de s'arracher aux intérêts, c'est-à-dire la liberté, qui définit la dignité et fait du seul être humain une personne morale, susceptible d'avoir des droits (Luc FERRY).
Toute une réflexion sur ce qu'un individu ressent à partir de sa finitude du monde dans lequel il est, fait découvrir la confrontation indéfinie entre un sentiment particulier et une idée universelle commune aux autres individus. La faculté de juger le monde, de le comprendre et de le changer, dépend d'un travail critique qui, pour être efficace, doit tenir compte d'une multiplicité de sentiments et de perceptions de la réalité, qu'il s'agisse de la réalité physique ou de la réalité sociale.
Les idées transcendantales ne sont que des idées, mais elles sont utiles. Elles ont une fonction d'homogénéisation et d'unification des connaissances expérimentales comme des principes moraux (DEKENS, Comprendre Kant). car l'esprit humain, de par son fonctionnement (cette finitude en fin de compte) a tendance à produire des raisonnements contradictoires, raisonnements qui semblent tous convaincants. C'est le principe du conflit des facultés : Kant en décrit quatre, mais la plus complexe et la plus importante de par ses conséquences pratiques est celui de la contradiction entre la liberté humaine et l'absolu déterminisme de la nature. Et la solution de ce conflit est que l'on peut attribuer au sujet agissant la totale responsabilité de ses actes, tout en reconnaissant que le rapport à la liberté comme cause intelligible à ses effets sensibles demeure à tout jamais incompréhensible (DEKENS).
Si le déroulement des comportements individuels parait relever du chaos le plus pur, l'histoire de l'humanité dans sa globalité doit pouvoir manifester une certaine cohérence. L'homme étant doté d'une insociable sociabilité, il tend naturellement à s'associer, mais il resiste de lui-même à cette tendance en cherchant toujours à se singulariser, et par là, à provoquer de multiples conflits. La nature ne peut favoriser la paix que si les hommes établissent des Constitutions Républicaines. La marche vers le progrès réside dans l'idée de République, même si celle-ci reste toujours un idéal à atteindre.
Le Droit n'est pas simplement le glissement de l'intériorité éthique dans la législation. L'élaboration de la loi ne peut se faire que sous la poussée du devoir. Le droit, dans sa détermination la plus large, est l'ensemble des conditions qui permettent la coexistence universellement déterminée d'être humains. Pour exister réellement, le droit et l'habileté à contraindre sont une seule et même chose. Il permet l'expression à la fois de la liberté et du devoir.
Emmanuel KANT pose donc d'abord la République comme norme, puis tente d'en tirer les conséquences au niveau des relations interétatiques. Pour contrecarrer la tendance naturelle belliciste des Etats, le droit, dont l'inscription est l'indice d'une disposition morale, repose sur la capacité et la liberté des critiques des citoyens, sur l'appui de la philosophie à la vérité, pour ne pas céder aux jeux des pouvoirs.
Emmanuel KANT, Critique de la raison pure, Gallimard, 1990; Critique de la raison pratique, Flammarion, 2003; Critique de la faculté de juger, Flammarion, 2003; Le conflit des facultés, Vrin, 1997; Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Bordas, 2005; Pour la paix perpétuelle, Le livre de poche, 2002.
PHILIUS