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11 mars 2011 5 11 /03 /mars /2011 14:41

                                            Dès le début de l'activité cinématographique (1895), les cinéastes filment des vues de villes existantes ou reconstituées en studio, avec des actions qui s'y déroulent, qu'ils relèvent de scènes de la vie quotidienne ou des genres propres au cinéma (policier, fantastique...). Depuis, cette présence de la ville ne cesse de se développer, se renouvelant avec les esthétiques cinématographiques et les transformations urbaines. (Thierry PAQUOT et Thierry LULLE).

Architectes et urbanistes ont entretenu avec ces images animées différents types de relations. Dans la mouvance des avant-gardes des années 1920, certains y voient l'occasion de valoriser leur vocabulaire formel et les idées qu'ils défendent. Ils conçoivent des décors en studio ou font utiliser leurs propres réalisations architecturales pour exalter le nouveau mode de vie qu'elles doivent entraîner. Sont souvent cités dans cette deuxième démarche, LE CORBUSIER (1887-1965) avec L'architecture d'aujourd'hui, de 1929, tourné dans les villas Savoye et Church et Roberto MALLET-STEVENS (1886-1945) avec Mystères du château de dés, de 1928, tourné dans la villa Noailles. A la fin des années 1960, lorsque commence la critique de l'urbanisme progressiste, les moyens audiovisuels sont utilisés pour permettre une large sensibilisation aux questions de l'aménagement urbains et de l'environnement. 

D'une manière générale, le cinéma influence et alimente l'imaginaire urbain dès le début : l'écriture filmique, traitement d'une matière spatio-temporelle par montage de plans à échelle variable, se prête particulièrement bien à la représentation des caractères acquis par la grande ville au cours du siècle.

Cette écriture filmique livres ses "commentaires" sur la ville dans deux types de films :

- Ceux dont le propos explicite est de tracer un portrait de la ville, tendant vers une objectivation de l'espace urbain. Des "symphonies de villes" sont apparues dans les années 1920, montrant la "vie" d'une ville durant un jour entier : Rien que les heures (Alberto CAVALCANTI, 1926), Berlin, symphonie d'une grande ville (Walter RUTTMANN, 1927), L'homme à la caméra (Dzigo VERTOV, 1929). Ces films, qui se sont multipliés, finissent par représenter plus l'essence des grandes villes que leurs particularités. Les écoles documentaristes anglaises et américaines des années 1930 ont adopté une démarche sociologique pour se pencher sur des questions précises, comme celle du logement des classes défavorisées. A partir des années 1960, une critique plus forte, amorcée par quelques néoréalistes italiens et développés par la "Nouvelle vague" française et Michelangelo ANTONIONI, a donnée à voir l'état du tissu urbain au gré des déambulations d'anti-héros (on pense naturellement à A bout de souffle), ou encore directement mis en scène les rapports de force et les stratégies qui s'instaurent autour des opérations immobilières (Francesco ROSI, Main basse sur la ville, 1963 ; Rudolf THOME, Berlin-Chamissoplatz, 1980). Une véritable "déconstruction" de la ville se déploie alors sur les écrans, opposant finalement à l'espace urbain disloqué l'unité structurale des réseaux de communication. Entre autres réalisateurs, Wim WENDERS (Alice dans les villes, 1973, par exemple ou Les ailes du désir, 1987) montre de façon saisissante cet aspect dans nombre de ses films.

- Ceux qui le font indirectement, tendant vers un jugement de valeur sur la ville, positif ou négatif. Ce second type de films comporte une fonction narrative déterminante, fortement lié aux genres établis (policier, comédie musicale, science-fiction). Les décors sont fréquemment construits en studio, renforçant certains aspects par des effets de lumière, de cadrage et construction matérielle proprement dite. La plupart donnent de la ville une image négative, implacable (cinémas allemands (dits de rue) des années 1930, américain des années 1940-1950 et de nouveau 1980-1990, du tiers-monde). La ville peut aussi être représentée comme un milieu convivial, humain et chaleureux (un certain cinéma français des années 1930, comédies musicales américaines en général). Parfois la construction narrative, le récit, prend appui sur une opposition entre la ville et un "ailleurs" dans le temps et dans l'espace et/ou dans le temps. Le rapport ville/campagne est ainsi abordé dans l'entre-deux-guerres de manière manichéenne (ville mauvaise, bonne campagne, dans L'aurore de Y W MURNAU en 1927) ou plus ambivalente (dans le troupeau de Zeki OKTEN, 1979). On peut également opposer deux états du tissu urbain : passé/futur (Métropolis de Fritz LANG, 1927) ou traditionnel/moderne (mon oncle, Jacques TATI, 1958).

              Depuis les années 1970, et nous suivons toujours là Thierry PAQUOT et Thierry LULLE, les profondes mutations (mobilité généralisée, muséification de quartiers anciens, multiplication des centres commerciaux péri-urbains, "disneylandisation" des lotissements) qui affectent l'espace urbain et la périphérie des villes aussi bien que les modes de vie, ont inspiré nombre de cinéastes qui donnent à avoir la vidéo-surveillance, la circulation autorourière, la télé-réalité urbaine, les enclaves résidentielles fermées...

Avec la généralisation du numérique, et surtout le montage assisté par ordinateur, les manipulations visuelles se démultiplient et offrent aux réalisateurs les conditions de s'autonomiser par rapport aux lieux de tournage, à la luminosité, au climat. 

 

               Quant à la video, elle banalise la prise de vue, sans pour autant faire de tout propriétaire d'un appareil de prise de vue d'images mobiles un cinéaste. Quoiqu'il renoue, d'une certaine façon avec les premières intentions des frères Lumière, à leur échelle, et partout, donne de la ville, du quartier, voire de son habitat intime une vision plutôt positive. Bien entendu, cette banalisation ne va pas sans un éparpillement dont le cinéma lui-même peut pâtir. L'hyper-video, selon nos deux auteurs, facilite le morcellement des images et leur répétition infinie, la discontinuité du récit filmographique et la temporalité propre à un auteur. Cet aspect-là est particulièrement développé par Thierry PAQUOT dans son éditorial du numéro d'Urbanisme qui porte sur La ville au cinéma (n°328, Janvier-Février 2003). "Le cinéma, qui naît de et avec la métropole moderne, ne produit pas ce genre d'images (ceux que tout un chacun film à tout-va lors de ses déplacements, surtout dans les débuts d'acquisition de son bel-engin-qui-filme-vachement-bien et qui ne fait que reproduire ce que nous voyons), il est est art - le septième (nous avons écrit ailleurs, que cette numérotation doit beaucoup aux hasard) - c'est-à-dire qu'il fait oeuvre création, et ne cherche pas à donner à voir, mais à rendre visible, tout comme la peinture et dorénavant la video d'artiste. C'est Paul KLEE qui disait ": L'art ne rend pas le visible, il rend visible"... Le cinéaste, comme le poète, fabrique des images - et les surréalistes ont bien raison de proposer pour le mot "image" l'anagramme de "magie" -, ces images débrouillent les mystères du monde et de l'existence. Ce cinéma d'auteur est exigeant. Il a sa propre temporalité, ses bruits et sons, ses cadrages, ses plans, son montage, bref son style qui le distingue des autres. Ce cinéma-là témoigne de la grande ville et des comportements individuels et collectifs qu'elle promeut et abrite, tout comme il exprime les valeurs socialisantes du quotidien urbain. La plupart de ces films ne se servent pas de la ville, de ses faubourgs et autres excroissances plus ou moins abâtardies, comme d'un décor, mais comme d'un élément constitutif de l'intrigue et du jeu des acteurs". 

 

           Pascal BAUCHARD, introduisant une étude sur les villes au cinéma, notamment sur Paris et New York, (villes parmi les plus filmées et sans doute de loin dans la filmographie mondiale, au moins occidentale), pense également que depuis ses débuts, le cinéma a toujours accordé une place particulière à la ville : "il a ainsi beaucoup utilisé le décor urbain considéré comme plus "photogénique" que les paysages ruraux. (...) Pour les ensiegnants d'histoire et de géographie, ces films constituent un témoignage souvent irremplaçable sur certaines villes quelque peu bouleversées par l'histoire. Un cas d'école est la ville de Berlin, sujet de plusieurs films allemands des années 1930. (...) Elle est de nouveau filmée en 1945 et apparaît comme pratiquement détruite dans certains films des années 1950 (...) La ville, en tant qu'enjeu de la guerre froide, sert de cadre à de nombreux films d'espionnage des années 1950 aux années 1970. (...) Le septième art s'est aussi inspiré de la sociologie urbaine pour construire ses scénarios et ses personnages, qui permettent de multiples variations : la grande ville peut être porteuse d'espoir pour ceux qui veulent réussir mais la grande cité est aussi décrite comme un "enfer de corruption". (...) Ces films urbains sont donc aussi intéressants à étudier du point de vue de l'histoire des mentalités, car les représentations de la ville sont toujours significatives de leur époque (on sait par exemple les innombrables débats qu'on provoqué le célèbre film d'anticipation de Fritz LANG, Métropolis). Dans ces oeuvres, la ville peut se prêter à toutes les interprétations métaphoriques possibles, conscientes ou involontaires..." . Dans cette perspective, il serait intéressant de se voie mieux précisées les influences réciproques entre perceptions de la ville et visions cinématographiques, et pas seulement dans les milieux des architectes et des urbanistes. 

Le même auteur attire l'attention sur le fait que "le cinéma ne s'est pas seulement intéressé aux villes actuelles, il fait aussi oeuvre d'anticipation en imaginant des agglomérations dans un futur plus ou moins proche : ce faisant, il produit des visions ou des images très intéressantes pour l'historien. On peut aussi relever deux types de films. Dans un premier groupe, les villes situées dans le futur sont la proie de destructions considérables, le plus souvent à la suite d'une guerre nucléaire. La plupart de ces films ont été réalisés pendant des périodes de fortes tensions internationales, notamment pendant la Guerre froide. (...)  Dans les années 1980, une même paranoïa réapparaît dans des films très réalistes. Mais d'autres cinéastes ont une vision différente des villes du futurs : ils décrivent des sociétés urbaines à la fois ultra-modernes, mais aussi très hiérarchisées."

        Nous pouvons ajouter que la plupart des oeuvres cinématographiques dénoncent de nombreux aspects inhérents à la ville, de l'entassement des populations aux pollutions physiques de toute sorte, de la délinquance urbaine à la corruption des moeurs, ceci selon que les réalisateurs possèdent plus ou moins une vision moralisatrice de la société ou de la vie en général. Et que si elle le fait dans la ville, c'est aussi parce que le mouvement d'urbanisation se généralise, le spectacle se déroulant dans une ville (rarement à la campagne) et les spectateurs étant généralement des spectateurs urbains, notamment depuis la disparition des multiples caravanes de "montreurs de cinéma" encore présents jusque dans les années 1910 en Europe et aux Etats-Unis, qui diffusaient les images dans les campagnes. L'effet de concentration des conflits dans les lieux où les population s'agglomèrent possède un caractère presque automatique sur les représentations qui se diffusent. 

 

      Cet ensemble d'informations et d'analyses ne doit pas faire croire que le cinéma se focalise uniquement sur la ville. Nombre d'histoires des films se déroulent en-dehors d'un tissu urbain, que ce soit à la campagne ou dans les mers par exemple. Particulièrement, le western base sa thématique sur la découverte des grands espaces, mais comme Jean-Baptiste GUEGAN, chroniqueur et critique de cinéma (Excès de lecture sur www.futura-sciences.com) le fait remarquer, "Construits sur l'idée de la frontière et de l'espace à conquérir, la tradition du western induit en fait à terme celle de son ambition, à savoir la construction, la maîtrise et l'occupation de l'espace par la ville. En somme, en gestation même et dans l'observation exotique de ces étendues que capte de manière si idyllique le Cinémascope, ces films portent en germe et en eux-mêmes l'idée de la conquête et son premier jalon, celle de la terre par le chemin de fer. Ce qui revient à dire l'humanisation de la virginité d'une terre et son occupation libre et sédentaire. cela dès lors préfigure l'horizon, celui d'une occupation en devenir". Cela peut être frappant dans le cas d'une ville dont nous pouvons voir les diverses étapes de sa construction à partir d'un désert (et à rebours en plus) et de sa corruption d'ailleurs, dans la série des trois films de fiction fantastique Retour vers le futur, de Robert ZEMECKIS (1985-1989-1990).

 

         Une remarque pour finir de manière temporaire ce survol : les études prennent rarement comme objet la production télévisuelle qui pourtant possède plus d'impact sur les spectateurs que ne l'a eu en son temps le cinéma lorsqu'il faisait figure de média dominant. Pourtant les visions de la ville s'y multiplient, notamment dans les mêmes genres où la ville pouvait apparaître valorisée ou dévalorisée (comédie musicale, mais il est devenu minoritaire, policier, fantastique/science-fiction). On pardonnera à un fan de la série Stargate Atlantis d'attirer l'attention sur l'image qu'elle donne de la cité du futur : scientifique bien sûr, mais aussi rassemblant les deux premières qualités de la ville que nous aimerions sans doute voir satisfaites dans l'urbanisme : la sécurité (vis-à-vis d'ennemis terrifiants, mais aussi de la nature, inconnue) et la convivialité (on le voit aux relations entre les personnages, même très secondaires). Cette vision n'est sans doute pas la vision dominante. Il serait fructueux d'effectuer des études sociologiques comparées entre les différentes influences croisées : évolution réelle du tissu urbain/évolution des qualités des flux d'images, évolution des visions au cinéma/évolution des visions à la télévision, évolution téléastes/évolution cinéastes....

 

Jean-Louis COMOLLI, Regards sur la ville, Editions Verdier, 2005 ; Sous la direction de Thierry JOUSSE et de Thierry PAQUOT, Ville au cinéma, Forum des images, 2005 ; Sous la direction de julie BARILLET, Françoise LOUGUET et Patrick VIENNE, La ville au cinéma, Artois Presse Université, collection Lettres et civilisations étrangères, 2005 ; Revue Urbanisme n° 328, Janvier-Février 2003, La ville au cinéma ; Thierry LULLE et Thierry PAQUOT, Article Cinéma et ville, dans Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, Sous la direction de Pierre MERLIN et de Françoise CHOAY, PUF, 2010.

 

SOCIUS

 

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