20 mars 2010
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Malgré les avancées du naturalisme et la prédominance de plus en plus assurée du pragmatisme aux États-Unis, l'idéalisme ne disparaît pas complètement comme mouvement philosophique (Gérard DELEDALLE). La conscience religieuse et l'activité de la Sage School de Cornell University (autour notamment de James E. CREIGHTON (1861-1924) permettent la revitalisation de l'idéalisme américain (qui n'est déjà plus d'une certaine manière l'idéalisme européen). Lequel revêt deux formes selon que sa philosophie s'achève ou non en théologie (idéalisme évolutionniste et personnalisme). Ce qui nous intéresse ici, dans le vaste mouvement de constitution du système éducatif américain (bien décrit par Daniel BOORSTIN), c'est, autour entre autres de 16 philosophes qui s'expriment dans le premier volume du Contemporary Americain Philosophy, l'émergence d'une philosophie de la Grande Communauté américaine, à travers notamment l'oeuvre de Josiah ROYCE (1855-1916).
Avec des accents sympathisants, Gérard DELEDALLE décrit cette idée de la Grande Communauté qui jailli "des entrailles de la terre américaine". "C'est elle qui donna à l'idéalisme absolu de Royce sa dimension américaine : anti-intellectualiste, anti-dualiste, pragmatiste, tout en le préservant du solipsisme qui vicia aussi bien certaines formes de l'idéalisme que certaines formes du pragmatisme. Le "moi" est bien au centre de la Grande Communauté mais il n'existe que par elle ; sa vérité ne se mesure pas à son individualité temporelle, mais à la réalité éternelle de la Grande Communauté. De cette Grande Communauté dont la communauté des chercheurs de Peirce est le modèle. Elle est religieuse certes au plus profond de son être, mais logico-mathématique dans son expression. C'est en effet à la logique symbolique de Peirce - qu'il développa lui-même avec bonheur comme science indépendante - que Royce emprunte son argumentation pour étendre le pragmatisme absolu de la Grande Communauté de l'Esprit. La philosophie de Royce est donc bien typiquement américaine : religieuse, logique et pragmatique."
Cette idée s'inscrit dans la recherche, dans l'élite intellectuelle, mais aussi de façon plus diffuse dans les milieux enseignants (et sans doute, mais il faudrait des études sociologiques plus précises, de nombreux groupes dominants aux États-Unis) d'une manière américaine de penser le vivre ensemble.
Cette recherche inspire par exemple en 1886 à Josiah ROYCE son histoire des campements de mineurs, une saga des communautés, en Californie : "Nulle part et à aucun autre moment, les devoirs envers la société ne sont plus pénibles et plus contraignants que dans la période agitée de leurs débuts que traversent les pays neufs. Il est plus difficile de participer pendant des mois à un comité de surveillance que de faire partie, une fois dans sa vie, d'un jury dans une ville paisible." C'est dans des conditions difficiles, dans un milieu hostile naturellement, sous une exploitation effrénée du travail, qu'une société invente en quelque sorte, à la frontière (et l'histoire des États-Unis à ses longs débuts est une histoire de frontières de plus en plus lointaines du lieu d'origine de la "civilisation") des moyens pour ne pas sombrer tout simplement dans le chaos. Cette nécessité vitale inscrit dans l'esprit de beaucoup d'Américains ce sentiment d'appartenance à une Grande Communauté qui dépasse même la vie sur terre.
Partie d'un idéalisme absolu (1882-1900), la philosophie de Josiah ROYCE évolue vers l'idéalisme pratique de la Grande Communauté (1901-1916).
Avec des accents sympathisants, Gérard DELEDALLE décrit cette idée de la Grande Communauté qui jailli "des entrailles de la terre américaine". "C'est elle qui donna à l'idéalisme absolu de Royce sa dimension américaine : anti-intellectualiste, anti-dualiste, pragmatiste, tout en le préservant du solipsisme qui vicia aussi bien certaines formes de l'idéalisme que certaines formes du pragmatisme. Le "moi" est bien au centre de la Grande Communauté mais il n'existe que par elle ; sa vérité ne se mesure pas à son individualité temporelle, mais à la réalité éternelle de la Grande Communauté. De cette Grande Communauté dont la communauté des chercheurs de Peirce est le modèle. Elle est religieuse certes au plus profond de son être, mais logico-mathématique dans son expression. C'est en effet à la logique symbolique de Peirce - qu'il développa lui-même avec bonheur comme science indépendante - que Royce emprunte son argumentation pour étendre le pragmatisme absolu de la Grande Communauté de l'Esprit. La philosophie de Royce est donc bien typiquement américaine : religieuse, logique et pragmatique."
Cette idée s'inscrit dans la recherche, dans l'élite intellectuelle, mais aussi de façon plus diffuse dans les milieux enseignants (et sans doute, mais il faudrait des études sociologiques plus précises, de nombreux groupes dominants aux États-Unis) d'une manière américaine de penser le vivre ensemble.
Cette recherche inspire par exemple en 1886 à Josiah ROYCE son histoire des campements de mineurs, une saga des communautés, en Californie : "Nulle part et à aucun autre moment, les devoirs envers la société ne sont plus pénibles et plus contraignants que dans la période agitée de leurs débuts que traversent les pays neufs. Il est plus difficile de participer pendant des mois à un comité de surveillance que de faire partie, une fois dans sa vie, d'un jury dans une ville paisible." C'est dans des conditions difficiles, dans un milieu hostile naturellement, sous une exploitation effrénée du travail, qu'une société invente en quelque sorte, à la frontière (et l'histoire des États-Unis à ses longs débuts est une histoire de frontières de plus en plus lointaines du lieu d'origine de la "civilisation") des moyens pour ne pas sombrer tout simplement dans le chaos. Cette nécessité vitale inscrit dans l'esprit de beaucoup d'Américains ce sentiment d'appartenance à une Grande Communauté qui dépasse même la vie sur terre.
Partie d'un idéalisme absolu (1882-1900), la philosophie de Josiah ROYCE évolue vers l'idéalisme pratique de la Grande Communauté (1901-1916).
Dans The Problem of Christianity, le professeur de l'Université de Californie, décrit longuement une théorie de la communauté de l'interprétation à trois termes : le sujet interprété, l'objet interprété et la personne à qui s'adresse l'interprétation. Il s'agit bien entendu de l'interprétation du monde, de sa signification, qui est un processus mental, social, individuel et cosmique. "Un processus d'interprétation implique, nécessairement, une série infinie d'actes d'interprétation. Il admet aussi une variété infinie d'individus qui s'interprètent ainsi réciproquement. Ces individus dans toute leur variété constituent la vie d'une seule communauté d'interprétation dont le pivot est l'esprit de communauté (...). Dans le concret (...) l'univers est une communauté d'interprétation dont la vie comprend et unifie toutes les variétés sociales et toutes les communautés sociales que, pour une raison ou pour une autre, nous savons être réelles dans le monde empirique que nos sciences sociales et historiques étudient. L'histoire de l'univers, tout l'ordre du temps, est l'histoire, l'ordre et l'expression de la Communauté universelle." (Volume II de The problem of Christianity, cité par Gérard DELEDALLE).
Concrètement, Josiah ROYCE voyait la réalisation de cet idéal communautaire dans l'extension du système des assurances. Ce système relie chaque bénéficiaire à chaque membre de la Communauté. Nous percevons bien là la justification d'un système économico-social, l'affirmation finalement d'une unité sociale entre les Américains, qui dépasse leurs conflits et les unit tous dans une même solidarité, dans une même coopération. Cela fait de Josiah ROYCE, voulant dépasser et ne disant pas grand chose bien sûr des travers de la société capitaliste, le chantre d'une religion de la loyauté et du dévouement des citoyens les uns envers les autres, mais aussi, sans le moindre soupçon de totalitarisme, même moral, envers la Communauté elle-même.
Gérard DELEDALLE note que les disciples de Josiah ROYCE "n'ont pas suivi les doctrines du maître à la lettre, ce sont plutôt ses préoccupations, ses problèmes qui les marquèrent, le problème de la philosophie de la logique mathématique et le problème de la religion. Le premier conduisit ses disciples au pragmatisme logique issu des théories de Peirce, le second fut et est encore le lieu de rencontre de tous les philosophes idéalistes."
Emile BREHIER évoque l'idéalisme anglo-saxon à l'oeuvre aux États-Unis à travers les écrits de Josiah ROYCE :
Gérard DELEDALLE note que les disciples de Josiah ROYCE "n'ont pas suivi les doctrines du maître à la lettre, ce sont plutôt ses préoccupations, ses problèmes qui les marquèrent, le problème de la philosophie de la logique mathématique et le problème de la religion. Le premier conduisit ses disciples au pragmatisme logique issu des théories de Peirce, le second fut et est encore le lieu de rencontre de tous les philosophes idéalistes."
Emile BREHIER évoque l'idéalisme anglo-saxon à l'oeuvre aux États-Unis à travers les écrits de Josiah ROYCE :
"le thème foncier de Royce est une idée très caractéristique de la mentalité religieuse américaine : le monde dans lequel "l'homme libre se tient droit et avance est le monde de Dieu, tout en étant le sien". Une idée n'a de valeur pratique que si elle est tout à fait individualisée et n'est semblable à aucune autre : la généralité est signe d'un défaut. Le Moi absolu aurait cette généralité déficiente, s'il ne s'exprimait par une grande variété d'individus qui se font chacun librement leur destinée. Royce reste moniste, parce que toute pensée implique le monisme : penser un objet, pour la plupart, c'est avoir une image de lui ; l'objet resterait donc extérieur à la pensée ; mais la pensée n'est pas dans l'image, elle est dans le jugement qui signifie l'objet, ou bien qui en doute ; ce jugement n'a de valeur que si nous supposons une pensée plus parfaite que la nôtre, qui possède l'objet, et pour laquelle il n'y ait plus de questions et de doute ; il n'y a de vérité que si un seul moi inclut toute pensée et tout objet. La vie de ce moi absolu est la connaissance des individus divers dans lesquels il se réalise : cet absolu est donc toujours incomplet."
Pour Emile BREHIER, le projet philosophique de Josiah ROYCE n'a peut-être pas abouti, allant moins loin que HEGEL et ses successeurs, mais l'essentiel n'est peut-être pas là. L'élaboration d'une philosophie n'a de sens que dans une société qui en tire sa validité et sa légitimité en quelque sorte, et l'approfondissement de l'idée de Grande Communauté est sans doute bien plus important qu'une avancée hypothétique dans la connaissance des objets, même si par ailleurs, le projet scientifique n'est jamais absent dans l'esprit des philosophes américains.
Emile BREHIER, Histoire de la philosophie, tome III, PUF, Quadrige, 2000. Daniel BOORSTIN, Histoire des Américains, Robert Laffont, Bouquins, 1991. Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck Université, Le point philosophique, 1998.
PHILIUS
Emile BREHIER, Histoire de la philosophie, tome III, PUF, Quadrige, 2000. Daniel BOORSTIN, Histoire des Américains, Robert Laffont, Bouquins, 1991. Gérard DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck Université, Le point philosophique, 1998.
PHILIUS
Relu le 11 novembre 2019