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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 09:23
      Le gros livre de Michel GRAULICH, directeur d'études en sciences religieuses à l'Ecole pratique des Hautes Etudes, constitue une somme sur la civilisation aztèque dont nous aimerions avoir l'équivalent dans bien d'autres domaines. Il aborde absolument tous les aspects du sacrifice humain dans cette Amérique précolombienne, reprenant nombre d'études parcellaires faites avant lui sur cette question, et revenant aux sources écrites que nous possédons.
      Cette pratique du sacrifice humain qui s'étale de 1 400 avant J.C. jusqu'à l'arrivée des Conquistadores espagnols a suscité déjà de nombreux commentaires, mais jusque là jamais nous n'avions eu entre les mains une telle masse d'information, non seulement restituées mais analysées.
"C'est donc au sacrifice humain aztèque, à la mise à mort d'êtres humains dans le cadre de la communication avec le surhumain qu'est consacrée cette étude. Nous essayons de le décrire dans sa totalité et de le comprendre. Comprendre non pas les raisons profondes pour lesquelles les Aztèques y procédaient - la réponse la plus vraie est évidemment qu'ils la faisaient parce que c'était l'habitude, parce que dès l'enfance ils l'avaient vu et appris, parce que cela se faisait en Méso-Amérique depuis des générations, des siècles, des millénaires même -, mais la façon dont ils le pensaient, se l'expliquaient à eux-mêmes et se le justifiaient, et le cas échéant comment leurs interprétations ont pu évoluer. Nous tenterons aussi de voir si les civilisations méso-américaines présentaient une quelconque spécificité qui expliquerait ce développement extraordinaire des sacrifices humains et leur nombre croissant sous les derniers souverains de l'Empire Aztèque."
       En passant en revue les explications antérieures, l'auteur n'a pas de prédilections particulières sur les liens entre guerres et sacrifices humains (non prédominants selon lui sauf dans le cadre de la guerre fleurie), Toutefois, nous lisons bien  par exemple dans le chapitre consacré aux "acteurs du drame", avec l'expansion de l'Empire aztèque, que ce sont de plus en plus des guerriers, après les esclaves dans un premier temps (les esclaves eux-mêmes provenant en partie des guerres), qui sont la majeure partie des sacrifiés.
      Dans sa conclusion, bizarrement placée par l'éditeur après les notes et la bibliographie, Michel GRAULICH considère cet "acte social total" qui concerne tout le monde dans la cité, non seulement comme un acte guidé par les mythes, par la représentation que s'en font ces hommes et ces femmes, mais aussi comme un acte de vengeance.
"Ce sont surtout les mises à mort massives de prisonniers de guerre qui montrent que les sacrifices humains sont aussi des meurtres inspirés par la vengeance, des meurtres dont la population toute entière, qui y assiste fascinée, est en fait complice, ce qui doit renforcer son sentiment d'appartenance au groupe et souder davantage la communauté. A cet égard, il convient de revenir sur une question (...) : existe t-il une ou des particularités de la civilisation aztèque qui rendent compte (du sacrifice humain) chez les aztèques?" L'auteur répond qu'il "est possible que le massacre rituel d'ennemis en grand nombre et provenant d'horizons très variés, en présence de et avec la participation de la population toute entière, ait aussi visé à souder ensemble ces complices et à les décourager de partir ailleurs, chez l'ennemi." "Mais les fêtes, les sacrifices et les offrandes, les somptueux banquets, la quête du prestige ici-bas et de survie dans l'au-delà, tout cela existe encore, dans ce qui était la Méso-Amérique, même si les modalités, les lieux, les destinataires ont changé. Les églises ont remplacé les temples, souvent littéralement, Dieu et ses saints se sont plus ou moins substitués aux divinités païennes, mais nombre de structures sociales et de comportement ont subsisté..." Le sacrifice humain, en accumulant les significations, écrit encore l'auteur, "peut effectivement être regardé comme le plus pathétique effort de l'homme pour se donner l'impression de contrôler ce qui l'environne, voire le monde ou l'univers tout entier."
     Pour qui veut avoir une idée précise, à partir des sources du sacrifice humain chez les Aztèques, la lecture de ce livre est indispensable. Il constitue à ce jour la plus importante somme sur la question.
 
   L'éditeur présente l'ouvrage de la manière suivante : "Nulle part le sacrifice humain officiel, organisé par l'État, n'a été plus répandu que dans l'ancien Mexique. Les Aztèques eux-mêmes se vantent d'avoir immolé en trois ou quatre jours quelque 80 400 guerriers pour l'inauguration de leur Grand Temple en 1487. Cette pratique, qui nous parait barbare, mais que toute une tradition tente de minimiser ou de justifier, reste particulièrement difficile à comprendre. On dit parfois que le XXe siècle a vu bien pis avec ses génocides, mais le fait de sacrifier des ennemis n'empêchait nullement les Aztèques d'exterminer en plus des cités entières. Il est vrai aussi bien d'autres civilisations ont immolé des hommes aux dieux, mais elles ont en général fini par passer au sacrifice animal ou même, comme le christianisme, au sacrifice non sanglant. Comment comprendre alors le cas des Aztèques? Pourquoi ces mises à mort nombreuses, variées et raffinées? Pourquoi cette implication de la société toute entière, les rois, les nobles et les prêtres, les sacrifiants - seigneurs, guerriers victorieux, riches marchands ou artisans -, et enfin l'ensemble des habitants, sans compter ceux d'autres cités parfois contraints, sous peine de mort, d'assister aux cérémonies? Les victimes sont présentées à la population qui les adopte et reste en contact avec elles. certains incarnent l'une ou l'autre divinité et se promènent pendant des jours dans la ville. Lorsqu'on les immole et les mange, c'est la divinité même qui meurt et renaît à travers elles. Ceux qui les offrent, les sacrifiants, les accompagnent depuis la capture ou l'achat jusqu'à la mise à mort, lorsqu'ils les conduisent au pied du temple ou de la pierre de sacrifice. Connus et visibles du début jusqu'à la fin, ils organisent les banquets finaux durant lesquels on mange l'homme-dieu, ils en conservent les reliques et gagnent du prestige, des richesses et des chances de survie dans l'au-delà. L'ampleur de la cérémonie glorifie la cité et écrase  les rivaux invités à y participer. Mais les mises à mort massives de prisonniers de guerre sont aussi des meurtres inspirés par la vengeance, des meurtres dont ceux qui y assistent fascinés sont en fait complices, ce qui doit accroître le sentiment d'appartenance au groupe et renforcer sa cohésion."
 
   Claude-François BAUDEZ, dans le Journal de la société des américanistes (2005, n°91-1) rend compte du livre : "...Dans cette nouvelle étude, Michel Graulich confirme ses qualités d'historien. Il ne néglige aucune source, qu'elle soit écrite ou peinte, autochtone ou espagnole ; quand il y a lieu, il fait appel à l'archéologie et à l'iconographie. Les sources sont dûment critiquées, et les informations évaluées, en cas de divergences ou de contradictions. Lacunes et silences ne sont pas occultés, et toute donnée est référencée. le lecteur en tire la rare et précieuse impression que tout ce qui concerne le sujet se trouve dans ce livre et que, disposant de toutes les données et de leurs références, il a en main tout ce qui lui est nécessaire pour évaluer et, en fin de compte, accepter ou refuser les interprétations proposées. (...) Contrairement à la majorité de ses prédécesseurs qui ont favorisé l'une ou l'autre des interprétations du sacrifice humain, soit comme paiement d'une dette, soit comme production d'énergie cosmique, Graulich insiste sur la multiplicité des significations et des destinations. Le sacrifice humain est avant tout une offrande, un don d'êtres vivants qui ne peuvent être "donnés" que mis à mort. Ce don peut avoir pour fonction d'avouer son infériorité, de s'humilier devant la divinité ; ce peut-être aussi une expiation, le paiement de la dette contractée à l'égard des dieux dès l'instant que l'on respire ; un investissement pour se concilier les bonnes grâces des divinités, qui peut aller jusqu'à les obliger en une sorte de potlatch. (...) Les remarques qui précèdent concernent les points que nous avons trouvés les plus intéressants, mais n'épuisent pas, loin de là, la richesse et la complexité de l'ouvrage. Celui-ci ne peut non plus être considéré comme définitif et certains aspects du sacrifice humain aztèque mériteraient d'être approfondis. Ainsi le comparer avec le sacrifice dans d'autres cultures mésoaméricaines, comme la maya classique ou la zapotèque, pourrait s'avérer fructueux ; on a montré, par exemple, que l'assimilation du vainqueur et de sa victime, ainsi que l'équivalence de l'auto-sacrifice et du sacrifice des autres, étaient des notions en cours chez les Mayas de la période classique, bien avant les sacrifices massifs du Postclassique. Comment les Aztèques abordaient-ils le problème de la douleur dans le sacrifice? (...) On est frappé en lisant le livre de Graulich par la fréquence de sacrifices déguisés en autre chose, en châtiment, en combat, en chasse, etc. En dehors du fait que ces travestissements sont justifiés par le mythe, à quoi correspond cette intention de sacrifier sous d'autres prétextes? (...) Un dernier problème, qui mériterait un examen approfondi, est celui des rapports entre jeu de balle et sacrifice humain. (...) Nous finirons par une critique destinée à l'éditeur et non à l'auteur qui n'y est certainement pour rien. Elle concerne l'organisation étrange de la fin du volume (...). Souhaitons que ces défauts soient corrigés dans les prochaines éditions que cet excellent livre, indispensable au mexicaniste comme à l'historien des religions, ne devrait pas manquer d'avoir.
 

 

 
    Michel GRAULICH (né en 1944), chercheur en histoire de l'art et des religions de l'Amérique précolombienne, participant au comité de rédaction de la revue mexicaine Cuicuilco, est l'auteur d'autres ouvrages : Mythes et rituels du Mexique ancien préhispanique (Académie royale de Belgique, 1987) ; L'art précolombien. La Mésoamérique (Flammarion, 1992) ; L'art précolombien. Les Andes (Flammarion, 1992) ; Montezuma ou l'apogée et la chute de l'empire aztèque (Fayard, 1994). Ce professeur, qui a fait carrière à l'Université Libre de Bruxelles, et qui fut directeur d'études à la Ve section des sciences religieuse de l'École Pratique des Hautes Études de la Sorbonne, produit aussi quelques thèses iconoclastes qui provoquent la polémique dans les milieux mésoaméricains : dans son ouvrage Mythes et rituels du Mexique ancien préhispanique, il propose l'hypothèse d'un retard volontaire du calendrier original des vingtaines et propose de rectifier une datation ; dans la biographie du tlatoani Moctezuma II, il propose que ce dernier aurait cherché à lutter contre l'envahisseur espagnol....
   
Michel GRAULICH, Le sacrifice humain chez les Aztèques, Éditions Fayard, 2005, 415 pages.
 
 
Complété le 8 octobre 2012. Relu le 21 juin 2019
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