Sous-titré de manière plus explicite, De l'explosion urbaine au bidonville global, c'est ni plus ni moins d'une "bidonvillation" du monde qu'il s'agit.
Le chercheur indépendant très engagé, inclassable, de la gauche américaine, déjà auteur de nombreux ouvrages entre autres de sociologie urbaine, dresse le tableau sinistre de l'urbanisation actuelle dont la caractéristique principale est de constituer en une extension exponentielle des mégalopoles du tiers-monde, produit d'un exode rural très mal maîtrisé. Selon lui, un milliard de personnes survivent dans les bidonvilles du monde, lieux de reproduction de la misère, à laquelle les gouvernements, dont beaucoup s'en désintéressent, n'apportent aucune réponse adaptée.
A l'inverse de ce que beaucoup de sociologues, de Karl MARX à Max WEBER, analysaient comme le produit de l'industrialisation massive, la plupart des grandes villes du futur croissent sous l'effet d'un pouvoir attractif que l'auteur détaille dans une grande partie de son livre, qui doit plus à un appauvrissement constant et rapide des populations rurales. "Ainsi, loin des structures de verre et d'acier imaginées par des générations passées d'urbanistes, les villes du futur sont au contraire pour l'essentiel faites de brique brute, de paille, de plastique recyclé, de parpaings, de tôle ondulée et de bois de récupération. En lieu et place des cités de verre s'élevant vers le ciel, une bonne partie du monde urbain du XXIe siècle vit de façon sordide dans la pollution, les excréments et la décomposition. "
Dans la croissance des villes décrite par Mike DAVIS, prédomine l'ahurissant développement des bidonvilles. Ce constat, effectué par ONU-Habitat en octobre 2003, une des sources d'information qu'il utilise pour analyser, à partir de ce recensement mondial des bidonvilles qu'est The Challenge of Slums, pour analyser les événements qui ont conduits à cette situation.
"La majorité de la population urbaine pauvre ne vit plus dans les centres-villes. Depuis 1970, ce sont les communautés de bidonville de la périphérie des villes du tiers-monde qui ont absorbé la plus forte proportion de la croissance urbaine mondiale." C'est une extension horizontale qui domine, en Asie, en Amérique Latine et en Afrique, à l'image du continuum de béton, d'acier et de macadam de certaines côtes nord-américaines, mais de manière bien plus désorganisée. Malgré le fait qu'aucun auteur n'ait produit de synthèse sur la géographie changeante des implantations des pauvres dans aucune ville du tiers-monde durant toute la période d'après-guerre, l'auteur tente une périodisation de ce mouvement de populations.
Ce sont tour à tour les gouvernements coloniaux puis ceux issus de la décolonisation, les organisations internationales "de développement" (FMI, Banque Mondiale...) et les organisations non-gouvernementales qui sont visées dans cette dénonciation, d'un "containment" des pauvres hors des villes aux programmes d'aménagement des territoires. C'est une politique digne du baron Haussmann dans l'aménagement des villes - dans une même intention de valorisation des métropoles à l'extérieur - lors des jeux olympiques par exemple - et de contrôle social des population - que les autorités déploient encore maintenant pour "circonscrire" brutalement (emploi de la force souvent meurtrier) l'apparence et l'influence de ces populations miséreuses. Souvent en refoulant dans les endroits souvent précisément les moins aptes à recueillir une population à la densité extraordinaire. "Quels que soient leur couleur politique et leur degré de tolérance vis-à-vis du squattage et des implantations sauvages à la périphérie de leur ville, la plupart des autorités urbaines du tiers-monde sont en conflit perpétuel avec les pauvres dans certains quartiers centraux." Mike DAVIS se livre à la description de ce qu'il appelle l'écologie du bidonville, avec ses réseaux de solidarité - malgré tout - cette économie, parallèle, qui n'entre évidemment pas dans les statistiques, qui épuise les sols, qui utilise massivement les rejets (poubelles et amoncellement d'ordures) en provenance des quartiers moins pauvres.
Dans le dernier chapitre au titre dramatique, Une humanité de trop?, Mike DAVIS détaille les multiples clichés concernant justement cette économie parallèle en indiquant comment, malgré tous les efforts de nombreux acteurs sociaux, malgré une structure économique en cascade de locataires de plus en plus démunis, elle ne peut être ni viable ni profitable à la population pauvre qui s'entasse.
De très nombreuses notes, en fin de livre, appuie sa démonstration, même si par ailleurs, la proportion de la population des taudis (par rapport à la population urbaine totale des pays en voie de développement) est passé, selon les chiffres d'ONU-Habitat, de 46% à 33% de 1990 à 2010. Car en même temps, en valeur absolue, le nombre d'habitants des taudis passait de 650 à 830 millions. Sa démonstration peut sembler partielle, car elle ne mentionne que très peu les récents efforts d'assainissement et d'accès à l'eau potable. Mais ces efforts sont trop récents pour savoir s'ils vont contrebalancer durablement l'évolution décrite par Mike DAVIS.
L'auteur présente le livre de la manière suivante : "Pour mortels et dangereux qu'ils soient, les bidonvilles ont devant eux un avenir resplendissant." Des taudis de Lima aux collines d'ordures de Manille, des bidonvilles marécageux de Lagos à la Vieille Ville de Pékin, on assiste à l'extension exponentielle des mégapoles du tiers-monde, produits d'un exode rural mal maîtrise. Le big bang de la pauvreté des années 1970 et 1980 - dopé par les thérapies de choc imposées par le FMI et la Banque Mondiale - a ainsi transformé les bidonvilles traditionnels en "méga-bidonvilles", tentaculaires, où domine le travail informel, "musée vivant de l'exploitation humaine". Un milliard de personnes survivent dans les bidonvilles du monde, lieux de reproduction de la misère, à laquelle les gouvernements n'apportent aucune réponse adaptée. Désormais, les habitants mettent en péril leur vie dans des zones dangereuses, instables et polluées. Bien loin des villes de lumière imaginés par les urbanistes, le monde urbain du XXIe siècle ressemblera de plus en plus à celui du XIXe, avec ses quartiers sordides dépeints par Dickens, Zola ou Gorki. Le Pire des mondes possibles explore cette réalité urbaine méconnue et explosive, laissant entrevoir, à l'échelle planétaire, un avenir cauchemardesque."
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Mike DAVIS (né en 1946), ethnologue, sociologue urbain et historien américain, professeur d'histoire à l'université de Californie à Irvine, membre du comité de rédaction de la New Left Review et collaborateur de la Socialist Review, revue du Socialist Workers Party anglais, est aussi l'auteur d'autres ouvrages, dont certains ont été traduits en français : Petite histoire de la voiture piégée (Zones, 2007) ; Au-delà de Blade Runner : Los Angeles et l'imaginaire du désastre (Allia, 2006) ; City of Quartz (La Découverte, 2003) ; Génocides tropicaux (la Découverte, 2003) ; Planète Bidonville (Ab iratio éditions, 2005) ; Le stade Dubaï du capitalisme (Les prairies ordinaires, 2007)...
Mike DAVIS, Le pire des mondes possibles, De l'explosion urbaine au bidonville global, La Découverte/poche, 2007, 250 pages. Il s'agit de la traduction, par Jacques MAILHOS, de l'ouvrage paru aux États-Unis en 2006, Planet of Slums, verso, Londres-new York.
Complété le 23 octobre 2012. Relu le 15 mai 2020.